Ce texte s’inspire très largement de l'ouvrage suivant : Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de l’Université Laval. Je l'ai rédigé originellement au début des années 2000 pour servir de notes de cours pour un séminaire de 2e cycle à l'université.
1- CADRE GÉNÉRAL D’ANALYSE
1.1 Point d’entrée de la recherche
Penser le travail enseignant à partir des conditions concrètes d’exercice des praticiens et non pas à partir d’une représentation idéalisée et normative de ce que devrait être l’enseignement.
1.2 Le travail enseignant
Il apparaît
comme un travail à la fois :
-
codifié;
-
flou;
-
composite;
-
complexe.
Le travail
enseignant se structure autour de dimensions :
-
de
stabilité;
-
de
contingence;
-
en
contradiction.
C’est
une profession aussi de contraintes (Durand, 1996) lesquelles se retrouvent
notamment dans :
• Les textes officiels qui déterminent les
buts du système et des ordres d'enseignement.
• Les programmes organisés en disciplines
hiérarchisées.
• Le temps est prévu par discipline.
• La durée d'une année scolaire (+ ou - 10
mois).
• La présence obligatoire des élèves.
• La classe comme espace géographique fermé.
• La classe comme regroupement d'enfants de
même niveau.
L’enseignement
est également une profession où les enseignants vivent des tensions intrinsèques
à l’exercice professionnel (Perrenoud, 1996) Ces tensions sont entre
autres :
• Privilégier les besoin de tel individu ou
du groupe?
• Respecter l'identité de chacun ou la
transformer?
• Hiérarchiser ou annuler les différences?
• S'impliquer personnellement ou rester
neutre?
• Imposer pour être plus efficace ou négocier
longuement quitte à ne pouvoir faire que partiellement?
• Sacrifier l'avenir ou le présent?
• Mettre l'accent sur les savoirs ou sur la
socialisation?
• Mettre l'accent sur la structuration de la
pensée ou sur l'expression et la créativité?
• Pédagogie active ou de maîtrise?
• Aimer tous les élèves ou laisser passer ses
sympathies et antipathies?
Le travail enseignant comporte ainsi à la fois des règles et certaines procédures formalisées mais implique aussi une manière de faire personnalisée et des finalités imprécises, enfin il est une combinaison d’éléments divers, contradictoires, hétérogènes, étrangers les uns aux autres. Il s’inscrit dans un cadre balisé bien que laissant place à la contingence (Barlow, 1999).
1.3 Orientation sociologique du regard du chercheur
L’organisation du travail en milieu scolaire est une construction sociale qui prend racine dans les activités des acteurs individuels et collectifs lesquels peuvent poursuivre des intérêts qui leur sont propres. Ils sont toutefois conduits à collaborer – collaboration qui, très souvent, s’accompagne de tensions, de conflits voire d’affrontements - dans une même organisation (Tardif et Lessard, 1999).
1.4 Les dimensions du travail enseignant
1.4.1 Le travail comme activité
L’enseignement est une activité qui se déroule dans un contexte caractérisé par des contraintes inhérentes à l’interaction humaine, aux relations de pouvoir, aux types de connaissances (Gillet, 1987).
L’enseignement est par ailleurs façonné par les orientations et les techniques spécifiques à ce travail, par le rapport aux usagers, les espaces de liberté des praticiens, leurs compétences ainsi que l’environnement organisationnel.
1.4.2 Le travail comme statut
De nos jours, le statut de l’enseignant est fragile. L’enseignant doit souvent «jongler» avec des attentes contradictoires venant de plusieurs milieux (la société et les groupes d’intérêts qui s’y agitent, le MELS, la direction, les parents, les élèves, etc.).
La question du statut est étroitement liée à celle de l’identité. L’identité de l’enseignant est façonnée par les interactions qu’il entretient avec les autres acteurs scolaires. L’enseignant ne reçoit pas une identité au moment de l’obtention de son diplôme ou de celle d’un poste. Il doit plutôt aujourd’hui construire cette identité à partir de son expérience personnelle (Martineau, Gauthier, 2000).
