La doxa nous présente l'image d'une science qui avancerait en ligne droite, en faisant toujours des calculs rigoureux, une science constamment basée sur des hypothèses claires qui conduisent à des résultats sans aucune ambiguïté. Rien de plus faux !
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30 avril 2024
Image à abandonner
Relativisme
On entend souvent dire de manière erronée que la relativisme en science nie le réel et la vérité. Il s'agit d'une mauvaise compréhension de ce qu'est le relativisme. Être relativiste en science ne veut pas dire refuser le réel ou la vérité. Cela signifie qu'on accepte qu'il puisse y avoir plusieurs accès au réel et que la vérité puisse être multiple.
Vérité et science
En science, la vérité n'est pas quelque chose que l'on trouve mais quelque chose que l'on cherche.
Certitude
La certitude est une notion non scientifique.
Hégémonie
Quand la science se fait hégémonique, elle devient irrationnelle.
Irrationalité
Nous sommes toujours plus prompts à voir l'irrationalité d'autrui que la nôtre.
29 avril 2024
Les types d'états mentaux
En philosophie de l'esprit on distingue généralement cinq grands types d'états mentaux :
- Les émotions (la peur ou la colère, etc.);
- Les sensations et les perceptions (sensation de froid ou voir un chat, etc.);
- Les représentations (se représenter une forêt enneigée ou encore bateau à voiles, etc.);
- Les croyances (croire en la démocratie ou croire en l'amitié d'une personne, etc.)
- Les désirs et les volitions (actes de volonté) (désirer un café au lait ou vouloir réussir sa formation universitaire, etc.)
26 avril 2024
L'efficacité
En éducation, on parle depuis plusieurs années des recherches sur l'efficacité de l'enseignement. Un certain type de recherche permettrait d'identifier les approches pédagogiques les plus efficaces. Je pense que cela n'est pas faux.
Partant de l'idée que la vérité n'est telle qu'à l'intérieur d'une construction qui lui donne sens, certaines approches pédagogiques et un certain type de recherche répondent probablement mieux à la question de l'efficacité (ou à une certaine manière de poser cette question).
Selon moi, c'est en fait la question qu'il faut questionner.
Quelle définition donne-t-on à la notion d'efficacité ? Pourquoi cette définition doit-elle être retenue? Pourquoi serait-il important de penser l'enseignement et l'apprentissage en terme d'efficacité selon les termes utilisés? Quelle vision de l'éducation se dessine dans la notion d''efficacité telle que définie par certaines recherches? Quelle représentation du travail enseignant y a-t-il dans la problématique de l'efficacité telle que formulée par les chercheurs qui en font la promotion? Quelle vision de la science et du rapport entre chercheurs et praticiens proposent les recherches actuelles sur l'efficacité? Et surtout, est-il possible de donner des réponses relativement consensuelles à ces questions? Si oui, à quelles conditions? Si non, pourquoi? Bien sûr, on peut penser à bien d'autres questions.
Plusieurs trouveront ces questions oiseuses, mais à ceux-là il faut rappeler que questionner est précisément le propre de la science. Et, cela est d'autant plus important lorsque la recherche prétend agir et transformer le monde.
La science
Certains disent « la science, c'est l'approche expérimentale», alors l'astrophysique qui est une science qui n'a pas - et ne peut - avoir recours à la méthode expérimentale ne serait pas une science, les mathématiques non plus d'ailleurs.
Certains disent « la science, c'est ce qui rapporte des faits bruts», mais les faits bruts en eux-mêmes n'existent pas, il faut toujours les rapporter à un cadre interprétatif.
Certains disent, « la science, c'est la rationalité », or, la rationalité comporte de multiples visages et ne réside pas que dans la science.
En fait, tenter de définir de manière absolue la science - déjà l'usage du singulier est problématique - est en soi une position non scientifique.
La science est une nébuleuse, complexe, multiforme, changeante, évolutive, elle est le royaume du doute.
La science est un des modes d'accès au réel que l'être humain s'est donné, un mode d'accès extraordinaire où la modestie est de mise.
