1- Des défis
De quoi aura
l’air l’école dans dix ou quinze ans ? Question difficile à laquelle il n’est
possible d’apporter qu’une réponse bien hypothétique. Nous n’avons en effet
aucune idée des possibles virages en dent de scie que pourrait faire
l’histoire. Dans ce cas, il semble que l’approche la plus adéquate réside dans
une extrapolation prudente à partir de la situation actuelle. Qu’en est-il
justement ? Depuis plusieurs années le monde de l’éducation est confronté
à des défis de taille. Pour le bien de ce texte, retenons-en simplement quatre.
Premièrement, la capacité de l’école à demeurer une institution démocratique
est sérieusement mise en cause car elle apparaît inapte à diminuer de manière
substantielle l’exclusion sociale dont elle se fait trop souvent l’agent
(Robert et Tondreau, 1997). Deuxièmement et du même souffle, il faut apporter
une solution à la rétention des élèves à risque de décrochage ou d’échec en les
intéressant vraiment aux savoirs scolaires. Si une certaine démocratisation de
l’école a pu être observée au cours des dernières décennies, le défi qui se
pose pour les prochaines années a plutôt trait à la démocratisation des
savoirs. Troisièmement, l’institution scolaire doit créer les conditions
nécessaires à la mise en place et à la stabilité de la relation pédagogique
entre une population scolaire de plus en plus hétérogène et des enseignants pas
toujours préparés à faire face à cette hétérogénéité. Quatrièmement, il est
impératif que les acteurs scolaires développent l’aptitude à agir de manière
concertée en privilégiant la négociation. Tout porte à croire que dans vingt
ans l’école aura toujours à relever ces défis inhérents aux tendances lourdes
qui traversent les sociétés occidentales. Le génie dont fera preuve
l’école dans sa manière de faire face à ces défis passera, nous semble-t-il,
par sa disposition à «jeter des ponts». Vers qui ? D’abord, entre les
enseignants eux-mêmes pour en arriver à une collaboration plus étroite et une
formation davantage cohérente des élèves. Ensuite, avec les parents et la
collectivité, puis vers le secteur privé et les instances de formation des
maîtres, enfin avec le ministère de l’Éducation. En fait, la complexité du
système d’éducation et la multiplicité des acteurs en cause font en sorte qu’il
est devenu impossible de fonctionner en vase clos. C’est pourquoi, au-delà des
conseils d’établissement on est en droit de s’attendre à une véritable
interrelation parents/écoles. De plus, face à un secteur de l’entreprise privée
qui clame de plus en plus ses exigences en matière d’éducation de la jeunesse,
les écoles doivent définir leurs propres objectifs et leurs propres critères
afin de créer des alliances constructives (Fullan, 1999). De la même manière,
et dans l’optique d’une professionnalisation de l’enseignement, les
institutions de formation des maîtres et les établissements scolaires se
doivent d’intensifier leurs collaborations. Finalement, les politiques
éducatives étant de plus en plus exigeantes en matière d’imputabilité et
d’évaluation, les enseignants doivent prendre une part plus actives dans les
débats publics et faire montre d’un haut niveau d’expertise.
2- Une école c’est quoi ?
Étant donné les
défis qu’a à relever l’école, il est plausible de penser qu’un changement dans
la continuité soit nettement insuffisant. Il semble plus réaliste de s’attendre
à ce qu’une rupture paradigmatique survienne, soit un passage du paradigme
d’enseignement au paradigme d’apprentissage (Tardif avec la collaboration de
Presseau, 1998). Une forte proportion des lignes directrices du paradigme
d’apprentissage reposent sur des consensus qui émergent actuellement des
recherches en éducation. Nous présentons certains de ces consensus puisqu’ils
orienteront vraisemblablement les actions pédagogiques qui seront posées par
les enseignants, mais aussi certains des choix organisationnels des décideurs
au cours des prochaines années.
Il est
aujourd’hui reconnu que les enseignants jouent un rôle déterminant dans la
motivation des élèves. Les attentes à l’endroit des enseignants à cet égard
n’iront certes pas en diminuant, particulièrement si l’intention de lutter
contre le décrochage scolaire est maintenue. Y a-t-il des limites que ne doive
toutefois pas franchir l’école? Est-il possible, par exemple, de motiver les
élèves sans faire en sorte que ces derniers développent un rapport
exclusivement utilitaire aux savoirs? Parmi les défis à relever, celui de
poursuivre l’examen des divers facteurs qui concourent à la motivation scolaire
méritent d’être retenu (Barbeau, Montini et Roy, 1997). Un autre consensus
qui émerge a trait au fait que les enseignants exercent une influence
significative sur les stratégies d’apprentissage et sur les stratégies d’étude
des élèves. Compte tenu des attentes de la société envers les jeunes et le contexte
particulier de changement qui les attend, tout porte à croire qu’un accent fort
soit mis, en classe, sur l’apprentissage de stratégies diverses, de manière à
outiller les élèves pour qu’ils puissent continuer à apprendre, et ce de façon
autonome, à la suite de leur parcours scolaire. Dans le prolongement de ce qui
précède, rendre l’élève capable de réutiliser ses acquis dans différents
contextes apparaît un élément incontournable. Ce consensus relève de la
nécessité qu’interviennent les enseignants fréquemment, systématiquement et de
façon rigoureuse pour favoriser le transfert des apprentissages chez les
élèves.
Parmi les
consensus se rapportant à la dynamique cognitive et affective de
l’apprentissage, Tardif (1997) identifie d’abord celui selon lequel l’apprentissage
est conçu essentiellement comme une construction personnelle résultant d’un
engagement actif. Les démarches pédagogiques plus traditionnelles, qui tendent
à favoriser la passivité chez l’apprenant apparaissent donc peu porteuses. Dans
cette optique, sans être totalement laissées pour compte, on peut s’attendre à
ce que d’autres dispositifs pédagogiques soient privilégiés, tels la
réalisation de projets et la résolution de problèmes. Sachant en outre que
l’apprentissage tire sa signification du fait : a) qu’il présente un défi pour
l’élève; b) qu’il résulte d’un conflit cognitif; c) qu’il permet l’atteinte
d’un nouvel équilibre et d) qu’il est viable sur les plans de la compréhension
et de l’action en dehors de la classe, on peut s’attendre à ce que de tels
dispositifs pédagogiques occupent davantage la sellette en milieu
scolaire. Il est également admis que la construction personnelle des
connaissances repose fondamentalement sur les connaissances antérieures de
l’élève. Bien que cette assertion soit acceptée tant chez les théoriciens que
chez les praticiens, il semble que des craintes telle celle de manquer de temps
soient bien souvent à l’origine du peu d’accent consacré aux connaissances
antérieures des élèves et aux liens qu’ils établissent entre celles-ci et les
nouvelles connaissances. Les bénéfices d’une pratique pédagogique qui s’attarde
aux acquis de l’élève seront-il suffisamment évidents pour surpasser la
tendance actuelle de plusieurs enseignants à couvrir à tout prix les programmes
d’études ? L’avenir pourra probablement nous le dire.
L’idée que
l’apprentissage porte inévitablement la marque du contexte initiale
d’acquisition tient également lieu de consensus eu égard à la dynamique
cognitive et affective de l’apprentissage. Dans la perspective où il est
attendu que l’élève puisse réutiliser ses apprentissages dans divers contextes,
que ce soit pour construire de nouvelles connaissances, développer d’autres
compétences ou accomplir des tâches inédites, il devient crucial que l’enseignant
intègre à l’environnement pédagogique qu’il crée des moments au cours desquels
l’élève arrive à recontextualiser ses apprentissages ainsi qu’à les extraire
des divers contextes d’utilisation, pour en dégager les caractéristiques
essentielles. Parmi les moyens envisagés pour soutenir le transfert des
apprentissages des élèves, celui d’accompagner les élèves dans leur
organisation hiérarchique des connaissances en mémoire semble rallier plusieurs
chercheurs. Tel que le précise Tardif (1997), les connaissances sont d’autant
plus réutilisables fonctionnellement qu’elles sont mises en relation avec des
stratégies cognitives et que leur utilisation est gérée par des stratégies
métacognitives. En ce sens, des interventions de la part de l’enseignant pour
soutenir l’apprentissage de stratégies métacognitives semblent faire partie des
modalités qui seront privilégiées au cours des années à venir.
