On peut faire l'hypothèse que la manière d'enseigner dans les écoles s'est modifiée en profondeur au XVIIe siècle. En effet, la confluence d'un certain nombre
de facteurs contribue alors à provoquer ce changement. La Réforme protestante, la Contre-réforme
catholique, l'émergence d'un nouveau sentiment de l'enfance et des problèmes
urbains liés au désoeuvrement d'un nombre grandissant de jeunes, concourent à
l'accroissement notable de la fréquentation scolaire et à l'augmentation du
nombre d'écoles. Cette conjoncture nouvelle provoquera l'apparition de problèmes
d'enseignement également nouveaux. On ne
peut plus désormais enseigner au singulier, dans un rapport un à un, un maître
avec un élève, comme on le faisait depuis des siècles. Depuis
l'Antiquité grecque, en passant par le Moyen Âge et la Renaissance, la manière
d'enseigner s'était fort peu modifiée. Ce qui pouvait tenir lieu de méthode
d'enseignement se limitait à organiser le contenu selon une logique «disciplinaire» (le contenu, la matière), à faire lire, relire, apprendre par coeur, copier. Or, pendant longtemps, il n'était pas
nécessaire de remettre en cause une façon séculaire d'enseigner puisque durant
quinze siècles le contexte d'enseignement avait fort peu évolué : dans le sens précis où il n'y avait presque pas d'élèves dans les classes. Cette façon de faire ne peut cependant plus
tenir la route quand, à partir du XVIIe siècle, on retrouve dans les écoles
beaucoup plus d'élèves (certaines classes peuvent compter jusqu'à 100 élèves dans les grandes villes comme Paris ou Londres). Imaginons un enseignant dans une telle
classe demander aux élèves de venir à tour de rôle réciter leurs leçons auprès
de lui à son bureau alors que la masse des autres est livrée à elle-même (comme c'était la pratique courante). Il est évident que l'enseignant ne pouvait plus
fonctionner comme auparavant, qu'il ne pouvait plus utiliser cette méthode
individualisée du type «un à un». Il
doit donc inventer une nouvelle façon de faire la classe pour répondre à ce
nouveau contexte où il est tenu d'enseigner simultanément à un groupe d'élèves. C'est cette
nouvelle façon de faire la classe pour répondre à des exigences inédites du
contexte qu'on peut appeler «pédagogie». Le savoir
pédagogique qui se met alors en place est issu de cette expérience des enseignants qui codifient leur «savoir faire la classe». La pédagogie - au sens où on l'entend ici - rompt avec la manière d'enseigner où la connaissance de la matière
suffisait à elle seule pour soutenir le rapport individuel de l'enseignant à
son élève. Qu'était-ce donc alors que la pédagogie? On peut dire, une
méthode et des procédés pour faire la classe dans ce nouveau contexte,
un discours et une pratique pour faire
apprendre «tout à tous», «plus, plus vite et mieux», selon les mots de
Coménius. La pédagogie de cette époque c'est en quelque sorte la formalisation du «savoir faire
la classe» dans des traités qui donnent une série de conseils à l'enseignant
non seulement au sujet du contenu de la matière et de la façon de le faire
passer mais aussi sur tous les aspects de la vie de la classe, de
l'organisation du temps et de l'espace à la gestion des conduites des élèves, à
leur posture et à leurs déplacements, des micro-événements aux grandes étapes
qui scandent diversement le cours de l'année scolaire. Ces habiletés, conseils
pratiques, attitudes et savoir-faire, transmis et légués par les enseignants chevronnés à ceux des générations suivantes, constitueront bientôt un
code plus ou moins uniforme des savoir-faire, une véritable tradition pédagogique, une sorte
de dispositif de répétition de la manière de faire la classe, tradition qui se
transmettra d'ailleurs jusqu'au XXe siècle sans réelles modifications. C'est donc l'apparition d'un nouveau contexte qui a obligé les
enseignants du XVIIe à modifier en profondeur leur manière d'enseigner
et à prendre en compte la totalité des aspects de la vie de la classe.
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