25 avril 2024
Mathématiques
On entend souvent dire : la science parle en langage mathématique; si c'est scientifique, ça se calcule; un savoir vraiment scientifique est un savoir qu'on peut mettre en chiffres, en nombres, en équations. Les mathématiques sont certes un puissant outil de connaissance mais l'idée qui veut que tout doit être descriptible en langage mathématique est une pure idéologie. Comme nous le rappelle judicieusement le célèbre astrophysicien français Aurélien Barrau, rien, absolument rien, ne le prouve.
23 avril 2024
Médias
Une chose que m'a appris mes études en sociologie, c'est de me méfier du discours des médias. Les médias ne sont jamais neutres, plus souvent qu'autrement, ils véhiculent les idées d'un groupe ou d'une frange de la société. Mais, ce parti pris est toujours enrobé de tel sorte qu'il peut donner l'illusion de l'objectivité. Non seulement le contenu des textes est orienté mais aussi le titre des articles, le choix de couvrir telle ou telle question, l'importance donnée à tel événement, etc. Bref, tout dans la presse écrite et dans les médias électroniques est biaisé. Est-ce à dire que rien ne doit en être retenu ? Certes non ! Mais, il est essentiel de s'alimenter à de multiples sources, sinon en tombe - comme pour les réseaux sociaux - dans une chambre d'écho. Plus encore, il est préférable de s'informer par les livres ou les articles de revenus, textes plus denses et plus documentés que ce que peut proposer les médias. Surtout, cela évite de se laisser envouter par des nouvelles insignifiantes, problématiques construites de toutes pièces par les médias pour attirer l'auditoire.
22 avril 2024
Au Canada...
Dans les débats sur la question nationale du Québec, les fédéralistes (opposés à la souveraineté du Québec) adoptent toujours la même position : surtout ne pas évoquer les turpitudes du Canada dans le traitement des francophones; car ce sont de vieilles choses du passé.
Ce que ces fédéralistes oublient (ou, surtout, se refusent à voir) c'est que ce passé façonne toujours le présent et ce qui légitimait (selon les anglophones) ces turpitudes - sentiment de supériorité et désir de voir disparaître le français dans ce pays - est bien présent aujourd'hui au Canada.
Conséquences néfastes
Nous vivons les conséquences de l'émasculation des États au profit des puissances économiques et de leur capitalisme spéculatif : délocalisation des emplois; soustraction de centaines de milliards de dollars à l'économie véritable, paradis fiscaux, accroissement indécent des inégalités sociales, diminution des programmes sociaux, endettement des États, etc.
18 avril 2024
Un vieux fantasme en éducation
Depuis longtemps, un vieux fantasme poursuit les sciences de l'éducation : trouver LA méthode pédagogique infaillible.
Ce projet était présent chez les pédagogues du XVII siècle et resurgit périodiquement.
Aujourd'hui, il loge dans l'adhésion tous azimuts aux données probantes.
Si ces dernières sont utiles pour identifier les pratiques pédagogiques qui sembleraient avoir le plus d'effet sur l'apprentissage des élèves, y adhérer comme à un dogme religieux paraît pour le moins suspect - surtout venant de gens qui se réclament exclusivement de la (bonne) science.
Assurément, les recherches expérimentales - celles qui comparent les pratiques en classe - sont souvent solides et leurs résultats pertinents. Elles peuvent en cela inspirer et guider les acteurs. On ne peut donc que souhaiter leur diffusion.
Le danger réside ailleurs.
Il réside dans la tentation de s'y référer exclusivement en faisant fi de la nature du travail enseignant, une occupation professionnelle qui « s'exerce sur et avec l'humain » et dont les actions se prêtent plutôt mal à une standardisation. Le travail enseignant, comme le souligne Tardif et Lessard (1999), est non seulement complexe mais il est situé; un enseignant spécifique, des élèves spécifiques, une classe spécifique, une école spécifique, une culture d'établissement spécifique. Est-ce à dire qu'aucune généralisation de données ne peut se faire, certes non. Cependant, la prudence est toujours de mise. Avant de proposer une standardisation des pratiques, il faut se demander quel effet cela pourrait avoir au-delà des questions d'apprentissage des élèves (sans compter qu'il faut se demander quelle culture de l'apprentissage on va ainsi mettre en place); par exemple, cela peut-il nuire à la motivation des enseignants ? à la reconnaissance de leur expertise ? est-ce certain que les recherches expérimentales faites dans d'autres pays, dans d'autres cultures et d'autres systèmes d'éducation peuvent s'appliquer dans son propre contexte éducatif ? Etc... Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que les concepts comme excellence, réussite, efficacité ne sont pas des « objets » qui existent au même titre que le soleil ou la lune.