1.4.3 Le travail comme expérience
On peut concevoir l’expérience en tant que processus d’apprentissage. En ce sens, le travail enseignant est une expérience d’apprentissage de savoirs et de construction de compétence. En ce cas, l’expérience est perçue sous l’angle cognitif et repose sur la répétition des faits.
On peut aussi concevoir l’expérience en tant que situation vécue. L’expérience est conçue ici sur la base de l’intensité et de la signification. Ce deuxième type d’expérience est essentiellement de nature identitaire.
1.5 Principales caractéristiques du travail enseignant actuellement
Selon
Tardif et Lessard (1999), les principales caractéristiques du travail
enseignants sont :
-
un
travail dont le temps est en partie extensible;
-
l’essentiel
de la tâche s’articule autour du rapport aux élèves;
-
présence
d’activités diversifiées;
-
nombreuses
tâches informelles;
-
définitions
de tâches qui sont objet d’interprétation et de négociation;
-
la
difficulté et la complexité de ce travail se sont accrues depuis quelques
décennies;
-
c’est un
travail dont l’accroissement de la tâche a entraîné une augmentation du
phénomène d’épuisement professionnel parmi les enseignants;
- enfin, l’enseignement se caractérise moins par un allongement du temps de travail que par une détérioration de la qualité de l’activité professionnelle.
2- L’ORGANISATION DU TRAVAIL ENSEIGNANT
2.1 L’école comme organisation du travail enseignant
L’école est un lieu particulier séparé en partie des autres espaces sociaux. Ce lieu est organisé autour d’une cellule de travail particulière : la classe. L’organisation cellulaire du travail enseignant a des incidences : a) solitude du praticien, b) peu de contrôle directe de la direction sur ses actes. Dans cette structure l’enseignant est responsable de l’ordre qu’il crée afin d’assurer l’apprentissage des élèves. L’ordre est ici conçu à la fois comme un donné et comme un construit. Il est donné en ce sens que certaines règles, certains statuts sont pré-déterminés par le contexte et la structure de l’institution. Il est aussi construit dans le sens où l’enseignant doit établir des règles et des modes de fonctionnement avec chaque groupe.
Cet ordre requiert ainsi la coopération des élèves, il ne peut donc être purement coercitif et autoritaire. Ainsi, l’enseignant ne possède qu’un pouvoir relatif sur son objet de travail (l’élève), lequel se distingue par sa nature collective (un groupe) et sa capacité à résister (refus de coopérer).
Le
travail enseignant est donc un travail où :
-
on est vu
et regardé par son objet de travail;
-
on ne
travaille pas sur mais avec et pour l’objet de travail (les élèves);
-
on est
responsable des personnes;
- par conséquent, l’équité du traitement y occupe une place majeure.
Enseigner
c’est en fin de compte remplir un double mandat :
-
socialiser
(acquisition et maintien de comportements conformes aux règles scolaires);
- instruire (permettre l’apprentissage des savoirs scolaires);
Enseigner
c’est faire un métier qui comporte une forte charge éthique parce qu’on
travaille avec des personnes dans un cadre où les dimensions symboliques et
interprétatives sont très élevées. On peut schématiquement distinguer
différente forme d’éthique auxquelles l’enseignant doit se plier :
-
éthique
de la relation au savoir (recherche et formation continue);
-
éthique
de la relation pédagogique (rapport enseignant-élève);
-
éthique
du service public (fonction sociale de l'école);
-
éthique
de la collégialité éducative (professionnalisme collectif);
- éthique professionnelle au sens légal du terme (code de déontologie et ordre professionnel).
