Référence :
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RÉSUMÉ : Cet article se veut essentiellement un travail de synthèse sous la forme d’une brève revue de littérature au sujet des savoirs disciplinaires et curriculaires en enseignement. Plus spécifiquement, il vise à déterminer quelles sont les principales conclusions qui se dégagent de la lecture des recherches empiriques sur les savoirs disciplinaires et curriculaires des enseignants des ordres d'enseignement primaire et secondaire. Il propose donc une classification des différentes dimensions constitutives du rapport entre les savoirs disciplinaires et curriculaires et la pratique enseignante. Les résultats mis au jour permettent d’une part, d'identifier les facteurs qui entraînent des différences dans les connaissances disciplinaires et curriculaires des enseignants et d’autre part, de mieux saisir comment ces connaissances de l'enseignant peuvent influencer en retour sa pratique.
1. Mise en contexte
Les
années soixante ont été marquées par une grande variété de courants d'idées et
de recherches en éducation. Parmi celles-ci trois types de travaux furent
déterminants. D'abord, certaines études
de type sociologique (Coleman, 1966; Bourdieu et Passeron, 1964 et 1970;
Jencks, 1972; Mosteller et Moynihan, 1972) eurent une importance particulière
en ce qu'elles ont fait valoir l'influence marquante du milieu social sur la
performance des élèves. Ensuite, un autre courant de recherches d'orientation
psychologique, influencé notamment par le béhaviorisme et les théories de
Piaget avait pour caractéristique principale de mettre l'accent sur
l'apprentissage et le développement de l'élève (Travers, 1973). Enfin, durant les années soixante aux
États-Unis, les grands projets nationaux de réforme des programmes scolaires
[mathématiques (SMSG), biologie (BSCS), physique (PSSC), chimie (CHEM), etc.]
ont donné un essor important à la recherche dans le champ du curriculum. Or, à
l'analyse il apparaît que dans ces trois champs de recherches, une variable
était constamment négligée, voire même sous estimée : l'enseignant. Dans ces
trois cas, on laissait entendre que la performance des élèves s'explique soit
par le milieu social, soit par le curriculum ou soit par la connaissance des
processus de développement et d'apprentissage de l'élève, autrement dit, par
tout autre chose que l'enseignant lui-même, comme si ce dernier était une
variable nulle dans le processus enseignement/apprentissage, comme s'il n'était
pas pertinent de faire des recherches qui portent explicitement sur son action
pour expliquer la performance des élèves. En bref, dans ces études, tout se
passait comme si, tout compte fait, l'enseignant «ne faisait pas de différence»
et, qu'en conséquence, il n'était pas nécessaire de chercher à améliorer sa
performance comme enseignant.
Durant
les années soixante-dix, plusieurs auteurs (Good, Biddle, Brophy, 1975;
Rosenshine, 1971) ont cependant refusé d'entériner cette thèse. Pour tenter de
savoir si les enseignants font réellement une différence au regard des
apprentissages des élèves ils ont initié un important mouvement de recherches
dans les classes et auprès des enseignants. Au milieu des années quatre-vingts,
le rapport de groupe Holmes (1986) a donné une nouvelle impulsion à la
recherche sur l'enseignant en mettant en scène le concept de
professionnalisation de l'enseignement. Pour le membres de ce groupe, la
professionnalisation de l'enseignement passait, entre autres choses, par la
détermination d'une base de connaissances spécialisées. Or, pour
spécifier ces savoirs, il fallait stimuler la recherche et ce, dans deux
directions complémentaires. D'abord, les recherches avec les enseignants menées
dans les écoles élémentaires et secondaires devaient être menées afin de bien comprendre la nature et la
spécificité de l’activité enseignante et ses effets sur les élèves; ensuite, il
fallait procéder à la synthèse des résultats accumulés. Depuis lors, de
multiples approches de recherche sur le terrain se sont donc développées et il
s’avère désormais impérieux de commencer à réaliser des synthèses de ces
recherches. C'est à ce travail de synthèse auquel nous nous sommes astreints
depuis quelques années (Gauthier et al,
1997).
