Simard,
D. (2005) « Comment penser aujourd’hui la nature et le rôle de l’école à
l’égard de la formation culturelle des élèves ? » Dans Simard, D., et
Mellouki, M. (2005). L'enseignement, profession intellectuelle (p. 49-74). Québec : Les Presses de l’Université Laval.
Résumé du texte
Ce texte aborde la question de la mission culturelle de
l’école. L’auteur y présente d’abord une théorie de la culture développée par
le sociologue et philosophe Fernand Dumont dans le cadre de différents
ouvrages. Puis, en s’appuyant sur cette théorie, Simard discute quant au rôle
de formation culturelle de l’école et enfin, il présente quelques conditions
nécessaires afin que l’école puisse remplir sa fonction de transmission
culturelle.
Problématique
Plusieurs enseignants se
questionnent quant au rôle que l’école doit jouer dans la société actuelle, en
particulier en ce qui concerne l’éducation culturelle et la prise en compte de
la diversité culturelle chez les élèves. Dans ce chapitre, l’auteur tente de
répondre à la question-titre, soit : comment penser aujourd’hui la nature
et le rôle de l’école à l’égard de la formation culturelle des élèves ? ».
Cadre de référence
L’auteur tente de définir le
concept de culture, en se basant sur les travaux du sociologue et philosophe
québécois Fernand Dumont, et plus particulièrement sur son ouvrage Le lieu de l’homme, datant de 1968.
Fernand Dumont présente la
culture comme étant à la fois distance et mémoire. En tant que mémoire, la
culture constitue une « reprise
vivante du passé » qui permet à l’homme de s’ancrer historiquement et
de mieux comprendre le monde qui l’entoure : « Tout être humain est le produit de sa culture, d’un long
processus historique où le langage joue un rôle décisif ». (p. 52) En
tant que distance, la culture amène l’homme à se mettre à l’écart de soi-même :
« C’est dans ce sursaut où la
conscience se met à distance d’elle-même que la culture se constitue comme
horizon » (p. 52). Ainsi, la
culture agit comme une médiation de la conscience qui permet à l’individu de
mieux se connaître lui-même.
Dumont établit un dédoublement entre
la culture première et la culture seconde. La culture première correspond au
milieu culturel d’origine, c’est-à-dire aux conduites sociales, règles,
langages, interprétations du réel et modèles de comportement acquis en bas âge.
Pour sa part, la culture seconde correspond à l’art, la littérature, la
science, l’histoire et la philosophie. « La
culture seconde doit être envisagée comme mouvement de dépassement, de
distanciation, d’arrachement à la culture première. C’est dans cette distance
que la conscience se développe. » (p. 53). Enfin, Dumont traite du
concept de réflexivité qui permet cette prise de distance à l’égard de la
culture première et cette élaboration de la culture seconde.
Énoncés fondamentaux
Simard propose trois énoncés quant à la nature de l’école en
lien avec la culture :
1) L’école est un cercle de
culture seconde : « Avec
ses cheminements obligés et ses rites de passage, ses programmes, ses contenus
et ses procédés d’apprentissage, l’école est un « cercle de culture
seconde », c’est-à-dire une institution foncièrement culturelle vouée à la
compréhension du monde. » (p. 55) Ainsi, l’école permet d’initier les
élèves à un patrimoine de culture seconde en les mettant en contact avec un
ensemble de savoirs, de valeurs et d’œuvres culturelles. Elle permet de
maintenir et de transmettre un héritage humain et culturel afin que celui-ci
soit conservé, connu et appris. Par contre, l’école se doit de sélectionner
quels éléments culturels elle souhaite intégrer à son programme, et cette
sélection, qui diffère selon les époques, les pays et les traditions, viendra
influencer la vision de l’homme et du monde qu’elle proposera aux élèves. Par
ailleurs, en initiant les élèves à la culture seconde, l’école leur permet de
se distancier de leur culture première : « L’école, répétons-le, est le lieu privilégié de la formation
culturelle des élèves, le lieu d’une prise de distance à l’égard des
significations spontanées de la vie quotidienne et d’élaboration d’une culture
seconde qui permet de la comprendre et de lui donner un sens » (p. 58)
2) L’école n’est pas la vie,
mais une reprise consciente de la vie : L’école permet de reprendre
consciemment certains éléments donnés faisant partie de la culture première
(langage, phénomènes naturels, musique, etc.) afin d’en faire l’étude
consciente. Il s’agit d’une « reprise
du donné pour en faire une culture ».
3) L’école est un foyer de
discussion, d’examen critique et d’intégration de la culture : En tant
que foyer de discussion, l’école permet le partage de la parole favorisant
ainsi la connaissance du monde et la compréhension de soi et des autres. En tant que foyer d’examen critique, elle
incite à remettre en question les
significations, institutions et représentations établies et elle amène les
élèves à porter un regard critique sur
le monde afin de distinguer l’essentiel de l’accessoire. Enfin, en tant que
foyer d’intégration de la culture, elle permet de faire des liens afin de
réintégrer la culture actuelle, qui se présente souvent sous une forme
fragmentée ou morcelée.
