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02 février 2023

Problématique de l’exercice du pouvoir décisionnel des parents sur des sujets pédagogiques : le cas des conseils d’établissement (CE)

 

RéférenceMokwety-Alula, A., Martineau, S. (2002). L’exercice du pouvoir décisionnel des parents au sein d’un conseil d’établissement : recherche exploratoire. Brock Education, vol. 11, no. 2, printemps 2002, p. 62-72.

Introduction

            Cet article rend compte d’une recherche menée dans les régions de la Mauricie et des Bois-Francs auprès de parents oeuvrant au sein des conseils d’établissement (CE). Nous posons ici le problème de l’exercice du pouvoir décisionnel de ces parents. Nous montrons ainsi que, si ces derniers ont reçu le pouvoir légal de statuer sur certaines dimensions pédagogiques de la vie scolaire (ce que nous appelons l’autorité), leur pouvoir s’avère tout de même limité car ils possèdent rarement l’expertise qui permet d’influencer les décisions prises par les conseils d’établissement.

Mise en contexte

Le conseil d’établissement (CE) est une structure administrative relativement nouvelle née il y a quatre ans à la faveur de l’adoption de la loi 180 (MEQ, 1997). Cette loi a mis en place un processus de décentralisation qui a doté les écoles primaires, secondaires et les centres professionnels du Québec de pouvoirs décisionnels importants. Au dire des acteurs impliqués, cette institution qu’est le conseil d’établissement favorise la participation accrue des parents qui sont les premiers responsables de leurs enfants à l’école. En effet, l’importance de la participation des parents d'élèves dans l’administration et la vie de l'école est une réalité dans le monde et plus spécifiquement au Canada (OCDE, 1997; MEQ, 1996; Comeau, Salomon, 1994). Selon une étude de l'OCDE effectuée dans la plupart des pays membres, la gestion de l'école relève généralement d'un conseil d'administration, composé à majorité de parents (OCDE, 1997). Au Québec, la participation officielle des parents remonte à vingt ans si l’on se réfère à la première loi, la loi 27 de 1971, qui crée les comités d’école et de parents. Cette dernière fut suivie par les lois 30 et 71 de 1979 qui instituèrent le conseil d’orientation, puis par la loi sur l’instruction publique de 1989, qui précisa les pouvoirs consultatifs des différents comités et conseils, tant au niveau de l’école que de la commission scolaire. Non satisfaits de leurs pouvoirs qui étaient jusque là essentiellement consultatifs, les parents ont revendiqué et obtenu des nouveaux pouvoirs et un rôle plus important, cette fois-ci décisionnels, sur tous les aspects entourant la vie de l’école. Par exemple, ils peuvent désormais approuver et adopter des propositions préparées et présentées par l’école :  « …Nous tenons absolument à ce que le nombre de membres du conseil d'établissement soit rehaussé pour permettre la représentation égale de toutes les options offertes à l'école et du nombre d'élèves. Les parents doivent y être majoritaires et la présidence doit revenir à l'un d'entre eux. Les fonctions et les pouvoirs du conseil ont intérêt à être revus pour que les parents soient à tout le moins consultés sur tous les aspects entourant la vie de l'école (...)» (FCPPQ 1997).

En effet, avec l’institution du CE (MEQ, 1997), qui est entrée en vigueur depuis juillet 1998, en remplacement du comité d’école et du conseil d’orientation, les parents membres peuvent exercer désormais des pouvoirs décisionnels et des fonctions accrues à l’école, par le biais de cette nouvelle structure administrative (Assemblée Nationale du Québec, 1998). Ils ne sont toutefois pas les seuls acteurs au sein des CE. Les parents, même s’ils sont majoritaires et même si la présidence est assumé par un des leurs, doivent interagir avec les représentants élus des enseignants, des membres de la communauté et des élèves (au secondaire), dans le but ultime de veiller à la formation de qualité et à la réussite du plus grand nombre d’élèves (MEQ, 1997).

