Problématique
En éducation, une question qui
revient constamment est : comment rendre l’école plus efficace ? Chez les chercheurs et les enseignants, on
peut distinguer deux visions intellectuelles distinctes quant à la prise en
compte des aspects culturels afin d’améliorer l’efficacité scolaire.
1. Une première approche (« policy mechanics ») est véhiculée par certains enseignants et chercheurs qui préconisent l’utilisation du même matériel pédagogique et des mêmes pratiques peu importe la provenance culturelle des élèves. Ils tentent de cerner des pratiques et des outils d’enseignement uniformes, pouvant améliorer l’efficacité scolaire. “The policy mechanics attempt to identify particular school inputs, including discrete teaching practices, that raise student achievement. They seek universal remedies that can be manipulated by central agencies and assume that the same instructional materials and pedagogical practices hold constant meaning in the eyes of teachers and children across diverse cultural settings.” (p. 119).
2. Une deuxième vision est
préconisée par les « culturalistes »
qui mettent l’accent sur la socialisation normative qui survient au sein de la
classe. Ainsi ces derniers étudient surtout les modèles implicites véhiculés au sein de la
classe ainsi que la manière dont les
élèves sont socialisés afin d’accepter certaines règles, normes, conceptions et
orientations.
Cadre de référence
La réussite scolaire est
définie brièvement comme étant : « the
acquisition of basic literacy and cognitive skills. » (p.121)
Dans cet article, les auteurs
tentent d’expliquer pourquoi la première approche (policy mechanics) demeure
très influente dans les pays en développement. Ainsi, ils soulignent que quatre
forces viennent soutenir l’influence de l’approche politique (policy mechanics)
dans les pays en voie de développement :
1) Après 20 ans de recherche
empirique, l’on sait désormais que sous certaines conditions, les effets de
l’école sur la réussite scolaire sont plus importants que l’influence du milieu
familial en ce qui concerne les milieux défavorisés.
2) Les nombreuses études
réalisées dans les pays en développement permettent de discerner les éléments
qui sont plus susceptibles d’améliorer la réussite scolaire de ceux qui n’ont
pas d’effet. Puisque les ressources dans les pays en voie de développement sont
peu nombreuses, les décideurs politiques sont plus enclins à prendre en compte
les résultats de ces études afin d’orienter l’allocation des ressources.
3) Certaines recherches
(production-function research) démontrent qu’il est utile de centraliser les
politiques afin de réduire les inégalités quant à la réussite scolaire.
4) Aux yeux des décideurs politiques, l’approche
culturaliste semble moins efficace. « No body of literature from
the classroom culturalism framework rivals the production-function literature
in Third World settings” (p. 123)
Par ailleurs, les auteurs
ajoutent que cette tendance à rechercher des pratiques universelles pouvant
améliorer l’efficacité scolaire provient également du désir des gouvernements
de trouver des investissements simples (textes, manuels, etc.) qui pourraient
améliorer la réussite scolaire et la qualité de l’éducation, indépendamment des
conditions locales.
Dans l’approche politique (policy
mechanics) et la littérature scientifique de type
« production-function », la mission d’instruction de l’école est mise de l’avant : « Finally, the original production-function metaphor assumes that
the preeminent mission of schools and teachers is to raise cognitive achievement.”
(p. 124). Par contre, on accorde également une large place à la mission de
socialisation en ce sens que, dans les pays en voie de développement, les
élèves sont socialisés afin d’accepter certaines normes relatives à l’autorité
et à la participation sociale. Les politiques de certains pays (Europe de
l’Est, certaines régions d’Asie et Afrique du Sud) tentent également de mettre
l’accent sur la manière d’utiliser l’école en tant qu’outil pour socialiser les
élèves à la démocratie. « Emerging debates in Japan and China over how to socialize pupils
to become more individualistic in their achievement orientation offer
additional examples of how school effectiveness often has broader connotations
than simply boosting cognitive forms of learning.” (p. 124)
Méthodologie
Les auteurs ont étudié la
littérature scientifique portant sur l’efficacité scolaire, provenant de pays
en voie de développement. Plus précisément, ils ont analysé les données de plus
d’une centaine de recherches empiriques, publiées à partir de 1987 et traitant
des effets de certains facteurs sur la réussite scolaire, tout en contrôlant
l’influence du milieu familial. Cette littérature diffère de celle proposée aux
États-Unis ou en Europe de l’Ouest en ce sens que la conception de l’efficacité
scolaire véhiculée dans les pays en voie de développement est généralement de
type « production-function » et se base majoritairement sur la
première approche présentée (policy mechanics).
