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19 mars 2015

Vous avez dit éthique en recherche en sciences humaines et sociales ?


Au 20e siècle, le développement des sciences humaines et sociales (et plus singulièrement l’essor des approches qualitatives) remet à l’ordre du jour le questionnement sur les liens qui existent entre la science qui dit le monde et l’homme qui le vit et le façonne. Plus particulièrement, les recherches qualitatives – en questionnant la place du chercheur dans le processus de connaissance et la fonction des savoirs qu’il produit – ont contribué au renouvellement des questions sur le rapport entre la science et les sujets.
Ce court texte se veut justement une réflexion sur les dimensions éthiques de la recherche et plus particulièrement de la recherche en sciences humaines et sociales menée au moyen d’approches qualitatives. Nous n’avons nullement la prétention d’épuiser la question ni même de renouveler le débat à ce sujet. Notre objectif, bien plus modeste, consiste simplement à partager avec le lecteur nos idées, lesquelles sont alimentées tant par nos lectures et que par notre expérience de terrain. Si cette contribution peut aider nos collègues dans leur propre réflexion sur les dimensions éthiques de notre travail de chercheur, nous considérerons que nous avons fait ici œuvre utile.
Il convient immédiatement de définir, ne serait-ce que succinctement ce que nous entendons par éthique. D’abord, cette dernière doit être comprise comme une branche spécifique de la philosophie, branche qui a pour objectif général d’interroger les systèmes de valeurs en usage. «L’éthique relève du domaine de la philosophie qui se préoccupe des valeurs qui guident les conduites et les comportements humains. Fondée sur des principes moraux, l’éthique concerne essentiellement la détermination des principes qui distinguent le bien et le mal, le bon du mauvais, le vrai du faux; elle concerne aussi le sens qu’on donne à ces termes et à ceux qui renvoient aux principes de justice, d’équité et d’intégrité» (Harrisson, 2000, p. 36). Ensuite, l’éthique a pour finalité ultime le devenir humain comme le souligne pertinemment Malherbe : «Le but de l’éthique est que chaque sujet crée chaque jour son propre sens, sa propre façon de devenir plus humain» (2000, p. 157). Enfin, l’éthique apparaît intimement liée à l’apprentissage du dialogue. En fait, apprendre l’éthique c’est, en quelque sorte, apprendre tout à la fois le dialogue, l’analyse du dialogue et l’analyse de soi et d’autrui dans le dialogue (Malherbe, 1997).
Les bases de notre définition de l’éthique étant posées, il est opportun de spécifier maintenant que, si dans l’histoire il a pu y avoir des moments où l’éthique était une et indiscutable (par exemple, la fin du Moyen Age sous le règne de la scolastique), il n’en va plus de même aujourd’hui. En réalité, de nos jours, il est courant de conjuguer l’éthique au pluriel (Müller, 1998). Les savoirs, les valeurs et les systèmes de pensée ont littéralement éclatés et se sont multipliés presque à l’infini entraînant par le fait même l’abandon des certitudes éthiques.
Il est donc nécessaire aujourd’hui de faire le deuil d’une théorie de l’éthique unique et absolue dont les fondements prendraient racine dans une entité transcendante. Plutôt, il apparaît que notre époque n’a d’autre choix que de fonder l’éthique (il faudrait dire les éthiques) sur la discussion. Cela n’est pas sans incidences sur notre conception de l’éthique, nous y reviendrons plus loin. En outre, l’éthique au pluriel se distingue de la Morale. Contrairement à cette dernière, l’éthique n’est pas application d’un système prescriptif mais réflexion critique notamment sur les morales et leur héritage. Par conséquent, on constate de nos jours une véritable prolifération des éthiques «locales», «situées», prolifération qui se vérifie entre autres dans le pullulement des éthiques appliquées en contexte de pratique professionnelle.
On l’aura donc compris à la lumière des deux sections qui précèdent, l’éthique, en ce début de 21e siècle, repose sur le dialogue entre sujets qui se reconnaissent mutuellement comme sujets. Or, pour qu’il y ait dialogue, certaines conditions sont nécessaires. Le dialogue n’est possible que si l’on s’appuie sur un postulat : l’autre est un interlocuteur valable. En effet, dialoguer implique inévitablement que je reconnaissance en autrui un sujet digne de la relation d’échange que je noue avec lui. Même si ce dialogue est une altercation acrimonieuse, le fait de m’adresser à autrui signifie que je nous reconnais une commune appartenance à l’humanité.