Ce
type de travail prend place dans une organisation qui se caractérise de la
manière suivante (Tardif et Lessard, 1999) :
-
un double
mandat (socialiser, instruire);
-
une
organisation du temps imposée (période de cours par exemple) qui s’ajuste mal
au temps d’apprentissage requis par certains élèves);
-
des
finalités générales et ambitieuses (instruire, socialiser, qualifier par
exemple);
-
des
moyens imprécis ou même ambigus;
-
une
autonomie professionnelle du praticien;
- une organisation traversée par des tensions et des dilemmes.
2.2 De la classe au système scolaire
Il
est possible d’établir quatre niveaux où les acteurs peuvent exercer du pouvoir
dans l’organisation du travail scolaire.
-
le
pouvoir d’agir sur l’organisation du travail scolaire (le MELS par exemple);
-
le
pouvoir d’agir directement sur le poste de travail (la commission scolaire, la
direction d’école);
-
le
pouvoir de contrôler la formation et la qualification (les facultés et
départements d’éducation des universités);
- le pouvoir sur les connaissances du travail (la recherche en éducation).
L’école
est un lieu où oeuvrent divers acteurs professionnels qui exécutent des tâches
multiples et différentes. Cette organisation est hiérarchisée en ce sens que
ces divers corps d’emplois entretiennent des rapports inégalitaires. Ces cent
dernières années on a ainsi vu le travail scolaire se spécialiser et se
bureaucratiser à mesure que l’école devenait uns institution de masse. Le
travail enseignant se fait donc dans un contexte et une structure où cohabitent
au moins deux dimensions contradictoires :
-
l’autonomie;
- le contrôle.
Ce
type d’organisation se caractérise de la manière suivante :
-
les
matériaux de base de l’école sont des êtres humains;
-
la
définition des buts y est généralement problématique et ambiguë;
-
les
technologies (au sens des savoirs et des outils) utilisées par l’organisation
scolaire sont largement indéterminées;
-
le noyau
dur des activités de l’organisation scolaire est constitué des relations entre
le personnel et les «clients» donc, ici, essentiellement entre les enseignants
et les élèves;
-
ce type
d’organisation s’appuie sur un personnel professionnel;
- l’absence de mesures fiables et valides de l’efficacité et de l’efficience.
2.3 Les conditions de travail des enseignants
Les
principaux facteurs déterminant la charge de travail des enseignants
sont :
-
les
facteurs matériels et environnementaux (par exemple, les ressources financières
de la commission scolaire);
-
les
facteurs sociaux (par exemple la situation socio-économique du milieu
d’implantation de l’école);
-
les
facteurs liés à l’objet de travail (par exemple, la taille des groupes);
-
les
phénomènes résultant de l’organisation du travail (par exemple, la diversité
des tâches autres que celle d’enseigner…surveillance dans les corridors ou dans
la cour de récréation…);
-
les
exigences formelles ou bureaucratiques à accomplir (par exemple, le respect des
horaires, l’évaluation des élèves, les réunions pédagogiques);
- les stratégies des acteurs pour composer avec les facteurs énumérés ci-haut (par exemple, moment dans la carrière, représentation du rôle professionnel).
2.4 Exigences induites par l’organisation de la tâche enseignante
L’organisation
de la tâche en enseignement induit certaines exigences dont les
suivantes (Tardif et Lessard, 1999) :
-
la forte
dimension interactionnelle de la tâche;
-
la tâche
exige une bonne capacité d’adaptation;
-
la tâche
comporte un fort caractère normatif (proposition, voire imposition de valeurs
et de normes);
-
la tâche
exige une capacité à se centrer à la fois sur le groupe et sur un élève en
particulier (il s’agit d’un des dilemmes centraux de l’enseignant);
-
la tâche
se caractérise par le rôle majeur qu’y joue la structuration langagière et
symbolique des situations (enseigner c’est être en quelque sorte un «maître de
discours»);
-
la tâche
en présence des élèves en classe se caractérise par une relative instabilité
(le cadre d’une leçon n’est jamais donné mais doit toujours faire l’objet d’une
construction interactive);
-
les
tâches sont à la fois multiples et entrelacées;
- l’enseignant doit assumer une responsabilité professionnelle face à l’objet de son travail (les élèves).
