«L'idéologie, c'est ce qui pense à votre place.»
Jean-François Revel : 1924-2006, était un journaliste et un essayiste français, de tendance libérale.
«L'idéologie, c'est ce qui pense à votre place.»
Jean-François Revel : 1924-2006, était un journaliste et un essayiste français, de tendance libérale.
«Le mal s'apprend sans maître; la vertu, en revanche, s'acquiert péniblement.»
Pour le philosophe français Paul Ricoeur - 1913-2005 - la conscience n'est ni une origine, ni un fondement. Elle est plutôt une tâche à faire. C’est pourquoi il a développé une phénoménologie de la volonté en pensant la conscience comme ce qui dit « je veux ». Selon lui, nous nous comprenons nous même d'abord comme volonté. Il ne faut toutefois pas penser cette volonté comme souveraine, comme une subjectivité qui domine le monde et les évènements. Au contraire, la volonté est pensée ici comme un enchevêtrement perpétuel de volontaire et d'involontaire. Assumer la partie involontaire de ma volonté - le monde qui résiste, l'inconscient, l’histoire qui me fait etc. - signifie passer de la volonté que j'ai à la volonté que je suis. Ainsi, la volonté que je suis coïncide avec mon existence, avec tout mon être. À cette question de la volonté, Ricoeur adjoint une définition du comprendre. Comprendre pour lui c'est passer par la « voie longue » de la médiation notamment celle des productions humaines. C’est pourquoi il considère que la philosophie ne peut être la science des consciences. Parce que l'appréhension directe de soi par soi est impossible : pas plus pour le commun des mortels que pour le philosophe. On ne peut en effet connaître le sujet entièrement par la seule réflexion directe parce que son activité se dépose inévitablement dans des objets, des actes et des œuvres qui constituent le monde du sujet.
Par conséquent, la compréhension de soi - la compréhension de l'être humain - passe nécessairement par l'analyse du monde symbolique, social et culturel où la conscience peut trouver les traces de sa propre activité devenue, en quelque sorte, extérieure à elle-même. On ne part donc jamais de zéro dans notre réflexion mais, toujours, on recommence; recommencement nourri du langage, nourri des œuvres de l'humanité. L'être humain est ainsi à la fois finitude (notre vie prend fin un jour) et infinitude à travers les œuvres avec lesquelles nous dialoguons. L'infinitude de l'être humain se trouve dans le langage qui est certes un système de signes mais qui est aussi - et peut-être surtout - un discours c'est-à- dire capacité de dire quelque chose sur le monde tant pour soi que pour les autres. Donc, afin de me penser, je dois nécessairement passer par l'extériorité (langages, œuvres, l’histoire, autrui). Cette rencontre de l'extériorité est nécessaire et représente non seulement une exigence épistémologique mais aussi un principe éthique.
Dans ses travaux, Ricoeur a aussi mené une critique de trois importants courants en histoire : L’histoire antipositiviste axée sur l’intentionnalité des acteurs; l’historiographie française des Annales (par exemple, on pense aux travaux de Fernand Braudel); l’histoire inspirée de la philosophie analytique. Selon le philosophe français, les trois courants font la même erreur : ils oublient l’importance du récit.
Un fait historique ne peut être réduit à un statut d’exemple d’une loi (comme le pense le positivisme). Mais, contrairement à ce que pense le courant intentionnaliste, on ne peut en rester aux seules intentions des acteurs, notamment parce que nous n’avons pas un accès direct à ces intentions. Ainsi, contre les antipositivistes, Ricoeur affirme que l’histoire n’est pas la somme des intentions des protagonistes. Contre les positivistes, en revanche, il rappelle que les explications historiques sont insérées dans des discours narratifs, ils sont déjà des « faits » interprétés. Ainsi, l’histoire ne se résume pas à des causes ni aux intentions, elle renvoie plutôt à des actions et donc, en partie, à la contingence. Les trois courants – lesquels sont tous anti-narrativistes – mettent ou bien l’accent sur l’explication (positivisme) ou sur la compréhension des intentions (antipositivisme) et, ce faisant, ils instaurent une coupure entre méthode et expérience (car l’expérience de l’histoire par les acteurs se fait sous forme de récit). Or, le choix entre méthode objectiviste et méthode subjectiviste est un faux choix selon Ricoeur. Si l’histoire est inséparable du récit (et donc de la prise en compte des intentions des acteurs), elle est tout de même une discipline à visée scientifique qui doit faire la preuve de ce qu’elle avance. Par conséquent, explications (faits objectifs) et compréhensions (intentions des acteurs) sont alors nécessaires. En tant que discipline éminemment herméneutique, l’histoire doit donc à la fois dépasser à la fois la phénoménologie et le positivisme pour interpréter adéquatement le passé.
À sa réflexion sur l’histoire, il faut aussi adjoindre celle sur la fiction, car, comme les spécialistes le savent celle-ci a donné lieu à de multiples réflexions dans la discipline (Loriga et Revel, 2022). Selon Ricoeur, la fiction possède deux fonctions : 1- elle est « révélante »; 2- elle est aussi « transformante ». Ainsi, il affirme : « (...) révélante, en ce sens qu'elle porte au jour des traits dissimulés, mais déjà dessinés au cœur de notre expérience praxique; transformante, en ce sens qu'une vie ainsi examinée est une vie changée, une vie autre » (1985, p. 285). Pour Ricoeur, le récit a aussi un effet cathartique. La catharsis produite par le récit est possible en raison de l'effet de prise de distance par rapport à nos affects. Le récit a ainsi un effet « moral » parfois plus qu'esthétique sur le lecteur.
À la lumière de la pensée de Ricoeur, on comprend aisément le défi qui incombe aux enseignants d’histoire. Comment aider les élèves à comprendre le monde - et à se comprendre eux-mêmes dans ce monde - en les faisant passer par la « voie longue » de la médiation des productions humaines ? Comment guider la rencontre de « l'extériorité » que représente l’histoire, passage obligé à la compréhension de soi (individuellement et collectivement) ? Comment dépasser une vision de l’histoire anti-narrativiste en ne se limitant ni aux intentions des acteurs, ni aux seuls faits et en faisant parfois usage de la fiction sans que celle-ci ne dénature l’histoire à enseigner. Bref, comment mettre en récit l’histoire pour qu’elle fasse sens?
Petit texte rédigé originellement en 2006 pour le site du Carrefour national de l'insertion professionnelle en enseignement
INTRODUCTION
La période d’entrée dans une profession semble être un moment très stimulant pour les nouveaux professionnels. En fait, le débutant dans une profession entre enfin dans la phase active de la carrière pour laquelle, dans certains cas, il a passé un long moment à se former. C’est le cas par exemple des nouveaux enseignants qui se réjouissent d’avoir enfin leur propre classe (Lamarre, 2003). L’enthousiasme est souvent aussi accompagné de curiosité et de stress. Paradoxalement, cette phase d’entrée dans une profession paraît également être un moment difficile à vivre dans une carrière. Ceci est dû, notamment, à l’adaptation que le débutant doit accomplir dans son nouveau milieu et avec ses nouveaux collègues, qui viennent s’ajouter à ses nouvelles fonctions liées à sa carrière (Vlahos, 2001). Cette phase d’entrée professionnelle, dit aussi « la phase d’insertion professionnelle », est réputée particulièrement ardue pour les enseignants ce qui conduit certains à «tout lâcher». Ce texte se veut une exploration de cette problématique de l’insertion en enseignement. Il survole aussi la question de l’engagement et de l’abandon de la carrière. Pour finir, il propose, modestement, une remise à l’ordre du jour du terme de vocation.