Ce postulat de la reconnaissance de la valeur de l’interlocuteur ne saurait tenir lieu à lui seul de condition minimale pour l’éthique. Il apparaît donc fondamental de lui adjoindre trois principes formels à respecter. Ces principes sont : 1- Permettre à l’autre de parler; 2- Refuser de manipuler l’autre; 3- Refuser de mentir à l’autre (Malherbe, 1997). Ces trois principes indiquent certaines balises éthiques incontournables pour que puisse avoir lieu le dialogue. Ainsi, si je refuse à autrui le droit de s’exprimer, je ne suis pas dans un dialogue mais dans un monologue. Si je parle avec autrui dans le but de le faire agir selon ma volonté et à son insu (comme Kierkegaard en a donné un exemple saisissant dans Le journal du séducteur), je ne peux à nouveau prétendre être en dialogue car l’autre ne devient qu’un jouet entre mes mains. Si, enfin, je mens systématiquement à autrui, je tiens un dialogue faux et donc non éthique. La littérature est remplie de ce genre de personnage, nous n’avons ici qu’à penser à la figure légendaire de Dom Juan, mise en scène par Molière, séducteur impénitent qui, pour arriver à ses fins ment s’en vergogne à toutes les femmes (Gauthier et Martineau, 1999).
Récapitulons rapidement.  L’éthique est une branche spécifique de la philosophie qui a pour objectif général d’interroger les systèmes de valeurs en usage. Elle pour finalité dernière le devenir humain. Elle est multiple et apparaît intimement liée à l’apprentissage du dialogue. L’ouverture au dialogue que l’éthique implique signifie que l’autre est vu comme un interlocuteur acceptable.
Ce que nous venons de dire pourrait laisser entendre que l’éthique ne concerne que la vie quotidienne, se déploie seulement dans nos rapports intersubjectifs et, ultimement, ne vaut que pour régler notre vie privée. Il n’en n’est rien.
En fait, les questions éthiques concernent tout ce qui relève de l’humain ce qui va bien au-delà des seules considérations des relations immédiates. La réflexion sur l’éthique a même gagné du terrain ces dernières années notamment en raison des grandes interrogations que soulèvent les recherches sur le génome humain. Ainsi, en référence à des penseurs tels Freitag (1995), Habermas (1992) ou Malherbe (2001), il est possible, bien entendu en simplifiant énormément, de distinguer trois grands champs d’application de l’éthique : 1- L’éthique en tant que pratique citoyenne; 2- L’éthique en tant qu’action politique; 3- L’éthique en tant que pédagogie.
En tant que pratique citoyenne l’éthique renvoie certes à nos relations immédiates aux autres (membres de notre famille, collègues de travail, etc.) mais aussi à notre engagement envers la collectivité (le civisme, le respect des lois et des règlements, l’engagement envers l’environnement par exemples). Lorsqu’on la considère sous l’angle de l’action politique, l’éthique renvoie à la problématique du gouvernement juste. Dans les démocraties comme la nôtre cela concerne tous les citoyens, chacun ayant le devoir de s’impliquer non seulement dans la «gouverne de la cité» mais aussi, au niveau international, dans l’action en vue d’un monde plus juste. Enfin, l’éthique en tant que pédagogie signifie que l’adoption de valeurs, de principes et de comportements éthiques ne saurait être une attitude que l’on garde pour soi comme un trésor bien caché. L’éthique a pour vocation l’éducation de l’humain. Il ne servirait en effet à rien d’être la seule personne «droite» dans un océan de scélérats.
En somme, l’éthique est fondamentalement une pratique critique, une manière de voir le monde comme perfectible, une interrogation constante sur ce qui est afin de penser ce qui pourrait ou devrait être. L’éthique est donc, à tout le moins en ces temps de soupçons, une manière de pensée qui laisse place à l’inquiétude, le doute, la remise en question. C’est à ce prix que l’ouverture à l’autre est possible et les intégrismes de tous poils sont là pour nous rappeler chaque jour que certitude rime trop souvent avec intolérance et donc négation de l’altérité.
