Référence de la version originale de ce texte :
Martineau, S., Portelance, L., Presseau, A. (2009). La
socialisation au travail comme indicateur de développement professionnel :
analyse des approches basées sur la mesure. Revue française Questions vives, thème : Le développement professionnel : quels
indicateurs ? Coordination Jean-François Marcel, Les sciences de l’éducation en
question, Université de Provence – Aix-Marseille Université, département des
sciences de l’éducation, vol. 5, no. 11, p. 243-258.
Introduction
Notre texte se veut pour l’essentiel une analyse
de quelques aspects méthodologiques et épistémologiques des recherches sur la
socialisation professionnelle (ou organisationnelle), recherches liées au champ
du développement professionnel. Plus précisément, nous y conduisons une
réflexion critique sur les différents outils de mesure les plus utilisés en
recherche dans ce domaine. D’abord, nous esquissons une problématique de la
recherche en socialisation professionnelle et nous apportons quelques précisions
conceptuelles nécessaires en situant la question de la socialisation par
rapport au développement professionnel. Ensuite, nous spécifions nos critères
d’analyse de la littérature spécialisée. Suit alors une analyse critique des
aspects méthodologiques des recherches sur la socialisation professionnelle.
Les principales insuffisances des recherches sont identifiées - notamment au
regard des indicateurs - et des pistes de perfectionnement des outils sont
esquissées. Enfin, nous menons une brève discussion sur la pertinence
épistémologique des approches de la mesure dans l’analyse de la socialisation
professionnelle.
1. Mise en contexte
Dans le domaine de la socialisation
professionnelle (parfois nommée aussi socialisation organisationnelle) les
recherches ont connu un développement que l’on peut qualifier de paradoxal.
Ainsi, depuis trois décennies environ les chercheurs ont clairement démontré
que la socialisation professionnelle est un enjeu central pour la compétence
des acteurs en milieu de travail. Plus spécifiquement, on sait qu’en
enseignement, les milieux scolaires qui mettent sur pied des dispositifs
d’insertion professionnelle favorisent une meilleure entrée dans la carrière
enseignante et réduisent les risques de décrochage de la profession (Martineau,
Presseau & Portelance, 2009 ; Martineau & Vallerand, 2007).
Toutefois, et c’est là le paradoxe que nous signalions au début de ce texte, la
grande richesse dans l’analyse des indicateurs et des implications de la
socialisation professionnelle s’accompagne aussi de lacunes importantes tant
sur le plan de la définition du concept que sur celui de sa mesure dans la
tradition des recherches reposant sur la mesure.
La définition de la socialisation professionnelle
ne fait pas consensus. Pour certains, elle permet de maîtriser un rôle en
milieu de travail (Van Maanen & Schein, 1979). Pour d’autres la
socialisation professionnelle permet une compréhension de la culture d’une
organisation (Louis, 1980). Enfin, pour d’autres encore, elle renvoie au
phénomène d’appartenance à une organisation (Feldman, 1976). Si les définitions
abondent (et ici nous ne pouvons citer tous les auteurs consultés), on en
connaît beaucoup moins sur la nature du processus en tant que tel ; bien
qu’à cet égard les travaux de Dubar (1996) et de Dubar et Tripier (2005) ont
indiqué des pistes prometteuses. En fait, la socialisation professionnelle
apparaît comme étant un processus défini essentiellement par ses résultats
plutôt que par son fonctionnement (nous y reviendrons). Par ailleurs, les
chercheurs sont loin de s’entendre au sujet de la nature de ces résultats, de
sorte qu’un certain flou demeure.
a) Des défis pour la recherche
Revenons d’abord rapidement sur les sources des
théories de la socialisation. Très tôt deux logiques se sont fait concurrence.
D’un côté nous avons les thèses déterministes où la socialisation est
intimement liée à la perpétuation des sociétés (Bolliet & Schmitt, 2002).
Ici, le regard se porte d’abord sur la société et la socialisation est, pour
l’essentiel, un processus de transmission de la culture (Durkheim, 1967 ;
Linton, 1986 ; Rocher, 1992). D’un autre côté, on retrouve les thèses
essentiellement individualistes (Weber, 1971). Pour elles, la socialisation est
d’abord un processus de formation de la personne (Piaget, 1965). Distinguons
les succinctement (le lecteur nous pardonnera ici une schématisation trop
rapide).
Les approches holistes ou déterministes reposent
en quelque sorte, plus ou moins explicitement, sur les idées suivantes :
-
l’homme apprend
de manière essentiellement passive par intériorisation;
-
l’homme
est façonné par la société ;
-
il y a primauté de la société sur l’individu ;
-
la société impose des valeurs, des normes, des rôles qui exercent une
contrainte sur les
- individus ;
- l’action de l’individu est conditionnée
(agents de socialisation : famille, école).
En conséquence, la recherche met surtout en
évidence le conformisme aux rôles, aux valeurs, aux normes, aux attitudes.