1. VUE D’ENSEMBLE DE LA QUESTION
Définition et durée de l’insertion professionnelle enseignante
La définition de l’insertion professionnelle enseignante selon Martineau et Vallerand (2005) précise qu’il s’agit « [d’] une expérience de vie au travail qui implique un processus d’adaptation et d’évolution chez le nouvel enseignant et qui se produit lors des débuts dans la profession. » Par cette définition, on comprendrait qu’on s’attend à ce que durant la période d’insertion professionnelle, le nouvel enseignant se familiarise avec son nouveau milieu professionnel, ses habitudes, son fonctionnement, ses rouages, sa culture et tout ce qui est en lien avec sa profession en tant professionnel (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2006; Treleven, 2000; Baillauquès et Breuse, 1993). En outre, cette période d’insertion professionnelle conduit à l’acquisition de nouvelles connaissances professionnelles dans la continuité de la formation initiale et marque un premier pas dans la formation continue (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2006; Hensley, 2002; Maulding, 2002).
La durée de cette phase d’insertion professionnelle enseignante est variable selon les auteurs. Vonk et Schras dans Nault (1993) parlent d’une période de sept ans, Baillauquès et Breuse (1993) parlent d’une période qui s’étend d’une année à cinq ans d’expérience. Castetter dans Weva (1999) estime que cette période varie d’une demi-journée à trois ans. Cette variabilité va dépendre de la personnalité de l’enseignant, ses expériences antérieures, le contexte scolaire dans lequel il se trouve et le type de contrat obtenu (Lamarre, 2003). La durée de cinq ans semble être une moyenne logique à la vue de ces différentes estimations faites par ces études.
Difficultés liées à période d’insertion professionnelle enseignante
On peut supposer que les enseignants expérimentés ont davantage de chance d’avoir développé des compétences que ne possède le nouvel enseignant. C’est aussi l’expérience ou bien l’ancienneté dans sa profession qui est à la base de la distribution des tâches dans différentes professions comme la médecine, l’ingénierie, l’architecture, d’où les débutants reçoivent les tâches les moins complexes (Treleven, 2000). Par contre, en enseignement, le débutant reçoit la même tâche que le chevronné et parfois même une tâche plus complexe et en plus, dans certains cas, dans de mauvaises conditions (Curtis, 2005; Bonura, 2003; Cossette, 1999). Wong & Wong dans Epperson, (2004, p.21) appuient ce constat dans ces propos : « teaching is the only career in which one must immediately fulfill a complete set of duties while trying to determine what those duties are and how to do them ». On assigne les mêmes fonctions aux nouveaux et aux chevronnés en enseignement et on s'attend aux mêmes résultats de la part des deux groupes d’enseignants (Hensley, 2002). En comparaison avec ces autres domaines qui reconnaissent entièrement les besoins des novices dans la profession, Halford dans Hensley (2002, p.3) surnomme l’éducation : « the profession that eats its young », ou la profession qui mange ou dévore ses jeunes. Le tout s’ajoute au devoir qu’a l’enseignant de s’occuper à la fois, de la dimension cognitive, affective et éducative des jeunes à qui il enseigne (Mukamurera, 2006).
Les situations les plus fréquentes de ces tâches et conditions ardues sont, entre autres : la prise en charge des classes les plus difficiles et moins désirables (Lamarre, 2003); l’isolement qui est souvent lié, dans certains cas, à l’absence de mesures d’accueil de la part du milieu scolaire surtout des collègues ou du directeur d’école (Bonneton, 2002; Baillauquès et Breuse, 1993); s’occuper des tâches que les enseignants chevronnés n’ont pas prises, et qui parfois ne sont pas en lien avec leurs propres compétences, (Mukamurera, 2006); changement de milieu (école) et/ou de disciplines d’enseignement ou l’attribution du poste juste à la rentrée scolaire, ainsi qu’être dans une situation précaire sans contrat à long terme, (Martineau et Corriveau, 2001; Baillauquès et Breuse, 1993). Cette précarité qui rend également problématique l’identité professionnelle de ces enseignants, fait que différentes questions se posent notamment sur leur condition : sont- ils des enseignants à part entière ? Des enseignants en devenir ? Des numéros sur des listes de rappel ? Des « bouches-trous » ? Des gardiens d’élèves ? Des « réservistes »? (Mukamurera et Gingras, 2005). Mukamurera (2006, p.3, 4) résume cette situation dans ces propos: « La précarité contribue beaucoup au malaise parce qu’elle affecte les conditions d’exercice, surtout quand on est plus jeune (...) le mécanisme d’affectation fait en sorte que les plus jeunes enseignants reçoivent les tâches résiduelles (ce qu’ils appellent les « restants de tâches ») et les groupes les plus difficiles, les pires tâches d’une école en quelque sorte. »
Toutes ces situations qu’affrontent souvent les novices enseignants ne leur laissent apparemment aucune opportunité d’adaptation. Aussi tôt arrivés sur le terrain, ces derniers sont appelés à travailler et à se débrouiller eux mêmes comme leurs collègues chevronnés et particulièrement dans des conditions plus complexes (Treleven, 2000). De même, l’évolution progressive des enseignants débutants dans la profession paraît être moins évidente que celle des enseignants permanents. Ceci est dû notamment à leur précarité qui ne permet pas une concentration continue de leurs efforts dans la profession enseignante seulement. Dans certains cas par exemple, ils sont dans l’obligation de disperser leurs efforts dans diverses tâches d’enseignement (Baillauquès et Breuse, 1993). Certes, l’ampleur des difficultés rencontrées en début de carrière n’est pas la même partout au monde. Par exemple, d’une part, en Afrique la discipline peut être moins pertinente comme problème vu le respect qui est toujours accordé à l’autorité dont l’enseignant, mais la surpopulation des classes peut être un grand défi à relever notamment pour les enseignants débutants (Mukamurera, 2006; Ndoreraho, 2006). D’autre part, le travail enseignant précaire, l’allongement de la période d’insertion professionnelle ainsi que la discontinuité professionnelle semblent être moins préoccupants en Europe que ne le sont aux États-Unis et au Québec (Mukamurera, 2006).
Conséquences des difficultés liées à la période d’insertion professionnelle enseignante
Cette situation paradoxale – à l’instar de cette attribution des fonctions les plus exigeantes dans des conditions les moins appropriées aux enseignants débutants – ne manque pas d’entraîner des conséquences qui sont généralement fâcheuses pour les pays concernés et la profession enseignante en particulier. Déjà en 1994, Thibeault, dans une étude comparative d’un programme de mentorat et du programme québécois de probation des nouveaux enseignants, affirmait que si les problèmes que rencontrent les enseignants débutants ne sont pas reconnus, il se peut que ces nouveaux enseignants aient des problèmes physiques et psychologiques comme l’insomnie, les cauchemars allant même jusqu’à la dépression. Le couronnement de tous ces problèmes est l’abandon de la profession et en plus, il semblerait que ce soit souvent les plus prometteurs qui quittent.
