Note de lecture
Référence
électronique :
Francis Grossmann,
Agnès Tutin et Pedro Paulo Garcia Da Silva, « Filiation et transfert d’objets
scientifiques dans les écrits de recherche », Pratiques [En ligne],
143-144 | 2009, mis en ligne le 19 juin 2014, URL : http://pratiques.revues.org/1447
La notion de filiation scientifique :
« Parler de filiation
scientifique conduit à établir l’existence d’une lignée, s’établissant sur
la base d’affinités ou de courants plus ou moins institutionnalisés, et qui
incluent un auteur dans une communauté. » (p. 187)
« Le marquage de
la filiation s’effectue en référence à un paradigme épistémologique ou à un
courant de pensée (l’intuitionnisme, le constructivisme, le behaviorisme,
etc.), un domaine scientifique pré-construit, qui peut avoir des frontières
plus ou moins larges (la linguistique de l’énonciation, la psychologie
cognitive, les neurosciences, etc.). Elle peut aussi renvoyer à un
auteur particulier, ou à un groupe – équipe de recherche, école de pensée –,
avec lesquels le chercheur a des affinités, ou auquel il emprunte tout ou
partie de son cadre théorique ou de la démarche méthodologique mise en oeuvre.
» (p. 187)
« Dans notre
approche, la notion de filiation est limitée aux cas bien précis dans lesquels
l’auteur du texte scientifique, en se référant à un auteur, ou à un courant théorique,
ou encore à une école de pensée fortement attachée à un auteur ou groupe
exprime explicitement à leur égard une forme de dette intellectuelle.» (p. 188)
Son importance :
« Pour
l’apprenti-chercheur, il s’agit là d’un aspect important, parce que
l’explicitation de la filiation le conduit à mieux cerner sa propre identité de
chercheur. » (p. 187)
Fait à noter au
sujet des doctorants :
« Dans un travail
antérieur (Rinck, Boch & Grossmann, 2007), nous avons pu montrer que les
doctorants se réfèrent moins que les auteurs confirmés à différents points de
vue, mobilisent moins de noms d’auteur, et se réfèrent moins à des courants
particuliers, étiquetés sous des formes telles que le structuralisme,
les fonctionnalistes, etc. Ce déficit s’explique principalement par la
difficulté qu’éprouvent les nouveaux entrants dans le champ académique à
trouver les moyens d’une véritable affiliation, permettant leur propre
positionnement. » (p. 187)
Objet d’analyse
des auteurs :
« Nous nous
intéresserons donc quant à nous préférentiellement au geste d’inscription
explicite, à la fois pour des raisons pratiques (limité généralement au cadre
de l’énoncé, il est plus facile à repérer), et pour des raisons théoriques (en
tant qu’acte assumé il nous semble plus significatif, et il engage un
positionnement plus net). Il reste qu’il serait également très intéressant
d’étudier la forme implicite, qui est sans doute maniée plus habilement par les
experts. » (p. 189)
Méthodologie
utilisée par les auteurs :
« La manifestation
de la forme explicite de la filiation scientifique et des transferts de
connaissance dans les articles scientifiques présuppose les quatre catégories
suivantes :
- La place
énonciative correspondant à la figure de l’auteur, producteur de contenu
scientifique, dont on peut observer les traces énonciatives à travers les
indices personnels (nous, je, on...) et/ou des substituts
lexicaux de l’auteur (notre/mon/ce travail, article, approche...)
;
- Un processus
d’appropriation/reprise qui se traduit lexicalement à travers des expressions
verbales telles que se situer dans (la lignée de), utiliser, mobiliser, reprendre,
recourir à, se référer à, prolonger ; ou se marque par des locutions
prépositives : à la suite de X.
-
L'
« objet » scientifique repris : modèle,
idée, définition, concept, terme, théorie,
méthodologie...
- L’auteur convoqué
ou ses substituts (école, approche, etc.), à qui est parfois prêté, mais
pas obligatoirement (5) un certain contenu énonciatif.» (p. 189)
Corpus de textes
analysés
:
« Notre corpus,
issu du corpus KIAP, se compose d’un sous-corpus de 50 articles en linguistique
(286.000 mots) et d’un sous-corpus de 50 articles en économie (374.500 mots).
Le corpus de linguistique est constitué d’articles de linguistique générale et
de sémantique, tirés des revues suivantes : Langue Française (13
articles de 2001–2002), Marges Linguistiques (2 articles de 2001), Revue
de Sémantique et Pragmatique (17 articles de 1999–2001), Travaux
de Linguistique (18 articles de 2001–2002). Le corpus d’économie se
décompose de la façon suivante : Annales d’Économie et de Statistique (34
articles de 1998 à 2001), Économie Appliquée (7 articles de 2000 et de
2001), Revue Économique (9 articles de 2000 et 2001). Le corpus
d’économie est formé de revues également plutôt généralistes, et bien connues
dans le domaine francophone, les revues les plus prestigieuses en économie
étant toutes anglophones. » (p. 189-190)
Résultats :
Différences selon
les disciplines…
« Nous avons
rencontré 60 occurrences de la filiation et du transfert dans le sous-corpus
d’articles en économie et 30 occurrences dans le sous-corpus de linguistique.
Ce résultat indique une différence de portée du phénomène dans ces deux
disciplines, nettement plus représenté dans le sous-corpus d’économie […] ».
(p. 190)
Prépondérance du
on et du nous…
« C’est pour
l’auteur producteur de contenu scientifique que la variété des formes est la plus
limitée. Dans cette catégorie, on observe la forte prépondérance des on
et nous, et bien plus rarement je. » (p. 190)
Marquage et
instanciation…
« Notons que le
marquage de la filiation peut se passer des formes on ou nous (voire
je) en se référant plus directement à l’article scientifique donné à
lire (par exemple : cet article s’inscrit dans la théorie de X).
D’après nos observations en corpus, ce cas de figure n’est cependant pas
si fréquent, et apparaît moins que les formes correspondantes avec on
et nous ou avec des groupes nominaux accompagnés de
possessifs qui renvoient à l’auteur (ou aux auteurs) comme dans notre
approche. L’article lui-même est souvent instancié grâce à des
déictiques comme ici. Ainsi, en (2), (3) et (4) l’auteur est représenté
par on ou par nous mais une localisation s’effectue grâce au
terme ici. » (p. 190)
Argument
d’autorité…
« Il faut rappeler
que l’argument d’autorité continue à avoir une certaine importance, dans les
sciences contemporaines, si l’on considère le caractère cumulatif du travail
scientifique: puisqu’il faut s’appuyer sur les travaux antérieurs, les critères
de reconnaissance académique et l’autorité des publications reconnues
continuent, généralement à bon droit, de justifier l’appui sur les pairs et les
prédécesseurs. Cependant la place principale est donnée, en principe, aux
appuis empiriques, et ce dans tous les domaines de la connaissance, ce qui
invalide le procédé par lequel certains étudiants et néophytes dans la
recherche l’utilisent comme une « roue des secours » permettant de pallier un
manquement empirique. » (p. 192)
Remarque
personnelle sur le texte :
En somme, ce que
le texte fait ressortir c’est que, bien qu’ayant des points communs, les
pratiques sont spécifiques aux disciplines.