INTRODUCTION
Michel Foucault situe sa problématique du SAVOIR-POUVOIR au coeur même de l'acte pédagogique. Pour lui, il n'existe pas de notion d'école ou d'éducation qui renverrait à une essence éternelle et dont on pourrait trouver l'expression à l'intérieur des institutions historiquement constituées et dans les pratiques des acteurs. En réalité, chaque époque construit, à la fois par ses pratiques et par ses discours, l'objet éducation, l'objet maître, l'objet élève.
Par sa "méthode archéologique", Foucault fait de l'histoire mais d'une manière tout à fait différente de celle de l'historien. Il ne se réfère pas à l'événementiel, il ne fait pas d'histoire sociale pas plus qu'il ne cherche des causes historiques. En réalité, Foucault utilise les matériaux historiques pour répondre à une question fondamentale qu'il se pose. On peut formuler cette question de la façon suivante : De quelle façon un savoir peut-il se constituer ?
La perspective de Michel Foucault a ceci d'original qu'elle s'intéresse avant tout à des discours et des pratiques qui constituent (au sens de fabriquer) des objets de savoirs. Il s'agit donc de reconstituer l'histoire du sujet qui parle et qui pense et du sujet qui est parlé et qui est pensé. Cette démarche sert à analyser le présent.
Avec ce programme de recherche, l'histoire devient un outil permettant de mener à bien une démarche qui tente de mettre au jour la naissance (la généalogie) de catégories de pensée — ce qui les a rendu possibles. Dans cette optique, les documents écrits (donc des formes de discours) apparaissent alors comme un type de "pratiques". Ainsi, Foucault parle de "pratiques discursives". De cette façon, il est permis de dire que les pratiques, les discours successifs à travers l'histoire, ont construit graduellement ce qu'on peut appeler l'ordre du pédagogique.
Dans son célèbre ouvrage SURVEILLER ET PUNIR (1975), Foucault démontre qu'au 18e siècle se met en place "une société de surveillance" et de normalisation (qu'il analyse à travers le cas des prisons et des écoles). Ici, savoir et assujettissement sont intimement liés. Selon Foucault, dès la naissance de l'école (qu'il situe bien entendu au 18e siècle), il s'agissait d'opérer un "dressage" adéquat de l'élève. Cela se fait par le biais 1) de l'apprentissage, 2) du savoir, 3) d'une science pédagogique et 4) d'un savoir sur l'enfant.
D'une façon très méthodique , Foucault analyse les opérations qui ont constitué le "sujet scolarisé". Il classe ces opérations selon quatre paramètres différents : a) l'espace, b) le temps, c) la ritualisation, d) le regard. Prenons les rapidement un par un.
L'ESPACE
Il s'agit d'un "art des répartitions" dans l'espace : place des élèves dans l'école et la classe, déplacements organisés (les rangs), etc. La classe apparaît ici non seulement comme un lieu où on apprend mais aussi comme un lieu où l'on surveille, où l'on hiérarchise et où on punit et récompense. Tout cela se fait sous le regard de l'enseignant (regard qui n'est pas neutre car il catégorise).
LE TEMPS
À partir du 18e siècle, dans les écoles, on cherche à organiser le temps afin qu'il soit le plus rentable possible. On additionne et on capitalise le temps. Les activités à l'école sont mises en "série". Ce type d'organisation du temps permet "tout un investissement de la durée par le pouvoir". La pratique pédagogique se révèle être une pratique disciplinaire qui assujettit l'élève à un découpage du temps selon les savoirs. La division du temps est une division des savoirs et l'enfant y est soumis.
LA RITUALISATION
À l'école, les sanctions et les examens deviennent de véritables rituels. Pour Foucault, ils sont profondément inscrits dans l'articulation SAVOIR-POUVOIR. L'école identifie donc toute une panoplie d'actes qui deviennent "pénalisables". Au 18e siècle tout écart à la règle est passible d'une punition. C'est donc dire que le "châtiment", dans le processus de dressage, joue un rôle "correctif" et non pas un rôle d'expiation ou de répression. En d'autres termes, l'art de punir a comme but la "normalisation". Par le fait même, l'école participe à l'apparition d'une nouvelle loi de la société moderne : le pouvoir de la Norme.