La même année aux États-Unis, 15 % des enseignants quittaient la profession durant ou après la première année et 50 % d’entre eux abandonnaient la profession enseignante dans les six premières années d’exercice (Thomas et Kiley dans Gold, 2003). En 2005, toujours aux États-Unis, le constat était qu’il y aura un besoin d’un peu plus de deux millions d’enseignants dans les dix prochaines années, afin de remplacer les enseignants en retraite et ceux qui ont quitté prématurément la profession enseignante. Les études prévoyaient que 30% des nouveaux enseignants allaient abandonner leur profession avant la fin des cinq premières années, et ceux qui allaient abandonner semblent être les enseignants les plus prometteurs, encore jeunes, qui vivent et enseignent dans des conditions difficiles (Curtis, 2005). Ce même constat a été fait par Lee, (2005); Brighton dans Kraft, (2005) ainsi que Epperson, (2004). Par ailleurs, l’étude menée en 2000 par le « Texas Center for Educational Research » tel que mentionnée par Epperson (2004) montre qu’au Texas, le renouvellement du corps enseignant coûte 8 000$ pour chaque nouvel enseignant qui abandonne durant les trois premières années d’enseignement, ce qui implique dans l’ensemble un coût estimé à 329 millions de dollars par an.
L’ensemble des ces problèmes et leurs conséquences amène à mettre en considération l’idée de Colbert et Wolff dans Hensley (2002) selon laquelle si le but des écoles est de retenir les jeunes enseignants prometteurs qu’ils engagent, ils devraient les introduire dans une profession où règne la croissance et la stimulation, l’estime de soi, la compétence, la collégialité et le statut professionnel.
Recherches et modalités pour une meilleure insertion professionnelle enseignante
Ce genre de situation alarmante a interpellé différents chercheurs qui ont faits des études diversifiées au sujet de l’insertion professionnelle des enseignants et sur différents points qui s’y rattachent. Il s’agit d’un sujet qui touche la société occidentale ainsi que différentes autres régions du monde. Plusieurs études faites au sujet de cette question en font preuve. Par exemple, au Québec, Mukamurera et Gingras (2005) se sont intéressés à l’identité professionnelle des enseignants à statut précaire au secondaire, Lamarre (2003) a visé l’expérience de la première année d’enseignement au primaire telle que vécue et racontée par les enseignants eux mêmes, Martineau et Presseau (2003) ont parlé du sentiment d'incompétence pédagogique des enseignants en insertion professionnelle. Dans le reste du Canada, on peut mentionner l’étude de Rathwell (2005) sur le soutien des enseignants débutants dans le milieu rural de l’Alberta. Ailleurs dans le monde, Baillauquès, et Breuse (1993) se sont intéressés à la première classe en France ainsi qu’à certains cas du Japon, d’Australie, de la Finlande, d’Italie, de la Belgique et du Royaume Uni. Aux États-Unis, Moseley (2003) s’est intéressé au programme de soutien et d’évaluation des novices enseignants, Boyer (2003) a fait une étude de cas à propos des leaders éducatifs dans des programmes d’insertion des nouveaux enseignants, Troutman (2002) s’est concentré sur l’efficacité du mentorat enseignant tel que vu par les débutants enseignants, etc.
Ces chercheurs ont lancé un cri d’alarme quant à l’insertion professionnelle des enseignants. De leur part, les responsables de l’insertion professionnelle des enseignants ont établi des modalités afin de retenir les nouveaux enseignants dans leur profession. Parmi les actions menées, il s’agit notamment des programmes d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant comme celui mis en place par le ministère de l’Éducation de l’Ontario. D’autres programmes de soutien aux novices enseignants existent aussi. C’est le cas du « Washington State Teacher Assistance Program », le « Baltimore’s Teacher Mentor.
Program », le « Santa Cruz New Teacher Project » (Treleven, 2000). En somme, les programmes d’insertion sont établis pour favoriser une meilleure adaptation dans le milieu professionnel du nouvel enseignant, et pour prendre la relève de la formation initiale afin de continuer la formation à l’enseignement. Ainsi, les programmes d’insertion professionnelle favorisent la rétention des nouveaux enseignants dans leur profession. Comme le résume Huling-Austin dans Hensley (2002) les objectifs des programmes d’insertion professionnelle enseignante sont entre autres, l’amélioration de la performance enseignante, accroître la rétention enseignante, promouvoir le bien-être personnel et professionnel, satisfaire les besoins mandatés, et transmettre la culture de la profession enseignante.
Par ailleurs, le mentorat a été défini par Tellez dans Hensley (2002, p.27) comme étant: « un système d’assistance aux nouveaux enseignants jour pour jour dans les aspects d’enseignement, les socialiser dans la profession enseignante et les familiariser dans les normes de leur école et district. ». Celui-ci est un des éléments qui favorisent l’insertion professionnelle. L’application du programme de mentorat s’est avéré avoir un impact positif dans la résolution du problème d’abandon enseignant dans différentes études faites aux États-Unis. Gold (2003) en présente trois exemples : en 1992 Odell avait constaté l’abandon de 16 % chez les enseignants ayant reçu certaines formes de mentorat, alors que ce pourcentage d’abandon allait même plus à son double pour les enseignants qui n’ont jamais reçu de mentorat.
En 1998, dans un rapport du secrétariat d’État à l’éducation des États-Unis, une étude a révélé que parmi les enseignants dont le programme de mentorat était disponible, presque 90 % d’entre eux affirmaient que ce programme les avait aidé dans leurs efforts initiaux dans l’enseignement. En 2000, le département d’État de l’État de New York a constaté qu’avec l’obligation d’avoir un mentorat la première année de l’enseignement, il y a eu une amélioration allant de 20 à 30 % dans la rétention enseignante et que le mentorat offre une transition aisée entre la formation et la pratique enseignante, assure une confiance dans ses techniques d’enseignement, donne une maturité croissante, améliore les techniques de gestion de la classe, etc. Un récapitulatif de cette vue d’ensemble sur l’insertion professionnelle enseignante est présenté dans le tableau ci-après.
Tableau 1 : Vue d’ensemble sur l’insertion professionnelle enseignante 1
Tâches & conditions ardues |
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Conséquences de la situation inconfortable des nouveaux enseignants |
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Différentes études faites en insertion professionnelle enseignante |
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Modalités pour une meilleure insertion professionnelle enseignante2 |
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1 Tableau que nous avons fait en récapitulation de la vue d’ensemble de l’insertion professionnelle enseignante à partir des études et/ou actions effectuées par : Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2006; Mukamurera, 2006; Curtis, 2005; Kraft, 2005; Lee, 2005; Mukamurera et Gingras, 2005; Rathwell, 2005; Epperson, 2004; Bonura, 2003; Boyer 2003; Gold, 2003; Lamarre, 2003; Martineau et Presseau, 2003; Moseley, 2003; Bonneton, 2002; Troutman 2002; Martineau et Corriveau, 2001; Treleven, 2000; Cossette, 1999; Thibeault,1994; Baillauquès et Breuse, 1993.
2 Dans certains cas, le mentorat fait partie du programme d’insertion professionnelle. C’est le cas par exemple du programme d’insertion professionnelle du nouveau personnel enseignant mis en place par le ministère de l’Éducation de l’Ontario (Ministère de l’Éducation de l’Ontario, 2006) ou le « Washington State Teacher Assistance Program » et le « Santa Cruz New Teacher Project » (Treleven, 2000). Dans d’autres cas, le mentorat constitue un programme à part entier. C’est la cas du « Baltimore’s Teacher Mentor Program » (Treleven, 2000).
Ce tableau présente une phase de la carrière enseignante qui est en général difficilement vécu, malgré les recherches faites et les modalités mises en place afin d’essayer de rendre plus confortable le vécu de cette période d’insertion professionnelle enseignante.
La suite présente d’une façon particulière, la situation de l’insertion professionnelle enseignante au Québec.
2. INSERTION PROFESSIONNELLE AU QUÉBEC
Un très bref historique
L’historique de la formation des enseignants au Québec montre que, depuis la création des premières institutions de formation des maîtres en 1857, et tout au long de l’époque des écoles normales, l’encadrement des nouveaux enseignants, incluant leur soutien, n’était pas parmi les plus grands soucis du système éducatif québécois (Nault, 1993). Seul le service d’inspectorat assurait le soutien à ces débutants. Suite à l’idée de la professionnalisation de l’enseignement, la formation des enseignants est transférée des écoles normales aux universités et les premières cohortes y ont été inscrites à partir de l’année 1970 (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2004). En même temps, la mise en application du règlement 4 relatif au permis et au brevet d’enseignement a accordé plus d’importance à l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants avec l’établissement du stage probatoire (Conseil Supérieur de l’Éducation, 2004). En fait, à cette époque, la législation prévoyait que l’étudiant devait recevoir un permis d’enseignement après ses études en pédagogie au niveau du baccalauréat. De là, il devait faire preuve de compétence durant son stage probatoire qui devrait durer deux ans. Au terme de ces deux années, il recevait un brevet d’enseignement du ministère de l’Éducation du Québec s’il avait une recommandation du directeur d’école où il a effectué sa probation. Ce brevet lui procurait la possibilité d’enseigner partout au Québec. Durant ce stage probatoire, chaque nouvel enseignant était accompagné d’un comité de stage composé d’au moins deux personnes : un membre de la direction (premier responsable) et un enseignant pour favoriser son intégration et lui assurer un soutien pédagogique (Thibeault, 1994).
État actuel
Présentement, les études montrent que la période d’insertion professionnelle au Québec est une phase d’une durée variable. Les enseignants du Québec se retrouvent dans cinq statuts dont la suppléance occasionnelle, le contrat à temps partiel, le contrat à la leçon, le travail à taux horaire, le contrat en temps plein (Mukamurera et Gingras, 2005; Mukamurera, 1998). C’est cette période qui sépare le premier contrat du novice (souvent comme suppléant) à celui du contrat en temps plein (qui assure la permanence ainsi que la stabilité dans sa profession) qui est variable. D’ailleurs, certains enseignants même trouvent que la prise de fonction est effective que lorsque l’enseignant a sa propre classe en permanence (Baillauquès et Breuse, 1993). Ceci amène à considérer qu’en dehors du statut d’enseignant permanent, l’enseignant occupe provisoirement ses fonctions, dans la mesure où, au retour de l’enseignant remplacé (en suppléance) le suppléant n’a plus son poste, de même qu’à la fin du contrat en temps partiel, à la leçon et à taux horaire, rien ne garantie le renouvellement du contrat.
La réalité vécue par les nouveaux enseignants durant cette période d’une durée approximative de cinq ans d’insertion professionnelle s’apparente, parfois, à celle vécue ailleurs, sans toutefois omettre qu’il y ait des cas particuliers du Québec. Ce sujet n’a pas cessé d’être une source de questionnement scientifique pour les chercheurs au Québec. Il fut exploité sous différents angles, notamment celui des difficultés que vivent les enseignants débutants comme la précarité par rapport à l’identité professionnelle enseignante (Mukamurera et Gingras, 2005), le sentiment d'incompétence pédagogique des enseignants en insertion professionnelle, accompagné des difficultés liées à un accueil inadéquat, la discipline en classe, etc. (Martineau et Corriveau, 2001). D’autres recherches se sont intéressées aux modalités mises en œuvre pour que ces enseignants débutants réussissent à passer cette phase, entre autres, le mentorat, la supervision par un membre de la direction, une journée d’accueil, etc. (Nault, 2003; Martineau et Corriveau, 2001; Bedard, 2000;Gervais, 1999; Thibeault,1994). Il est particulièrement important de noter que présentement au Québec, il n’y a pas de programme national structuré sur l’insertion professionnelle enseignante. Ce qui fait que, les programmes structurés de l’insertion professionnelle des nouveaux enseignants existant sont élaborés sous l’initiative locale. 3
3 C’est le cas du Syndicat de l’enseignement de Champlain en collaboration avec la Commission scolaire de Marie-Victorin qui a établi un programme d’insertion professionnelle des nouveaux enseignants, qui est d’ailleurs disponible au http://educ.csmv.qc.ca/sre/InsertionP/Pnsprof082005.doc. Il s’agit aussi du cas du programme d'insertion professionnelle du personnel enseignant débutant de la part de la Commission scolaire de Laval, de Portneuf, de Seugneurie des mille îles (Saint Eustache), etc.
Le tableau suivant résume la situation actuelle de l’insertion professionnelle enseignante au Québec telle qu’elle est ci-haut mentionnée.
Tableau 2 : Situation actuelle de l’insertion professionnelle enseignante au Québec
Statuts des enseignants au Québec (du début de l’insertion professionnelle enseignante à la permanence) |
Études faites au Québec sur l’insertion professionnelle enseignante |
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Ce tableau – dont les deux grands points résument la situation actuelle de l’insertion professionnelle au Québec telle que nous l’avons présenté – montre des similitudes dans la phase d’insertion professionnelle enseignante au Québec et ailleurs. Ces similitudes se remarquent notamment au point des études faites et les modalités mises en place pour une meilleure insertion professionnelle enseignante, surtout au sujet des programmes d’insertion professionnelle et des programmes de mentorat. Par ailleurs, certaines particularités se font remarquer dans la phase d’insertion professionnelle enseignante au Québec. Il s’agit notamment des différents statuts d’enseignants (enseignant suppléant, à temps partiel, à taux horaire, ou un contrat à la leçon) avant d’avoir la permanence qui assure la stabilité dans la carrière enseignante.