Le problème : une remise en question des compétences des parents

La Loi 180 confirme la légitimité du pouvoir décisionnel des parents. Cependant, l’exercice de ce pouvoir sur des sujets relevant de l’expertise professionnelle de l’école ne semble pas être une réalité pour beaucoup de parents. En effet, aux yeux d’autres acteurs que les parents, cet exercice du pouvoir décisionnel pourrait rencontrer des limites dans certains domaines. Les opposants à l’attribution des pouvoirs décisionnels aux parents qui ont exprimé des craintes et appréhensions à ce sujet, estiment que ces derniers ne sont pas compétents entre autres dans le domaine pédagogique, ainsi que le mentionnent certaines sources comme par exemple, « la plupart des parents ne sont pas familiers avec la terminologie propre au secteur de l’éducation (Fortin, 1998; Harvey, 1999), « pour certains enseignants, les parents ne sont pas compétents en matière de pédagogie et de la gestion scolaire » (MEQ, 1999). Il est important de préciser que ces appréhensions sont non seulement antérieures à l’institution du CE mais également formulées dans d’autres pays (MEQ, 1977; OCDE, 1996; Comeau et Salomon, 1994). Comme on peut le constater, ces critiques qui sont liées essentiellement à la compétence des parents sont à considérer, puisqu’en effet ces sont elles qui semblent poser un défi quant à l’exercice du pouvoir décisionnel qui leur est attribué. Le nœud du problème peut se résumer comme suit : est-il pertinent de conférer des pouvoirs sur des aspects de la vie scolaire dont les parents ne possèdent pas l’expertise ?

Pouvoir légal (autorité) distinct de l’exercice du pouvoir décisionnel (influence)

Pour exercer un pouvoir dans un groupe, dans le cadre d'une discussion devant aboutir à une décision (le cas du CE), tout acteur impliqué doit être capable d'influencer au besoin, s’il veut faire passer son opinion. En ce sens, Crozier et Friedberg (1977) affirment que, « c’est la partie ou la personne qui influence une décision qui exerce véritablement un pouvoir car, ce dernier en terme d’influence est un rapport de force et s’exerce dans un contexte d’interaction ». Or, pour influencer, poursuivent ces deux auteurs, « il faut posséder des ressources nécessaires dans le domaine concerné pour pouvoir assurer une argumentation efficace ». Il s'agit en fait, de pouvoir justifier ses choix ou ses opinions par des arguments fondés. C’est une chose de posséder le pouvoir légitime, mais l’exercer adéquatement en influençant les choix c'en est une autre. Quelqu’un peut se voir attribuer un pouvoir, aussi légitime qu'il soit, sans pour autant en avoir les ressources nécessaires qui permettent de l'exercer. Il apparaît donc que parler de pouvoir, c’est référer davantage à l’influence que les gens parviennent à exercer plutôt qu’au pouvoir attribué par une disposition légale. Et c’est ici qu’il faut distinguer le fait de posséder un pouvoir légal de l’exercice du pouvoir décisionnel qui sont deux réalités différentes dans les faits, mais aussi deux aspects du pouvoir qui vivent dans une forme d’osmose. Dès lors, il est possible de comprendre que, le pouvoir légitime peut-être "circuité" par l'influence qui est l'exercice parfait du pouvoir (Jacques, 1986). Ce dernier qui a repris les théories classiques du pouvoir (Crozier et Friedberg 1977; Crozier, 1964; French et Raven, 1959, Mintzberg, 1986; Dahl; 1957) distingue nettement les notions d’autorité et d’influence. Selon lui, l’autorité que confère la structure peut s’avérer insuffisante pour réaliser les objectifs; c’est pourquoi elle nécessite le recours à l’influence, laquelle est un pouvoir informel lié à des caractéristiques qui relèvent de l’individu. L’influence provient des connaissances acquises et permet à l’acteur de résoudre différents problèmes. Elle s’exerce soit sur la base du charisme personnel, soit grâce au pouvoir que confère l’expertise. Il s’agit au fait du pouvoir de la compétence. Et la compétence est déterminée par deux facteurs essentiels à savoir :

-       les connaissances techniques dans un domaine particulier. Les personnes qui détiennent ces connaissances sont appelées des « professionnels », c’est-à-dire des individus capables d’accomplir un travail complexe et spécialisé. À l'école les experts sont en tout premier lieu les enseignants qui, de par leur formation et leurs compétences, sont en mesure de faire faire aux élèves les apprentissages scolaires prévus aux programmes (Comeau, J., Salomon, A., 1994);

-       les informations dont peut disposer un individu ou une organisation. Toute personne, quelle que soit sa position hiérarchique, peut être en mesure d’exercer une influence en raison de son accès à l’information.

Plusieurs questions se posent alors : est-ce que les parents se sentent à l'aise de prendre partie ou de se prononcer sur des sujets d'ordre pédagogique ? Est-ce que ces sujets requièrent des parents une expertise ou une compétence particulière ?  Quel rapport de force peut-on observer au sein des CE ?