2. L’objet de cet article : les savoirs disciplinaires et
curriculaires
Il
est plus facile d'affirmer qu'il existe une base de connaissances en
enseignement que d'en démontrer la nature et la structure. C’est pourquoi, nous
nous sommes attardés à en déterminer à la fois les contours et le contenu. Pour
ce faire, nous nous sommes notamment appuyés sur les travaux de Tardif,
Lessard, Lahaye (1991) qui avancent l'hypothèse que l'enseignant ne possède pas
un savoir unique mais qu'il mobilise plusieurs types de savoir simultanément
dans sa classe. Il est ainsi possible de concevoir l'enseignement comme la mise
en action différents savoirs composant une sorte de réservoir (Gauthier et al., 1997) dans lequel l'enseignant
puise pour répondre à certaines demandes précises de sa situation concrète
d'enseignement.
Ainsi, nous avons identifié dans des travaux
antérieurs plusieurs types de savoirs possédés et mobilisés par l’enseignant
(Gauthier et al, 1997; Martineau et al, 1995; Martineau, 1996).
Compte-tenu de l’espace dont nous disposons, nous ne faisons ici que les
énumerer : le savoir de culture générale (qui ne porte pas sur l’éducation mais
qui peut être mobilisé dans l’enseignement), le savoir de la tradition
pédagogique (plus ou moins tacite et basé sur une tradition transmise dans les
milieux d’enseignement); le savoir d'expérience (acquis et développé par
l’enseignant tout au long de sa carrière professionnelle); le savoir d'action
pédagogique (le savoir d’expérience des enseignants analysé et formalisé par la
recherche sur et pour l’enseignement); le savoir des sciences de l’éducation
(le savoir des disciplines contributrices); le savoir disciplinaire et savoir
curriculaire. Étant donné que cet article porte sur ces deux derniers types de
savoir, nous en offrons ci-après une description un peu plus complète.
Le savoir disciplinaire réfère aux savoirs produits par les
chercheurs et savants dans les diverses disciplines scientifiques, à leur
production de connaissances au sujet du monde.
L'enseignant ne produit pas du savoir disciplinaire mais, pour
enseigner, il interprète le savoir produit par ces chercheurs. En effet,
enseigner nécessite une connaissance du contenu à transmettre puisqu'on ne peut
évidemment enseigner quelque chose si on n'en maîtrise pas le contenu.
Cependant, lorsqu’on l'examine plus en profondeur, l'expression «connaître sa
matière» peut prendre plus d'une signification. Que veut-on dire par «connaître
sa matière» pour un enseignant en contexte réel d'enseignement ? Est-ce que la connaissance de la matière de
l’enseignant en chimie diffère de celle du chimiste ? Dans quel sens la
connaissance de la matière exerce-t-elle une influence sur la pratique
enseignante et par conséquent sur l'apprentissage des élèves ?
Par ailleurs, une discipline n'est jamais enseignée
telle quelle. En réalité, elle fait l'objet de nombreuses transformations pour
devenir un curriculum. Le système scolaire sélectionne et organise ainsi
certains savoirs produits par les sciences. Ces savoir sont restructurés sous
la forme de programmes scolaires. Ces derniers sont produits par d'autres
acteurs que les enseignants, souvent des fonctionnaires de l'État ou des
spécialistes des diverses disciplines. L'enseignant connaît évidemment son
programme lequel constitue un autre savoir de son réservoir de connaissances :
le savoir curriculaire. C'est, en effet, le programme qui lui sert de guide
pour planifier, évaluer, etc. Cependant, tout comme pour le savoir
disciplinaire, existe-t-il une littérature empirique qui examine la nature du
savoir curriculaire des enseignants dans leur contexte réel d'enseignement ?
Quelles transformations au programme l'enseignant opère-t-il ? Dans quel sens
le savoir curriculaire exerce-t-il une influence sur la pratique enseignante et
par conséquent sur l'apprentissage des élèves ? Notre objectif est donc de
faire porter notre investigation sur ces deux derniers types de savoirs : le
savoir disciplinaire et le savoir curriculaire
Même
si à l'évidence chacun reconnaît d'emblée l'importance de la connaissance de la
matière comme compétence centrale en enseignement, il n'en demeure pas moins
qu'avant les années 1980 peu de recherches conduites sur ce sujet ont donné des
résultats significatifs (Grossman, 1991 a et b; Shulman, 1986 a et b; Byrne,
1983). En effet, paradoxalement, plusieurs de ces recherches ont plutôt conclu
que la connaissance de la matière n'avait pas ou peu d'influence sur la
performance des élèves (Grossman, Wilson, Shulman, 1989). Pourquoi en était-on
arrivé à cette conclusion ? Plusieurs
raisons peuvent expliquer ce phénomène. La principale consiste surtout dans la
non pertinence de la méthodologie utilisée pour aborder cette question. Il faut
en effet savoir que ces recherches ont été conduites surtout selon des
approches méthodologiques de type «présage-produit». Or, ce genre de méthodologie ne permet pas de
discriminer des aspects plus subtiles de la compréhension de la matière par
l'enseignant qui peuvent avoir une influence sur l'apprentissage des élèves.