3. L’ABANDON ET LA PERSÉVÉRANCE EN ENSEIGNEMENT
Somme toute, il semble que la période d’insertion professionnelle est normalement destinée à permettre une adaptation et une évolution de l’enseignant débutant dans ses nouvelles fonctions (Martineau et Vallerand, 2005). Mais, la réalité au Québec, autant qu’ailleurs au monde, montre qu’il s’agit d’une période qui est en général difficilement vécu par ces nouveaux enseignants. L’ultime conséquence de cette situation de vie professionnelle des nouveaux enseignants est l’abandon de leur profession. Par exemple, COFPE (2002), dans son avis sur l’insertion en enseignement, affirmait que 20 % d’enseignants, durant leur première ou deuxième année d’enseignement, avaient envisager de quitter l’enseignement à court terme suite aux difficultés liées tant à l’enseignement proprement dit qu’au contexte scolaire et au climat de travail qui étaient démesurés pour eux. Dans l’étude de Martel et Ouellet cité par Mukamurera (2004), les enseignants qui avaient été diplômés en 1990, 15 % d’entre eux avaient abandonné leur profession après cinq ans de travail et ceux qui avaient été diplômés en 1998, 17 % d’entre eux avaient aussi abandonné leur profession après cinq ans de travail.
Avec les plus récents chiffres de l’étude de Mukamurera (2006) auprès des nouveaux enseignants québécois précaires du secondaire, on pouvait croire à une lueur d’espoir dans l’amélioration de cette situation inquiétante. En fait, les premiers constats de cette étude montrent que la majorité des enseignants sont satisfaits de l’accueil reçu, que l’intégration était facile dans les cinq premières années, et qu’ils ont reçu le soutien et la collaboration de leurs collègues dans la première année d’enseignement. Mais la suite montre que 51 % d’enseignants ont envisagés sérieusement de quitter leur profession et certains d’entre eux l’ont envisagé deux fois même! D’une façon particulière, parmi les enseignants débutants, les intentions d’abandons de la profession vont jusqu’à 43 % à moins de cinq ans d’exercice. Ce désir d’abandons de la profession enseignante est dû principalement aux raisons liées aux difficultés et aux exigences de ladite profession (Mukamurera et al., 2006). Il s’agit d’une situation qui semble être paradoxale en comparaison avec la satisfaction à l’accueil, au soutien ainsi qu’à l’intégration qu’ils affirment avoir vécu. L’explication donnée à la persistance de ces chiffres plutôt alarmants est que les enseignants ont toujours les tâches lourdes et pénibles ainsi que les classes difficiles, qu’ils sont toujours précaires et qu’il y a un écart entre leurs ententes et la réalité.
Dans le même contexte, il apparaît aussi qu’il y a, d’une part, les enseignants qui abandonnent leur profession moralement, psychologiquement et physiquement; mais d’autre part, il y en a d’autres qui abandonnent moralement, psychologiquement, mais qui y reste physiquement. Dans ce contexte, grâce à la littérature, on peut dresser le portrait d’un enseignant susceptible d’abandonner sa carrière enseignante. Celui-ci est présenté en termes des caractéristiques de cet enseignant en question.
En premier lieu, le stress étant un : « ensemble des réactions non spécifiques (physiologique, métabolique, comportementale) à cet agent agressif. »(Robert, 2002, p.2495), celui-ci apparaît souvent dans la profession enseignante comme un facteur qui vient nuire à la productivité enseignante. Il semble que le stress ressenti chez les enseignants en général affectent ces enseignants eux-mêmes et en même temps leurs élèves. Ça apparaît par exemple avec des exposés confus, l’agressivité dans leurs actes et leurs discours, moins de renforcements positifs envers leurs élèves (Cossette, 1999), des insomnies ou des dépressions pour les uns. Ce stress est souvent causé par l’indiscipline des élèves, les classes difficiles, le manque d’équipement, le manque de reconnaissance professionnelle, les mauvaises relations avec les collègues, la charge de travail, etc. Il apparaît évident que ce sont les nouveaux enseignants qui sont plus atteints par ce stress. Ceci est dû au fait que, ce sont eux qui rencontrent le plus ce genre de difficultés dans l’exercice de leurs fonctions et qu’il est fort probable, par manque d’expérience, qu’ils aient moins bien développé des stratégies et des compétences pour y faire face.
En deuxième lieu, d’après Warren dans Kraft (2005), il y a abandon à une proportion de 50 % dans les deux premières années de carrière chez les enseignants qui ont travaillé dans les écoles défavorisées au point de vue socio-économique. Le même constat avait était fait par Bonura (2003). Ce cas des milieux socio-économiquement défavorisés semble être très inquiétants vu que ce pourcentage d’abandons est atteint en deux ans seulement, alors qu’ailleurs c’était au moins sur cinq ans (cfr. Gold, 2003, Curtis, 2005, Mukamurera, 2005)!
En troisième lieu, l’étude de Martel et Ouellet dans Mukamurera (2004) précise que le taux de persévérance est moindre au secondaire comparé au préscolaire/primaire. Ce qui revient à dire qu’il y aurait plus d’abandons enseignants au niveau secondaire par rapport au niveau préscolaire/primaire. En fait, avec l’analyse des difficultés rencontrées, il semble que les nouveaux enseignants de tous les niveaux d’enseignement (préscolaire/primaire et secondaire) partagent les nombreux problèmes de début de carrière tels que détaillés en début de cette problématique (cfr.p.3). Mais, d’une part, le problème de l’occupation des restants de tâches (disciplines d’enseignement) qui ne sont pas en lien avec ses propres compétences d’enseignement, paraît plus être le problème présent au secondaire. D’autre part, le problème de la discipline des élèves en classe peut prendre une tournure particulière au secondaire vu la moyenne d’âge (adolescence) des élèves et le comportement souvent rebelle qu’affichent les jeunes à cet âge envers tout ce qui représente l’autorité devant eux.
Donc, l’enseignant susceptible d’abandonner paraît être celui qui vit du stress dans l’exercice de ses fonctions, qui travaille dans un milieu défavorisé au point de vue socio- économique et qui enseigne au niveau secondaire.
La littérature montre qu’en général, les raisons d’abandon de la profession enseignante sont diversifiées. On mentionnerait, entre autres, la recherche d’autres opportunités de travail plus alléchantes, le choix de la carrière enseignante fait par manque d’autres choix de carrière, le choix de la carrière enseignante forcé (Ndoreraho, 2006). Pour Mukamurera (2006) il s’agirait de la non-valorisation et la non-reconnaissance du travail accompli, l’absence de soutien, le besoin de s’occuper de ses enfants ou le désir de relever d’autres défis. En outre, Beaumier (1998) dans son étude sur les facteurs de l’organisation québécoise qui peuvent influer sur le désir de quitter ou de rester en enseignement en adaptation scolaire, précise que les enseignants insatisfaits de la relation avec leurs élèves, de l’appui des parents, de leur champ d’enseignement, de la carrière enseignante ou qui trouvent qu’il y a peu d’accès aux opportunités de développement en enseignement ont tendance a vouloir quitter leur profession.
Chez les nouveaux enseignants en particulier, les difficultés que vivent les enseignants débutants lors de leur période d’insertion professionnelle – telles que présentées dans les pages précédentes – affectent négativement en premier leur intérêt à pratiquer la profession enseignante. Dans la suite, ce sont ces difficultés qui sont à l’origine de leur abandon de profession. Cet abandon des nouveaux enseignants est un handicap pour le système éducatif vu qu’il provoque, notamment, la perte du personnel prometteur (Curtis, 2005; Hensley, 2002; Thibeault, 1994) ainsi qu’un gaspillage apparent des fonds engagés dans la formation des nouveaux enseignants (Epperson, 2004).
