Qu’est-ce qu’un programme ?
Une
des actions politiques les plus importantes sur la chose scolaire est
l’élaboration des programmes. Cet objet, en tant que concept, a donné lieu à de
nombreuses définitions. Notre propos n’est pas ici de clore le débat, loin de
là, mais, plus modestement, de spécifier la conception qui est la nôtre.
Un
programme est essentiellement un plan d’action didactique et pédagogique. Il
est le résultat de délibérations sur ce qui est souhaitable d’enseigner pour
chaque groupe d’âge. Concevoir les programmes scolaires comme le résultat de la
délibération entre les acteurs sociaux (personnels politiques, fonctionnaires
du ministère de l’éducation, enseignants, chercheurs universitaires, groupes de
pression, mouvements citoyens, etc.) permet d’en faire ressortir la dimension
politique ainsi que de les ancrer dans le contexte social, culturel et
économique dans lequel ils prennent place.
Ajoutons
que, dans notre conception, le programme comprend trois classes d’objets
significatifs. Les objets sociaux qui comprennent tous les acteurs impliqués de
prêt ou de loin par le programme. Les objets culturels qui renvoient aux
contenus des programmes et aux modalités de leur enseignement. Les objets
matériels qui réfèrent aux équipement et aux outils utiles à l’enseignement des
programmes (par exemple, les manuels scolaires). Depover et Noël (2005), en
parlant plutôt de curriculum que de programme (ce qui est plus englobant), présentent
un découpage quelque peu différent illustré dans le tableau suivant.
Niveaux de décisions
|
Formulation
|
Supports de
communication
|
Destinataires
|
Politique
éducative (formelle)
|
Finalités
|
Déclarations
d’intentions
|
Tous
les citoyens
|
Gestion
de l’éducation
|
Compétences
générales
|
Référentiel
de compétences ou de formation
Profil
de sortie
|
Personnels
administratifs, professionnels, enseignants
|
Réalisation
quotidienne de l’action éducative (niveau technique)
|
Compétences
spécifiques ou objectifs
|
Programme
d’études
|
Enseignants
|
Tableau
1 représentant les trois niveaux de définition du curriculum,
adapté de Depover et Noël (2005).
Ce
qui doit surtout être retenu de ce qui précède c’est à la fois la complexité de
l’objet et la nécessaire implication de plusieurs acteurs aux pouvoirs
différents et asymétriques.
Élaborer un programme
L’élaboration
d’un programme est un processus politique qui vise notamment à établir une
norme en matière de connaissances (Forquin, 2008). Cette norme n’est que très
imparfaitement basée sur des savoirs savants. Par ailleurs, au Québec, la
démarche prise par le ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport pour
élaborer les programmes scolaires a été passablement opaque. En fait, il ne
semble pas exister de procédure systématique et validée président à la
préparation d’un programme scolaire. Ainsi, à la fin des années 1990 et au
début des années 2000, les comités chargés d’élaborer les programmes
travaillèrent dans une relative approximation à partir de consignes très
générales. Ce flou a prévalu à la construction des programmes par compétences
où les acteurs impliqués se sont simplement fait dire d’oublier les anciens
programmes par objectifs et de ne pas reproduire ce qui se fait ailleurs
(Laurin, 2004).
Politique et réforme éducative
Depuis
l’amorce de la Révolution tranquille en 1960 avec l’élection du gouvernement du
parti libéral dirigé par Jean Lesage, le Québec a connu une pléthore de
politiques, de règlements, de réformes en éducation (Charland, 2005 ; Proulx,
2009) lesquelles ont profondément transformé les structures administratives,
les programmes scolaires et la formation des enseignants et leurs conditions de
travail (Lessard et Tardif, 1996 et 2003 ; Tardif et Lessard, 1999 ; Tardif,
2013). Rappelons ici quelques grandes dates. En 1964 débute les travaux de la
Commission royale d’enquête sur l’enseignement dans la Province de Québec d’où
sortira de fameux Rapport Parent publié en cinq tomes en 1966. Ce rapport
sonnait le glas de l’ancien système d’éducation ce qui conduisit à la mise en
place du système actuel (Després-Poirier, 1999 ; Lemieux, 1999). En 1975, fut
publié le Livre blanc : L’École québécoise. Énoncé de politique et plan
d’action. Il amorçait le passage des programmes – cadres (qui
avaient vus le jour à la suite du Rapport Parent) lesquels accordaient une
grande autonomie aux enseignants et aux commissions scolaires, à des programmes
dits par objectifs, plus précis et détaillés, et encadrant davantage le travail
des enseignants. Ce livre blanc mettait aussi de l’avant
une volonté de
«centralisation des programmes», appelait les enseignants
et les parents à bâtir un projet éducatif spécifique
pour leur école et recommandait l’instauration de politiques d’aide et
d’éducation appropriées pour les élèves en difficulté et pour ceux issus de
milieux défavorisés. Dans les années 1980, ce sont une trentaine de programmes
par objectifs qui sont élaborés et implantés. En 1994, deux avis importants
furent publiés : cela du Conseil supérieur de l’éducation Rénover le curriculum du primaire et du
secondaire et le Rapport Corbo
Préparer les jeunes au 21e siècle. Deux ans plus tard, en 1996, ce fut au
tour du Rapport de la Commission des états généraux sur l’Éducation de voir le
jour aboutissement d’une vaste consultation de la population. L’année suivante
sous la gouverne de la ministre de l’éducation de l’époque, Pauline Marois, un
document capital est publié : L’école,
tout un programme : énoncé de politique éducative. Ce document amorce
la vaste réforme des programmes scolaires qui seront structurés non plus autour
d’objectifs mais de compétences. Cette réforme en profondeur commença d’abord
au niveau primaire, à l’aube des années 2000 et se poursuivit en 2004 au
secondaire avec la publication du Programme
de formation de l’école québécoise pour le secondaire. Depuis ce temps,
souvent à la suite de multiples controverses, de nombreux ajustements ont été
faits à ce qui est devenu coutume de nomme « la réforme », ajustements qui
n’ont pas uniquement portés sur les programmes scolaires mais ont touchés des
aspects administratifs et pédagogiques.