Quant à elles, les approches plutôt
individualistes (inspirées plus ou moins de la sociologie compréhensive de
tradition wébérienne, de l’interactionnisme et de la psychologie sociale)
mettent de l’avant les éléments suivants :
-
l’homme apprend
de manière essentiellement active par appropriation personnelle;
- la société est façonnée par
l’homme ;
- il y a primauté de l’individu
sur la société ;
- les normes, les valeurs et les rôles ne sont que des possibilités offertes à l’individu qui
conserve une marge de liberté dans
l’exercice de ces rôles.
Ici, l’individu est un acteur social. Il « agit
sur » autant « qu’il est agi par » le monde social dans lequel
il évolue.
Les tentatives pour dépasser l’enfermement dans
l’une ou l’autre des deux logiques ont été nombreuses ; on pense
notamment, pour le processus général de socialisation en société, aux travaux
pionniers de Mead parus dans les années 1930 (1963). La théorie de la
structuration de Giddens en est un exemple relativement récent (2005, première
édition en français 1987). Toutefois, à l’heure actuelle, il n’existe pas
encore de théorie générale de la socialisation qui puisse réconcilier les
diverses positions (Lacaze, 2002). En cela, il s’agit, convenons-en, d’une
situation normale pour les sciences humaines et sociales où la diversité
d’approches, de théories et de paradigmes est de mise et notre texte n’a aucune
prétention de jouer un quelconque rôle rassembleur. Notre propos est
considérablement plus modeste.
Ce même clivage entre visions plutôt holistiques
ou déterministes et visions principalement individualistes se vérifie dans les
recherches plus spécifiques sur la socialisation professionnelle. Par exemple,
si certains voient la socialisation professionnelle comme un processus cognitif
d’attribution de sens (Louis, 1980), d’autres l’identifient davantage à une
stratégie organisationnelle pour « enculturer » le travailleur (Van
Maanen & Schein ; 1979). Pour leur part, Sainsaulieu (1977, 1984) et
Dubar (1996) mettent l’accent sur les interactions au travail lesquelles
seraient centrales dans la structuration de l’identité professionnelle. Ces
deux sociologues, influencés par le courant interactionniste, insistent sur le
fait que la culture organisationnelle que doit connaître le nouveau travailleur
se modifie sans cesse. Par ailleurs, leurs travaux laissent bien voir qu’au
sein d’une organisation, on retrouve différentes identités professionnelles qui
renvoient à autant de catégories de « travailleurs » différents. Par
exemple, dans une école, on n’a qu’à penser aux enseignants, aux professionnels
non enseignants (psychologues scolaires, etc.), aux membres de la direction
(Sainsaulieu, 1984 ; D’Iribarne, 1989,
1986).
Cette diversité d’approches n’est pas sans
présenter un défi. L’absence de consensus au sujet de la socialisation rend en
effet son opérationnalisation difficile. Dès 1986, Fisher fait remarquer qu’au
moment où il écrit, non seulement les recherches
sur la socialisation professionnelle ont donné lieu à un faible nombre d’études
empiriques mais, surtout, que les mesures – lorsqu’elles existent – portent sur
des indicateurs indirects. En fait, les recherches mesurent les conséquences
attendues de la socialisation professionnelle. Ces premières recherches
utilisent donc les indicateurs suivants : satisfaction, engagement,
performance. Des recherches ultérieures ont essayé de dépasser le relatif simplisme des premières études en se centrant
sur l’identification de conséquences plus directes de la socialisation
professionnelle. Elles ont donc tenté d’identifier les éléments qui devraient
être maîtrisés à l’issue du processus de socialisation au travail. Ces
recherches ont eu le mérite d’étudier le contenu même de la socialisation et
d’établir des indicateurs spécifiques au concept. D’autres recherches encore,
en privilégiant une analyse du processus même de la socialisation professionnelle,
ont défini différents stades que le travailleur traverse durant sa
socialisation professionnelle. Nous y reviendrons plus loin.
b. Quelques définitions du concept
Bien des chercheurs se sont penchés sur cette
question de la socialisation professionnelle en particulier dans divers corps
d’emploi allant des enseignants aux entraîneurs sportifs en passant par les
gardiens de prison. Ces chercheurs ont alors proposé différentes définitions de
la socialisation professionnelle. À titre indicatif voyons-en brièvement
quelques unes.
Selon Dixon
(2005, 14): « Professionnal socialization is a continous process of
adaptation to and personalization of one’s environment ». Quant à Helm (2004, 76), il soutient :
« The process through which individuals gain the knowledge, skills, and
value necessary for entry into a professional career an advanced level of
specialized knowledge and skills ». Clark (1997, 442) va un peu dans le
meme sens: « acquisition of the knowledge, skills, value, roles, and
attitudes associated with the practice of a particular profession ». Pour
ce qui est de Klossner (2004, 12), il propose ce qui suit: « process by
which individuals learn the roles and responsibilities of their profession and
become emerging members of the professional culture ». Pour leur part,
Dunn, Linda and Seff (1994, 375) diront que la socialisation professionnelle
est un processus : « by which individuals acquire the attitudes,
beliefs, values and skills needed to participate effectively in organized
social life ». Spécifiquement, en ce qui a
trait aux enseignants, Lacey (1994, 6122) affirme que la socialisation
professionnelle : « refers to the process of change by which
individuals become members of the teaching profession and then take on
progressively more mature roles, usually of higher status, within the
profession ».