Suite à ces inquiétudes liées à l’abandon enseignant, il semble que toute initiative ou action pouvant contribuer à la rétention de ces nouveaux enseignants dans leur profession serait vivement souhaitée. À ce point, Colbert & Wolff dans Hensley (2002) donne un conseil suivant : « Si le but des écoles est de retenir les jeunes enseignants prometteurs qu’ils engagent, ils devraient les introduire dans une profession dans la voie où règne la croissance ou la stimulation, l’estime de soi, la compétence, la collégialité et le statut professionnel ». Dans ce cadre, la littérature montre les efforts des responsables de l’insertion professionnelle enseignante qui ont mis en place des modalités afin de retenir les nouveaux enseignants dans leur profession. Raison pour laquelle il y a eu l’établissement des programmes d’insertion professionnelle enseignante dont les objectifs selon Huling-Austin dans Hensley (2002) comprennent aussi la rétention dans la profession enseignante des nouveaux enseignants. De même, l’application du programme de mentorat s’est avérée utile dans la rétention des enseignants débutants (Gold, 2003).
Par ailleurs, la littérature montre aussi que d’autres aspects liés alors particulièrement à l’enseignant lui-même pourraient jouer en faveur de sa rétention dans sa profession. Il s’agit entre autres de la persévérance des enseignants, leur résilience, leur motivation (Brooks et Goldstein, 2006; Milner, 2002), ainsi que le sentiment d’efficacité ou de compétence élevé (Milner, 2002; Woolfolk, 2001; Beaumier, 1998). Il y a aussi ceux qui poursuivent leur carrière en enseignement suite au manque d’autres choix de carrière ou au plaisir qu’ils retirent dans la pratique de leur profession (Mukamurera, 2006; Ndoreraho, 2006; Baillauquès et Breuse, 1993). D’autres poursuivent cette carrière enseignante parce qu’ils souhaitent continuer dans ce domaine de l’enseignement dans lequel ils ont été formés, ou pour approfondir des connaissances acquises lors de la formation initiale ainsi que, pour le désir d’apporter la contribution au développement de l’éducation nationale (Ndoreraho, 2006). De son côté, l’étude de Beaumier (1998) affirme que la volonté de poursuivre la carrière enseignante dépend des facteurs comme la satisfaction des relations avec ses élèves, la satisfaction de l’appui des parents, la satisfaction envers son champ d’enseignement et la satisfaction envers sa carrière.
En somme, d’après cette littérature, dans la plupart des cas, la poursuite stable et permanente de la carrière enseignante est due notamment à un attachement profond à l’enseignement, ce qui se réfère à un engagement à la profession enseignante comme une volonté dans la continuité stable et permanente de sa carrière enseignante et en toutes circonstances (Duchesne, 2004). Il semble aussi que, ces facteurs qui favorisent la rétention enseignante rejoignent, dans une certaine mesure, cette tendance qu’ont peut retrouver chez certains professionnels qui font qu’ils se sentent inciter à œuvrer dans une profession malgré les difficultés qu’ils peuvent y rencontrer. C’est ce que Vial (1987, p.65) appelle une vocation professionnelle : «...[elle] ne doit pas être imposée, ni vouée à une formation ponctuelle. Il s’agit d’une adhésion tenace à l’idée convaincante, séduisante, que la personne se fait d’une profession, par accord entre les goûts, les possibilités de l’être et les caractères du métier. »
4. LA VOCATION
Le notion de vocation a comme origine le terme vocare dont la signification est «appeler». Il s’agit d’un terme qui fut, jadis, utilisé principalement dans le domaine religieux. Il désignait, entre autre, un appel en provenance de l’extérieur de l’être appelé. Au fur des années, il y a eu une progression dans la signification de ce terme. Ceci a amené à intérioriser cet appel chez l’être même qui est appelé (Raymond, 1974). De ce fait, actuellement la vocation est, entre autres, désigné comme étant : « [une] inclination décidée et même parfois impérieuse pour une profession, un art, une forme déterminée d’état ou d’action chez un individu qui possède les aptitudes correspondantes » (Lalande dans Raymond, 1974, p.10). Ces propos sont rejoints par ceux de Schlanger (1997, p.56) qui précisent que : « ... la vocation s’éprouve comme un désir profond qui porte, oriente et prend en charge d’une façon légitime les intentions et les actions, pour déployer sa trajectoire propre. » Le trait fondamental de la vocation est d’être voulue par la personne elle-même (Vial, 1987). Schlanger (1997, p.56) le confirme et précise que : « C’est un désir auquel le reste se subordonne parce qu’il est plus profond, plus lucide, plus constant que le reste; un désir qui est plus moi que moi. » Il semble bien que pour une personne ayant une vocation, celle-ci joue le rôle d’une base d’orientation et inspirera la trajectoire professionnelle même que sa vie doit suivre. On peut donc dire qu’il n’est pas inopportun de souhaiter le retour de la notion de vocation dans le domaine de l’enseignement.
D’autre part, l’engagement est considéré comme étant une : « action de s’engager (...) c'est-à-dire contracter une obligation soit légale, soit morale, ou ce à quoi on s’est engagé. » Foulquié (1986, p.211). L’engagement est alors pris comme une action de mise en gage, ce qui marque un investissement personnel consentant, volontaire, conscient et décidé ou un attachement profond. Ceci montre qu’on croit à l’importance de ce ou à qui on s’est lié, ce qui donne une garantie de la réalisation de ce en quoi on s’est engagé (Guillemette, 2005). Par ailleurs, l’engagement se caractérise par une manifestation concrète et active (Akoulouze, 1982). Trois dimensions ressortent du concept d’engagement. Il s’agit de la dimension physique comprenant par exemple l’énergie, l’intelligence, le temps, l’argent; la dimension affective, qui est le fait d’aimer et de rester dans son travail, ainsi que la dimension morale qui concerne l’éthique du travail qui doit être respectée (Kanter dans Akoulouze, 1982). Dans la même conception d’idée Duchesne (2004, p.67) présente l’engagement professionnel enseignant comme étant :
« Visible et public : il se manifeste par un empressement à déployer des efforts considérables pour le compte de la profession ou de l’organisation scolaire et par l’expression du désir d’y maintenir son appartenance. Il s’actualise également par l’attachement de la personne à sa profession de même que par la poursuite d’une ligne d’activités constante à l’intérieur de situations variées, persistant dans le temps.»
En fait, suite aux mutations sociales profondes et accélérées ainsi que la fonction scolaire de plus en plus exigeante, la profession enseignante a besoin d’un corps professoral engagé (la majorité l’est déjà), animé de la conviction d’œuvrer pour le bien des élèves bref, inspiré par une vocation du service publique (Vial, 1987). Dans cet esprit, Schorr (1982) propose aux enseignants de voir leur profession non comme la pratique d’un art, mais comme visant l’atteinte des objectifs de leur vie à travers l’art et l’enseignement. En d’autres termes, que la pratique de la profession enseignante soit premièrement l’objectif de leur vie. Sans aller jusque l’à, disons que nous invitons les enseignants à mesurer l’importance de leur action pour la société. Et, nous invitons aussi cette dernière à reconnaître pleinement cette importance.