Cela a conduit Shulman (1986a) à déclarer qu'il conviendrait de pousser
davantage l'étude de ce qu'il appelle le missing
paradigm (la connaissance de la matière et du programme par l'enseignant)
étant donné que, selon lui, le contenu à enseigner demeure une facette centrale
de l'acte pédagogique.
Il s'agit pour nous d'un premier arpentage de ce
territoire, d'un premier effort de cadrage à partir d'une revue de littérature,
pour l'instant, encore incomplète. Notre préoccupation de recherche consiste
donc à déterminer quelle sont les principales dimensions qui se dégagent de la
lecture des recherches empiriques sur les savoirs disciplinaires et
curriculaires des enseignants des ordres d'enseignement primaire et secondaire.
On l'aura donc remarqué, notre intention n'est pas de procéder à une étude
empirique mais plutôt de réaliser un travail de synthèse des études de terrain
menées sur ces deux types de savoirs enseignants. Pour ce faire, nous nous attarderons aux
conclusions qui se dégagent de ces recherches que nous tenterons de classer en
diverses catérories. Il importe de mentionner au préalable que plusieurs de ces
recherches se limitent à décrire une réalité sans poser de jugement de valeur;
par contre, d'autres font ressortir davantage une dimension évaluative en mettant
l'accent sur tel ou tel aspect qui favoriserait l'apprentissage des élèves.
Dans l'un et l'autre cas, nous nous contenterons pour le moment d’énoncer les principaux les résultats
auxquels en arrivent ces recherches.
Nous
avons distingué plus haut savoir disciplinaire et savoir curriculaire. Ils sont
distincts au sens où ils sont produits dans des lieux différents : l'un, le
savoir disciplinaire, est le résultat des travaux de la communauté scientifique
alors que l'autre, le savoir curriculaire, est habituellement le produit du
travail de fonctionnaires du ministère de l'Éducation. Cependant, dans
l'activité enseignante ces différences sont moins nettes et s'atténuent. En
effet, «dans la tête de l’enseignant» ces deux savoirs sont intimement liés et
les recherches analysées ne font pas toujours la différence entre la
connaissance de la matière et celle du curriculum. Nous avons donc pris le
parti de les analyser conjointement.
3. Les savoirs disciplinaires et curriculaires transforment la
pratique enseignante et cette dernière transforme à son tour la connaissance
que l'enseignant possède de ces savoirs
Une
idée générale se dégage des recherches que nous allons explorer ci-après. D'une part, plusieurs travaux montrent que
les savoirs disciplinaires et curriculaires des enseignants transforment leur
pratique. En effet, la discipline d'origine, le niveau de formation, la
représentation de la nature de la discipline, la présence ou l'absence d'une
formation pédagogique, l'expérience d'enseignement et la connaissance du
programme influencent l'enseignement. D'autre part, la pratique d'enseignement
transforme à son tour la connaissance que l'enseignant possède de ces savoirs.
En effet, avec le temps, l'enseignant peut enrichir sa compréhension des
savoirs disciplinaires et curriculaires auxquels il a recours. À travers une
brève exloration de quelques recherches, nous allons faire ressortir divers
aspects de cette dynamique.
3.1 Il y a une différence dans l'enseignement d'une même
matière en fonction de la discipline de formation.
Hashweh
(1985 et 1987) a étudié 6 enseignants du secondaire ayant des formations
disciplinaires différentes : 3 en physique et 3 en biologie. Il leur a demandé de réfléchir sur un
problème en physique (le levier) et sur un autre en biologie (la
photosynthèse). La recherche montre que les enseignants ayant une formation
disciplinaire en physique sont davantage capables de formuler une
représentation adéquate du concept de levier alors que les enseignants ayant
une formation disciplinaire en biologie font de même au regard de la
photosynthèse. De plus, la connaissance de la matière va affecter la manière
dont les enseignants utilisent et critiquent le manuel de base.