Au delà des différences de définitions plusieurs
caractéristiques communes ressortent de ce bref tour d’horizon. D’abord, la
socialisation professionnelle est un processus continu (Hébrard, 2004) dont la
fin, ultimement, n’est envisageable qu’au moment
où l’employé quitte l’organisation (par exemple, à la retraite). Ce processus
est complexe et comprend des aspects tant cognitifs, affectifs qu’interactifs
(Dubar, 2000 ; Gundry, 1993). Il prend forme dans l’interaction entre
l’acteur et son environnement physique et social de travail (Adler & Adler, 2005 ; Shamatov,
2005). Il se traduit par l’acquisition d’une sorte de culture de l’institution
(ou de l’organisation) vérifiable notamment à travers le rapport à certaines
valeurs, la possession de certaines connaissances et la mobilisation de
certaines compétences (Allen & Meyer, 1990 ; Ashford & Saks, 1996 ;
Dixon, 2005). C’est dire que la socialisation professionnelle se vérifie
notamment dans l’attitude et la pratique du travailleur (Høivik, 2005 ; Keith & Moore, 1995). Enfin, la socialisation
professionnelle comporte des incidences certaines sur l’identité
professionnelle de l’acteur (Klossner, 2004 ; Martineau, 2008). En cela,
elle est un processus de changement identitaire où le sujet se définit par
rapport à son groupe professionnel (Langlois, 2000 ; Osiek-parisod, 1995).
3. Le développement professionnel
Après ce bref rappel des questions entourant la
problématique de la socialisation professionnelle, jetons un œil sur le
développement professionnel. Il s’agit d’un concept qui a émergé d’abord dans
les recherches de type managérial et dont la popularité a été croissante, ces
dernières décennies, au fur et à mesure que le marché du travail s’engageait
dans une restructuration majeure axée notamment sur la polyvalence de la
main-d’œuvre et sa responsabilisation face à la qualité du travail fourni
(Bryant, 2007). C’est dans cette même optique, par
exemple, que le concept de compétence a pris le pas sur celui de
qualification. Il en existe plusieurs définitions. Killion (2002, 11) soutient ainsi que le
développement professionnel est « …the planned, coherent actions and
support systems designed and implemented to develop knowledge, skills,
attitudes, aspiration, and behaviors to improve student achievement ». Pour sa part, Guskey (2000, 16)
précise que le développement professionnel inclut : « …those
processes and activities designed to enhance the professional knowledge,
skills, and attitudes of educators so that they might, in turn, improve the
learning of students ». Ou encore, pour Nault (2005,
30) : « Le développement professionnel est la somme des
apprentissages effectués de façon formelle ou informelle au cours de la
carrière, de ses débuts jusqu’à la retraite ». Nous pourrions citer ici
encore bien des auteurs. Disons pour le moment que s’il y a un relatif
consensus pour faire du développement professionnel un processus dans lequel le
travailleur s’engage afin d’en arriver à un niveau de maîtrise et de
compréhension supérieur de sa pratique (Uwamariya & Mukamurera, 2005), on
constate également des divergences quant à la manière de définir ce processus.
Ces divergences vont porter sur l’ampleur du processus : transformation
des seuls savoirs et compétences ou modification également des attitudes voire
des aspirations professionnelles. Elles vont porter aussi sur la manière dont
le développement est assuré : d’aucuns soutiennent que le développement
professionnel ne saurait se faire de manière informelle pendant que d’autres
vont jusqu’à inclure l’apprentissage informel comme modalité de développement
(Nault, 2005 ; Day, 1999). Enfin, certains vont insister sur la dimension
collaborative du processus (Speck & Knipe, 2001) pendant que d’autres
mettront l’accent sur l’engagement personnel (Guillemette, 2006).
4. La socialisation professionnelle dans le
développement professionnel
D’entrée de jeu, disons d’emblée qu’il va de soi
que nous ne pourrons qu’esquisser ici les liens entre ces deux processus.
D’abord, soulignons que, selon nous, la socialisation professionnelle est un
processus qui semble plus global que celui de développement professionnel. En
effet, tout acteur au travail s’inscrit dans un processus de socialisation où
il est à la fois réceptacle des influences et agent de socialisation à son
tour. On le sait, l’homme ne peut entrer en relation avec autrui, agir dans un
contexte donné ou inscrire son activité professionnelle dans un cadre
particulier, sans que de « la socialisation ne s’en suive ». En ce
sens, la socialisation professionnelle est un processus qui englobe tout ce qui
permet de maîtriser un rôle en milieu de travail, assure une certaine
compréhension de la culture d’une organisation ou encore, définit un certain
rapport identitaire à une organisation (Martineau & Presseau, 2007). Quant
au développement professionnel, il renvoie essentiellement, comme on la vu plus
haut, à un apprentissage formel ou informel visant la plus grande maîtrise de
l’agir professionnel. On peut dire alors que son horizon est finalisé :
accroître l’efficacité et l’efficience de l’acteur dans son milieu de travail.