3- LE PROCESSUS DU TRAVAIL ENSEIGNANT
Analyser le travail enseignant ne doit pas se faire seulement sous l’angle des structures et des contraintes inhérentes à l’organisation mais doit aussi inclure un regard plus rapproché qui tient compte des processus interactifs de réalisation même de la tâche dans l’action.
3.1 Les objectifs scolaires
Ils
sont généraux, imprécis, ouverts et non opératoires. Ils sont nombreux et
variés en nature. Ils demandent à être interprétés. Les objectifs doivent être
transformés et ajustés. Cela n’est pas sans conséquences sur le travail
enseignant.
-
les
objectifs définissent une tâche collective, complexe, temporelle aux effets
incertains et ambigus;
-
les
enseignants fonctionnent donc sur la base de finalités qui exigent d’eux qu’ils
fassent des choix, qu’ils prennent des décisions;
- La tâche s’en trouve alourdie car il faut prêter attention à de multiples finalités en même temps et interpréter ces finalités.
L’enseignant est donc obligé de se livrer à un travail herméneutique d’interprétation des finalités.
3.2 Les résultats du travail enseignant
Les résultats du travail enseignant se caractérisent par l’indétermination (on ne sait pas quel sera exactement le résultat). Le produit de l’enseignement apparaît intangible; on n’en voit pas complètement de produit fini (Gauthier, Desbiens, Malo, Martineau, Simard, 1997; Martineau, 1997).
3.3 Les programmes
Les programmes sont lourds, ils sont à la fois une contrainte dans l’action et une ressource pour agir. Le travail enseignant peut être vu comme une sorte de négociation perpétuelle entre l’idéal du programme et la réalité de la classe. L’organisation cellulaire du travail fait en sorte que les enseignants disposent d’une certaine autonomie face aux programmes. L’organisation des programmes se traduit par une hiérarchisation des matières et des enseignants qui les enseignent.
3.4 L’interprétation des finalités, des objectifs et des programmes par l’enseignant
Ce
travail d’interprétation est influencé par :
-
l’expérience
d’enseignement;
-
la
connaissance du programme;
-
la
connaissance de la matière;
-
la nature
des groupes d’élèves;
-
la
culture organisationnelle de l’école;
- les ressources disponibles (pas seulement monétaires).
Devant les finalités, les objectifs et les programmes l’enseignant n’a d’autre choix que de routiniser sa pratique tout en étant capable d’improviser (Tochon, 1993). Routinisation et improvisation sont donc deux exigences propres à la situation de travail de l’enseignant.
3.5 Conséquences de ce qui précède pour le travail enseignant
Ce
qui précède n’est pas sans conséquence pour la travail enseignant, parmi ces
conséquences, on note entre autres :
-
un écart
important entre la tâche prescrite et la tâche réelle;
-
une autonomie
du professionnel comme interprète des programmes;
-
l’analyse
et l’interprétation des programmes sont deux tâches artisanales faites par
chaque enseignant;
- les programmes ne sont pas des outils neutres et objectifs mais plutôt porteurs de visions de la connaissance et l’apprentissage devant lesquelles l’enseignant doit se situer en choisissant des modèles cognitifs du savoir et de l’apprentissage.
3.6 La relation de l’enseignant à son objet de travail
Le
travail enseignant est un travail sur l’humain. Il se distingue à la fois du
travail sur la matière et de celui sur les symboles. Travailler sur de l’humain
c’est nécessairement travailler non seulement avec ce qu’on est (la
personnalité devient une technique de travail) mais c’est aussi obligatoirement
courtiser le consentement, le persuader de la justesse de notre action pour
qu’il y participe. En outre, pour l’enseignement se pose la question du travail
auprès d’un collectif. Travailler auprès d’un collectif pose deux types de
problèmes :
-
celui de
l’équité du traitement;
- celui du contrôle du groupe.