En définitive, avoir la vocation c’est s’engager dans sa carrière, comprendre l’esprit de service de sa profession et savoir résister au découragement que peuvent produire des expériences difficiles; c’est donc être au plein sens du terme en développement professionnel (Bojold et Gingras, 2000; Selgman, 1994; Prost, 1985; Sears, 1982; Gottfredson, 1981). Aussi, développer un esprit «vocationnel» vis-à-vis sa profession, s’est s’y engager à fond sans entretenir de représentations illusoires à son sujet, c’est prendre la mesure de ce qui pourrait être (dans une expression quelque peu archaïque) «le don se soi».
CONCLUSION
En somme, considérant les notions de vocation et d’engagement dans la profession enseignante, il semble qu’on peut passer de l’étape de l’attachement interne à la profession enseignante (vocation) à l’extériorisation en actes de cet attachement (engagement). Il semble évident que la vocation et l’engagement de l’enseignant sont des aspects individuels qui puissent mener à une rétention des nouveaux enseignants vivement souhaité. Ce sont deux sujets qui ont été l’objet de recherches ou d’écrits, mais traités souvent séparément et concernant des enseignants en général, dans des cas où ces sujets étaient traités par rapport au domaine enseignant (Schlanger, 1997; Vial, 1987; Raymond, 1974; Duchesne, 2004; Guillemette, 2005; Akoulouze, 1982). Il est peut être temps de s’intéresser à nouveau à cette notion et de la remettre à l’ordre du jour en enseignement.
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Entre bien-être, compétence et plaisir au travail : la situation de la profession enseignante
Stéphane Martineau
On m’a demandé d’ouvrir cette activité. Ce n’est pas une mince affaire que de lancer comme ça un événement. Il ne faut pas être un éteignoir, il ne faut pas faire peur, il faut plutôt susciter l’intérêt et inviter à la réflexion. Pas si simple quand on y pense. Les professeures Marie-Andrée Pelletier et Nancy Goyette, les organisatrices, m’ont confié cette tâche et je vais donc m’en acquitter du mieux que je peux. D’emblée, je vous avertis tout de suite, dans les prochaines minutes, je ne fournirai pas de réponses ni de solutions. Plutôt, je souhaite soulever des questions qui, je l’espère, sauront alimenter nos réflexions et nos discussions.
Le titre de ce symposium est « Être compétent pour soutenir le plaisir d'apprendre des élèves: état des connaissances dans une perspective de développement professionnel ». Ce titre en lui-même représente un programme des plus ambitieux. Compétence, plaisir d’apprendre, connaissances, développement professionnel, autant de notions qui peuvent paraître simples à prime abord mais qui sont éminemment complexes et plurivoques. C’est donc avec beaucoup de modestie que je vais vous partager ici quelques idées. Celles-ci n’ont d’autre objectif que de vous mettre en appétit pour la suite.
La profession enseignante ne se porte pas bien. On l’entend dire sur toutes les tribunes. Cela n’est donc plus à démontrer. Absentéisme, épuisement professionnel, détresse psychologique, dépression, décrochage sont autant de symptômes qui exemplifient ce profond malaise (Tardif, 2013). Et, à cela s’ajoute la pénurie d’enseignants qui augmente la pression non seulement sur le système scolaire mais aussi sur les praticiens eux-mêmes et les lieux de formation. La profession enseignante qui, ai-je besoin de le préciser, n’est d’ailleurs pas reconnue comme une vraie profession, présente donc un portrait des plus sombre. Je rappelle ici quelques éléments :
Une profession mal payée;
Une profession faiblement reconnue;
Une profession affligée d’un haut taux de décrochage;
Une profession où l’on vit beaucoup de souffrance;
Une profession au faible pouvoir sur sa formation;
Une profession au faible pouvoir sur le système d’éducation;
Une profession où l’insertion professionnelle est longue et souvent difficile;
Une profession grandement précaire (plus de 40 % des enseignants le sont);
Une profession dont la pratique s’est complexifiée sans que le soutien suive;
Pas de quoi donner le goût de s’y investir. Dans ce contexte, il est quelque peu incongru de demander aux enseignants qu’ils soutiennent le plaisir d’apprendre (comme l’exige le nouveau référentiel de compétences pour la formation), eux qui semblent avoir de moins en moins d’espace pour cultiver le plaisir d’enseigner (Lantheaume et Hélou, 2008).
Néanmoins, nous savons que la majorité des enseignants réussissent encore à trouver des moments de bien-être et de bonheur dans leur travail (Goyette, 2022). Cependant, ces occasions de satisfaction apparaissent de plus en plus comme des instants volés à la logique mortifère du travail (Maranda et Viviers, 2011).
Or, qui dit bien-être, pense immédiatement à un ressenti personnel. Et, rien de plus évanescent que le ressenti. Le ressenti est labile, changeant, éphémère. Comment tabler sur lui ? Pourtant, son importance est cruciale au travail. Il y a donc ici pour les chercheurs en éducation soucieux de la profession un enjeu certain : comment définir le bien-être de manière suffisamment objective pour que des critères de son appréciation soient utilisables ? Quels outils méthodologiques sont les plus appropriés pour l’appréhender ? Quels cadres théoriques sont les plus pertinents pour le comprendre ? Ces cadres doivent-ils exclusivement se référer à la psychologie ? Et, concurremment, est-il possible de former au bien-être, si oui, à quelles conditions et selon quelles modalités ?
Si le bien-être se vit et se ressent individuellement, il n’en est pas moins quelque chose qui s’appuie sur un contexte collectif. Les apports de la recherche doivent donc tenir compte de cette dimension collective du bien-être, sachant que les solutions à long terme passent nécessairement par des transformations en profondeur des conditions de travail des enseignants. Bref, la question du bien- être pose un défi aux chercheurs et je suis persuadé que les présentations qui suivront vont nous apporter des pistes de réponses et d’interventions fort intéressantes. Continuons !
Être compétent nous dit le titre de ce symposium. Vaste programme quand on parle d’enseignement ! On le sait, pour enseigner, il faut posséder et maîtriser de multiples compétences : planifier, gérer sa classe, connaître la matière et j’en passe. Mais, ce qu’on oublie trop souvent de dire et de prendre en compte c’est que la compétence n’est pas qu’une question individuelle. Être compétent est une question tout autant collective associée directement à l’environnement de travail. Je ne peux être pleinement compétent si mon environnement de travail ne me donne pas les occasions et les outils pour l’être. Or, justement, nos écoles actuelles sont-elles des environnements de travail qui favorisent et soutiennent la compétence du personnel enseignant ? Comment peut-on être compétent dans le contexte et la structure de travail actuels en éducation ? Par exemple, on sait que les classes dites régulières comportent une proportion élevée d’élèves à besoins particuliers et que cela représente un défi énorme pour les enseignants. Comment être compétent dans ces conditions ? Est-il possible de surmonter les difficultés immenses que cette situation pose à tous ? Si oui, à quelles conditions ?