Ainsi, si le concept de socialisation professionnelle peut, à la limite, se
conjuguer tout autant dans le sens de l’intégration que de la distance (voire
l’hostilité) aux objectifs de l’organisation - car on peut imaginer une
socialisation délinquante, des comportements d’évitement « appris »,
un « monde parallèle » des travailleurs à l’abris des supérieurs - on
imagine mal un développement professionnel qui conduirait le travailleur à
moins de bien-être au travail, à moins d’efficacité, à moins de
professionnalisme.
On l’aura alors compris, les recherches, à
majorité anglo-saxonnes, qui portent sur la socialisation professionnelle
envisagent en général ce processus sous le seul angle de ce que nous pourrions
considérer comme le développement professionnel. En effet, la grande majorité
de ces recherches conçoivent la socialisation professionnelle dans une optique
qu’il est possible de qualifier de normative au
sens que la socialisation y est présentée sous l’angle de la meilleure
intégration du travailleur à l’organisation. Cette orientation générale est
directement liée aux origines managériales de ces recherches.
Avant de conclure cette section, il s’avère
nécessaire de mieux spécifier en quoi la socialisation peut être un indicateur
du développement professionnel. Au sens fort du terme, la socialisation est un
processus de transformation du sujet qui s’approprie une culture donnée (en
contexte de travail, la culture organisationnelle). La conséquence la plus
saillante de la socialisation est de rendre relativement stables certaines
dispositions (manière de sentir, de penser, d’agir). Or, la socialisation, bien
qu’elle soit un processus individuel (chacun en fait une expérience personnelle
et originale) conduit les sujets d’une communauté (de travail ou non) à un plus
ou moins grand partage de valeurs, de règles, de normes, de représentations. En
tant d’instrument de régulation sociale, la socialisation permet en outre
l’économie de la surveillance et des sanctions externes au sens où les acteurs
conforment leurs comportements aux attentes du groupe.
Ajoutons que dans le cadre d’une organisation de
travail, lorsqu’elle s’oriente vers une certaine conformité à la culture
organisationnelle, la socialisation professionnelle peut être vue comme un
facteur de développement professionnel dans la mesure où le sujet acquiert une
capacité à « lire les situations », à se mouvoir adéquatement dans
l’organisation, à adopter les bons comportements aux bons moments (en cela, il
devient donc en quelque sorte plus efficace et plus efficient). On comprendra
alors que toute organisation de travail gagne à abriter en son sein des acteurs
« bien socialisés ». Mentionnons toutefois que le lien entre
socialisation professionnelle et développement professionnel est loin d’être
simple et automatique. En effet, on peut imaginer qu’une trop grande conformité
aux normes et aux règles de l’organisation puisse conduire à des comportements
ritualisés peu efficaces et qui laissent peu de place à l’innovation. Au fond,
la socialisation professionnelle participera du développement professionnel
dans la mesure où elle n’enfermera pas le sujet dans des rôles et des statuts
stéréotypés mais lui permettra de développer un rapport réflexif à son travail.
Malheureusement, nous ne pouvons ici développer plus avant ces quelques
considérations et nous sommes conscients d’en rester à un niveau de généralité
très élevé.
5. Critères d’analyse d’un instrument de
mesure en sciences humaines et sociales
Notre questionnement de
fond, rappelons-le, porte ici sur les indicateurs de la socialisation
professionnelle. Plus spécifiquement, à partir d’une analyse de la littérature
francophone et anglo-saxonne, analyse qui, il va sans dire, ne saurait être
exhaustive, nous souhaitons réfléchir sur les instruments de mesure de la
socialisation professionnelle. En effet, parler d’indicateurs renvoie immédiatement
à leur opérationnalisation. En somme, nous nous posons la question suivante :
les instruments mesurent-ils bien le concept de socialisation professionnelle ?
On le sait, le social ne saurait se mesurer comme
les objets physiques (Freitag, 2002). Les phénomènes sociaux sont complexes et
les acteurs qui y participent en ont déjà une interprétation (Dumont, 1968).
Giddens (2005) dirait qu’ils possèdent une conscience réflexive sur le monde
qu’ils habitent. Par ailleurs, souvent les mesures
ne peuvent être répétées dans le même contexte puisque les recherches ne se
mènent pas en laboratoire. En fait, le problème central qui se pose aux
chercheurs est d’identifier des indicateurs observables qui restituent le plus
fidèlement possible les caractéristiques du concept (Cohen, Manion &
Morrisson, 2000). Or, pour mesurer le degré auquel les indicateurs retenus dans
la littérature représentent le concept de socialisation professionnelle, il
semble nécessaire d’utiliser quatre principales notions :
- la fiabilité : l’indicateur est déterminé davantage par le concept
que par le hasard ;
- la validité : l’indicateur mesure bel et bien ce qu’il est supposé
mesurer ;
- la faisabilité : le nombre d’indicateurs ne doit pas être trop
élevé et ceux-ci doivent être compréhensibles ;
- la sensibilité : l’indicateur est-il capable d’enregistrer des
variations assez fines du concept.