La nature de l’objet du travail enseignant conditionne la nature du travail enseignant. De plus, le contexte actuel influe aussi sur le métier qui ne plus compter comme autrefois sur des autorités et des valeurs clairement établies. En outre, enseigner apparaît comme un travail émotionnel où le rapport aux élèves est central. En fait, ce rapport est de nature affective, il est le moteur de la motivation des enseignants. Cette relation aux élèves est extrêmement exigeante car elle se fait en direct et comporte une forte charge éthique (au sens où elle repose sur un idéal de service).
Le
métier d’enseignant est traversé de tensions et de dilemmes. Il semble même,
aux dires de bien des praticiens, que le contexte d’exercice qui prévaut
actuellement soit de plus en plus ardu qu’auparavant :
-
élèves
plus difficiles;
-
clientèles
plus hétérogènes;
-
plus
d’élèves en difficulté d’apprentissage;
- indétermination des rôles de l’enseignant.
Les
dilemmes de l’enseignement renvoient à
des enjeux cruciaux (Perrenoud, 1996) :
1)
Enjeu : autour de la prise de parole et du silence.
Dilemme : Comment contrôler la prise de
parole sans stériliser les échanges, tuer la spontanéité, le plaisir?
2)
Enjeu : autour de la justice.
Dilemme : Comment ménager une certaine
équité sans blesser les uns et faire violence aux autres, sans interférer avec
les règles du jeu social?
3)
Enjeu : autour de la norme langagière.
Dilemme : Comment respecter les formes
de la communication et de la langue sans réduire les élèves au silence ou aux
banalités prudentes?
4)
Enjeu : autour du mensonge.
Dilemme : Comment valoriser
l'expression ouverte et honnête des idées et des sentiments sans dénier aux
élèves le droit d'être des acteurs donc parfois de dissimuler et d'enjoliver?
5)
Enjeu : autour de la sphère privée.
Dilemme : Comment faire entrer la vie
dans l'école sans attenter à la sphère intime des élèves et des familles ?
Comment traiter l'élève comme une personne et l'impliquer dans des activités qui ont du sens pour lui
sans l'exposer?
6)
Enjeu : autour du conflit.
Dilemme : Comment ne pas asceptiser la
communication, la vider de toute référence à la vie et ses contradictions, aux
conflits sociaux, sans mettre les élèves et les enseignants en danger?
7)
Enjeu : autour du pouvoir pédagogique.
Dilemme : Comment ne pas euphémiser la
part du pouvoir dans la communication sans mettre en cause l'autorité du maître
? Comment donner des outils d'analyse et de négociation sans en être la
première cible ?
8)
Enjeu : autour du bavardage.
Dilemme : Comment impliquer les élèves
dans le projet principal sans les priver du droit de bavarder ? Comment trouver
l'équilibre entre le contrôle tatillon des propos et l'explosion des
conversations particulières ?
9) Enjeu : autour de l'erreur, de la rigueur et de
l'objectivité.
Dilemme : Comment faire une place aux
représentations des apprenants sans mettre en circulation des théories fausses
et leur donner crédit ? Comment autoriser chacun à dire ce qu'il croit sans
tomber dans le relativisme ou l'obscurantisme ? Comment travailler avec
l'erreur sans la légitimer?
10)
Enjeu : autour de l'efficacité et du temps didactique.
Dilemme : Comment laisser un espace à
la construction interactive des savoirs sans que la conversation aille
<<dans tous les sens>> ? Comment ne pas canaliser complètement la
communication didactique sans perdre pour autant tout fil conducteur?
11)
Enjeu : autour de la métacommunication et du sens.
Dilemme : Comment faire une place à la métacommunication et à la recherche de sens sans déstabiliser le groupe-classe et se trouver en porte-à-faux par rapport aux attentes de l'institution?
Cette
situation est probablement accentuée par le contexte actuel. Ainsi, autrefois,
il n’y avait pas de séparation entre :
l’éducation
aux savoirs;
l’éducation
du citoyen;
l’éducation
à l’esthétique;
l’éducation du sujet.
Éduquer
à l’une c’était aussi du même souffle éduquer à l’autre. Aujourd’hui, à l’image
des savoirs éclatés et des logiques d’action plurielles que l’on observe dans
nos sociétés, l’école n’est plus en mesure d’amalgamer ces 4 types d’éducation.
La recomposition semble impossible. Dans un sens, on peut dire qu’il n’y a plus
une éducation mais plutôt des éducations simultanées et parallèles quand ce
n’est pas concurrentes. Cela est
probablement encore accentué par ce qu’on peut appeler la crise du professionnalisme.
Celle-ci prend différentes
formes :
-
crise de l’expertise;
-
crise de la formation
professionnelle;
-
crise du pouvoir des
professions;
- crise de l’éthique professionnelle.
Par
conséquent, on peut dire que le rapport de l’enseignant à son objet de travail
(les élèves) se caractérise de la manière suivante :
-
la
relation enseignant / élève est tout autant enrichissante que frustrante;
-
il
n’existe pas de relation typique, uniforme et universelle des enseignants à
leurs objets (les élèves);
-
la
relation des enseignants aux élèves est marquée d’un tension au sens où elle la
principale source de satisfaction tout en étant la principale source de
difficultés;
-
la
relation aux élèves (à l’objet de travail) est aussi source de découverte de
soi comme personne et comme professionnel;
-
la
relation aux élèves véhicule des problèmes et des dilemmes qui, souvent, n’ont
pas de solution simple et infaillible;
- la relation aux élèves ne de déroulement pas dans un vide social et culturel, au contraire l’environnement social et culturel influence le contexte scolaire.
Étant donné la nature de l’objet du travail enseignant (des êtres humains), l’enseignement ne peut être réduit à une relation instrumentale de type Moyen / Fin. En réalité, les interactions en classe sont régies par des finalités diverses. Ainsi, en tant que travail hétérogène, l’enseignement donne lieu à des actions effectuées en fonction, par exemple, de buts, de normes, de traditions, d’affects, etc. Également, toujours en fonction de nature de l’objet de travail, l’enseignement comporte une très forte dimension langagière.
Plus précisément, la communication (pas seulement langagière d’ailleurs) n’apparaît pas en enseignement comme étant une dimension qui surplombe l’action éducative. On pourrait plutôt dire que la communication est l’action éducative. En effet, enseigner c’est entrer en relation avec des élèves par le biais de la communication (et dans celle-ci principalement la communication langagière).
L’objet humain du travail enseignant détermine les caractéristiques de la tâche à accomplir. L’enseignant est en face d’un objet qui est à la fois individuel et social, hétérogène, actif et capable de résistance. Dans ce cas, la relation du travailleur à son objet sera faite de rapports multidimensionnels (professionnels, personnels, juridiques, émotionnels, normatifs, etc.) et va requérir la collaboration de ce dernier. Il en découle que, même dans une situation de travail idéal, l’enseignant ne peut jamais bénéficier d’un contrôle absolu sur son objet.
Face
à un tel type de rapport à l’objet, le travailleur interactif qu’est
l’enseignant dispose d’une technologie de travail qui se caractérise comme
suit :
-
elle est
basée sur les sciences humaines et le sens commun;
-
elle est
composée de savoirs peu formalisés, pluriels et changeants;
- elle ne permet qu’un faible contrôle sur l’objet.