Comme le disait naguère Develay (2001), les sciences de l'éducation sont nécessairement au prise avec le vrai, le juste et le faisable. Le vrai n'est pas nécessaire juste, le juste n'est pas nécessairement faisable, etc.
Références :
Develay, M. (2001). Propos sur les sciences de l’éducation. Réflexions épistémologiques. Paris : ESF.
Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l'étude du travail dans les métiers et les professions d'interactions humaines. Québec : Les Presses de l'Université Laval.
17 avril 2024
Réponse à l'ouvrage : LES DONNÉES PROBANTES EN ÉDUCATION ET LA FORMATION À L’ENSEIGNEMENT
Clermont Gauthier, Steve Bissonnette et Jean-Marie van Der Maren, ont publié un ouvrage intitulé LES DONNÉES PROBANTES EN ÉDUCATION ET LA FORMATION À L’ENSEIGNEMENT :
Gauthier, C., Bissonnette, S. et Van der Maren, J.-M. (2024). Les données probantes en éducation et la formation à l’enseignement . Lévis : Éditions Les pendules à l'heure.
À la demande de l'un des auteurs, j'ai lu et commenté leur production. Ci-après, on trouvera quelques-unes de mes remarques (lesquelles ont été envoyées à l'auteur qui m'avait sollicité). Il est à noter que ma réponse a été modifiée (ma réponse étant un courriel personnel, je ne me souciais pas de la forme).
- La rationalité ne loge que dans la science.
- La science, c'est ce qui se calcule.
- La vérité est démontrée lorsque « ça marche ».
- Seule la posture empiriste est pertinente en science.
- La science peut trouver des solutions à tous les problèmes.
- La science n'a pas à se préoccuper de l'usage que l'on fait des savoirs qu'elle produit.
Avant son adoption par le parlement du Québec, le projet de loi 23 a donné lieu à de multiples commentaires dans les médias de la part de ceux qui le soutenaient et ceux qui s'y opposaient.
L'ouvrage critique la posture des opposants à la mise en place d'un Institut d'excellence en éducation au Québec, projet inclus dans la loi 23. La description des principales idées opposées à cette loi et à la création de l'Institut me semble trop schématique et en cela plutôt caricaturale. En fait, sans le dire explicitement, l'ouvrage présente les opposants à la loi 23 comme des personnes qui s'opposent à «l'excellence» pour des raisons plus ou moins inavouables ou par bêtise. Il passe sous silence le fait que ces opposants rejetaient en fait une loi qui augmente de manière injustifiée le pouvoir discrétionnaire du ministre de l'Éducation en centralisant de nombreux pouvoirs entre ses mains. De multiples recherches en gestion ont pourtant montré l’inefficacité et les effets délétères de la centralisation des pouvoirs.
Il faut aussi souligner que les auteurs assimilent les opposants à la loi 23 à des chercheurs qui rejètent les données probantes, ce qui est une fausseté. L'opposition à la création d’un Institut d'excellence en éducation était, je le précise, basée sur la conviction de plusieurs que cette instance ne pourra agir en toute indépendance du politique (sans compter que la manière dont le projet a été mis de l'avant conforte bien des gens dans cette idée). Les opposants à la création de l'Institut jugeaient aussi que cet instance allait probablement véhiculer une vision plutôt restrictive de l'excellence, de la réussite scolaire et de la « bonne recherche ». Les propos tenus dans ce livre me conforte en ce sens. Par ailleurs, la position récente du ministre de l'éducation quant à la possible mise en place d’un palmarès des écoles ne peut qu'augmenter la crainte des opposants à la loi. Sans compter que le gouvernement en place actuellement au Québec renforce «la politisation de la recherche» comme le montre la fusion des organismes de subvention à la recherche et leur rattachement à un ministère de nature économique. Pour ce gouvernement, la recherche doit être enrôlée dans la poursuite de buts d'abord économiques.