Wilson
et Wineburg (1988) comparent quant à eux la pratique de 4 nouveaux enseignants
du secondaire diplômés du même programme en enseignement mais ayant des
formations disciplinaires différentes : 1- archéologie; 2- histoire des
États-Unis; 3- sciences politiques; 4- études de la société américaine
contemporaine. Ces 4 enseignants doivent enseigner un nouveau cours dans la
même matière : l'histoire. Cette recherche démontre que la formation
disciplinaire influence tant le processus que le contenu du cours. Par exemple,
le manque de connaissances en histoire manifesté par 2 des enseignants a limité
leur capacité non seulement à comprendre la matière au programme mais aussi à
apprendre de nouveaux éléments de contenu. Par contre, ceux possédant plus de
connaissances en histoire ont été capables d'intégrer les éléments du cours avec
lesquels ils n'étaient pas familiers dans leur réservoir de connaissances
historiques déjà établi. L'orientation disciplinaire d'origine des enseignants
a aussi une influence sur les buts qu'ils poursuivent. Par exemple, l'enseignant ayant une formation
en sciences politiques mettait plus l'emphase sur les aspects politiques et
économiques de l'histoire pendant que l'enseignante ayant une formation en
anthropologie privilégiait les aspects interculturels. De son côté,
l'enseignante ayant une formation en histoire concevait le cours non pas comme
l'apprentissage d'une succession de faits historiques mais comme le
développement par les élèves d'une pensée interprétative, démontrant par le
fait même une réflexion épistémologique sur la discipline plus avancée que ses
trois autres collègues.
De
son côté, Grossman (1991a) montre que lorsqu'un enseignant donne un cours en
dehors de sa discipline de formation, il a tendance à rapporter le contenu
d'enseignement à sa discipline d'origine.
Ainsi, s'il est formé en anthropologie et qu'il enseigne l'histoire, il
orientera davantage son cours vers les dimensions interculturelles. Ce
phénomène peut avoir pour conséquence d'entraîner une dérive du cours vers des
aspects périphériques à la discipline à l’étude qui font perdre de vue le
vecteur central du cours.
3.2 Il y a une différence dans l'enseignement
d'une même matière en fonction du niveau de connaissances d'une discipline
(parfois évaluée selon le diplôme).
Wilson
et Wineburg (1988) mentionnent que les enseignants possédant une formation de
plus courte durée en histoire ont tendance à baser l'apprentissage de cette
matière sur la connaissance des dates et des faits. Par contre, les enseignants ayant une
formation plus poussée se représentent l'apprentissage de l'histoire davantage
comme le développement de la capacité à interpréter les phénomènes historiques.
Les auteurs précisent cependant que l'accumulation de connaissances liées à
l'enseignement d'un cours particulier ne signifie pas nécessairement une compréhension
mieux intégrée de cette matière.
Dans
leurs études respectives, Ball (1988) et Steinberg, Marks, Haymore (1985)
mentionnent que les enseignants ayant un niveau élevé de connaissances en
mathématiques encouragent leurs élèves à trouver différentes façons de résoudre
un problème, à identifier les raisons pour lesquelles certaines stratégies
fonctionnent et d'autres non, et mettent l'emphase sur le développement de la
pensée mathématique plutôt que sur la seule recherche de la bonne réponse. À l'inverse,
les enseignants possédant une faible connaissance en mathématiques se
représentent cette discipline comme une série de procédures arbitraires qui
doivent être suivies à la lettre. Par conséquent, pour ces enseignants,
apprendre les mathématiques se résume très souvent à une simple quête de la
réponse exacte.
3.3 Il y a
une différence dans l'enseignement d'une même matière en fonction de la
représentation de ce qu'est la discipline à enseigner.