Résultats
Les auteurs identifient trois
domaines principaux qui peuvent avoir une influence positive sur l’efficacité
scolaire :
1) La disponibilité de manuels et
de matériel de lecture supplémentaire : Plusieurs recherches provenant de divers pays en voie de
développement (Philippine, Nicaragua, Brésil, Inde, Iran, Indonésie, Venezuela,
etc.) viennent démontrer que ce facteur influence positivement la réussite
scolaire des élèves. La disponibilité de manuels d’exercices, d’une
bibliothèque scolaire ou de matériel d’écriture semble également avoir un
impact positif. Par contre, dans une des études, réalisée en Indonésie (Ross
& Postlethwaite, 1989), les chercheurs n’ont pas noté d’effets
significatifs relatifs à l’utilisation de matériel de lecture, une fois pris en
compte le milieu familial des élèves, les connaissances de l’enseignant quant
au sujet enseigné et d’autres facteurs scolaires. En outre, les recherches
provenant des écoles secondaires, en comparaison avec celles des écoles
primaires, relèvent moins d’effets significatifs quant à la disponibilité de
manuels scolaires.
2) Les qualités
d’enseignement : Aux États-Unis et en Europe de l’Ouest, la formation
initiale et le milieu d’origine des
enseignants ne permet généralement pas d’expliquer les différences quant à la
réussite scolaire des élèves, alors que dans les pays en développement, ces
deux variables semblent avoir une influence quant à l’efficacité scolaire.
Ainsi, la connaissance de sa matière par l’enseignant a un impact positif sur
la réussite scolaire des élèves. De même, la formation reçue peut avoir une
influence mais ce n’est pas le cas dans toutes les recherches recensées.
Lorsque cette formation apporte une influence positive, on note généralement
que c’est la qualité de l’enseignement qui s’améliore : l’enseignant offre
davantage de rétroactions aux élèves, il emploie davantage de questions
ouvertes et il utilise des méthodes
d’enseignement plus actives. Néanmoins, il demeure difficile d’identifier quel
type de formation initiale apporte une influence significative quant à
l’efficacité scolaire.
3) Le temps d’enseignement et la
quantité de travail demandée aux élèves : Les recherches effectuées dans
plusieurs pays en voie de développement révèlent que le temps d’enseignement a
une influence importante sur la réussite scolaire des élèves. Ainsi, la durée
de la journée et de l’année scolaire a un impact quant à la réussite en ce sens
que plus l’élève a de temps de présence à l’école, plus il est susceptible de
réussir. Cet effet est moins marqué aux États-Unis que dans les pays en voie de
développement. « Anderson et al. (1989) argue that time
in school may be more efficiently used in some developing countries than within
industrialized societies, because student misbehaviour and time off academic
tasks occur less frequently, at least based on their classroom studies in
Negeria, South Korea and Thailand”. (p. 131).
D’autres facteurs relevant des
politiques scolaires semblent avoir peu ou pas d’impact (ou encore un impact
variable d’une étude à l’autre) quant à la réussite scolaire des élèves :
le nombre d’élèves par classe, le salaire des enseignants, la pédagogie active
et les pratiques d’enseignement.
L’analyse des facteurs ayant un
impact ou non sur la réussite scolaire des élèves dans les pays en voie de
développement permet de déterminer quelles stratégies doivent être privilégiées
afin d’augmenter l’efficacité scolaire. Toutefois, il faut aussi prendre en
compte la rentabilité de ces mesures, c’est-à-dire le coût économique qu’elles
demandent comparativement à ce qu’elles rapportent en termes d’améliorations
quant à la réussite des élèves.
Ainsi, l’achat de manuels
scolaires ou de matériel d’écriture paraît un investissement rentable car il ne
demande pas un coût trop élevé et il apporte d’importants bénéfices quant à la
réussite scolaire. Par contre, lorsque la
quantité de matériel est déjà suffisante, l’achat de nouveaux manuels n’apporte
pas une différence significative quant à la réussite des élèves. Par ailleurs,
investir dans la formation continue des enseignants semble également une mesure
rentable. Toutefois, la diminution du ratio scolaire s’avère une mesure peu
judicieuse car très coûteuse et apportant peu d’impact sur la réussite scolaire
des élèves.