Là où je suis également sceptique, c’est sur la position que prennent les auteurs quant à la neutralité axiologique de la recherche. Pour eux, la recherche se contente simplement d’identifier les meilleurs moyens pour atteindre des fins socialement déterminées. Il y a là une posture disons assez traditionnelle qui fait du chercheur - et des savoirs savants - des entités hors de la société. Or, la production de savoirs par la recherche fait partie de la praxis sociale et donc de la détermination même des fins. Ainsi, on pourrait même imaginer (et cela arrive souvent) que la détermination de certaines fins puisse se faire sur la base de ce que la recherche permet d’identifier comme moyen. La coupure nette entre fins et moyens n’est, on le comprend aisément, pas vraiment possible. Sans compter qu’historiquement, dans l’organisation du travail, les moyens tendent à devenir une fin en eux-mêmes (je pense au taylorisme, au new management, à la doctrine de la gestion axée sur les résultats).
Certains chercheurs - et les auteurs ici en font partie - postulent qu'il y a une coupure radicale entre savoirs savants et l'éthique et la politique. La science disent-ils ne doit pas se préoccuper des valeurs et des finalités, celles-ci étant décidées en dehors de la science. Comme on vient de le dire, la science, pour eux, n'a qu'à déterminer les meilleurs moyens pour atteindre les fins jugées pertinentes. C'est une telle posture qui a pu conduire des scientifiques à collaborer avec les pires régimes politiques. « Moi je produis du savoir, si les autres en font un mauvais usage ce n'est pas mon problème ». Croire que dans son travail scientifique (surtout si celui-ci a des incidences sur la vie des gens) il est possible de se passer de réflexions sur l'usage des savoirs que l'on produit et sur les conséquences que ceux-ci peuvent avoir c'est adopter une position naïve et potentiellement dangereuse.
Au moment de la réforme des programmes au Québec, au début des années 2000, le paradigme du socioconstructivisme a été mis de l'avant en formation initiale et en formation continue. Les auteurs fustigent ce paradigme qu'ils semblent rendre responsable de tous les maux de l'éducation. En fait, à l’instar du courant des pédagogies nouvelles (au début du 20e siècle) qui avaient créé un épouvantail en la personne de la pédagogie traditionnelle (catégorie créée de toute pièce), les auteurs pensent que le socioconstructivisme est partout et fait des ravages. Cependant, les preuves des supposés effets délétères de ce paradigme se font toujours attendre. Si ce paradigme ruine tant l'enseignement au Québec, on peut se demander pourquoi les élèves du Québec performent si bien au test international PISA. Sans compter que l’idée des supposés effets pervers du socioconstructivisme repose sur la croyance que ce dernier a bel et bien été implanté et utilisé mur à mur dans les écoles québécoises. Rien n’est moins sûr! On attend donc toujours que les auteurs, si férus de méta-analyses, produisent les données probantes qui soutiennent leur position.
Le livre donne aussi à penser qu’on ne forme pas les enseignants à l’enseignement explicite au Québec (type d'enseignement identifié selon eux comme le plus performant selon les méta-analyses). Or, l'enseignement explicite est bel et bien enseigné et utilisé en formation des enseignants. Les auteurs veulent-ils se faire passer pour de preux chevaliers, porteurs de la bonne parole que les hordes de méchants socioconstructivistes ignorent en raison de leur aveuglement idéologique, de leur incompétence et de leur posture corporatiste ?
Enfin, sur un autre plan, je tends à penser, et le livre me conforte dans cette pensée, que la centration sur les questions d’efficacité produit l’effet pervers de passer sous silence les conditions d’exercice de la profession. L’Institut pourrait ainsi avoir pour effet de créer l’illusion que les problèmes éducatifs seront réglés par la pédagogie (sans compter que sa création donne aussi à penser que la pédagogie telle qu’enseignée en formation initiale et celle mise en place par les enseignants en exercice fait problème: ce qui n’a aucunement été démontré). Les recherches tendent plutôt à montrer que les problèmes de notre système d'éducation ne sont pas d’ordre pédagogique: décrochage des profs, système à 2 voire 3 vitesses, composition des classes, manque de spécialistes (orthopédagogues, psycho-éducateurs, orthophonistes, techniciens en éducation spécialisée, techniciens en travail social, etc.), bureaucratisation des tâches, sous-financement, etc. Au final, la loi 23 passe à côté de l’essentiel et c’est pourquoi un très grand nombre d'acteurs de l'éducation la trouve néfaste.