Selon Simard, dans le contexte
actuel de discontinuité et de fragmentation de la culture, le rôle que doit
jouer l’école quant à la formation culturelle
nécessite de restaurer quatre continuités :
1) La continuité entre les savoirs et la vie : L’école doit permettre de restaurer la pertinence des savoirs, c’est-à-dire de donner une signification aux apprentissages réalisés. Pour ce faire, elle doit établir des liens entre les savoirs et des questions, problèmes, besoins ou intérêts qui rejoignent l’élève, c’est-à-dire qui sont en lien avec sa vie quotidienne ou encore avec des préoccupations universelles telles que l’origine du monde, des hommes et de la vie. Ainsi, l’élève peut prendre conscience que les savoirs constituent des productions humaines qui peuvent nous aider à mieux comprendre le monde qui nous entoure et à mieux nous comprendre nous-mêmes en tant qu’êtres humains.
2) La continuité entre les
savoirs : Dans la société actuelle, où on assiste à une multiplication
exponentielle de l’information, le savoir devient de plus en plus morcelé,
spécialisé et fragmenté et il devient de plus en plus difficile d’en constituer
un tout cohérent permettant une vision globale et intégrée. Afin de transmettre
une véritable culture, l’école se doit donc de veiller à l’intégration des
savoirs, c’est-à-dire à la création de liens
entre les différentes sphères de la connaissance.
3) La continuité entre les
hommes : L’école a pour rôle de préparer les élèves à vivre dans une
société complexe et pluraliste. En ce sens, elle doit contribuer à développer
chez les élèves des valeurs liées au vivre-ensemble telles que l’ouverture à la
pluralité et à la différence, la compréhension, le respect d’autrui et
l’écoute. Pour ce faire, l’école doit mettre en place une pédagogie du dialogue
permettant de créer un espace public de discussion et d’interprétation du monde
où chacun est libre de s’exprimer tout en respectant, en écoutant et en
cherchant à comprendre les autres.
4) La continuité entre le
passé et le présent : « Restaurer
la continuité entre le passé et le présent, c’est faire prendre conscience aux
élèves qu’ils sont les héritiers d’une histoire locale, nationale, d’une
civilisation; c’est leur permettre de se situer dans l’histoire et dans leur
identité personnelle mais c’est surtout leur donner les moyens de comprendre
l’histoire, de la poursuivre en y jouant une part active. » (p. 66)
Afin de restaurer cette continuité, il faut bien sûr enseigner l’histoire, mais
également intégrer une perspective historique dans l’enseignement de toutes les
disciplines. Ainsi, la formation culturelle offerte à l’école doit comprendre
une composante historique importante, permettant à l’élève de prendre davantage
conscience des ancrages historiques des différents savoirs proposés.
Interprétation
L’auteur propose quatre
conditions essentielles pour faire de l’école un véritable lieu de
culture :
1) Une conscience claire de la
nature culturelle de l’école et de l’activité enseignante :
L’enseignement ne peut exister sans la culture. L’école a un double rôle de
médiation : médiation à la culture du passé (transmettre l’héritage
culturel du passé) et médiation à la culture du présent (intégrer les élèves à
la culture actuelle et les préparer à l’exercice de la citoyenneté).
2) Une conception explicite et
articulée de la culture : En ayant une conception explicite et
articulée de la culture, il serait plus facile de déterminer les critères de
sélection des contenus scolaires ainsi que d’orienter les pratiques
pédagogiques enseignantes.
3) Un équilibre entre les
grands domaines d’apprentissage : Il faut établir un équilibre dans
les programmes scolaires entre les disciplines liées à la rationalité (le sensé,
le cognitif) et les disciplines liées à la sensibilité (le sensible, le senti)
puisque la culture s’élabore à la fois dans le sensé et dans le senti.
4) Un rapport vivant à la
culture : Les enseignants se doivent d’être cultivés, non pas tant en
termes d’érudition mais plutôt en termes de passion, de curiosité et
d’ouverture pour différents aspects de la culture. L’enseignant agit alors à
titre de médiateur, de passeur culturel : « Il faut le redire : la culture n’est pas d’abord dans des
programmes, elle est dans des enseignants qui l’incarnent et la partagent, qui
la rendent vivante en montrant qu’elle peut répondre à nos questions, à notre
besoin de comprendre et nos attentes de sens (Simard, 2001) »
Conclusion
En conclusion, l’auteur réitère
l’espoir de faire de l’école un véritable lieu de culture : « un lieu d’appropriation du monde en donnant à chacun
le meilleur de l’expérience humaine considérée comme culture. » (p. 71)
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