L’organisation
du travail en milieu scolaire est une construction sociale qui prend racine
dans les activités des acteurs individuels et collectifs qui, s’ils poursuivent
certains buts communs, peuvent également poursuivre des intérêts qui leur sont
propres. D’une manière ou d’une autre, les acteurs sont conduits (ou
contraints) à collaborer – collaboration qui, très souvent, s’accompagne de
tensions, de conflits voire d’affrontements – dans une même organisation. L’enseignement apparaît ainsi comme une activité qui
se déroule dans un contexte caractérisé par des contraintes inhérentes à
l’interaction humaine, aux relations de pouvoir, aux types de connaissances. Le
travail enseignant est par ailleurs façonné par les orientations et les
techniques spécifiques à cette activité professionnelle, par le rapport aux
"usagers" (les élèves), les espaces de liberté ou de contrainte des
praticiens, leurs compétences ainsi que l’environnement organisationnel.
Dans
cet environnement, les principaux facteurs qui déterminent la charge de travail
des enseignants sont notamment : les facteurs matériels et
environnementaux (par exemple, les ressources financières de la commission
scolaire); les facteurs sociaux (par exemple la situation socio-économique du
milieu d’implantation de l’école); les facteurs liés à l’objet de travail (par
exemple, la taille des groupes); les phénomènes résultant de l’organisation du
travail (par exemple, la diversité des tâches autres que celle d’enseigner,
comme la surveillance dans les corridors ou dans la cour de récréation); les
exigences formelles ou bureaucratiques à accomplir (par exemple, le respect des
horaires, l’évaluation des élèves, les réunions pédagogiques). Dans ce paysage,
l’organisation de la tâche enseignante présente une forte dimension
interactionnelle qui commande une bonne capacité d’adaptation et comporte un
haut niveau de normativité tout en exigeant une capacité à se centrer à la fois
sur le groupe et sur un élève en particulier (il s’agit d’un des dilemmes
centraux de l’enseignant). En outre, la tâche se caractérise aussi, d’une part,
par le rôle majeur qu’y joue la structuration langagière et symbolique des
situations (enseigner c’est être en quelque sorte un «maître de discours») et,
d’autre part, par une relative instabilité (le cadre d’une leçon n’est jamais
donné mais doit toujours faire l’objet d’une construction interactive).
En
tant que travail, l’enseignement présente donc les traits suivants. C’est un
travail dont le temps est en partie extensible et où l’essentiel de la tâche
s’articule autour du rapport aux élèves. On y décèle la présence d’activités
diversifiées et de nombreuses tâches informelles (définitions de tâches qui
sont objet d’interprétation et de négociation). C’est un travail où on est vu
et regardé par son objet de travail (l’élève); on ne travaille pas sur mais
avec et pour l’objet de travail; on est responsable des personnes et, par
conséquent, l’équité du traitement de ces dernières y occupe une place incontournable.
Enseigner c’est donc faire un métier (ou une profession, peu importe le vocable
ici) qui comporte une forte charge éthique parce que l’enseignant travaille
avec des personnes dans un cadre où les dimensions symboliques et
interprétatives sont très élevées.
L’objet
humain du travail enseignant détermine les caractéristiques de la tâche à
accomplir. L’enseignant est en face d’un objet qui est à la fois individuel et
social, hétérogène, actif et capable de résistance. Dans ce cas, la relation du
praticien à son objet sera faite de rapports multidimensionnels
(professionnels, personnels, juridiques, émotionnels, normatifs, etc.) et va
requérir la collaboration de ce dernier. Il en découle que, même dans une
situation de travail idéal, l’enseignant ne peut jamais bénéficier d’un
contrôle absolu sur son objet. Qui plus est, travailler sur
de l’humain c’est nécessairement travailler non seulement avec ce qu’on est (la
personnalité devient une technique de travail) mais c’est aussi obligatoirement
courtiser le consentement d’autrui, le persuader de la
justesse de notre action pour qu’il participe de l’action éducative. Enseigner apparaît alors comme un
travail émotionnel où le rapport aux élèves est central. Ce rapport est pour
une bonne part de nature affective, il est en outre le moteur de la motivation
des enseignants. Or, ce rapport de l’enseignant à son objet de travail (les
élèves) se caractérise de la manière suivante : la relation enseignant /
élève est tout autant enrichissante que frustrante; il n’existe pas de relation
typique, uniforme et universelle des enseignants à leurs objets; la relation
des enseignants aux élèves est marquée d’une tension au sens où elle est la
principale source de satisfaction tout en étant la principale source de
difficultés. La relation aux élèves (à l’objet de travail) est aussi source de
découverte de soi comme personne et comme professionnel et elle véhicule des
problèmes et des dilemmes qui, souvent, n’ont pas de solution simple et
infaillible, voire, parfois, qui ne comportent aucune solution. Enfin, les
résultats du travail enseignant se caractérisent par l’indétermination (on ne
sait pas quel sera exactement le résultat de l’intervention éducative). Le
produit de l’enseignement apparaît intangible (on n’en voit pas complètement de
produit fini).
Références :
Martineau,
S. (1997). De la base de connaissances en enseignement au savoir d’action
pédagogique. Construction d’un objet théorique, Thèse de doctorat inédite,
Québec, Faculté des sciences de l’éducation, Université Laval.
Tardif,
M. et C. Lessard (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à
l'étude du travail dans les métiers et les professions d'interactions humaines,
Québec, Les Presses de l'Université Laval.
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