L’insertion professionnelle est
définie par certains spécialistes selon différents paramètres,
dont la durée et le statut d’emploi. Nous préférons l’aborder
comme un processus situé sur le continuum du développement
professionnel de l’enseignant, en continuité avec la formation
initiale, et donc faisant place à un cheminement en rapport avec le
développement des compétences professionnelles et la construction
identitaire. Le déroulement de ce processus peut être caractérisé
par des conditions facilitantes et des obstacles. Il peut aussi être
influencé par l’idée que s’en font les futurs enseignants. Il
est en effet reconnu que les représentations préalables d’une
situation conditionnent les actions posées effectivement dans la
situation. En d’autres mots, les images mentales, qui reflètent
les théories personnelles, les valeurs et les croyances, sont liées
aux expériences concrètes. En considération de cette affirmation,
nous avons étudié les représentations des futurs enseignants du
préscolaire et primaire quant à leur insertion professionnelle.
Nous avons voulu connaître l’idée qu’ils se font de leur
intégration de même que de leur plan de carrière.
Au cours des années 2004-2005,
2005-2006 et 2006-2007, mes collègues Liliane Portelance, Annie Presseau et moi (professeurs à l'Université du Québec à Trois-Rivières) avons distribué un questionnaire aux
finissants du baccalauréat en éducation préscolaire et
enseignement primaire (BEPEP) de l’Université du Québec à
Trois-Rivières. Au total, 202 d’entre eux y ont répondu, soit
environ 60% de l’ensemble, la participation augmentant d’une
année à l’autre. Mentionnons qu’en concordance avec la
composition de la population étudiante du BEPEP, la presque totalité
des participants est de sexe féminin. Nous subdivisons en quatre
sections l’essentiel de leurs réponses: les attentes par rapport à
l’intégration professionnelle, la collaboration au sein du milieu
d’accueil, la trajectoire professionnelle prévue et les obstacles
à une insertion réussie.
Les étudiants ont d’abord indiqué
les attentes probables du milieu d’accueil à leur égard. Ils
croient que la direction d’établissement souhaite que les nouveaux
enseignants soient compétents et agissent comme des professionnels,
s’impliquent dans différents comités et activités, remplissent
leur tâche de manière efficace et prennent des initiatives. Il
serait également attendu d’eux qu’ils partagent leurs
connaissances et soient des agents de changement, sans toutefois
imposer leurs idées, en adoptant une attitude de respect à l’égard
du milieu d’accueil, en faisant preuve d’une bonne capacité
d’adaptation et d’une aptitude à collaborer. Les finissants
supposent que, de leur côté, les enseignants expérimentés
aimeraient que leurs collègues débutants prennent leur place de
manière mesurée, expriment des idées nouvelles, soient prêts à
s’impliquer dans le milieu et à collaborer avec ouverture
d’esprit.
Parmi les attentes probables du milieu
d’accueil, certaines concernent les compétences professionnelles.
Les finissants croient que les plus susceptibles d’être
recherchées sont les compétences en matière de collaboration pour
l’atteinte des objectifs de l’école et en matière d’éthique
et de responsabilité. Deux autres compétences sont mentionnées par
un grand nombre, l’une ayant trait au bon fonctionnement de la
classe et l’autre à la concertation au sein d’une équipe
pédagogique.
Les étudiants ont également indiqué
leurs propres attentes à l’égard des enseignants et de
l’équipe-école du milieu d’accueil. De la part des enseignants
expérimentés, ils aimeraient recevoir un accueil chaleureux. Ils
veulent également pouvoir compter sur du soutien et de
l’encadrement, tout autant que sur la reconnaissance de leur
compétence professionnelle (« être considéré comme un pair » ,
« faire reconnaître ses compétences », « être intégré comme
un membre à part entière », « être admis comme un égal »). De
la part de toute l’équipe-école, les futurs enseignants désirent
être traités avec respect et ouverture d’esprit dans un climat de
collaboration. Il serait pertinent de vérifier si toutes ces
attentes sont comblées en cours de processus d’insertion
professionnelle.
Les étudiants conçoivent la
collaboration en milieu scolaire comme un partage et un échange. Il
s’agit d’échange d’idées, de savoirs, de valeurs,
d’expériences, de méthodes de travail, de trucs, de conseils, de
nouveautés, de documentation, d’activités. Il est également
question du partage des tâches, de l’élaboration conjointe de
projets, du jumelage de classes. Cette collaboration nécessite
l’accompagnement, les conseils, les rétroactions et
l’encouragement des enseignants expérimentés en faveur des
débutants. Un répondant écrit : «Je pense qu’en nous
observant ils peuvent voir nos faiblesses et en nous questionnant
nous amener à les trouver. Aussi ils peuvent nous donner des
conseils et nous «pister» pour nos cours.» L’expérience
professionnelle de l’enseignant expérimenté semble très
respectée : «L’expert apporte du soutien, et son expérience
est mise à profit par le novice ». La collaboration se manifeste
aussi concrètement par l’accueil réservé aux enseignants
débutants et l’aide à leur intégration dans l’école. Elle
consiste aussi à leur offrir du soutien.
En complémentarité, les futurs
enseignants signalent qu’ils devront s’adapter aux particularités
du milieu d’accueil, faire preuve d’une certaine assurance et de
confiance en soi, tout en ne craignant pas de poser des questions.
Selon l’un des répondants, « il faut se faire discret tout en
prouvant son professionnalisme ». Les finissants ne mentionnent pas
qu’il leur sera fort utile de confier leurs difficultés à des
enseignants expérimentés, probablement parce qu’ils voudront
éviter de se faire juger négativement. Toutefois et avant tout, le
rôle de l’enseignant débutant, dans une atmosphère de
collaboration, consisterait à faire profiter le milieu d’idées
nouvelles, de méthodes d’enseignement différentes, d’outils
didactiques nouveaux et de savoirs récents. Notons que les étudiants
croient avoir une meilleure connaissance du renouveau pédagogique
que leurs aînés. De plus, il est clair pour eux que la
collaboration n’est pas possible si l’ouverture d’esprit, le
respect, l’écoute et la disponibilité sont manquants. De leur
côté, ils se montreront ouverts aux personnes et aux idées, aux
suggestions et aux critiques et s’impliqueront en classe et dans
les diverses activités de l’école, tout en respectant
l’équipe-école et en se conformant aux règles établies
En définitive, le partage et les échanges
au sein du milieu d’accueil feront appel à la nouveauté des «
idées d’activités et de gestion de classe », au dynamisme, à
l’enthousiasme, à la créativité, à « la fraîcheur » et « la
jeunesse ». Avec leur « connaissance des théories récentes » et
du programme de formation des élèves, ils proposeront de l’aide
aux autres enseignants, feront preuve de leur capacité d’adaptation
et, pour bien s’intégrer, prendront des initiatives. Certains
n’oublient pas qu’il leur faudra « se faire discret tout en
montrant son professionnalisme », en d’autres termes « suivre
l’expert tout en prenant sa place ».
Plus de quatre répondants sur cinq ont déjà fait de la suppléance dans
les écoles, ce qui leur permet d’avoir une bonne connaissance des
embûches qu’ils pourront rencontrer en début de carrière. Par
exemple, la majorité prévoit que l’obtention d’une permanence
d’emploi pourra prendre entre quatre et six ans. Malgré cela, leur
rêve d’accéder à la profession enseignante est soutenu par des
idées favorables, telles le plaisir d’enseigner et la valorisation
qu’ils accordent à la profession. Ainsi, il est question du «
goût d’être un modèle, de bâtir un avenir solide pour les
citoyens de demain et de participer à leur développement et au
développement de la société ». Plus de la moitié des répondants
visent à faire une longue carrière dans l’enseignement ou à «
enseigner le plus longtemps possible ». Les principaux objectifs de
carrière mentionnés concernent le développement professionnel et
la formation continue (« toujours m’améliorer et relever de
beaux défis »), l’atteinte d’une stabilité
professionnelle dans l’enseignement ou dans le domaine de
l’éducation, la relation pédagogique avec les élèves (« donner
le goût d’apprendre aux élèves ») et à la qualité de
leurs apprentissages.
Les finissants considèrent qu’ils
ont atteint un niveau élevé dans le développement de la plupart
des compétences professionnelles attendues d’un enseignant, en
particulier celles qui se rapportent à la conception et le pilotage
des situations d’enseignement-apprentissage, le fonctionnement d’un
groupe-classe, la collaboration, l’engagement dans le développement
professionnel et l’éthique professionnelle. Ils expriment, somme
tout, leur appréciation globalement positive de leur formation.
Toutefois, ils se considèrent moins compétents quant à
l’adaptation de leurs interventions aux besoins particuliers des
élèves en difficulté et la maîtrise orale et écrite de la langue
française.
Quant aux obstacles à affronter, les
futurs enseignants semblent en avoir une idée plutôt réaliste. Ils
croient qu’ils pourraient faire face à un manque de ressources
pour les soutenir dans leurs efforts (« manque d’accueil et de
soutien », « jugement négatif des autres ») et se faire confier
une très lourde tâche. Des problèmes de santé et l’épuisement
professionnel de même que la perte de la motivation à enseigner
sont évoqués comme des effets possibles de ces obstacles. Ces
difficultés personnelles pourraient éventuellement les inciter à
abandonner la profession. La précarité d’emploi les préoccupe
aussi. Elle pourrait également avoir comme conséquence un
changement de carrière.
Par rapport à la lourdeur de la
tâche, ils précisent leur anticipation. L’enseignement
à une clientèle pour laquelle ils ne sont pas préparés (autre
ordre d’enseignement, élèves en difficultés, classes
d’adaptation scolaire) et l’enseignement d’une discipline qui
ne fait pas partie de leur profil de formation sont considérés
comme des facteurs qui alourdiraient leur tâche de manière
démesurée.
Quant au renouveau pédagogique, on peut se demander s'il est vu comme un obstacle à la persévérance dans la profession. En fait, nos réponses indiquent qu'il est plutôt estimé comme un avantage.
Les étudiants soulignent en majorité que leur formation les a bien
préparés sur ce plan (« les novices ont une formation plus récente
et plus en lien avec la réforme … ils sont déjà dans le courant
»), que leurs connaissances à propos des nouvelles méthodes et
stratégies d’enseignement sont nombreuses et que les enseignants
expérimentés auront besoin d’eux pour mieux comprendre la réforme
(« le débutant est mieux équipé »). De plus, étant d’avis que
la collaboration et le partage sont devenus nécessaires avec la
réforme, ils espèrent se tailler facilement une place dans le
milieu.
En conclusion, les représentations
des futurs enseignants de l’éducation préscolaire et de
l’enseignement primaire quant à leur insertion professionnelle
montrent qu’ils anticipent à la fois avec optimisme et réalisme
leurs premières expériences d’enseignants débutants. La
conception de l’insertion professionnelle qui se dégage de leurs
réponses correspond à l’idée d’un cheminement qui commence
avec la formation initiale et se poursuit au début de la carrière
et au cours des années subséquentes. En effet, les finissants
s’appuient sur leur formation au baccalauréat pour se projeter
dans un avenir immédiat et ils se fixent comme objectif de prolonger
leur développement professionnel par la formation continue. Si les
liens entre représentations et expériences concrètes sont aussi
étroits que l’affirment les spécialistes, les nouveaux
enseignants formeront une relève responsable et engagée.
Références
Portelance, L.,
Martineau, S. et Presseau, A. (2008). Les futurs enseignants
envisagent-ils de travailler en collaboration avec les acteurs du
milieu scolaire ? In
L. Portelance, J. Mukamurera, S. Martineau, S. et Gervais, C. (dir.),
S’insérer
dans le milieu scolaire : phase cruciale du développement
professionnel des enseignants,
Sainte-Foy, PUL, 125-143.
Teulier-Bourgine R. (1997). Les
représentations : médiations de l'action stratégique, dans M. J.
Avenier (coordination), La stratégie "chemin faisant",
Paris, Economica, p. 95-135.
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