Ce préambule sur l’éthique en tant que domaine de pensée et de pratique nous conduit maintenant au cœur de notre propos à savoir l’éthique en recherche. Avant d’aborder la question de l’éthique en recherche qualitative, nous souhaitons ici apporter quelques indications d’ordre plus général. Elles concernent en quelque sorte le minimum requis en éthique dans la conduite d’une recherche scientifique.
D’abord, disons d’emblée que nous définissons l’éthique en recherche scientifique comme étant l’ensemble des valeurs et des finalités qui fondent et qui légitiment le métier de chercheur. Plus spécifiquement, la problématique de l’éthique dans le domaine de la recherche porte habituellement sur deux dimensions du travail du chercheur. Dans une large mesure ce sont essentiellement ces deux dimensions qui font l’objet d’interrogations de la part des comités d’éthique de la recherche des universités. En premier lieu, l’éthique aborde la question des conduites du chercheur tant dans ses comportements que dans ses attitudes (Connolly, 2003). Ce vaste domaine peut porter tant sur le refus de mener des recherches qui auraient comme conséquence de mettre la vie de la population danger que sur le souci de ne pas falsifier les résultats obtenus. Cela concerne aussi l’adoption par le chercheur d’une conduite la plus objective possible vis-à-vis les savoirs (par exemple, en accordant tout le crédit qu’ils méritent aux résultats d’une équipe concurrente). Il s’agit donc de la dimension du travail du chercheur qui concerne les implications du projet pour la communauté ou la société en général. L’autre dimension du travail du chercheur concerne le respect des personnes (les sujets) ou des animaux en lien avec le processus même de la recherche et les procédures de cueillette de données. Il s’agit ici d’identifier et d’adopter des manières de faire et de dire qui respectent les sujets humains ou les sujets animaux qui participent à la recherche. Par exemple, on traitera les animaux de manière à ne pas les faire souffrir indûment. En ce qui a trait aux sujets humains, on veillera par exemple, à ce que leur sécurité physique ou leur bien-être psychologique ne soit pas affecté par leur participation à la recherche.
Ce qui vient d’être dit peut aussi se résumer dans certains principes fondamentaux qui guideront le rapport du chercheur aux sujets participants. En nous référant à Van Der Maren (1999) nous  pouvons en identifier trois qui sont vraiment indispensables :
  • Le consentement libre et éclairé;
  • Le respect de la dignité du sujet;
  • Le respect de la vie privée et de la confidentialité.
En définitive, comme le souligne pertinemment Harrisson (2000, p. 39) : «De nos jours, le jugement éthique repose sur l’équilibre des conséquences du processus de recherche pour les sujets humains quant aux bénéfices et aux risques pour les sujets. L’intégrité humaine est le concept central dans l’évaluation des risques». Néanmoins, on comprendra que, bien qu’il s’agisse là d’éléments incontournables et primordiaux dans la conduite d’une recherche, ces deux dimensions du travail (les conduites du chercheur et  le respect des sujets) ne saurait épuiser le questionnement éthique du chercheur et ce, notamment en ce qui concerne les recherches en sciences humaines et sociales menées au moyen d’approches qualitatives.
Bien que ces principes aient une grande importance dans toute recherche, qu’elle soit menée à partir d’approches qualitatives ou quantitatives, ils n’épuisent pas la question loin de là. Ainsi, deux chercheurs, Guillemin et Gillam (2004), ont établit une distinction qui à nos yeux peut être fort stimulante pour notre réflexion. Selon ces auteurs, la recherche est traversée par deux types d’éthiques : les éthiques des procédures (Procedural ethics) et les éthiques de la pratique (Ethics in practice). Les premières concernent les mesures mises en place pour respecter les droits des sujets, leur éviter des désagréments, gérer les événements non souhaités. Les secondes concernent les dilemmes éthiques qui peuvent survenir au jour le jour dans la recherche qualitative (Ethically important moments). Les auteurs soutiennent que si les éthiques des procédures font relativement bien comprises, étudiées et cernées (ce sont elles qui font l’objet des questionnements des comités d’éthiques de la recherche), les éthiques de la pratique, par contre, sont pour ainsi dire laissés dans l’entre deux de la conscience des chercheurs. En effet, les dilemmes du terrain en matière de relation intersubjective ne sont que très rarement enseignés dans la formation des chercheurs en sciences humaines et sociales. Ils sont d’ailleurs peu souvent abordés dans les écrits spécialisés. Force est pourtant de constater, comme nous le verrons plus loin, que ces dilemmes éthiques vécus dans la pratique sont susceptibles de se présenter d’autant plus souvent que l’on use d’approches qualitatives.