Dans un premier temps, nous nous attarderons aux
critères en usage pour déterminer le niveau de socialisation de l’acteur. Dans
un deuxième temps, nous nous pencherons – trop rapidement nous en convenons
déjà – sur la manière dont le temps est pris en compte dans la mesure de la
socialisation professionnelle. Précisons que cette
partie de notre exposé doit énormément au travail synthèse effectué par
Catherine Fabre du Laboratoire Interdisciplinaire de recherche
sur
les Ressources Humaines et l'Emploi (LIRHE, Unité mixte de recherche
CNRS/UT1 Université des Sciences Sociales, Toulouse). Nous
empruntons donc sensiblement les mêmes
chemins que ceux de cette chercheure.
6. Les indicateurs de la socialisation
professionnelle
Tout d’abord, nous allons présenter les
indicateurs qui représentent les conséquences attitudinales de la
socialisation. Ensuite, nous nous attarderons aux indicateurs qui traduisent
les conséquences de la socialisation en termes de maîtrise des domaines de
socialisation. Enfin, nous analyserons les indicateurs donnant à voir l’aspect
dynamique de la socialisation professionnelle.
6.1 Typologie et caractéristiques des mesures
effectuées
La très grande majorité des mesures de la
socialisation professionnelle porte sur les conséquences de la socialisation.
En fait, on analyse directement l’effet de cet indicateur sur d’autres
variables telles la satisfaction au travail, l’engagement professionnel, le
projet de quitter son emploi, le rôle professionnel, etc. Ces dernières
variables sont censées représenter fidèlement le niveau de socialisation
professionnelle du travailleur.
À l’instar de Fabre (2005), on peut alors se poser
deux questions : 1- Dans quelle mesure les conséquences sont-elles
réellement corrélées à la socialisation professionnelle ? 2- Est-il
suffisant de mesurer les conséquences de la socialisation professionnelle ?
Expliquons brièvement. La première question renvoie au problème suivant :
considérer implicitement que l’insertion professionnelle dépend uniquement de
la socialisation professionnelle. Or, des recherches en ce domaine démontrent
bien que ce n’est pas le cas (Martineau, Vallerand, & Bergevin, 2008 ;
Portelance, Mukamurera, Martineau & Gervais, 2008 ; Vallerand &
Martineau, 2006). Bien des indicateurs interviennent : formation
antérieure, type de contrat d’embauche, type de poste occupé, etc. On serait en
droit de s’attendre à ce qu’un instrument de mesure de la socialisation
professionnelle puisse indiquer clairement ce qui relève du processus de
socialisation et ce qui relève d’autres facteurs. La deuxième question, quant à
elle, renvoie au fait que le processus de socialisation professionnelle est à
toute fin pratique considéré comme une boîte noire. En effet, les recherches ne
mesurent pas ce qui se passe à l’intérieur du processus mais seulement ses
résultats : satisfaction au travail, engagement professionnel, maîtrise
des savoirs et des compétences, etc. Comme le souligne pertinemment Fabre
(2005, 7) à la suite de Chao, O'Leary-Kelly, Wolf, Klein et Gardner (1994) :
« En effet, ces indicateurs sont en mesure d’établir des liens de
corrélation entre un facteur et un degré de réussite de la socialisation
professionnelle, mais ils sont incapables d’expliquer les causes de succès ou
d’échec et d’identifier les problèmes à résoudre. Constater des corrélations
sans les expliquer ne permet pas d’analyser une situation, d’établir un
diagnostic et des prescriptions ».
6.2. La socialisation professionnelle mesurée
par des variables de résultat
Dans la grande majorité des recherches menées à ce
jour, les variables expliquées par la socialisation professionnelle sont en
fait utilisées comme des indicateurs (par exemple, la satisfaction au travail,
l’intention de demeure en poste, l’engagement), des variables manifestes de ce
concept. La mobilisation de ces indicateurs relativement éloignés du concept de
socialisation professionnelle permet, il faut bien le dire, la multiplication
des mesures empiriques. C’est la raison de leur emploi fréquent. Le problème
vient du fait que peu à peu la mesure se substitue au concept lui-même (Allen &
Meyer, 1990, Ashford & Saks, 1996 ; Jones, 1986). Force est de
constater que les variables de type « attitudes » (comme celles que
nous venons de mentionner) ne sont reliées que de manière fort imparfaite à la
socialisation professionnelle. Par ailleurs, pour chacune il faut également
identifier des indicateurs précis. En combinant ces variables pour atteindre la
socialisation professionnelle et en identifiant leurs indicateurs, on multiplie
les approximations dans les mesures. On peut donc se demander si l’emploi de
telles variables est une pratique vraiment pertinente. En somme, compte tenu de
ce qui précède, on peut se demander si ce qui est mesuré ainsi est réellement
en adéquation avec le concept. En l’absence de la certitude
que les variations des variables expliquées (intention de changer d’emploi,
satisfaction au travail, engagement professionnel, etc.) sont effectivement
expliquées par la variation de la variable indépendante (ici, la socialisation
professionnelle), il est impossible d’affirmer que ce qui devrait être mesuré
l’est bel et bien. En termes de validité donc, on ne peut que constater la
faiblesse des outils de mesure.