Revenons au titre de ce symposium. À la question de la compétence dans l’intitulé de notre événement se joint celle du plaisir d’apprendre des élèves. Ce faisant, les deux professeures responsables de cet événement attirent notre attention sur le fait que le bien-être de l’enseignant ne saurait se faire au détriment de celui des élèves. Il y a là, à mon avis, quelque chose comme des balises éthiques. Penser le bien-être en enseignement c’est nécessairement le penser en rapport direct avec la mission éducative des enseignants et le bien-être des élèves. Comme nous le rappelaient Tardif et Lessard (1999) il y a de cela presque 25 ans, le rapport à l’élève est le vecteur central du travail enseignant, la source de ses plus grandes joies, comme de ses plus intenses souffrances. On mesure ainsi toute la complexité du lien entre le bien-être de l’enseignant et le rapport aux élèves. Comment ressentir du bien-être quand les conditions de travail ne nous permettent pas de répondre aux besoins des élèves ou quand ces besoins sont si grands qu’on se sent dépassé par la tâche ? Comment établir un climat de classe propice au bien- être et à l’apprentissage quand de très nombreux élèves nécessitent des interventions ciblées et constantes ? Surtout, en tant qu’enseignant, comment ne pas y laisser sa santé ? Autant de questions qui interpellent les enseignants, les milieux scolaires et, bien entendu, les chercheurs.
Ceci nous conduit à la question du développement professionnel. Thème qui a fait couler beaucoup d’encre parmi les chercheurs en éducation. Se développer professionnellement ne peut se faire sans bien-être. Celui-ci est en quelque sorte à la fois le point de départ et le point d’arrivée du développement. Si le mal-être est trop grand, il n’y a pas de place pour une démarche de développement professionnel. Je suis alors dans la survie, dans la souffrance ou encore dans le décrochage. S’engager dans une démarche de développement professionnel nécessite donc au minimum de ressentir un certain bien-être au travail ou, à tout le moins, de conserver l’espoir d’en ressentir un jour. Si un minimum de bien-être est nécessaire pour s’engager dans une démarche de développement professionnel, ce bien-être, dans une certaine mesure, doit être nourri du doute, du sentiment que quelque chose nous manque mais aussi que ce doute peut être levé, que le manque peut être comblé, donc que l’on peut s’améliorer et améliorer sa situation. Ainsi, le développement professionnel n’est possible que lorsqu’on se sait (ou se croit) en possession de marges de manœuvre, que l’on a de bonnes raisons de croire que notre action pourra faire la différence, que ça en vaut la peine, bref que tout n’est pas joué. Actuellement, dans le contexte pénible que la profession traverse, c’est peut-être cela qui est le plus difficile à conserver : le sentiment qu’il est encore possible de faire quelque chose sans y laisser sa peau. Bien des questions se posent alors : Comment soutenir le développement professionnel ? Plus spécifiquement, comment le faire en dépit du contexte difficile dans lequel nous sommes plongés ? Comment concilier développement professionnel et développement du bien-être en enseignement ? Et, quelles sont les limites et les possibilités du soutien au développement professionnel offert par les formateurs universitaires ? Autant de questions – et on pourrait en relever bien d’autres – qui méritent l’attention soutenue des spécialistes des sciences de l’éducation que nous sommes.
Un dernier mot avant de clore ma présentation. Si enseigner est une profession difficile, peut-être plus difficile que jamais, si cela exige du professionnel un investissement de tout son être (car on ne peut bien enseigner à distance de soi), on doit alors s’interroger sur la préparation non seulement didactique, psychopédagogique et disciplinaire des enseignants mais aussi sur leur préparation éthique et psychologique. À cet égard, les formations universitaires font-elles ce qui devrait être fait ? Au-delà des compétences à maîtriser, y a-t-il une manière d’être enseignant, un ethos auraient dit les Grecs anciens, ethos que l’on peut revêtir comme une seconde peau qui permettrait de mieux faire face aux tempêtes? Une chose est certaine, ce n’est pas en raccourcissant la formation à l’enseignement que l’on préparera mieux à l’exercice de cette profession si complexe.
En terminant, je souhaite insister sur la conjonction étroite entre les aspects que j’ai brièvement évoqués ici : bien-être, compétence, plaisir d’apprendre des élèves, développement professionnel, ethos. Travailler sur l’un de ces aspects ne peut se faire sans toucher – d’une manière ou d’une autre – aux autres éléments. C’est donc dire que les pistes de solution ne sont pas simples et que les modalités de soutien ne peuvent reposer sur des recettes toutes faites et applicables universellement. Le contexte réel de travail ne peut pas ne pas être pris en compte, la situation spécifique de cet ou ces enseignants-là dans cette ou ces écoles-là ne peut pas être négligée. Bref, un programme de recherche qui investigue la problématique de ce qu’est « Être compétent pour soutenir le plaisir d'apprendre des élèves dans une perspective de développement professionnel » devrait, à mon sens, reposer sur des recherches situées, soucieuses des réalités du terrain et à l’écoute des besoins des enseignants, mêlant production de connaissances et interventions formatives, mobilisant des méthodologies et des cadres théoriques multiples et flexibles, qui refusent la solution facile, simpliste et trompeuse des données probantes, en somme, des recherches qui évitent le prêt à penser.
Merci de votre attention et bon symposium
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10e Colloque international de l’éducation, Montréal, 4 et 5 mai 2023, Symposium du jeudi 4 mai 2023 en après-midi
Organisatrices :
Marie-Andrée Pelletier, Ph. D., professeure et chercheuse en sciences de l'éducation, TÉLUQ
Nancy Goyette, Ph. D., professeure et chercheuse en psychopédagogie du bienêtre, UQTR
Titre du symposium :
Être compétent pour soutenir le plaisir d'apprendre des élèves: état des connaissances dans une perspective de développement professionnel.
Présentation de l’événement :
Au Québec, le référentiel des compétences professionnelles à l’enseignement stipule que les enseignants doivent soutenir le plaisir d’apprendre chez les élèves (MEQ, 2020). Cette nouvelle compétence mérite de se questionner sur les moyens à entreprendre pour que ces derniers puissent y parvenir. La profession relève d'une complexité qui dépasse largement des savoir-faire relatifs à l'acte d'enseigner, ce qui a un effet délétère sur leur santé psychologique. Cette compétence est liée à leur développement professionnel puisque soutenir le plaisir d’apprendre nécessite une capacité à interagir positivement avec les élèves et à choisir des pratiques pédagogiques innovantes pour le faire. Dans un contexte où plusieurs enseignants vivent des situations difficiles, comment peuvent-ils enseigner et ressentir du bienêtre au travail ? Quels dispositifs de formation déployer pour que les enseignants puissent se développer professionnellement en prenant conscience des éléments qui soutiennent leur santé psychologique au bénéfice des élèves ? Ce symposium fait état de récentes recherches qui se sont spécifiquement intéressées au développement professionnel des enseignants et aux différents aspects qui leur permettent de ressentir du bienêtre dans la profession. Il sera notamment question d’explorer les dispositifs de formation initiale et continue pour les soutenir dans le développement de cette compétence professionnelle.