Si la sanction normalise, l'examen quant à lui hiérarchise. Les deux ensemble (sanction et examen comme rituels scolaires) démontrent très bien l'avènement, en quelque sorte par l'école, d'une "société disciplinaire". La pratique de l'examen à l'école est un véritable rituel de pouvoir. Se trouvent alors liés "une certaine forme d'exercice du pouvoir" et "un certain type de formation du savoir". L'examen masque le pouvoir derrière une procédure en apparence objective, neutre. La conséquence de ce rituel de l'examen est très importante. En effet, l'élève se trouve alors "fiché" : objectivé dans un réseau de documents. L'examen apparaît donc comme un "pouvoir d'écriture" qui assigne un rang. L'examen mesure et quantifie dans le but de classer (classement à partir duquel il est possible d'effectuer plusieurs opérations de gestion des élèves : promotion, exclusion, action de "redressement", etc). C'est donc dire que l'élève devient un "cas". En tant que "cas", l'élève devient "un objet pour la connaissance" ce qui fournit "une prise pour le pouvoir". Cette "école examinatoire", comme la nomme Foucault, est le théâtre des "débuts d'une pédagogie qui fonctionne comme science".
LE REGARD
Dans le contexte scolaire où règne la discipline l'élève est littéralement soumis au regard du maître. L'univers disciplinaire véhicule ce fantasme de pouvoir surveiller sans arrêt les élèves afin d'en avoir un contrôle le plus total possible. Le comportement de l'élève est donc contraint par le regard du maître.
Dans l'oeuvre de Foucault, l'école devient une sorte "d'analyseur". Elle permet en effet d'analyser l'émergence d'une "société disciplinaire". Elle est aussi un "champ d'analyse". Il s'agit du champ où le sujet "élève" devient un objet de pensée (objet de savoir objectivé) et, par le fait même, objet d'un certain type de pouvoir.
La perspective de Michel Foucault recoupe les travaux classiques dans le domaine de la sociologie de l'Éducation, lesquels démontrent très clairement la dépendance de la distribution scolaire du savoir vis-à-vis les pouvoirs économique et politique. Dans cette vision des choses, le système scolaire apparaît comme une sorte d'activité politique qui permet de modifier ou de maintenir inchangée l'appropriation des discours (donc des savoirs et des pouvoirs).
L'approche de Foucault fait ressortir à quel point l'école participe d'un type social (qui prend naissance durant la période située entre les 17e et 19e siècles) fondé sur un rapport inédit entre le pouvoir et le savoir : une belle illustration de cela c'est le parallélisme entre l'élaboration d'un savoir psychiatrique et l'enfermement dans les asiles des personnes jugées folles. La position de Foucault ne peut donc être confondue avec celle des marxistes. Il ne cherche pas à constituer une théorie économico-politique du pouvoir. Il porte en fait une attention toute particulière sur la liaison existant entre pouvoir et fabrication des savoirs.
Mais qui dit fabrication des savoirs, dit en même temps fabrication de vérités; car tous les savoirs prétendent à la vérité (surtout les savoirs scientifiques qui, par nature, tendent vers l'universel, le général). Or, les savoirs qui se disent vérité ont pour effets (les "effets de vérité") d'exclure, d'invalider, de disqualifier d'autres savoirs. Cette notion d'effets de vérité montre de quelle façon, dans une société, des effets émanant des discours auxquels on attribue la vérité, sont à la fois constitués et légitimés par des "techniques de pouvoir".
RÉFÉRENCES
Filloux, J.-C. (1992). Étude critique : Michel Foucault et l'éducation. Revue française de pédagogie. , NO 99, AVRIL-MAI-JUIN 1992, p. 115-120.
Foucault, M. (1975). Surveiller et Punir. Paris : Gallimard.
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