Fausses croyances par rapport à la science
La rationalité ne loge que dans la science.
La science, c'est ce qui se calcule.
La vérité est démontrée lorsque « ça marche ».
Seule la posture empiriste est pertinente en science.
La science peut trouver des solutions à tous les problèmes.
La science n'a pas à se préoccuper de l'usage que l'on fait des savoirs qu'elle produit.
Naïveté scientifique
Certains chercheurs, encore aujourd'hui, postulent qu'il y a une coupure radicale entre savoirs savants et l'éthique et la politique. Pour eux, la science ne doit pas se préoccuper des valeurs et des finalités, celles-ci étant décidées en dehors de la science. La science n'a qu'à déterminer les meilleurs moyens pour atteindre les fins jugées pertinentes. C'est une telle posture qui a pu conduire des scientifiques à collaborer avec les pires régimes politiques. « Moi je produis du savoir, si les autres en font un mauvais usage ce n'est pas mon problème ». Croire que dans son travail scientifique (surtout si celui-ci a des incidences sur la vie des gens) il est possible de se passer de réflexions sur l'usage des savoirs que l'on produit et sur les conséquences que ceux-ci peuvent avoir c'est adopter une position naïve et potentiellement dangereuse.
16 avril 2024
Contre l'idée des écoles dites efficaces
Arc-boutés sur une épistémologie positiviste (les données dites probantes), les promoteurs de l’école efficace s’inspirent du modèle médical et de la logique managériale. Une telle position exige une réduction drastique de la complexité des phénomènes éducatifs en vue de leur mesure. Surtout, elle entraîne de multiples effets pervers dont : la réduction de l’école à la formation (d’une main-d'œuvre qualifiée) et donc, au final aux besoins économiques; l’hyper-centration sur les performances des élèves à des tests standardisés; la mise en place et le soutien d’une culture de la compétition au détriment d’une culture de la collaboration non seulement parmi les élèves mais aussi entre les enseignants et les écoles; la hiérarchisation des matières scolaires où trônent tout en haut les « matières de base », ce qui entraîne la dévalorisation de celles que l’on juge superflues (les arts, par exemple); la mise au rencart du développement de la pensée critique et de créativité chez les élèves ou encore la standardisation outrancière des approches pédagogiques. En parfaite adéquation avec le néolibéralisme qui, depuis plus de quarante ans, tend à réduire la société à n’être qu'un marché et du même souffle à faire de tout une marchandise (Michel Freitag parle d’une logique opérationnelle-pragmatique et d’un mode de reproduction décisionnel-opérationnel au sens où l’essentiel de l’action que l’homme fait sur lui-même est décidé et géré par des « experts » et des technocrates), la pensée qui soutient et promeut l’école efficace s’inscrit donc dans une vision mondialisée des sociétés où l’individu est essentiellement une main-d'œuvre, un consommateur, un client. Certains pourront arguer que ces considérations sont oiseuses, nous ne le croyons pas. La pensée qui sous-tend la notion d’école efficace ramène la question de la réussite scolaire à la seule dimension du rendement. En fait, elle cherche une vérité qu’elle a fabriquée elle-même. Pris dans un discours autoréférentiel, elle propose une vision pour le moins discutable non seulement de l’école mais aussi de l’éducation, de l’apprentissage, de la connaissance et même de la science. À l’instar des mouvements qui en ont façonné sa logique et ses caractéristiques (la nouvelle gestion publique, la gestion axée sur les résultats, l’evidence-based education), cette vision se traduit notamment par un certain rejet de la normativité sociale au profit d’une gestion pragmatique de l’éducation, une fixation sur l’efficience et l’efficacité et sur les compétences adaptatives au détriment de la pensée critique; tout cela dans un monde éducatif qui est sommé d’être en perpétuelle adaptation. Cela se traduit aussi par la disparition de certaines structures de différenciation entre autres, celle des fins et des moyens (ceux-ci tenant lieu de celles-là); celle du sujet et de l’objet (réification de l’ensemble des acteurs, lesquels sont pensés comme des rouages d’une mécanique rationnelle et pragmatique).