Les enseignants sont donc obligés de bricoler et d’improviser leurs outils. Il n’y a pas ici de «one best way». Chacun construit son style d’enseignement, ses savoirs et ses compétences propres en fonction de ses expériences de travail et de sa personnalité.
On
peut repérer trois grandes technologies dans l’interaction éducative :
-
la
coercition (elle peut être réelle, voire physique, ou symbolique);
-
l’autorité
(traditionnelle, charismatique, rationnelle);
- la persuasion (la séduction, la ruse).
Ce qui vient d’être exposé explique pourquoi il est impossible en enseignant de travailler en faisant abstraction de notre personnalité. Tout notre être est impliqué dans l’enseignement. Ce faisant, c’est travail qui peut ne pas avoir de limite car on peut toujours s’impliquer plus, s’investir d’avantage, jusqu’à en faire un burnout parfois. On peut ajouter que contrairement à bien d’autres activités professionnelles, on ne fait pas seulement que penser à son travail qu’en on est enseignant, on le porte véritablement en soi car la pensée (celle de l’enseignant) est ce qui constitue en bonne partie le travail.
Par conséquent, la dimension éthique n’est pas périphérique en enseignement. Elle est plutôt au cœur même de l’activité professionnelle.
Il
est possible ici d’identifier cinq grands types d’éthiques :
-
éthique
de la relation au savoir (qui peut prendre la forme d’une mise à jour de ses
connaissances en éducation notamment à travers la formation continue);
-
éthique
de la relation pédagogique (qui prend la forme du rapport enseignant-élève);
-
éthique
du service public (qui renvoie à la fonction sociale de l'école);
-
éthique
de la collégialité éducative (qui se manifeste sous dans le professionnalisme
collectif);
- éthique professionnelle au sens légal du terme (il s’agit ici du code de déontologie).
Certaines
conséquences découlent de ce qui précède. D’abord, l’enseignement est un
travail où la régulation se fait difficilement. La régulation est possible
lorsqu’on est en mesure d’évaluer les effets de ses actions. Or, l’évaluation
de l’action est très difficile en enseignement en raison de la nature de
“l’objet” sur lequel on travaille (l’élève) et de la nature du produit
(essentiellement l’apprentissage). De plus, le métier se caractérise par une
constante hésitation entre tout prévoir et s’adapter à la pièce. Enfin, le
métier est aussi tiraillé entre les dimensions de conception et d’exécution.
CONCLUSION
En
somme, le travail enseignant est une activité professionnelle complexe et
multiforme dont l’exercice est déterminé en bonne partie par tout un ensemble
des facteurs eux-mêmes multiformes. Ces facteurs ne sauraient être écartés lors
de l’analyse sous peine de réduire considérablement notre capacité à comprendre
réellement ce qu’est l’enseignement.
Références
Barlow, M. (1999). Le métier d'enseignant. Essai de définition. Paris : Anthropos.
Durand, M. (1996). L’enseignement en milieu scolaire. Paris : PUF.
Gauthier,
C., Desbiens, J.-F., Malo, A., Martineau, S., Simard, D. (1997). Pour une
théorie de la pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des
enseignants. Québec : Les Presses de l'Université Laval, collection
Formation et Profession.
Gillet, P. (1987). Pour une
pédagogique ou le professeur-praticien.
Martineau, S. (1997). De la base de connaissances en enseignement au savoir d’action pédagogique : construction d’un objet théorique. Thèse de doctorat. Faculté des sciences de l’éducation : Université Laval.
Martineau, S., Gauthier, C. (2000). La
place des savoirs dans la construction de l’identité professionnelle collective
des enseignants ou le paradoxe de la qualification contre la compétence. Dans Enseignant-Formateur :
la construction de l’identité professionnelle, sous la direction de C.
Gohier et C. Alin.
Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude. Paris. PUF.
Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Tochon, F.V. (1993). L’enseignant expert. Paris : Nathan.
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