On
l’aura compris, l’éducation est une entreprise éminemment normative. C’est par
le truchement des programmes et de la formation des enseignants que cette
entreprise se concrétise. Dans le cas des programmes, ceux-ci mettent en scène
tout un ensemble d’acteurs directement concernés par l’éducation (Laurin,
2004). Parmi eux, on compte bien entendu les chercheurs et formateurs
universitaires (par conséquent, les didacticiens). Mais ces derniers ne sont
pas au cœur du processus de réforme d’un programme. Au Québec c’est au
ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport que revient la responsabilité
de l’élaboration et de l’implantation des réformes. La dernière réforme
majeure, celle réalisée autour du programme d’études de l’école québécoise et
initiée au début des années 2000, a fait l’objet de nombreuses critiques non
seulement en ce qui concerne les contenus des programmes mais aussi en ce qui a
trait au processus d’implantation (Vincent, 2004). Ces critiques sont venues de
partout, des médias, des syndicats d’enseignants, des associations
professionnelles ou de parents, des universitaires. Or, force est de constater
que le poids des didacticiens dans l’élaboration des programmes et le pilotage
de leur implantation fut bien mimine.
En
tant que résultat de négociation entre acteurs divers, les programmes ne
relèvent que très partiellement de la logique scientifique qui prévaut chez les
universitaires. On le sait, le projet des universitaires (par conséquent, des
didacticiens) en est un de production de connaissances et de critique de la «
réalité ». Dans le cas d’un programme scolaire, cette posture repose sur une
capacité de distanciation par rapport à celui-ci. Les autres acteurs impliqués
dans une réforme de programme ne répondent pas nécessairement (ou
prioritairement) à cette logique. Ainsi, les enseignants se mobilisent surtout
autour des enjeux de la réforme pour leurs pratiques professionnelles pendant
que de son côté le projet de l’État est de répondre à une logique
sociopolitique axée sur la cohérence et la cohésion du système (Vincent, 2004).
En
fait, dès le début de la réforme des programmes au Québec, les universitaires
se sont vus confinés à un rôle de second ordre (Vincent, 2004). Dans les
circonstances, pas étonnant qu’il ait été souligné fréquemment que les
programmes comportaient de nombreuses lacunes au plan de leurs assises
scientifiques (Bissonnette, Richard, Gauthier, 2005).
Références
Bissonnette, S.,
Richard, M., Gauthier, C. (2005). Échec
scolaire et réforme éducative. Quand les solutions proposées deviennent la
source des problèmes. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Charland,
J.-P. (2005). Histoire de l’éducation au
Québec. De l’ombre du clocher à l’économie du savoir. Montréal : Erpi.
Depover, C. et
Noël, B. (2005). Le curriculum et ses
logiques. Une approche contextualisée pour analyser les réformes et les
politiques éducatives. Paris : L’Harmattan.
Després-Poirier,
M. (1999). Le système de l’éducation du
Québec. 3e édition. Avec la collaboration de Philippe Dupuis.
Montréal : Gaëtan Morin.
Forquin,
J.-C. (2008). Sociologie du Curriculum. Rennes :
Presses universitaires de Rennes, coll. « Paideia ».
Laurin, S. (2004).
La dynamique de construction d’un programme. Le cas de la géographie au Québec
(1998-2001). Dans P. Jonnaert et A. M’Batika (dir.) Les réformes curriculaires. Regards croisés, Québec : Presses
de l’Université du Québec, p. 229-253.
Lemieux, A.
(dir.). (1999). L’organisation de
l’enseignement au Québec. Manuel de références pour la profession enseignante.
Montréal : Éditions Nouvelles.
Lessard, C.,
Tardif, M. (2003). Les identités
enseignantes. Analyse de facteurs de différenciation du corps enseignant
québécois1960-1990. Sherbrooke : Éditions du CRP.
Lessard, C.,
Tardif, M. (1996). La profession
enseignante au Québec 1945-1990. Histoire, structures, système. Montréal :
Les Presses de l’Université de Montréal.
Proulx,
J.-P. (2009). Le système éducatif du
Québec. De la maternelle à l’université. Avec la collaboration de J.-P.
Charland. Montréal : Chenelière.
Tardif, M.
(2013). La condition enseignante au
Québec du XIXe au XXIe siècle. Une histoire cousue de fils rouges. Précarité,
injustice et déclin de l’école publique. Québec : Les Presses de
l’Université Laval.
Tardif, M,
Lessard, C. (1999). Le travail enseignant
au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les
professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de
l’Université Laval.
Vincent, S.
(2004). Les discours sur la réforme éducative au Québec. Une mise en débat des
postures spécifiques des différents acteurs concernés par les savoirs en
éducation. Dans P. Jonnaert et A. M’Batika (dir.) Les réformes curriculaires. Regards croisés, Québec : Presses
de l’Université du Québec, p. 201-227.