Méthodologie

L’étude qui est basée sur une approche qualitative reposant sur des entrevues semi-dirigées individuelles a été réalisée entre octobre et décembre 2000, auprès de huit parents (quatre femmes et quatre hommes issus de divers milieux socioprofessionnels), siégeant aux conseils d’établissement de six écoles primaires et secondaires des Régions de la Mauricie et des Bois-Francs. Leur expérience moyenne au sein du CE était de deux ans.

Principaux résultats de l’étude

  1. Perception de l’exercice du pouvoir : La nature du pouvoir exercée par les parents

Les propos ont permis de recueillir la perception des parents quant au pouvoir qu’ils considèrent exercer. De façon quasi unanime, 7 parents sur les 8 interrogés à ce sujet ont le sentiment qu’ils n’ont pas de pouvoir et qu’ils ne sont pas «décisionnels» au sein du conseil d’établissement. Pour ces parents, c’est la direction d’école ainsi que les enseignants qui continuent à tout contrôler : «… à mon avis, nous on se prononce sur des choses mais on n’est pas décisionnels» , « … moi, je ne pense pas vraiment que les parents ont le pouvoir, c’est peut-être des pouvoirs écrits sur papier, mais la réalité, je ne suis pas sûre, car tout est décidé à l’avance […] »; «[…] c’est le directeur et les enseignants qui maîtrisent tout; nous on est là juste pour approuver ce qu’ils font, ce qu’ils nous présentent […]». Les résultats sur la même question montre également que 6 parents sur 8 ont reconnu ouvertement leur incompétence sur des sujets spécialisés d’ordre pédagogique ou financier. Dans l’ensemble, les parents estiment que le CE fonctionne comme les anciens comités et conseils (conseil d’orientation et le comité d’école).

  1. Exercice du pouvoir sur des sujets pédagogiques

À la lumière de ce qui précède se pose alors la question suivante : sur quoi les parents se basent-ils pour donner leur opinion sur les propositions pédagogiques débattues ? Les informations recueillies à ce sujet révèlent que, la plupart des parents n’ayant pas d’expertise requise dans ce domaine, utilisent deux principales voies pour intervenir : 7 sur 8 parents posent des questions sur la compréhension de la proposition : « […] je pense que dans un premier temps, il faut poser des questions par ce qu’on est pas des spécialistes […], puis on essaie de comprendre le mieux qu’on peut » ; une autre possibilité est celle de demander des explications pour comprendre avant de faire un choix : « […] tout ce qu’on fait, ce qu’on demande au directeur ou aux enseignants qui sont là de nous expliquer […] ; on ne s’en cachera pas, c’est les gens qui vivent le plus dans les bâtiments qu’on appelle l’école (…), c’est à eux qu’on va demander de l’information additionnelle […]». Pour certaines propositions strictement d’ordre pédagogique, la moitié des parents rencontrés (4 sur 8) fait simplement confiance aux membres du personnel de l’école; ils se rallient souvent aux personnes influentes (5 sur 8) : « […] j’approuve le choix des professeurs dans le choix d’un livre […] »; « … ce n’est pas nécessairement par consensus que nous décidons, fait qu’à un certain moment on se rallie à la majorité […] ».

  1. Conditions de l’exercice du pouvoir décisionnel par les parents au sein d’un CE

Compte tenu des difficultés que les parents semblent éprouver dans l’exercice du pouvoir décisionnel au sein des CE, la première grande condition qu’ils posent est la participation des parents. La majorité des parents interrogés souhaitent : une plus grande participation des parents (8 sur 8), des parents dynamiques et intéressés; acceptant de donner plus de leur temps pour l’école (6 sur 8); et pour ce faire, il est plus qu’indispensable de susciter l’intérêt et le désir de participer chez les parents, à travers des grandes occasions autres que celles liées à l’école : « Je souhaite que les parents soient plus intéressés simplement, qu’ils comprennent leur rôle que les autres ont à jouer; que ce n’est pas un rôle de simple figurant, c’est vraiment un rôle de participant […] ». « Il faut que les parents soient disponibles et nombreux à participer […] ». La deuxième condition est relative à la formation et à l’information à donner aux parents. A ce sujet, les parents souhaiteraient avoir parmi eux (au niveau de chaque conseil) des membres outillés (7 sur 8), c’est-à-dire, formés et suffisamment informés (8 sur 8) de tout ce qui se passe dans le système scolaire et surtout à l’école. « […] Je pense que ce serait intéressant d’avoir parmi nous des parents outillés, formés et qui ont des expériences variées dans certains domaines […] ; au besoin, nous irons chercher des experts en éducation, en comptabilité, en enseignement pour comprendre certaines propositions qui nous sont présentées ; […] je pense que ce serait intéressant d’avoir parmi nous des parents outillés, formés et qui ont des expériences variées dans certains domaines […] ». Ce qui leur permettrait de participer de manière entièrement responsable aux décisions qui se prennent au CE.