États de droit oligarchiques
La « démocratie » ne représente pas, même indirectement, le peuple. Elle est dominée par les maîtres de l’économie qui déterminent ses marges de manœuvre. Ce pouvoir politique de l’oligarchie est cependant limité parce que la démocratie rend heureusement possible, par la liberté d’expression et d’organisation des différents acteurs sociaux, une plus grande influence des forces sociales subordonnées sur le fonctionnement de l’État. Pour reprendre la formulation de Jacques Rancière, « les États démocratiques sont des États de droit oligarchiques, c’est-à-dire […] des États où le pouvoir oligarchique est limité par la double reconnaissance de la souveraineté populaire et des libertés individuelles *».
Référence : Piotte, Jean-Marc. Démocratie des urnes et démocratie de la rue: Regard sur la société et la politique (p. 99). Québec Amérique. Édition du Kindle.
* Rancières, J. (2005). La haine de la démocratie. Paris : La Fabrique, p.81
11 avril 2024
La mise en récit de soi
Un certain déclin des institutions et la multiplication des logiques du social, ne laissent d’autre choix aux acteurs que de créer du sens à partir de leur propre expérience.
Cette création de sens peut être vue comne un processus de mise en récit de soi, création personnelle ayant pour finalité la mise en ordre de l’expérience.
En empruntant à Ricoeur (1986) on peut dire que l’acteur fait de sa vie une intrigue.
Une intrigue c’est ce qui permet de transformer le flot des événements multiples en une suite cohérente de faits. L’intrigue c’est la mise en récit de soi dans le temps, c’est rendre le temps intelligible, c’est identifier un départ, un développement, une fin au récit. Chaque étape du déroulement de l’intrigue devient un élément qui participe du sens du récit et conduit d’une manière cohérente à la fin.
La mise en récit de soi est essentiellement un processus interprétatif de construction de sens (herméneutique).
L'universel
On peut concevoir l'universel de deux manières :
Refus du positivisme
Refus de la coupure épistémologique typique du positivisme et de son avatar actuel le post-positivisme. Considérer que les faits collectés sont essentiellement des réponses à des questions (le positivisme l'oublie toujours). Ainsi, la réalité va toujours au-delà des réponses qu’on lui donne. Par ailleurs, il n’y a pas de démarcation radicale entre science et sens commun. Conséquemment, les savoirs issus des recherches se déploient dans le même champ ontologique que les autres pratiques sociales. Ce qui ne conduit pas à annuler la spécificité du regard du chercheur. L’interprétation basée sur des savoirs savants n’est toutefois pas en extériorité par rapport à la pratique de sorte que la théorie est un moment de la praxis.
Contre le positivisme et L’idéalisme… Max Weber
Le sociologue allemand Max Weber (1864 – 1920) - un des pères de la sociologie – rejetait tant le positivisme que l’idéalisme comme paradigmes pour les sciences humaines et sociales (SHS). Il les considérait tous les deux comme inadéquats. Pour lui, le positivisme se trompait parce qu'il réduit la science à une explication causale calquée sur celles de la physique. Explication simpliste lorsque l'on se penche sur les phénomènes humains. De son côté, l'idéalisme lui apparaissait comme peu pertinent en raison de son manque de relation avec les faits empiriques.
Max Weber a donc cherché à dépasser ces deux courants. Pour ce faire, il a mis de l'avant la question de la compréhension du sens. La connaissance en SHS consisterait donc, selon lui, à établir des relations de sens pour une saisie significative des actions sociales, historiques et culturelles. Ainsi, les phénomènes humains peuvent être compris en fonction des valeurs et des sentiments subjectifs qui les motivent.
10 avril 2024
Comprendre et interpréter selon Wilhelm Dilthey (1833-1911)
Selon ce grand philosophe allemand « comprendre/interpréter » constitue une forme de connaissance tout aussi légitime que l’explication (laquelle relève des sciences de la nature).
Différence fondamentale entre sciences physico-bio-chimiques et les SHS
Les sciences physico-bio-chimiques et les sciences humaines et sociales (SHS) présentent des classifications de « nature » différente...