Il semble bien que la question de l’éthique en RQ se pose de manière particulière et ce, pour diverses raisons parmi lesquelles nous repérons trois principaux types. D’abord, nous viennent immédiatement en tête les raisons que l’on pourrait qualifier, à défaut d’autre mot, de «techniques». Nous pensons notamment au fait qu’en recherche qualitative, il y a généralement co-présence du chercheur et des sujets sur le terrain. En cela, il y a nécessairement relation intersubjective de proximité. L’Autre accueille le chercheur, lui donne de son temps, lui accorde sa confiance quand ce n’est pas qu’il le prend carrément chez lui (comme cela peut arriver dans certains terrains ethnographiques). Les approches qualitatives sont donc tout entières construites autour d’un rapport de proximité entre le chercheur et le sujet (Caratini, 2004). Ces raisons techniques sont bien entendu directement liées à d’autres raisons que nous nommerons «scientifiques». Ici, il l’agit de souligner que la qualité de la relation qui s’établit entre le chercheur et les sujets est garante, dans une large mesure, de la validité des «données» (Caratini, 2004). En effet, les données recueillies par entrevues ou observations ne sauraient, par exemple, être valables si le sujet observé ment ou fait semblant. Enfin, un troisième type de raisons pourrait être qualifié d’épistémologique. Là encore, les raisons relevant de ce vocable sont liées aux deux autres types de raisons. Par raisons épistémologiques nous entendons que la recherche qualitative, dans son ensemble, appelle une certaine posture «constructiviste» où le savoir naît du dialogue, de la co-construction et de la prise en compte des représentations des acteurs qui ne sont pas vus comme des «idiots culturels».
En définitive, la recherche qualitative par la nature même des sources de ses données (des sujets humains), par le rapport même que le chercheur doit établir avec ces sources et le postulat de recevabilité et de valeur qu’il accorde à ce que disent et font les sujets, est une recherche traversée par des questionnements éthiques qui vont bien au-delà du simple traitement adéquat des personnes.
Ce qui précède nous conduit à identifier certaines questions vives que soulève la pratique de la recherche qualitative :
  • Qu’est-ce qui est considéré comme savoir ?
  • Comment est-il produit ?
  • Selon quelles procédures ce savoir est-il considéré valide ?
  • À qui appartient-il ?
  • Pour qui le produit-on ?
  • Pourquoi le produit-on ?
Chacune de ces questions renvoie aux enjeux sociaux de la recherche qualitative, à ses finalités; en somme, à la problématique du rapport entre Savoir et Pouvoir. En effet, selon nous, la dimension éthique de la recherche en sciences humaines et sociales (et donc de la recherche conduite au moyen d’approches qualitatives) dépasse largement le rapport au sujet sur le terrain et englobe aussi les questions des finalités de la recherche, de l’usage et de la propriété des savoirs. Ces questions font peu l’objet de débat et tout se passe comme si, en ces temps de postmodernisme et de néo-libéralisme, un consensus mou s’était fait pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore que semble être devenue l’interrogation sur le rôle social de la science, rôle qui irait au-delà de celui dans lequel on la confine trop souvent à savoir celui d’aide à la gestion des problèmes sociaux (et, partant, des populations jugées «problématiques»). Dans un monde qui est revenu des grands récits d’émancipation tel le marxisme (et pour cause), il y a peu de place pour la remise à l’ordre du jour de l’examen du rôle critique du chercheur en sciences humaines et sociales et de la place des sujets humains (autre que celle de simple consommateurs)  face au discours de la science.