Interprétation
La disponibilité du matériel
scolaire, le temps d’enseignement et la formation des enseignants sont des
facteurs ayant un impact très élevé quant à la réussite scolaire des élèves
dans les pays en voie de développement. Par contre, cet impact semble diminuer
lorsque la qualité générale de l’enseignement et du système d’éducation
augmente.
Quatre conditions culturelles
locales peuvent influencer l’efficacité des différents facteurs de réussite
scolaire :
a) Les exigences des familles
en lien avec l’éducation (liée à la perception de l’utilité et de la
légitimité de l’école) : Lorsque les études prennent en compte certains
facteurs relatifs à la classe sociale ou à l’ethnicité des élèves quant à la
réussite scolaire, la proportion attribuée aux facteurs scolaires, en tant
qu’éléments influençant la réussite, diminue.
Ainsi, la façon dont les parents
perçoivent la légitimité et l’importance de l’école ainsi que les pratiques
parentales mises en place à la maison viennent influencer les facteurs de
réussite scolaire énoncés précédemment en ce sens que la disponibilité du matériel
scolaire, l’achat de nouveau manuels, et le temps d’éducation peuvent être liés
aux demandes des communautés locales. Par
ailleurs, les demandes des familles quant à l’éducation varient selon plusieurs
facteurs : le sexe et l’âge de l’enfant, la religion, l’ethnicité, etc.
b) La capacité de
l’organisation scolaire de répondre aux demandes des familles tout en offrant
certaines formes de savoir qui sont éloignées du savoir traditionnel de la
communauté : « Indeed,
when the school positions its curricula apart from the family, the school’s
effect can operate more independently of parental influences. This relative positioning of school
and family represents the second major institutional condition under which
school effects are more likely to occur» (p. 138)
c) Les préférences et
habiletés de l’enseignant quant à la mobilisation de différents outils
d’enseignement et de normes sociales : Dans une majorité de pays
en voie de développement, les recherches qualitatives démontrent que l’autorité
de l’enseignant est très importante et les discussions latérales entre les
élèves sont peu fréquentes. Lorsque l’enseignant décide d’adopter une pédagogie
plus participative cela n’apporte pas nécessairement un gain quant à la
réussite scolaire des élèves. Par exemple, aux Philippines, la réussite
scolaire est moindre dans les classes où l’enseignant emploie une pédagogie
plus active et participative (Lockheed et Zhao, 1993). Pourtant, d’autres
recherches effectuées dans d’autres pays rapportent des effets positifs à une
telle pédagogie.
d) Le degré de concordance
entre le comportement pédagogique de
l’enseignant et les normes locales en ce qui concerne l’autorité, l’instruction
et la participation sociale au sein de l’école : Le type de pédagogie
à employer pour favoriser la réussite scolaire peut différer d’une culture à
une autre selon les normes sociales véhiculées concernant : l’autorité de
l’enseignant, la participation scolaire des élèves (interactions avec
l’enseignant et avec les autres élèves), les différents types de travaux
scolaires et l’organisation du travail (travail individuel ou en équipe, outils
pédagogiques, etc.).
Ainsi, en ce qui concerne
l’autorité de l’enseignant, on peut constater que dans plusieurs sociétés
traditionnelles, l’enseignant exerce son rôle en exhibant son savoir et en
présentant des connaissances factuelles. L’accent est souvent mis sur
l’apprentissage par cœur, plutôt que sur la compréhension de différents
concepts par les élèves.
Les auteurs soutiennent que
l’impact de certains matériels scolaires ou méthodes d’enseignement peut varier
considérablement selon la culture du milieu dans lequel ses facteurs sont mis
en place.
Conclusion
L’approche politique (policy mechanics) a grandement
contribué à une meilleure connaissance des différents facteurs pouvant
améliorer l’efficacité scolaire au sein des institutions d’éducation. De même,
les chercheurs notent également à quel point les pratiques d’enseignement
diffèrent selon les sociétés et les communautés locales et tentent, de plus en
plus, de tenir compte de ces différences dans le cadre de leurs recherches. Pour
l’avenir, il faudra donc cerner comment les nouveaux outils et les nouvelles
pratiques sont intégrés culturellement et comment ils sont compris par les
enseignants et par les élèves afin de s’assurer qu’ils permettent de mettre en
place des formes d’apprentissage et de socialisation qui conviennent aux
décideurs en éducation ainsi qu’aux communautés locales.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire