NOTES À PARTIR DE L'OUVRAGE DE MICHEL DEVELAY PEUT-ON FORMER LES ENSEIGNANTS?, PARIS, ESF, COLLECTION PÉDAGOGIES, 1994.
Bien que cet ouvrage ait été publié il y a près de 20 ans et ce, dans un contexte culturel différent de celui du Québec, il peut encore nourrir notre réflexion sur la formation des enseignants dans la «belle province». Il ne s'agit donc pas «d'acheter» les propos de l'auteur sans réserve, mais de les utiliser comme aide à penser. J'en donne ici un bref résumé.
INTRODUCTION
L'idée de départ : "On peut former
les enseignants à la condition d'en faire des techniciens de
l'apprentissage." (p. 14)
Ce projet doit s'accompagner d'un sentiment d'appartenance à
un groupe auquel les enseignants peuvent s'identifier.
Défis à la formation initiale : (p. 14)
1) "ader à la constitution d'une
compétence professionnelle."
2) "concourir à l'émergence du sentiment
de posséder une identité professionnelle
clairement établie."
Répondre aux défis conduit à articuler deux
intentions :
1)
Considérer chaque enseignant en formation en tant que personne
(personnalisation de la formation).
2) Tenter
de développer chez chacun le sentiment d'appartenance à un groupe.
Un a priori de
l'auteur : "la formation initiale parvienne à installer chez les formés des
principes d'action pédagogique conformes aux apprentissages que l'on souhaite
qu'ils développent chez leurs élèves."
(p. 14)
La formation initiale doit comporter quatre champs
interreliés :
1) le champ
disciplinaire;
2) le champ
de la didactique;
3) le champ
de la pédagogie;
4) le champ
de la psychologie.
CHAPITRE 1 : FORMER, MAIS ... POUR QUELS
APPRENTISSAGES ?
L'auteur, visiblement, adopte une certaine conception
cognitiviste de l'apprentissage et de l'enseignement.
Dans un sens apprendre c'est : 1) prélever de l'information (p. 17) et 2) la
métacognition (p. 18).
Apprendre est un processus complexe et difficile à
objectiver pour trois principales raisons :
1)
l'inscription dans le temps (situations antérieures); processus sans fin.
2) la
distinction entre processus et produit
est difficile à établir;
3) la
multiplicité des manières d'apprendre.
Develay identifie trois approches de l'apprentissage
:
1)
comportementaliste;
2)
mentaliste;
3)
didactique.
Sept modèles explicatifs des apprentissages
scolaires :
1) psychologues cognitivistes : apprentissage =
information. Ici il y a trois approches théoriques possibles : a) le
computationniste, b) le connexionniste, c) l'énaction (p. 21).
2) psychanalystes : apprentissage = investissement du
désir dans un objet de savoir (p. 21).
3) psychologues sociaux : apprentissage = expérience
du conflit en interaction sociale. Le conflit conduit à une décentration du
point de vue, ce qui permet une prise de conscience de sa propre pensée (p.
21).
4) Le courant de l'éducabilité cognitive :
apprentissage = une action qui nécessite la fonction de médiation assurée par le
professeur. L'apprentissage dépend des structures générales de la pensée et des
opérations mentales.
5) psychosociologues : apprentissage = la résultante
d'un jeu social dans lequel s'inscrivent les différents acteurs du procès
d'apprentissage. "Développer des
apprentissages conduit à se rendre attentif à prendre en compte les relations
de pouvoir dans la classe." (p. 23)
Pour le psychosociologue la classe est une société de droit coutumier.
En ce cas l'apprentissage est déterminé par : a) la perception de l'enseignant
vis-à-vis les élèves en général et chacun d'eux en particulier; b) la
perception de chaque élève vis-à-vis ses compagnons de classe et l'enseignant.
6) didacticiens : apprentissage = activité dépendante
de la nature du savoir disciplinaire en jeu. Pour le didacticien "la logique des apprentissages est
largement déterminée par la logique des contenus" (pp. 23-24); il y a donc centration sur la
relation élève / savoir (contrat didactique). Par contre, pour le pédagogue "la logique des apprentissages est
largement déterminée par la logique de la classe" (p. 24); il y a donc centration sur la
relation maître / élève (relation pédagogique).
7) sociologues : apprentissage = une relation de sens
(donc de valeur) entre un individu (ou groupe) et les processus ou produits de
savoir. Deux types de rapport au savoir : a) identitaire; b) épistémique.
Trois points de repères pour caractériser les
apprentissages scolaires que Develay présente assez longuement :
1) Apprendre, c'est trouver du sens dans une situation
d'enseignement (l'idée de désir).
2) Apprendre, c'est maîtriser une habileté (l'idée de
performance).