Chacune des questions posées plus haut renvoie à des enjeux de fond qui traversent toutes les sciences humaines et sociales et toutes leurs approches mais qui ont traditionnellement été posées avec plus d’acuité chez les chercheurs usant d’approches qualitatives. À ce chapitre, on relèvera entre autres les enjeux :
  • De vérité (la validité prescriptive des savoirs);
  • Méthodologiques (la rigueur dans la production du savoir);
  • Stratégiques (le chercheur sur le marché de la recherche ou ce qu’il faut faire pour être reconnu);
  • De propriété intellectuelle (dans une société où le savoir est un «capital», cet enjeu est crucial);
  • Quant aux destinataires (la recherche qualitative comme serviteur du prince ou d’un autre maître);
  • Quant aux finalités (pour quelle «cause» travaillons-nous ?).
Ces enjeux émergent dans un cadre où la recherche qualitative se développe en faisant face à deux apories. En effet, parce que la recherche qualitative peut être vue essentiellement comme un «art de la rencontre» (Jeffrey, 2004), elle navigue constamment dans les contradictions :
  • Prendre la parole pour donner la parole
  • Donner la parole sans perdre la parole
Dit autrement, le chercheur développe son discours sur la base de celui des sujets participants et cette rencontre des discours n’est pas sans risque (Caratini, 2004) que l’on ou l’autre vole la parole ou la voit dévoyée. Sachant que le chercheur dispose en général du dernier mot et qu’il possède aussi les organes et les réseaux pour diffuser son discours, il nous apparaît primordial qu’il réfléchisse à ce pouvoir que le savoir lui confère.
Nous invitons donc le lecteur à penser la recherche en sciences humaines et sociales sous trois angles. En tant que pratique scientifique d’abord, c'est-à-dire en tant que discours qui dit ce qu’est le monde avec toutes les responsabilités que cela implique. En tant que pédagogie ensuite au sens où dire le monde c’est nécessairement l’enseigner. Et, là aussi les responsabilités sont énormes. Enfin, en tant qu’action politique ou citoyenne c'est-à-dire que la recherche est porteuse de discours et de pratiques qui peuvent changer le monde. Chacun de ces angles soulève de graves questions, d’importants enjeux et de grands défis. Il saurait ici y avoir de réponse toute faite, seulement un questionnement perpétuel que le chercheur (individuellement) et la communauté des chercheurs (collectivement) se pose sans relâche.
En quelque sorte, on pourrait dire que l’éthique en recherche qualitative – en tant que pratique scientifique, que pédagogie et qu’action citoyenne – se pose à trois niveaux qui s’interpénètrent (Guillemin et Gillam, 2004) :
  • Macro-éthiques (la recherche qualitative dans les enjeux sociaux);
  • Méso-éthiques (la recherche qualitative et les comités d’éthiques);
  • Micro-éthiques (la recherche qualitative et la pratique du terrain dans la rencontre des sujets).
Le niveau des macro-éthiques renvoie aux enjeux et défis de la place et de l’usage des savoirs de la recherche dans la société. Pour qui et pour quoi  travaille la recherche ? C’est à ce niveau que la recherche peut penser son rôle social et assumer sa dimension normative à savoir être porteuse d’un discours de changement (Freitag, 1995, 2002). Le niveau des méso-éthiques implique les questionnements qui sont ceux, plus classiques, de la conduite d’une recherche avec des sujets humains (le consentement libre et éclairé, l’anonymat, la confidentialité, la notion de risque minimal, etc.) et qui font l’objet de l’évaluation des comité d’éthique de la recherche des universités et instituts de recherche et pour lequel le Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH), le Conseil de recherches médicales du Canada (CRM) et le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada (CRSNG) ont émis une politique  en 1998. Enfin, le niveau des micro-éthiques est celui de la vie quotidienne du chercheur sur le terrain en interaction avec les sujets. C’est le niveau des rapports intersubjectifs que présente bien Caratini (2004) et pour lequel Guillemin et Gillam (2004) déplorent que les chercheurs ne soient pas assez formés. Les micro-éthiques renvoient à une éthique du dialogue, de la rencontre, de l’attention, une éthique qui est moins normative (donc prescriptive) que réflexive en ce sens qu’elle se veut écoute et ouverture non seulement à ce que vit Autrui mais aussi à ce que je vis moi-même et à ce que nous vivons ensemble dans le cadre de nos interactions. 