Conclusion

L’objectif principal de cette étude exploratoire était d’analyser la perception qu’avaient les parents de l’exercice de leur pouvoir décisionnel au sein d’un CE. Les résultats qui confirment les critiques faites à leur égard révèlent que les parents ne possèdent pas toujours l’expertise nécessaire pour se prononcer sur des sujets d’ordre pédagogique préparés et proposés par l’équipe-école. En effet, si le pouvoir des parents est légitimé par la loi, son exercice semble limité par le manque d’expertise pédagogique qui ne leur permettrait pas de justifier leur choix, ni de poser des questions pertinentes. Les parents estiment que l’accès à l’information et la formation leur seraient des atouts indispensables pour jouer pleinement leur rôle dévolu par la loi. De même, ils souhaiteraient avoir parmi eux des spécialistes dans le domaine de l’éducation (enseignement), mais la très faible participation des parents pose un sérieux problème. Dans les circonstances, on peut légitimement se demander si la mise en place des CE a vraiment aidé à démocratiser l’exercice du pouvoir au sein du monde scolaire. Un projet pilote de formation de parents pourrait être envisagé pour les entraîner à l’exercice du pouvoir décisionnel réel, car la simple formation à la connaissance et à la compréhension de la loi 180 s’avère insuffisante. Bien que l’échantillon de cette étude ne soit pas représentatif de l’ensemble des CE que comptent le Québec et que les résultats obtenus ne peuvent être généralisés qu’avec une extrême prudence, nous croyons néanmoins qu’ils sont révélateurs d’une certaine réalité vécue actuellement par les parents dans les CE.

Références

 

Assemblée Nationale du Québec (1998). Loi sur l’instruction publique (Loi 180). Québec : Éditeur officiel du Québec.

 

Comeau, J., & Salomon, A., (1994). La participation à l'école : une recherche de sens pour les intervenants. Québec : Agence d'Arc.

 

Crozier, M. (1964). The bureautic phenomenon. Chicago : University of Chicago Press.

 

Crozier, M., & Friedberg, E. (1977). L’acteur et le système : les contraintes dans l’action collective. Paris : Éditions du Seuil.

 

Dahl, R. A. (1957). The concept of power. Behavioural sciences, 2, 201-215.

 

Fédération des Comités de Parents de la Province du Québec (FCPPQ) (1997). Progression ou régression de la participation parentale? Résumé du mémoire sur l'avant projet de loi présenté à la commission de l'éducation. Québec : FCPPQ.

 

Fortin, P. (1998, Mai). C’est bien que les écoles se prennent en main. Le point en administration scolaire, l(1), 10-11.

 

French, J., & Raven, B. (1959). The basis of social power. Dans C. Cartwrigth (Éd.), Studies in Social Power. Ann Arbor, Mich.: University of Michigan Press.

 

Harvey, C. (1999, Mars-Avril). Les conseils d’établissement en période de rodage. Nouvelles CEQ, 20(2), 10-12.

 

Jacques, J. (1986). Le pouvoir. Dans N. Côté, H. Abravanel, J. Jacques, & L. Bélanger (Éd.), Individu, groupe et organisation (pp. 278-306). Québec : Gaétan Morin Éditeur.

 

Ministère de l’Éducation (1977). Le Livre vert sur l’enseignement primaire et secondaire. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Ministère de l’Éducation. (1996). Les états généraux sur l’éducation 1995-1996. Exposé de la situation. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Ministère de l’Éducation. (1997). Prendre le virage du succès. Plan d’action ministériel pour la réforme de l’éducation. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Ministère de l’Éducation. (1999). Les conseils d’établissement. Regard sur une première année de fonctionnement. Québec : Gouvernement du Québec.

 

Mintezberg, H. (1986). Le pouvoir dans les organisations. Montréal : Éditions d’Organisations.

 

Organisation de coopération et de développement économique. OCDE. (1997). Les parents partenaires de l’école. Paris : Centre pour la recherche et l’innovation dans l’enseignement.

 

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