Baxter
(1987) rapporte le cas de 2 enseignants en informatique au secondaire qui
présentent des caractéristiques similaires quant à leur connaissance de la
matière (même formation) et à leur expérience d'enseignement (19 années). Sa recherche montre que, nonobstant ces similitudes,
ces deux enseignants conçoivent la discipline de manière différente. L'enseignant A met l'accent sur des aspects
plus formels (la syntaxe) du langage BASIC; en contraste, la vision de
l'enseignant B est davantage centrée sur les aspects pratiques de la
programmation. Cette approche différente de la discipline à enseigner se
reflète dans leur enseignement. Alors que dans ses explications aux élèves
l'enseignant A n'utilise jamais d'exemples empruntés à l'extérieur de son
champ, l'enseignant B n'hésite pas à parsemer ses cours de renvois et de
concepts tirés d'autres champs disciplinaires. De même, si l'enseignant A met
l'accent sur les définitions opérationnelles des termes et favorise un usage
«orthodoxe» de la syntaxe, l'enseignant B, de son côté, considère que les
concepts abstraits doivent être utilisés pour résoudre des problèmes pratiques.
Pour
sa part, Grossman, (1991b) a étudié le cas de 2 enseignantes de littérature au
secondaire possédant la même formation disciplinaire mais ayant des
orientations différentes envers la discipline.
Les résultats montrent que ces enseignantes ne choisissent pas les mêmes
objectifs d'enseignement, qu'elles vont privilégier des aspects différents du
contenu à enseigner et qu'elles ne sélectionnent pas les mêmes activités
d'apprentissage. Quant à eux, Wilson et Wineburg (1988) montrent que le niveau
de connaissance de la structure substantive et syntactique de la matière
influence la manière dont les enseignants présentent leur discipline à leurs
étudiants, notamment en ce qui oconcerne la planification didactique et la
sélection des contenus.
3.4 Il y a
une différence dans l'enseignement d'une même matière en fonction de la
présence ou de l'absence d'une formation pédagogique.
Grossman
(1989) a conduit une étude auprès de 6 enseignants débutants du secondaire en
littérature anglaise, dont la moitié seulement possédait une formation
pédagogique. Ses résultats indiquent que la présence ou l'absence de formation
pédagogique fait une différence dans l'enseignement. Par exemple, elle constate que les enseignants
ayant une formation pédagogique semblent plus conscients des besoins des élèves
et ont des attentes plus réalistes à leur endroit. De plus, ces enseignants vont centrer leur
planification spécifiquement de manière à prendre en compte les élèves non
motivés. De même, ils ont une
représentation plus explicite de l'enseignement de leur discipline; cette
représentation a un effet puissant sur la nature de la planification de leur
cours et sur la manière d'envisager leur rôle d'enseignant de littérature
anglaise. Enfin, elle influence ce que
l'enseignant retirera de ses expériences subséquentes.
3.5 Il y a une
différence dans l'enseignement d'une même matière en fonction de l'expérience
d'enseignement.
La
recherche de Hashweh (1985) laisse entrevoir que les enseignants expérimentés
développent un répertoire de stratégies particulières pour enseigner un thème (topic). Ce répertoire inclut différents
niveaux de traitement du thème. Il comprend également l'identification des
connaissances préalables nécessaires à sa compréhension. En outre, il englobe
un inventaire des préconceptions des étudiants au regard de son apprentissage
et des difficultés de compréhension que ces derniers éprouvent. Il est
également constitué d'un ensemble de stratégies permettant d'aider les élèves à
surmonter ces difficultés. Finalement, le répertoire contient des leçons-types
pour enseigner le thème de même qu'un argumentaire pour en faire valoir
l'utilité. De leur côté, Carpenter et al
(1988) illustrent dans leur recherche en enseignement des mathématiques à
l'élémentaire l'importance de la connaissance par les enseignants expérimentés
des préconceptions et des stratégies habituelles des élèves pour résoudre
différents types de problèmes.
Quant
à elle, Grossman (1991a) fait voir le lien entre l'expérience en enseignement
et la connaissance disciplinaire. Par exemple, elle mentionne que lors de la
préparation d'un nouveau cours, des enseignants débutants du secondaire en
sciences ont acquis de nouvelles connaissances sur leur discipline. De même,
cet apprentissage ne se limite pas seulement à un nouveau cours mais se produit
également lors d'une nouvelle préparation d'un cours qui a déjà été enseigné.
Ainsi les enseignants très expérimentés finissent par acquérir une connaissance
profonde du contenu. Toutefois, il ne faut pas oublier que cette capacité
d'apprendre de nouveaux contenus est en lien étroit avec leurs connaissances
antérieures.