Deux types de théorie
09 avril 2024
Deux manières de porter son regard sur les acteurs sociaux
En sciences sociales, on peut distinguer deux grandes manières de porter son regard sur les acteurs étudiés.
Dans une perspective holiste, l’acteur social est conçu comme étant déterminé par les structures sociales qui lui préexistent. Autrement dit, l’ordre social s’impose à lui et le contraint dans ce qu'il dit et pense. Dans ce cas, l'interprétation des phénomènes sociaux ne peut se réduire à l’interprétation de ce que dit et fait l’acteur social et doit prendre en compte les structures contraignantes.
Dans une perspective privilégiant le point de vue de l’acteur social, le chercheur prend en quelque sorte le contrepied de la perspective holiste. Ici, la réalité sociale est appréhendée comme une construction des acteurs sociaux et non pas comme le fruit de contraintes préexistantes à l'action. C'est donc le dire et le faire des acteurs qu'il importe d'interpréter. De la sorte, on souhaite éviter la réification des phénomènes sociaux.
Certains chercheurs tentent de dépasser ces deux perspectives en ayant recours à une approche dialectique.
Les « objets » à étudier en RECHERCHE QUALITATIVE
UNE SITUATION : UNE INTERACTION SOCIALE ANCRÉE DANS LE TEMPS ET L’ESPACE.
UN DISCOURS : ENSEMBLE D’ÉNONCÉS RELIÉS ENTRE EUX LOGIQUEMENT ET PORTANT SUR UN SUJET. IL EST COLLECTIF.
DES PRATIQUES : ACTIONS QUE LES GENS FONT. ELLES SONT À LA FOIS OBJECTIVES (STRUCTURÉES PAR DES NORMES ET DES CONTRAINTES) ET SUBJECTIVES (MODELÉES PAR LA PERSONNE).
DES REPRÉSENTATIONS : Elles sont des « états mentaux » ou des concepts qui correspondent à une chose perçue, pensée. Elles peuvent être individuelles ou sociales.
UN RÉCIT : Il s’agit du fil temporel nécessairement subjectif qu’une personne élabore et dans lequel elle ordonne les événements; ce qui conduit à lui donner sens.
Trois manières de comprendre l’induction
1- Une généralisation empirique directe (par exemple, le soleil se lève tous les matins).
2- L'induction statistique pouvant donner lieu à des jugements de probabilité (par exemple, les hommes courent deux fois plus de risque de mourir d’un accident d’automobile que les femmes).
3- Réforme des théories, hypothèses ou intuitions à la lumière de l’expérience et de son analyse (par exemple, nos observations en classe nous incitent à penser qu’il y a un lien entre la faible motivation des élèves et les comportements qui dérangent).
Les 3 grandes étapes de tout analyse inductive en recherche qualitative
Selon Miles et Huberman (2003) :
La réduction des données;
La condensation;
La présentation des données.
Selon Paillé et Mucchielli (2003):
Phases :
08 avril 2024
Désenchantement
Nous avons cru désenchanter le monde en faisant reculer les religieux. Nous sommes pourtant aujourd'hui dans un monde certes désenchanté (sceptique et souvent cynique) mais toujours parcouru par des mythes, séculiers ceux-là.
02 avril 2024
Quels sont les risques potentiels d'une homogénéisation des postures épistémologiques en éducation, et comment pouvez-vous contribuer à préserver la diversité des perspectives ? Autrement dit, y a-t-il des avantages à l’existence de plusieurs postures épistémologiques?
Il faut distinguer homogénéisation des approches méthodologiques et épistémologiques.
L’homogénéisation de ces dernières n’est pas près d’arriver en raison notamment de la diversité des formations disciplinaires des chercheurs.
En revanche, certains types de recherche peuvent dangereusement devenir hégémonique et ici je pense moins au conflit qualitatif/quantitatif (qui existe il faut le dire) qu’à la pression sociale, étatique et professionnelle à produire des recherches ayant des retombées pratiques immédiates.
Les organismes subventionnaires au Québec et au Canada jouent à cet égard un rôle crucial.
En éducation, le danger est de ne faire que du « problem solving ».