6.3. La socialisation professionnelle mesurée
au moyen de domaines de socialisation
Afin d’éliminer ou de réduire les lacunes
identifiées plus haut, Chao et al. (1994) ont élaboré une mesure spécifique du
construit théorique de la socialisation professionnelle. En effet, leur échelle
se compose de six dimensions partiellement indépendantes : la maîtrise des
compétences, le développement de relations sociales, l’acceptation de la
culture organisationnelle, la maîtrise du langage de la profession et du jargon
organisationnel, la capacité à utiliser les structures de pouvoir formelles et
informelles, la connaissance historique de l’organisation. À l’inverse de
Fisher (1986), les travaux de Chao et al. (1994) laissent cependant de côté la
construction d’une identité professionnelle (ce que nous déplorons). L’échelle
ainsi créée (comprenant en tout 34 items) a été testée et améliorée et
présenterait un bon niveau de fiabilité et de validité interne. Selon ce qu’en
rapporte notamment Fabre (2005), la variance expliquée par les six dimensions
extraites lors de l’analyse en composantes principales serait de 58%, et
restituerait les dimensions construites théoriquement. Il semblerait que cette
échelle de mesure soit capable de saisir plus finement le phénomène de la
socialisation professionnelle que les variables de résultat. On peut toutefois
souhaiter que cette échelle soit enrichie par une variable comme l’identité
professionnelle qui est, selon bien des chercheurs, associée à la socialisation
professionnelle (Bauer, Morrison & Callister, 1998). Par ailleurs, les
instruments de mesure de la socialisation devraient notamment permettre de
discriminer différents phénomènes. On pense ici, entre autres, au fait de
comprendre son milieu de travail (par exemple, savoir qui fait quoi) et au fait
d’adhérer aux valeurs du milieu (par exemple, partager le projet de son école).
Signalons que d’autres chercheurs ont également élaboré des échelles du même
type. On pense notamment aux travaux de Taormina (1994, 1997, 2004). Compte
tenu de l’espace qui nous est imparti, il ne saurait être question ici de les
présenter.
En somme, si certains travaux apportent plus de
précisions dans la mesure des indicateurs de socialisation professionnelle,
nous sommes encore loin de posséder des outils parfaits. On notera surtout que
les items qui mesurent le degré de compréhension, ceux qui mesurent le degré d’adhésion
et, enfin, ceux qui mesurent le processus comme tel, semblent insuffisamment
discriminés.
6.4. La socialisation professionnelle mesurée
par son processus
Les études que nous venons d’évoquer se centrent
essentiellement sur les conséquences attendues de la socialisation
professionnelle. À aucun moment le processus même de la socialisation
professionnelle est réellement décrit. Toutefois, quelques chercheurs se sont
penchés sur la question (Feldman, 1976 ; Louis, 1980 ; Schein, 1978).
Bien que leurs travaux datent déjà de presque trois décennies, leur pertinence
apparaît encore évidente (à tout le moins dans
l’univers de la recherche de la mesure). Ces chercheurs ont tenté de
décrire le plus précisément possible les étapes que traverse un acteur lors de
sa socialisation au travail. Il y aurait ainsi trois grandes étapes de
socialisation : la socialisation anticipée, la confrontation à la réalité,
l’adaptation.
Ces travaux nous paraissent intéressants dans la
mesure où ils se centrent sur ce que vit l’acteur et ont recours à différents
concepts pour le faire : les attentes envers le milieu professionnel, une
vision réaliste du milieu de travail, les conflits d’identité, le changement,
l’adaptation à de nouvelles valeurs, la perception et l’interprétation de
l’information. Par contre, ces travaux n’expliquent pas les mécanismes de
passage entre les différentes étapes, ce qui est une lacune importante sur le plan de la compréhension du
processus de socialisation professionnelle. Par ailleurs, les écrits de ces chercheurs demeurent fort peu explicites quant
à la durée des étapes de socialisation (et donc sur les raisons expliquant
cette durée).
7. Le temps dans la mesure de la socialisation
professionnelle
Bien qu’il semble aller de soi que le temps joue un
rôle significatif dans le processus de socialisation professionnelle, cet
indicateur a été étonnamment négligé par les recherches. En effet, même si de
nombreuses études longitudinales ont été menées depuis deux décennies sur la
socialisation professionnelle (Bauer et al. 1998), elles ont généralement
laissé le facteur temps dans une sorte d’arrière plan théorique (Shuval &
Adler, 1977). Il semble pourtant nécessaire d’inclure l’effet du temps dans la
mesure de la socialisation au travail (Fabre, 2005). Les recherches
longitudinales soulèvent ainsi un certain nombre de questions :
Doivent-elles se limiter à la seule première année d’embauche (Hill 1992) ?