3) Apprendre, c'est créer des ponts cognitifs entre des
éléments de savoirs isolés (l'idée de la culture).
Présentation de chacun de ces points de repères :
A) Apprendre, c'est trouver du sens
Le sens se construit et en conséquence "apprendre est cette action de construction du sujet par lequel ce
dernier s'approprie des pans du réel, processus qu'il est possible d'analyser à
deux niveaux" (p. 28) : 1) individuel (données cognitives et
affectives); 2) social (intégration des cultures des sujets et des objets).
Apprendre = processus actif, voire même réactif. Apprendre implique un projet.
Par le fait même l'enseignement doit impliquer l'élève à un projet et ne pas le
laisser passif. "Le sens se
construit ainsi dans l'action consciente du sujet qui s'implique et qui
parvient à regarder cette implication" (p. 28) On en arrive à la trilogie suivante :
cognition - implication - métacognition. Dans la question du sens, Develay
distingue l'approche psychologique de l'approche pédagogique.
Pour l'approche psychologique "la situation d'apprentissage ne prend du sens pour celui qui
apprend qu'à la condition de correspondre à un dessein qu'il ambitionne
d'atteindre..." (p. 29). Trois
plans du dessein : 1) la réalité; 2) le symbolique; 3) l'imaginaire.
L'apprentissage est possible seulement si l'élève veut atteindre un dessein sur
les trois plans. En psychologie besoin, demande et désir sont des termes
voisins de celui de sens. En page 31 Develay les définit donc : un besoin c'est
"ce qui est nécessaire pour
vivre" (dimension organique); une demande c'est "ce que le sujet exprime" (l'ordre de la parole); un
désir c'est "l'écart entre le besoin
et la demande" (référence à Lacan). "Le désir de savoir ne se transforme en intention d'apprendre qu'à
la condition de voir émerger une motivation" (p. 33). Quant à elle, la motivation ne peut
exister qu'à la condition de pouvoir se projeter dans un futur. "Il n'y a apprentissage que si le sujet
qui apprend trouve du sens dans la situation d'enseignement qu'il vit" (p. 34). L'apprentissage doit donc agir sur le
désir et sur la motivation.
Pour l'approche pédagogique de la question du sens,
l'enseignant doit : a) connaître les explication des psychologues mais b) ne
peut s'en satisfaire. La fonction du prof c'est d'installer des situations
d'enseignement susceptibles de se transformer en situation d'apprentissage pour
les jeunes. Alors, comment donner du sens à l'apprentissage ? Premièrement, en
aidant l'élève à prendre conscience de l'usage possible du savoir enseigné en
dehors de l'école (en lui montrant l'usage social possible à partir de
pratiques de référence et en le conduisant à une réflexion sur l'usage personnel
du savoir à l'école). Deuxièmement, en aidant l'élève à prendre conscience de
la manière dont il s'est approprié le savoir. L'approche pédagogique insiste
sur la nécessité de responsabiliser l'élève face à son projet personnel : en ce
cas le contrat scolaire semble un bon moyen car il précise l'action de chacun
(prof et élève). Le sens s'inscrit dans le long et le court termes. Dans le
long terme : "Le sens est dans le rapport entre le bénéfice
escompté en termes professionnels et personnels ou en termes de pratiques sociales, et l'investissement nécessaire pour y
parvenir" (p. 36). Dans le
court terme : le sens se trouve aussi dans le rapport entre tâche à l'école et
bénéfice escompté. Develay ajoute qu'apprendre <> (p. 37). Tant pour le secondaire que pour le primaire,
l'auteur souhaite l'utilisation de tablaux de bord indiquant ce qui est à
apprendre, les compétences à acquérir. Ainsi, l'élève pourrait se situer
constamment par rapport à ce qu'il a acquis et ce qu'il doit encore intégrer.
B) Apprendre, c'est maîtriser une habileté cognitive
Il y a trois conditions à respecter pour que la situation
d'enseignement soit une situation d'apprentissage (investie de sens) et
permette ainsi la maîtrise d'habiletés nouvelles : 1) Apprendre oblige à
anticiper le résultat de l'apprentissage et à planifier son action. 2)
Apprendre nécessite l'existence d'un conflit intrapersonnel, activé le plus
souvent par un conflit interpersonnel provenant de l'expression de
représentations contradictoires. 3) Apprendre consiste, en dernier ressort, à
transférer dans une nouvelle situation, ce qui a été acquis dans la situation
initiale d'apprentissage. Faire apprendre c'est déconstruire une représentation
pour en rebâtir une autre. C'est pour cela que la notion de <> développée par Vygotsky s'avère
intéressante : mettre en place une situation où l'élève se trouve face à un
savoir qui dépasse un peu son niveau de développement; à cette occasion l'élève
découvre l'obligation d'acquérir de nouveaux outils pour faire face à la
situation (ce qui provoque l'apprentissage). "La prise en compte des représentations des élèves matérialise la
nécessité de raisonner les acquisitions scolaires en termes d'obstacles à franchir, et d'objectif-obstacle" (p. 42). "Un
apprentissage réussi est un apprentissage qui permet des applications, des
réinvestissements et même des transferts" (p. 42).