Dans une société de droits, la recherche qualitative peut être une pratique scientifique où les «sujets» sont autres choses que des «objets» (l’action instrumentale versus l’action communicationnelle dont parle Habermas). Dans une société où cohabitent des logiques multiples et souvent contradictoires (Dubet, 1994), la recherche qualitative peut être ce lieu où le sens du social peut se reconstruire en évitant tout autant le relativisme que l’essentialisme. Dans une société où les sciences humaines et sociales sont souvent réduites à n’être que les auxiliaires du pouvoir (limitées à ce qui est communément appelé le processus du problem setting / problem solving), la recherche qualitative peut être une pratique qui contribue à se souvenir que la compréhension n’est pas d’abord une affaire de maîtrise et de contrôle mais un «advenir», un «événement» au sens où l’entend une certaine philosophie herméneutique (Gadamer, 1996; Grondin, 2003a et 2003b). En somme, la question de l’éthique en recherche qualitative se pose à tous les moments du processus de recherche et ne concerne donc pas uniquement le rapport aux «sujets» (bien que ce niveau de questionnement occupe à bon droit une place très importante). Elle se pose tant en ce qui concerne les attitudes et les comportements du chercheur qu’en ce qui concerne l’usage des savoirs produits et les finalités de cette production.

Références

Caratini, S. (2004). Les non-dits de l’anthropologie. Paris : PUF.
Cassirer, E. (1966). La philosophie des Lumières. Paris : Fayard.
Connolly, P. (2003). Ethical Principals for Researching Vulnerable Groups. University of Ulster. Office of the first Minister and Deputy First Minister.
Conseil de recherches médicales du Canada, Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada, Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (1998). Énoncé de politique des trois Conseils – Éthique de la recherche avec des êtres humains. Ottawa : Ministère des approvisionnements et services du Canada.
Freitag, M. (2002). L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité. Québec : PUL.
Freitag, M. (1995). Le naufrage de l’université. Et autres essais d’épistémologie politique. Québec : Nuit Blanche.
Gadamer, H.-G. (1996). Vérité et méthode. Paris : Seuil.
Gauthier, C., Martineau, S. (1999). Figures de séducteurs et séduction en pédagogie. Dans Enseigner et séduire, sous la direction de C. Gauthier et D. Jeffrey. Québec : Les Presses de l'Université Laval. p. 9-46.
Grondin, J. (2003a). Du sens de la vie. Montréal : Bellarmin.
Grondin, J. (2003b). Le tournant herméneutique de la phénoménologie. Paris : PUF.
Guillemin, M, Gillam, L. (2004). Ethics, Reflexivity and «Ethically Important Moments». Research. Qualitative Inquiry. 10 (2), 261-280.
Habermas, J. (1992). De l’éthique de la discussion. Paris : Cerf.
Harrisson, D. (2000). L’éthique et la recherche sociale. Dans Introduction à la recherche en éducation, sous la direction de T. Karsenti et L. Savoie-Zajc. Sherbrooke : CRP. p. 33-56.
Jeffrey, D. (2004). Le chercheur itinérant, son éthique de la rencontre et les critères de validation de sa production scientifique. Recherches qualitatives. Hors Série numéro 1, 115-127.
Kierkegaard, S. (1997). Le journal du séducteur. Paris : Gallimard. Première parution en 1843 en danois.
Liberia, de A. (2004). La philosophie médiévale. Paris : PUF.
Malherbe, J-F. (2001). Déjouer l’interdit de penser. Essais d’éthique critique. Québec : Fides.
Malherbe, J.-F. (2000). Le nomade polyglotte. Montréal : Bellarmin.
Malherbe, J.-F. (1997). La conscience en liberté. Apprentissage de l’éthique et création de consensus. Québec : Fides.
Molière (1997). Dom Juan. Paris : Pocket. Pièce de théâtre dont la première représentation eue lieu en 1665.
Müller, D. (1998). Les éthiques de responsabilités dans un monde fragile. Québec : Fides.
Platon (1966). La République. Paris : Gonthier.
Van der Maren, J.-M. (1999). La recherche appliquée en pédagogie. Des modèles pour l’enseignement. Bruxelles : De Boeck.

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