3- La formation
initiale des enseignants
On le sait, nos
systèmes d’éducation connaissent depuis plusieurs années une période de
remaniements cruciale qui n’a pas épargné les programmes de formation à
l’enseignement. Le courant de professionnalisation de l’enseignement a
justement établi le lien étroit qui existe entre l’amélioration des pratiques
pédagogiques et une meilleure formation initiale basée sur des résultats de
recherche rigoureux (Lang, 1999). Dans cette optique, les deux principaux
objectifs qui ont présidé à la réforme de la formation des maîtres peuvent se
résumer comme suit : 1) assurer une meilleure formation de base pour tous
les futurs enseignants; 2) renforcer les liens avec la formation pratique.
Toutefois,
cette vaste réforme ne pourra donner pleinement ses fruits qu’à certaines
conditions. Voyons-les rapidement. Les programmes de formation à l’enseignement
sont condamnés à intégrer plus étroitement la formation en milieu universitaire
et en milieu scolaire. Ils devraient aussi pouvoir compter sur une
planification sérieuse des besoins en matière de main-d’œuvre enseignante. Des
stratégies efficaces visant à attirer des étudiants de qualité tout en
rehaussant les exigences à l’admission et en élargissant les critères
d’admission (dépasser les seuls critères académiques) semblent nécessaires. La
pertinence des programmes passera aussi par leur capacité à créer et à
maintenir une concertation soutenue et régulière entre tous les membres des
facultés des sciences de l’éducation (Lessard, 1997). Néanmoins, le succès des
réformes ne repose pas que sur les épaules des instances universitaires. Les
commissions scolaires devraient «utiliser» les diplômés que pour l’enseignement
des matières dans lesquelles ils ont été formés. Ce dernier aspect est
d’ailleurs directement lié à une insertion professionnelle réussie et qui soit
l’occasion de réaliser de véritables apprentissages professionnels. Il faudrait
donc changer les conditions de travail qui prévalent actuellement dans nos
écoles.
Bref...
Il y a tout lieu de penser que l’importance accordée à l’obtention d’un
diplôme pour occuper un emploi sera toujours une donnée incontournable dans les
prochaines décennies. Donc, l’école occupera encore une place capitale dans la
formation de l’individu. C’est pourquoi l’école de demain n’aura d’autre choix
que de continuer à relever le défi d’instruire, de socialiser et de qualifier
tous les élèves et ainsi de diminuer le contingent de ceux qui sont
marginalisés et exclus. Pour ce faire, les enseignants, directeurs,
parents et autres auront intérêt à travailler de concert afin de mettre en
place les meilleurs environnements pour les élèves. Une formation à
l’enseignement davantage intégrée fournira aux écoles des professionnels de
haut calibre. Dans cette collaboration des différents acteurs, les enseignants
exerceront un rôle particulier dans la création d’environnements pédagogiques
riches et stimulants. Ceux-ci seront fondés sur une meilleure compréhension des
mécanismes d’apprentissage et de transfert dans les divers champs
disciplinaires d’une part, et, d’autre part, prendront en compte les facteurs
qui favorisent la motivation scolaire.
Références
Barbeau, D.,
Montini, A. et Roy, C. (1997). Tracer les chemins de la connaissance.
La motivation scolaire. Montréal : Association québécoise de
pédagogie collégiale.
Fullan, M.
(1999). Quatre décennies de réformes de l’éducation. OPTIONS, 18,
27-40.
Lang, V.
(1999). La professionnalisation des enseignants. Paris : PUF.
Lessard, C.
(1997). Continuités et ruptures en formation des maîtres : à la recherche d’un
point d’équilibre. In M. Tardif, H. Ziarko (dir.), Continuités et
ruptures dans la formation des maîtres au Québec, (p. 253-279),
Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Ministère de
l’éducation du Québec (1996). L’école tout un programme. Énoncé
de politique éducative. Québec : Gouvernement du Québec.
Robert, M. et
Tondreau, J. (1997). L’école québécoise. Débats, enjeux et pratiques
sociales. Anjou, Montréal : CEC.
Tardif, J.
(1997). La construction des connaissances. 1. Les consensus. Pédagogie
collégiale, 11 (2), 14-19.
Tardif, J. avec
la collaboration de Presseau, A. (1998). Intégrer les nouvelles
technologies de l’information. Quel cadre pédagogique? Paris : ESF.
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