Depuis longtemps, un vieux fantasme poursuit les sciences de l'éducation : trouver LA méthode pédagogique infaillible.
Ce projet était présent chez les pédagogues du XVII siècle et resurgit périodiquement.
Aujourd'hui, il loge dans l'adhésion tous azimuts aux données probantes.
Si ces dernières sont utiles pour identifier les pratiques pédagogiques qui sembleraient avoir le plus d'effet sur l'apprentissage des élèves, y adhérer comme à un dogme religieux paraît pour le moins suspect - surtout venant de gens qui se réclament exclusivement de la (bonne) science.
Assurément, les recherches expérimentales - celles qui comparent les pratiques en classe - sont souvent solides et leurs résultats pertinents. Elles peuvent en cela inspirer et guider les acteurs. On ne peut donc que souhaiter leur diffusion.
Le danger réside ailleurs.
Il réside dans la tentation de s'y référer exclusivement en faisant fi de la nature du travail enseignant, une occupation professionnelle qui « s'exerce sur et avec l'humain » et dont les actions se prêtent plutôt mal à une standardisation. Le travail enseignant, comme le souligne Tardif et Lessard (1999), est non seulement complexe mais il est situé; un enseignant spécifique, des élèves spécifiques, une classe spécifique, une école spécifique, une culture d'établissement spécifique. Est-ce à dire qu'aucune généralisation de données ne peut se faire, certes non. Cependant, la prudence est toujours de mise. Avant de proposer une standardisation des pratiques, il faut se demander quel effet cela pourrait avoir au-delà des questions d'apprentissage des élèves (sans compter qu'il faut se demander quelle culture de l'apprentissage on va ainsi mettre en place); par exemple, cela peut-il nuire à la motivation des enseignants ? à la reconnaissance de leur expertise ? est-ce certain que les recherches expérimentales faites dans d'autres pays, dans d'autres cultures et d'autres systèmes d'éducation peuvent s'appliquer dans son propre contexte éducatif ? Etc... Par ailleurs, il ne faut jamais oublier que les concepts comme excellence, réussite, efficacité ne sont pas des « objets » qui existent au même titre que le soleil ou la lune.
Comme le disait naguère Develay (2001), les sciences de l'éducation sont nécessairement au prise avec le vrai, le juste et le faisable. Le vrai n'est pas nécessaire juste, le juste n'est pas nécessairement faisable, etc.
Références :
Develay, M. (2001). Propos sur les sciences de l’éducation. Réflexions épistémologiques. Paris : ESF.
Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l'étude du travail dans les métiers et les professions d'interactions humaines. Québec : Les Presses de l'Université Laval.
Il ne s'agit ps d'une adhésion religieuse aux données probantes, tu le sais bien cher Stéphane. Comme tu le sais aussi, Il est difficile, dans les sciences humaines et sociales, de construire une connaissance scientifique à moins de consentir à des dispositifs qui permettent aux chercheurs, en tous cas à ceux qui tirent des théories à partir des données quantitatives ou qualitatives, de considérer ces dernières comme extérieures à leurs préconceptions. D'où le recours à des protocoles expérimentaux, quasi-expérimentaux, en tous cas à des comparaisons d'événements commensurables. Et ce ne sont pas les limites et, dans certaines situations, l'impossibilité de recourir à de tels protocoles, qui justifie leur rejet et leur ignorance. Leur rejet pur et simple comme on le constate aussi chez certains socio constructivistes est aussi de l'ordre de la religion. Par ailleurs, en tant qu'universitaires formés dans un ou deux disciplines et dans certaines institutions valorisant certaines orientations théoriques, nous sommes tous, qu'on le veuille ou non, les hérauts de certains points de vue sur la manière de définir le vrai, le juste et le faisable... Dès lors, sans être relativistes, il ne sert pas à l'avancement de la connaissance et de la culture de simplement rejeter les points de vue discordants : vive le vrai débat intellectuel.
RépondreSupprimerÀ propos de fantasme, ce que tu décris n'en est pas un au sens psychanalytique ou psychologique du mot; c'est une «fiction dirigeante» : un projet, un idéal, qui sert de guide et qui mobilise l'énergie, les efforts, les ressources, sans être certain qu'il puisse un jour être atteint. Bien des projets scientifiques et techniques sont de cet ordre, comme une grande partie de l'astronomie, de la médecine, de la physique, etc.
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