La modernité se conjugue avec changement. Mais le
changement n’est pas ici anarchie, bien au contraire; il est loin d’aller dans
tous les sens, il a un sens bien précis. La modernité concevait en effet
l’ordre comme étant la succession ininterrompue de changements allant dans un
seul sens : le progrès technique et économique soutenu par une économie de
marché (ou programmée comme dans les régimes communistes) et les avancés de la
science. Le meilleur était toujours devant. Tout ce qui favorisait le progrès
ainsi défini était socialement acceptable, tout ce qui le contrecarrait était
nuisible et devait donc être écarté ou carrément éliminé. L’ordre c’était le
changement soumis à la science, la technique et à l’économie. Tout ce qui n’allait
pas dans ce sens était désordonné. On associait aussi désordre avec impureté.
L’impureté était en effet perçue comme relevant du désordre. La modernité
refusait ainsi l’impureté en l’associant à tout ce qui ne favorisait pas
l’ordre. Toute forme d’impureté devait donc être éliminée. Le saut était facile
à faire – et fut fait très souvent – entre impureté, désordre et hétérogénéité
sociale et culturelle. Par conséquent, les «différents» (socialement,
culturellement, ethniquement, religieusement, sexuellement) étaient persécutés
en toute bonne conscience.
Ordre → changement dans le sens du progrès → amélioration
du monde
Désordre → refus du changement dans le sens du progrès →
destruction du monde
Dans ce cadre, il y a ceux qui sont modernes et qui font
la promotion du progrès. Et, il y a ceux qui ne le sont pas ou ne le seront
jamais. L’identité passant par l’acceptation et la croyance dans le progrès,
ceux qui n’acceptent pas ce progrès ou n’y croient pas ont des identités
négatives. Il y a production d’une altérité parfois totale comme dans les
idéologies racistes (fascisme, nazisme).
Dans la postmodernité rien de tel. Il n’existe plus un
sens, une direction dans laquelle va le progrès. La notion de progrès s’est
même en quelque sorte volatilisée. Le monde postmoderne vit toujours du
changement mais c’est un changement superficiel qui repose sur une base
immuable (bien qu’elle ne soit jamais identifiée comme telle) : la
consommation. La consommation c’est une autre manière de dire la jouissance
narcissique du moi : «je fais ce qui me plaît, j’achète ce que je veux».
Tout peut changer, tout doit changer, sauf la capacité de consommer, sauf mes
droits à jouir du plus de liberté possible. On tolère ainsi toutes les libertés
en autant qu’elles se conjuguent avec la jouissance narcissique. Dans ce
contexte, la pureté n’est plus une préoccupation car il n’y a plus une
direction où aller. Il n’y a plus de vérités révélées par la science, plus de
solutions à tous les problèmes apportées par la technique. Plus besoin de
pureté, seulement besoin de ce qui se consomme et le métissage, dans un
contexte d’échanges mondiaux, se consomme bien.
En fait, il n’y a plus d’altérité autre que le fait d’être ou de ne pas
être consommateur. La difficulté ici vient moins de la production d’altérité
radicale que de l’impossibilité à produire de l’altérité. Penser l’autre comme
autre (même s’il demeure un être humain et en cela qu’il continue à partager
avec moi quelque chose de commun ayant une valeur en elle-même : notre
commune appartenance à l’humanité), sur le plan social ou culturel devient de
plus en plus ardu pour nos contemporains. Autrui n’est jamais qu’un pareil à
moi qui ne se connaît pas encore…et lorsque cela arrivera, nos différences
essentielles disparaîtront; ne restera que les différences «folkloriques». Il y
a dans cette manière de penser occidentale quelque chose de naïf et de
généreux : tous pourront avoir accès à mon bien-être. Mais, on peut y
déceler aussi un vice dangereux : l’incapacité à se sortir de soi,
l’impuissance à rencontrer et à dialoguer avec l’altérité, bref, le narcissisme
érigé en attitude d’ouverture à autrui.
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