Et, dans ce cas, comment peuvent-elles prendre en compte le type de lien
d’emploi (par exemple, les enseignants à temps partiel, ceux à contrat d’une
durée limitée, les enseignants à la leçon, etc.). Sachant que la socialisation
professionnelle est un processus irrégulier (Fabre, 2005; Pinder &
Schroder, 1987), comment les dispositifs de recherche longitudinale
peuvent-ils, sur le plan méthodologique, prendre en compte cette irrégularité ?
Force est de constater alors que notre
compréhension du processus de socialisation professionnelle est encore à
parfaire. Ainsi, si on sait que les attitudes et les perceptions prennent forme
assez tôt dès l’entrée au travail et même avant (Portelance, Mukamurera,
Martineau & Gervais, 2008), on en sait encore trop peu
sur la façon réelle dont ces dernières se construisent et selon quelle
temporalité. Comme nous le rappelle Fabre (2005, 15) : « Il semble
également nécessaire d’étudier le processus de socialisation en profondeur,
pour trouver un modèle explicatif de la dynamique temporelle de la
socialisation et comprendre les déterminants du progrès, les évènements qui
peuvent accélérer ou au contraire freiner la progression ». Les recherches
menées à ce jour ont trop tendance à présenter le processus de socialisation
professionnelle d’une manière linéaire (Langley, 1999). Pourtant, la
construction théorique de Dubar (2000), laisse bien voir que le processus de
socialisation ne saurait être conçu en tant que processus continu et linéaire.
Au contraire, la socialisation professionnelle semble aussi faite de moments de
discontinuité, de tensions, de contradictions voire même de ruptures
(Mintzberg, Raisinghani & Théorêt, 1976 ; Perier, 2004 ;
Schwenk, 1985 & Tremblay, 1998). Qu’on nous permette une fois de plus de
citer un peu longuement le texte de Fabre (2005, 16) : « Actuellement,
les données longitudinales sont prélevées alors que l’on ne maîtrise pas la
dynamique du processus. Ainsi, dans l’hypothèse où les différents domaines de
socialisation ne progressent pas au même rythme, et où l’on prélèverait des
données à un moment où l’individu ressent un retour en arrière dans l’un des
domaines, les résultats ne signifieraient absolument rien. Par conséquent, il
serait intéressant d’intégrer, au sein d’un modèle unique, théories de la
variance et théories du processus ».
Des recherches qualitatives semblent nécessaires
ici afin de raffiner notre compréhension du processus de socialisation
professionnelle. Ces recherches pourraient fournir des pistes intéressantes
pour la construction d’indicateurs plus fins tant en ce qui concerne les
résultats du processus qu’en ce qui a trait au processus lui-même. Par
ailleurs, les recherches qualitatives pourraient également aider les chercheurs
à élaborer des approches méthodologiques mieux ajustées à la complexité du
processus analysé. On ne peut que déplorer qu’à ce jour (comme c’est souvent le
cas dans nombre de domaines en sciences humaines et sociales), les recherches
dites qualitatives (à tendance phénoménologique, interactionniste ou
ethnométhodologique, pour ne nommer que ces approches) et les recherches disons
plus quantitatives (faisant usage d’échelles standardisées) aient été menées
dans une relative ignorance mutuelle.
8. Mais, en fin de compte, est-il pertinent de
mesurer la socialisation professionnelle ?
On le sait, « l’épistémologie de la mesure »[1] (ou, si l’on préfère, le courant hypothético-déductif) possède une
longue tradition et, malgré bien des faiblesses, a développé des outils
méthodologiques souvent performants qui ne sont pas sans intérêt (comme on a pu
le voir plus haut). Or, nos propos précédents ont porté sur les aspects
essentiellement méthodologiques des outils de mesure de la socialisation
professionnelle laissant volontairement de côté la question des fondements
épistémologiques. C’est de cet aspect du problème dont il sera question dans
cette section. On nous excusera de la brièveté de notre réflexion, l’espace qui
nous est imparti étant relativement restreint.
