Le philosophe Michel Meyer travaille depuis de nombreuses années à redéfinir la manière de faire et de penser la philosophie. Il tente de dégager un chemin entre l'idéalisme - qui estime que ce que nous connaissons du réel n'est jamais qu'une image construite à partir de nos catégories de pensées et non pas une image qui montre le monde tel qu'il est - et le réalisme, qui prétend, lui, qu'il est possible d'accéder directement à la nature des choses. Selon Meyer, les deux approches s'épuisent inutilement à rechercher une réponse quand il serait préférable de se pencher sur la question soulevée. En effet, la question - la «science» des questions serait la problématologie selon Meyer - est plus importante que la réponse. Le philosophe tente de démontrer que les traditions philosophiques ont, historiquement, refoulé la question des questions. Ainsi, l'ontologie est née du désir de voir le questionnement de la pensée enfin vaincu car il serait le contraire de la vérité. Or, pour Meyer, la question est primordiale et l'ontologie est insoluble a priori. L'ontologie, qui pense l'Être, ne peut que constater que celui-ci est multiple et que, par conséquent, la réponse qu'on lui donne ne peut également qu'être multiple. Autrement, l'Être se manifestant de multiples manières, il ne peut que demeurer toujours problématique. Ainsi, l'Être ne devrait pas être considéré comme l'opérateur de l'identité mais plutôt comme celui de la différenciation problématologique. Pour Meyer, l'Être est donc le marqueur de la différence entre la question et la réponse. On peut dire la même chose du cogito de Descartes : une fois de plus il s'agit de faire disparaître la question au profit de la réponse.
On peut prendre l'exemple du débat sur la fin des fondements. L'absence de fondement fait courir le risque du cynisme, du nihilisme, de l'opportunisme, du relativisme. Il faut en sortir à coup sûr. Or, Meyer soutient que la sortie de la crise de la philosophie réside dans l'option de prendre acte que le fondement ultime c'est le questionnement lui-même et non pas une réponse quelle qu'elle soit. En somme, la sortie de crise ne saurait passer par un retour aux fondements anciens qui ont fait long feu : le cosmos, la cogito, l'Être, Dieu, etc. La sortie de crise est donc dans l'arrêt du refoulement des questions, dans le fait de cesser de mettre l'accent uniquement sur les réponses. Il faudrait donc arrêter de voir la «problématicité des choses» comme étant une force négative contre laquelle on doit lutter à tout prix.
Les sciences modernes et la vie en société démontrent pourtant, toujours selon Meyer, que tout est «questions». Il est possible et nécessaire de réhabiliter la notion de fondement en ramenant sur le devant de la scène la question plutôt que de s'évertuer à faire de la proposition l'unité de base de la Raison. Le questionnement dont parle Meyer est un questionnement qui ne s'épuise pas dans une recherche de la réponse définitive (qui est une manière de nier l'importance fondatrice des questions). De la sorte, on redonnerait sens à la quête philosophique. Cela pourrait aussi, aux dires du philosophe, favoriser une meilleure harmonisation de la philosophie et de la science. La première s'occupant des questions (problématologie) et la seconde des réponses. La philosophie ainsi pensée devient en quelque sorte, la science des questions.
Parmi les nombreux écrits de Michel Meyer, je commande particulièrement, l'ouvrage suivant :
Michel Meyer (2005). Comment penser la réalité ? Paris : PUF.
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