Comment gérez-vous les possibles tensions entre différentes perspectives épistémologiques au sein de votre domaine de recherche ou de votre communauté de recherche?
Dans mon domaine – sociologique, historique – il n’y a pas vraiment de tensions épistémologiques car la majorité des chercheurs adopte une approche compréhensive.
Il n’en demeure pas moins qu’en éducation, nous sommes confrontés à un énorme défi à savoir l'articulation de trois questions assez incontournables :
1- la question des valeurs;
2- la question de la rationalité;
3- la question de la faisabilité.
Dans nombre de recherches, les résultats devraient ainsi à la fois être dans le vrai, viser l'efficacité (au sens large et non au sens étroitement du management) et concourir au juste. Autrement dit, les recherches doivent s'intéresser au logos, s'ancrer dans l'ethos et s'enraciner dans le pathos. C'est dire que la scientificité ne peut être ici dissociée de son projet émancipateur.
On comprend alors que se pose ici la question des valeurs comme éléments régulateurs de l'action. Les recherches en éducation doivent souvent naviguer entre le vrai et le bien sans sacrifier l'un pour l'autre. Une chose vraie n'est pas nécessairement souhaitable. Mais, une chose souhaitable n'est pas obligatoirement valide (vraie). Et, le vrai et le bien ne sont pas nécessairement faisables (ou efficaces). En somme, tout en proposant des modèles d'intelligibilité du réel (qui tentent de dire le vrai), le chercheur en éducation est confronté au fait qu’il doit suggérer aussi des modèles propositionnels qui respectent le bien, le juste et le faisable.
En quoi la prise de conscience des postures épistémologiques peut-elle contribuer à la formation de chercheurs plus compétents et plus réflexifs ? Quels sont les avantages pour les étudiants d'être exposés à une gamme de postures épistémologiques dans le cadre de leur formation aux cycles supérieurs ?
Connaître l’épistémologie est utile mais cela ne doit pas se faire au détriment des autres aspects de la formation à la recherche (problématique, cadre théorique, méthodologie, analyse des données).
Le danger ici est de la connaître en dilettante.
Cependant, comme la représentation coutumière des sciences et de leurs savoirs, encore aujourd’hui, en est souvent une qui renvoie à une vision du 19e siècle (positivisme), il est intéressant de questionner cette préconception.
Il faut se dire aussi que les disciplines matures se questionnent assez peu ou pas du tout sur leur épistémologie et laissent cela aux experts.
Quelles sont les implications pratiques de l'adoption d'une posture épistémologique spécifique dans la recherche en sciences de l'éducation ?
Concrètement, il est certains que l’adoption d’une posture épistémologique spécifique aura des implications sur notre rapport à la vérité (4 manières de penser la vérité : correspondance, cohérence, consensus, efficacité), sur la conduite de la recherche et le rapport aux sujets, les modes de validation des données.
Sur ce dernier point, il est évident que l’adoption d’un mode de validation des données a une influence importante. On distingue traditionnellement 4 modes de validation :
- Par la méthode hypothético-déductive dite pure (qui ne concerne que les sciences formelles que sont les mathématiques et la logique);
- Par la méthode expérimentale ou quasi-expérimentale;
- Par la méthode corrélationnelle;
- Par la méthode interprétative.
Pourquoi accorder de l’intérêt à l’épistémologie dans le contexte des études supérieures en sciences de l’éducation?
Je ne suis pas certain qui faille y accorder une importance particulière.
Bien entendu, un minimum de connaissance à ce sujet est nécessaire mais l’épistémologie est une discipline en elle-même et en ce sens elle reste la prérogative des spécialistes.
J'ai d’ailleurs constaté dans ma carrière (plus de 25 ans) qu’on fait de la mauvaise épistémologie en sciences de l’éducation.
On y mélange ainsi trop souvent des considérations ontologiques, métaphysiques et épistémologiques.
On l’enseigne aussi souvent mal.
Et, parfois on se gargarise de gros mots comme celui d’épistémologie pour faire savant.
Il y a ici un danger selon moi.
On ne parle pas tant d’épistémologie ailleurs dans d’autres disciplines, on laisse cela aux spécialistes, on fait simplement de la recherche le mieux qu’on peut.