Les tensions entre les approches positivistes et
les approches interprétatives traversent toute l’histoire des sciences humaines
et sociales et ce, par exemple, dès les productions pionnières en sociologie de
Durkheim et de Weber (Delas & Milly, 2005 ; Simon, 1991). En la
matière, Vérité et méthode de Gadamer
(1996, paru originellement en 1960) a bien montré non seulement les limites
mais aussi les risques d’une « importation » des approches des
sciences naturelles dans les sciences humaines et sociales. Plus encore, le
grand philosophe allemand nous a mis en garde contre une conception
substantialiste des concepts car le langage ne donne pas à voir un monde ontologique
préexistant mais fait plutôt apparaître dans l’unité du « vouloir dire »
le monde qu’il constitue. En fait, plus spécifiquement, pour comprendre les
phénomènes humains, il faut comprendre le sens que leur attribuent les sujets
concernés. C’est dire qu’il faut tenir compte des fins poursuivies par les
sujets (Schutz, 1987). Le sujet est alors considéré comme une unité psychique,
un ensemble compréhensible, qui possède une structure, une certaine permanence
dans le temps et en qui on peut voir à l’œuvre des processus intelligibles
(Watier, 2002). Ajoutons que l’approche interprétative
accorde une grande importance à certains facteurs généralement ignorés par les
conceptions hypothético-déductive au chapitre desquels on note : 1- un sujet
qui interprète et qui est situé socialement, culturellement, historiquement ;
2- une pratique sociale de l’interprétation qui est historiquement ancrée ;
3- une action nécessairement située ; 4- non seulement l’interprété mais
aussi l’interprétant sont marqués par la temporalité. Qu’en est-t-il
dans les approches présentées plus haut ? Au regard d’une épistémologie
interprétative, on l’aura deviné, les approches de la mesure de la
socialisation professionnelle posent plusieurs problèmes.
Elles se sont globalement développées en dehors de
toute réflexion sérieuse sur la place et le rôle du chercheur. Les recherches
de la mesure de la socialisation professionnelle n’ont pas donné lieu à un
questionnement sur leur ancrage historique (par exemple, en quoi
participent-elles d’un courant néo-libéral de gestion de la main-d’œuvre et de
la gouvernance des organisations ?). Elles semblent travailler à partir
d’une définition a priori du concept,
définition qui fige le concept qu’elles investiguent. Elles découpent en outre
le processus en différents facteurs qu’elles analysent plus ou moins séparément
sans prendre en compte le cadre herméneutique où évoluent les sujets ;
nous sommes loin ici d’une approche holistique.
De plus, comme nous l’avons indiqué dans une section précédente, elles ne
tiennent pas (ou peu) compte du facteur temps. En effet, la socialisation est
un processus qui se déroule dans un laps de temps relativement long que les
approches de la mesure peuvent difficilement prendre en compte. Par ailleurs,
elles font l’impasse sur les dimensions conflictuelles, les tensions, les
rapports stratégiques entre les acteurs donnant plutôt à voir un phénomène
essentiellement linéaire.
En fin de compte, quelle réponse donnée à
l’intitulé de cette section ? Ici, nous sommes tentés d’adopter une
position similaire à celle de Ricœur (1969 ; 1983,
1986) face à la controverse entre les tenants de l’explication et ceux
de la compréhension en sciences humaines et sociales à savoir que devant les
phénomènes humains, l’explication de processus (sur un mode
hypothético-déductif) peut contribuer à améliorer la compréhension que nous en
avons au sens où, par exemple, la connaissance que j’ai de certains processus
cognitifs du cerveau peut m’aider à mieux comprendre la situation d’apprentissage
de tel ou tel élève. Si les phénomènes humains, pour être intelligibles,
nécessitent la prise en compte du sens construits par les acteurs (posture
compréhensive), ils n’impliquent pas un rejet complet et systématique de toute
visée explicative. Chacune des approches comporte des limites. En somme, les
recherches sur la mesure ne sont pas sans intérêt pour l’explication de la
socialisation professionnelle, elles permettent de mettre au jour différentes
dimensions en jeu dans ce processus. Toutefois, au-delà de leurs lacunes
méthodologiques (leur relative incapacité à mesurer réellement le processus),
leur posture épistémologique leur interdit de prendre en compte les raisons
d’agir, les motifs, les logiques des acteurs et, en cela, leur portée explicative
s’en trouve limitée.
Conclusion
Ce tour d’horizon est bien entendu trop bref et ne
saurait rendre toutes les subtilités du champ de recherche présenté. Mais,
malgré ces limites indéniables, ce texte permet, nous le croyons, de faire
ressortir certaines caractéristiques de la recherche sur la socialisation
professionnelle conduite à partir d’outils de mesure.
Il ressort donc de notre présentation que les
indicateurs mobilisés pour étudier la socialisation sont passablement
imparfaits. En fait, certains ne sont même pas liés au concept, tandis que
d’autres manquent singulièrement de rigueur. On peut donc s’interroger sur la portée
des résultats obtenus à partir de tels outils imparfaits. Il apparaît alors
nécessaire de développer des instruments appropriés pour comprendre non
seulement la réussite ou l’échec de la socialisation, mais également pour
juger, par exemple, de l’efficacité des programmes et des dispositifs
d’insertion professionnelle en milieu scolaire (Martineau & Portelance,
2005). Pour ce faire, une étude approfondie du processus même de socialisation
professionnelle dans un esprit interprétatif et par le biais de méthodologies
qualitatives nous semble une avenue nécessaire. En somme, au-delà des faiblesses
méthodologiques, c’est l’esprit même dans lequel sont menées les recherches de
la mesure qui est questionnable. En effet, celles-ci adoptent une posture
plutôt positiviste qui nous semble réductrice et peu compatible avec la
complexité du phénomène.
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