En
somme, l'acquisition de l'expérience en enseignement permet de raffiner et de
rendre plus explicites les modèles de l'enseignement de la matière. Ceci a un
impact quand il s'agit de prendre des décisions au sujet du curriculum et de
l'enseignement en classe. Par exemple, l'enseignant débutant sera davantage
porté à suivre pas à pas le curriculum et sera plus dépendant des manuels que
l’enseignant chevronné (Grossman et Gudmundsdottir, 1987).
3.6 Il y a une différence dans
l'enseignement d'une même matière en fonction de la connaissance du programme.
Carlsen
(1988) a montré que, lorsque les enseignants sont familiers avec le contenu au
programme, ils sont plus enclins à utiliser une approche d'enseignement
simultanée et permettront plus facilement aux élèves de prendre la parole. À
l'inverse, les enseignants moins familiers avec le contenu au programme
semblent privilégier une approche centrée sur le travail individuel et tendent
à dominer la discussion et à monopoliser la parole en classe. De plus, quand
les enseignants connaissent peu le contenu au programme, ils ont tendance à
suivre la règle non écrite en plaidoirie qui recommande de ne jamais poser une
question dont on ne connaît pas déjà la réponse. Cette manière de procéder
limite les possibilités qu'ont les élèves de faire surgir leurs propres
questions au sujet du contenu.
Dans
leur recherche comparant l'enseignement de 4 enseignants ayant des formations
disciplinaires différentes, Wilson et Wineburg (1988) ont trouvé que
l'enseignante dont la formation d'origine était la plus éloignée du contenu du
cours qu'elle avait à enseigner, était également celle qui suivait le plus
servilement le manuel. Reynolds et al. (1988) rapportent des résultats
similaires : les enseignants qui sont les plus confiants dans leur connaissance
de la matière sont également les plus susceptibles de s'éloigner de l'organisation
du contenu telle qu'établie dans les manuels.
Les
enseignants en langue maternelle possèdent une connaissance horizontale et
verticale de leur matière. Non seulement
ils ont une connaissance des thèmes qui sont au programme d'un degré donné et des
liens qui les unissent, mais aussi ils savent ce que les élèvent ont appris
dans les années antérieures et ce qu'ils apprendront ultérieurement aux niveaux
suivants (Grossman, 1990).
Conclusion
Cette
trop rapide revue de la littérature est bien incomplète et les recherches
citées ne sont pas exemptes de critiques mais les résultats mis au jour
permettent d'identifier d'abord, de manière plus précise des facteurs qui
entraînent des différences de connaissances disciplinaires et curriculaires des
enseignants. Par exemple, celles-ci peuvent varier selon la discipline
d'origine, selon le niveau de formation, selon la présence ou l'absence d'une
formation pédagogique, selon l'expérience d'enseignement, etc. Les résultats
ont permis ensuite de mieux saisir comment la connaissance disciplinaire et
curriculaire de l'enseignant peut influencer sa pratique; elle semble en effet
exercer une impact sur des aspects tels que la planification, le choix des
buts, le choix des contenus et des activités d'apprentissage, la liberté par
rapport au manuel de base, la nature des exemples utilisés, les liens faits
avec des problèmes de la vie courante, avec d'autres disciplines, d'autres
programmes, d'autres niveaux, la manière de concevoir l'évaluation, etc.
Cependant, si les recherches sur les savoirs disciplinaires et curriculaires
des enseignants sont encore jeunes, et les résultats évidemment parcellaires,
il est d'ores et déjà possible de poser un certain nombre de questions
interpellant la formation initiale et continue des enseignants. Entre autres,
quel est l'impact du concept d'intégration des matières sur la connaissance de
la matière qu'ont les enseignants et leur pratique dans la classe ? Quelles
sont les conséquences de la bidisciplinarité
dans la formation des enseignants du secondaire comme cela est le cas au
Québec? Peut-on encore continuer à
ignorer la formation pédagogique dans l'enseignement post-secondaire ? De
telles questions, et bien d'autres encore qui pourraient surgir, rendent plus
pertinente l'idée de poursuivre les recherches sur cet espace trop longtemps
négligé. Ainsi, désormais retrouvé, le
paradigme de recherche sur les savoirs disciplinaire et curriculaire des
enseignants, permettra de mieux comprendre, voire même d'améliorer la pratique
et la formation des enseignants.
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