C) Apprendre, c'est créer des ponts cognitifs
L'enseignant doit montrer aux élèves que l'apprentissage
d'une notion, méthode, technique, entretient toujours des liens avec d'autres
notions, méthodes, techniques (p. 44).
Il existe donc deux enjeux : 1) comprendre ce qui fonde une discipline
en étant capable d'en identifier les éléments caractéristiques; 2) comprendre
ce qui génère les liens entre disciplines afin de pouvoir créer des espaces de
savoirs agrandis. "Apprendre pour
l'élève, c'est trouver du sens dans les situations scolaires, maîtriser des
habiletés cognitives et affectives, créer des ponts cognitifs entre des
habiletés. Cette conception de l'apprentissage doit conduire les élèves à
développer trois grandes compétences : la capacité à anticiper, la capacité à
planifier, la capacité à
réguler." (pp. 46-47)
CHAPITRE 2 : FORMER, MAIS ... POUR QUELS
ENSEIGNEMENTS ?
Deux catégories de savoirs à enseigner : a) les savoirs qui figurent aux programmes; b) les
savoirs que les élèves peuvent découvrir lors d'activités métacognitives en
classe (ici il existe trois familles : les conditions facilitantes pour aborder
un apprentissage; les stratégies cognitives; les stratégies métacognitives).
Quatre catégories de situations d'enseignement
possibles:
a) la leçon
ou la conférence;
b) la
situation-problème;
c) la
classe dialoguée;
d) l'activité
d'imitation.
"Le
métier d'enseignant se définit d'abord non pas par l'activité d'enseignement
mais par les activités d'apprentissage des élèves." (p. 55)
Develay établit un nouveau paradigme de la formation
des maîtres. Celui-ci commande cinq
transformations par rapport à la situation actuelle : (pp. 56-59)
1) L'enseignant, de spécialiste de l'enseignement qu'il est
déjà, doit devenir un spécialiste des apprentissages scolaires.
2) D'une vision individuelle du métier, l'enseignant doit
passer à une vision collectiviste.
3) Il faut tenir compte de l'hétérogénéité des élèves.
4) Il faut passer d'une vision des résultats scolaires en
termes de courbe de Gauss, à une approche en termes de courbe de la réussite.
5) Il faut aborder l'enseignement avec une visée d'éducation
et pas seulement avec une visée d'instruction.
Pour Develay le métier d'enseignant se caractérise
de la façon suivante :
"Un
médiateur habile à créer des situations d'apprentissage / enseignement qui
prennent en compte simultanément une attention portée aux savoirs, et une
attention portée à l'élève."
(p.58)
La formation des maîtres doit se structurer autour
de quatre domaines :
1) une formation disciplinaire;
2) une formation didactique (la logique des savoirs);
3) une formation pédagogique (la logique de la classe);
4) une formation psychologique (ayant un double but : a)
aider à comprendre la relation avec l'élève, le groupe, les collègues,
l'institution; b) participer à la constitution d'une identité professionnelle).
CHAPITRE 3 : LA FORMATION, UNE AFFAIRE DE
PRINCIPES
- Enseignement : un moyen.
- Éducation : une fin (dimension éthique de l'action).
- Instruction : le côté technique de l'enseignement.
- Formation : la dimension psychologique de l'action.
Develay présente quelques conceptions de la
formation des maîtres :
Selon Gilles Ferry (Le trajet de la formation, Paris,
Dunod, 1983), il y a trois types de formation : 1) centrée sur les
acquisitions; 2) centrée sur la démarche; 3) centrée sur l'analyse. Pour sa
part, Serge Adamczewski ("Les conceptions et les formes de la formation :
vers une nouvelle typologie", Recherche et formation, no 3, 1988) a
construit une typologie basée sur les finalités prioritaires de
l'apprentissage. Cela donne les types suivants : 1) la formation comme
information : avoir, savoir et recevoir; 2) la formation comme activation :
faire, agir et réagir; 3) la formation comme développement : être, exister et
apprendre; 4) la formation comme communication : coopérer, partager et confronter;
5) la formation comme transformation : désaliéner, libérer et concevoir. Marcel
Lesne (Travail pédagogique et formation d'adultes, Paris, P.U.F., 1977)
a construit une typologie basée sur la fonction sociale de la formation : 1)
modèle transmissif à orientation normative qui fait du formé un objet de
formation; 2) modèle incitatif à orientation personnelle qui fait du formé un
sujet de sa formation; 3) modèle appropriatif centré sur l'insertion sociale
qui fait du formé un agent de formation. Dans le cas de cette typologie, le
mode de travail pédagogique correspond au mode de socialisation valorisé par le
formateur.
Les six principes sur lesquels, selon l'auteur, doit
reposer la formation initiale :
(pp. 74-80)
1) La formation doit prendre en compte la pluralité des
activités professionnelles de l'enseignant.
2) La formation doit mettre en synergie, d'une part les
savoirs à enseigner et, d'autres part, les savoirs et les savoirs-faire
nécessaires pour installer un enseignement au service de l'apprentissage.
3) La formation doit s'appuyer sur une articulation forte de
la pratique de la classe et de l'éclairage théorique qui la fonde et qui en
émerge. L'alternance doit être privilégiée.
4) Une personnalisation de la formation doit conduire à
prendre en compte les stagiaires en tant que personnes et aller ainsi au-delà
de l'individualisation.
5) La formation doit être contractualisée.
6) La formation doit adopter un principe régulateur de la
totalité de son organisation : viser la cohérence entre métier d'enseignant et
les obligations qui le caractérisent.
CHAPITRE 4 : QUELS CONTENUS DE FORMATION ?
Présentement la pratique de l'enseignement est vue : 1)
comme un art; 2) une aptitude relationnelle; 3) une technique. Aucune de ces
conceptions n'est vraiment satisfaisante. C'est pourquoi, selon Develay, la
formation des maîtres doit se penser autrement. En fait, l'enseignement est un
peu tout ça à la fois. En ce sens, et en regard du contenu à donner, la
formation doit reposer sur : 1) des savoirs et un savoir-faire disciplinaires
et didactiques (ce que Develay appelle les deux D); 2) des savoirs et un
savoir-faire pédagogiques et psychologiques (ce qu'il nomme les deux P). Ce qui
fait dire à l'auteur : "... nous
pensons qu'enseigner désigne un corps de compétences en cours de constitution,
comme le furent progressivement les compétences médicales. Nous faisons même
l'hypothèse que c'est la capacité pour les enseignants à définir ces
compétences qui fondera aux yeux de
l'opinion publique leur
professionnalité et donc leur spécificité professionnelle." (p. 84) En outre, Develay signale (p. 93) que
la question d'une théorie référentielle de la pédagogie est encore ouverte.
L'auteur établit une distinction entre didactique (qui
questionne les moyens) et pédagogie (qui questionne les fins). Il détermine la
part respective des champs d'intervention et de compétences de chacune :
A) Didactique : Organisation des savoirs dans le but de les
rendre assimilables.
B) Pédagogie : Organisation des situations d'enseignement
afin de favoriser l'apprentissage.
Develay suggère six processus de formation qui
assignent diverses fonctions à la formation initiale : (pp. 129-136)
1) une formation par la documentation;
2) une formation par l'observation;
3) une formation par l'expérimentation et la rétroaction;
4) une formation par l'instruction;
5) une formation par la simulation;
6) une formation à la recherche.
Il développe également trois concepts liés à la
formation :
A) La trajectoire générale de formation : Une vision globale
de la formation qu'elle situe temporellement et simultanément : caractère
interactif. Confrontation du projet du formateur avec celui du formé. Il n'y a
formation que dans la transformation du modèle pédagogique implicite du formé.
B) Les processus de formation : Catégories
d'activités fonctionnelles que le formateur suscite de la part du formé. Ou
encore, les différentes situations de formation "décrites de manière fonctionnelle davantage que
structurelle" (p. 137).
C) Les modes de formation : La manière dont est pris
en charge le groupe des formés au cours de sa formation. Elle conduit à "observer comment un formé est pris en
charge dans le groupe auquel il appartient" (p. 137).
Develay identifie aussi quatre "types de modes
de formation" : (pp. 137-142)
1) le mode de formation collective;
2) le mode de formation différenciée;
3) le mode de formation individualisée;
4) le mode de formation personnalisée.
CHAPITRE 6 : PROFESSIONNALITÉ ET IDENTITÉ
PROFESSIONNELLE
À la question comment
créer le sentiment d'une identité professionnelle par la professionnalisation
?, Develay répond :
1) Par la formation
commune dans des centres de formation (pense-t-il aux IUFM français ?)
2) Par la formation au rôle culturel des différents métiers
de l'enseignement.
3) Par une formation psychologique.
CONCLUSION
Develay conclut son ouvrage par cet appel en forme de slogan
:
"Une
formation disciplinaire et didactique, une formation pédagogique et
psychologique. Rien que cela et tout cela : mis en synergie, et non juxtaposé." (p. 156)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire