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18 août 2014

Vision de l'insertion professionnelle par des futurs enseignants

L’insertion professionnelle est définie par certains spécialistes selon différents paramètres, dont la durée et le statut d’emploi. Nous préférons l’aborder comme un processus situé sur le continuum du développement professionnel de l’enseignant, en continuité avec la formation initiale, et donc faisant place à un cheminement en rapport avec le développement des compétences professionnelles et la construction identitaire. Le déroulement de ce processus peut être caractérisé par des conditions facilitantes et des obstacles. Il peut aussi être influencé par l’idée que s’en font les futurs enseignants. Il est en effet reconnu que les représentations préalables d’une situation conditionnent les actions posées effectivement dans la situation. En d’autres mots, les images mentales, qui reflètent les théories personnelles, les valeurs et les croyances, sont liées aux expériences concrètes. En considération de cette affirmation, nous avons étudié les représentations des futurs enseignants du préscolaire et primaire quant à leur insertion professionnelle. Nous avons voulu connaître l’idée qu’ils se font de leur intégration de même que de leur plan de carrière.

Au cours des années 2004-2005, 2005-2006 et 2006-2007, mes collègues Liliane Portelance, Annie Presseau et moi (professeurs à l'Université du Québec à Trois-Rivières) avons distribué un questionnaire aux finissants du baccalauréat en éducation préscolaire et enseignement primaire (BEPEP) de l’Université du Québec à Trois-Rivières. Au total, 202 d’entre eux y ont répondu, soit environ 60% de l’ensemble, la participation augmentant d’une année à l’autre. Mentionnons qu’en concordance avec la composition de la population étudiante du BEPEP, la presque totalité des participants est de sexe féminin. Nous subdivisons en quatre sections l’essentiel de leurs réponses: les attentes par rapport à l’intégration professionnelle, la collaboration au sein du milieu d’accueil, la trajectoire professionnelle prévue et les obstacles à une insertion réussie.

Les étudiants ont d’abord indiqué les attentes probables du milieu d’accueil à leur égard. Ils croient que la direction d’établissement souhaite que les nouveaux enseignants soient compétents et agissent comme des professionnels, s’impliquent dans différents comités et activités, remplissent leur tâche de manière efficace et prennent des initiatives. Il serait également attendu d’eux qu’ils partagent leurs connaissances et soient des agents de changement, sans toutefois imposer leurs idées, en adoptant une attitude de respect à l’égard du milieu d’accueil, en faisant preuve d’une bonne capacité d’adaptation et d’une aptitude à collaborer. Les finissants supposent que, de leur côté, les enseignants expérimentés aimeraient que leurs collègues débutants prennent leur place de manière mesurée, expriment des idées nouvelles, soient prêts à s’impliquer dans le milieu et à collaborer avec ouverture d’esprit.

Parmi les attentes probables du milieu d’accueil, certaines concernent les compétences professionnelles. Les finissants croient que les plus susceptibles d’être recherchées sont les compétences en matière de collaboration pour l’atteinte des objectifs de l’école et en matière d’éthique et de responsabilité. Deux autres compétences sont mentionnées par un grand nombre, l’une ayant trait au bon fonctionnement de la classe et l’autre à la concertation au sein d’une équipe pédagogique.

Les étudiants ont également indiqué leurs propres attentes à l’égard des enseignants et de l’équipe-école du milieu d’accueil. De la part des enseignants expérimentés, ils aimeraient recevoir un accueil chaleureux. Ils veulent également pouvoir compter sur du soutien et de l’encadrement, tout autant que sur la reconnaissance de leur compétence professionnelle (« être considéré comme un pair » , « faire reconnaître ses compétences », « être intégré comme un membre à part entière », « être admis comme un égal »). De la part de toute l’équipe-école, les futurs enseignants désirent être traités avec respect et ouverture d’esprit dans un climat de collaboration. Il serait pertinent de vérifier si toutes ces attentes sont comblées en cours de processus d’insertion professionnelle.

Les étudiants conçoivent la collaboration en milieu scolaire comme un partage et un échange. Il s’agit d’échange d’idées, de savoirs, de valeurs, d’expériences, de méthodes de travail, de trucs, de conseils, de nouveautés, de documentation, d’activités. Il est également question du partage des tâches, de l’élaboration conjointe de projets, du jumelage de classes. Cette collaboration nécessite l’accompagnement, les conseils, les rétroactions et l’encouragement des enseignants expérimentés en faveur des débutants. Un répondant écrit : «Je pense qu’en nous observant ils peuvent voir nos faiblesses et en nous questionnant nous amener à les trouver. Aussi ils peuvent nous donner des conseils et nous «pister» pour nos cours.» L’expérience professionnelle de l’enseignant expérimenté semble très respectée : «L’expert apporte du soutien, et son expérience est mise à profit par le novice ». La collaboration se manifeste aussi concrètement par l’accueil réservé aux enseignants débutants et l’aide à leur intégration dans l’école. Elle consiste aussi à leur offrir du soutien.

En complémentarité, les futurs enseignants signalent qu’ils devront s’adapter aux particularités du milieu d’accueil, faire preuve d’une certaine assurance et de confiance en soi, tout en ne craignant pas de poser des questions. Selon l’un des répondants, « il faut se faire discret tout en prouvant son professionnalisme ». Les finissants ne mentionnent pas qu’il leur sera fort utile de confier leurs difficultés à des enseignants expérimentés, probablement parce qu’ils voudront éviter de se faire juger négativement. Toutefois et avant tout, le rôle de l’enseignant débutant, dans une atmosphère de collaboration, consisterait à faire profiter le milieu d’idées nouvelles, de méthodes d’enseignement différentes, d’outils didactiques nouveaux et de savoirs récents. Notons que les étudiants croient avoir une meilleure connaissance du renouveau pédagogique que leurs aînés. De plus, il est clair pour eux que la collaboration n’est pas possible si l’ouverture d’esprit, le respect, l’écoute et la disponibilité sont manquants. De leur côté, ils se montreront ouverts aux personnes et aux idées, aux suggestions et aux critiques et s’impliqueront en classe et dans les diverses activités de l’école, tout en respectant l’équipe-école et en se conformant aux règles établies

En définitive, le partage et les échanges au sein du milieu d’accueil feront appel à la nouveauté des « idées d’activités et de gestion de classe », au dynamisme, à l’enthousiasme, à la créativité, à « la fraîcheur » et « la jeunesse ». Avec leur « connaissance des théories récentes » et du programme de formation des élèves, ils proposeront de l’aide aux autres enseignants, feront preuve de leur capacité d’adaptation et, pour bien s’intégrer, prendront des initiatives. Certains n’oublient pas qu’il leur faudra « se faire discret tout en montrant son professionnalisme », en d’autres termes « suivre l’expert tout en prenant sa place ».

Plus de quatre répondants sur cinq ont déjà fait de la suppléance dans les écoles, ce qui leur permet d’avoir une bonne connaissance des embûches qu’ils pourront rencontrer en début de carrière. Par exemple, la majorité prévoit que l’obtention d’une permanence d’emploi pourra prendre entre quatre et six ans. Malgré cela, leur rêve d’accéder à la profession enseignante est soutenu par des idées favorables, telles le plaisir d’enseigner et la valorisation qu’ils accordent à la profession. Ainsi, il est question du « goût d’être un modèle, de bâtir un avenir solide pour les citoyens de demain et de participer à leur développement et au développement de la société ». Plus de la moitié des répondants visent à faire une longue carrière dans l’enseignement ou à « enseigner le plus longtemps possible ». Les principaux objectifs de carrière mentionnés concernent le développement professionnel et la formation continue (« toujours m’améliorer et relever de beaux défis »), l’atteinte d’une stabilité professionnelle dans l’enseignement ou dans le domaine de l’éducation, la relation pédagogique avec les élèves (« donner le goût d’apprendre aux élèves ») et à la qualité de leurs apprentissages.

Les finissants considèrent qu’ils ont atteint un niveau élevé dans le développement de la plupart des compétences professionnelles attendues d’un enseignant, en particulier celles qui se rapportent à la conception et le pilotage des situations d’enseignement-apprentissage, le fonctionnement d’un groupe-classe, la collaboration, l’engagement dans le développement professionnel et l’éthique professionnelle. Ils expriment, somme tout, leur appréciation globalement positive de leur formation. Toutefois, ils se considèrent moins compétents quant à l’adaptation de leurs interventions aux besoins particuliers des élèves en difficulté et la maîtrise orale et écrite de la langue française.

Quant aux obstacles à affronter, les futurs enseignants semblent en avoir une idée plutôt réaliste. Ils croient qu’ils pourraient faire face à un manque de ressources pour les soutenir dans leurs efforts (« manque d’accueil et de soutien », « jugement négatif des autres ») et se faire confier une très lourde tâche. Des problèmes de santé et l’épuisement professionnel de même que la perte de la motivation à enseigner sont évoqués comme des effets possibles de ces obstacles. Ces difficultés personnelles pourraient éventuellement les inciter à abandonner la profession. La précarité d’emploi les préoccupe aussi. Elle pourrait également avoir comme conséquence un changement de carrière.

Par rapport à la lourdeur de la tâche, ils précisent leur anticipation. L’enseignement à une clientèle pour laquelle ils ne sont pas préparés (autre ordre d’enseignement, élèves en difficultés, classes d’adaptation scolaire) et l’enseignement d’une discipline qui ne fait pas partie de leur profil de formation sont considérés comme des facteurs qui alourdiraient leur tâche de manière démesurée.

Quant au renouveau pédagogique, on peut se demander s'il est vu comme un obstacle à la persévérance dans la profession. En fait, nos réponses indiquent qu'il est plutôt estimé comme un avantage. Les étudiants soulignent en majorité que leur formation les a bien préparés sur ce plan (« les novices ont une formation plus récente et plus en lien avec la réforme … ils sont déjà dans le courant »), que leurs connaissances à propos des nouvelles méthodes et stratégies d’enseignement sont nombreuses et que les enseignants expérimentés auront besoin d’eux pour mieux comprendre la réforme (« le débutant est mieux équipé »). De plus, étant d’avis que la collaboration et le partage sont devenus nécessaires avec la réforme, ils espèrent se tailler facilement une place dans le milieu.

En conclusion, les représentations des futurs enseignants de l’éducation préscolaire et de l’enseignement primaire quant à leur insertion professionnelle montrent qu’ils anticipent à la fois avec optimisme et réalisme leurs premières expériences d’enseignants débutants. La conception de l’insertion professionnelle qui se dégage de leurs réponses correspond à l’idée d’un cheminement qui commence avec la formation initiale et se poursuit au début de la carrière et au cours des années subséquentes. En effet, les finissants s’appuient sur leur formation au baccalauréat pour se projeter dans un avenir immédiat et ils se fixent comme objectif de prolonger leur développement professionnel par la formation continue. Si les liens entre représentations et expériences concrètes sont aussi étroits que l’affirment les spécialistes, les nouveaux enseignants formeront une relève responsable et engagée.

Références

Portelance, L., Martineau, S. et Presseau, A. (2008). Les futurs enseignants envisagent-ils de travailler en collaboration avec les acteurs du milieu scolaire ? In L. Portelance, J. Mukamurera, S. Martineau, S. et Gervais, C. (dir.), S’insérer dans le milieu scolaire : phase cruciale du développement professionnel des enseignants, Sainte-Foy, PUL, 125-143.


Teulier-Bourgine R. (1997). Les représentations : médiations de l'action stratégique, dans M. J. Avenier (coordination), La stratégie "chemin faisant", Paris, Economica, p. 95-135.

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