Introduction
Cet
article rend compte d’une recherche menée dans les régions de la Mauricie et
des Bois-Francs auprès de parents oeuvrant au sein des conseils d’établissement
(CE). Nous posons ici le problème de l’exercice du pouvoir décisionnel de ces
parents. Nous montrons ainsi que, si ces derniers ont reçu le pouvoir légal de
statuer sur certaines dimensions pédagogiques de la vie scolaire (ce que nous
appelons l’autorité), leur pouvoir s’avère tout de même limité car ils
possèdent rarement l’expertise qui permet d’influencer les décisions prises par
les conseils d’établissement.
Mise en contexte
Le conseil d’établissement (CE) est une structure administrative
relativement nouvelle née il y a quatre ans à la faveur de l’adoption de la loi
180 (MEQ, 1997). Cette loi a mis en place un processus de décentralisation qui
a doté les écoles primaires, secondaires et les centres professionnels du
Québec de pouvoirs décisionnels importants. Au dire des acteurs impliqués,
cette institution qu’est le conseil d’établissement favorise la participation
accrue des parents qui sont les premiers responsables de leurs enfants à
l’école. En effet, l’importance de la participation des parents d'élèves dans
l’administration et la vie de l'école est une réalité dans le monde et plus
spécifiquement au Canada (OCDE, 1997; MEQ, 1996; Comeau, Salomon, 1994). Selon
une étude de l'OCDE effectuée dans la plupart des pays membres, la gestion de
l'école relève généralement d'un conseil d'administration, composé à majorité
de parents (OCDE, 1997). Au Québec, la participation officielle des parents
remonte à vingt ans si l’on se réfère à la première loi, la loi 27 de 1971, qui
crée les comités d’école et de parents. Cette dernière fut suivie par les lois
30 et 71 de 1979 qui instituèrent le conseil d’orientation, puis par la loi sur
l’instruction publique de 1989, qui précisa les pouvoirs consultatifs des
différents comités et conseils, tant au niveau de l’école que de la commission
scolaire. Non satisfaits de leurs pouvoirs qui étaient jusque là
essentiellement consultatifs, les parents ont revendiqué et obtenu des nouveaux
pouvoirs et un rôle plus important, cette fois-ci décisionnels, sur tous les
aspects entourant la vie de l’école. Par exemple, ils peuvent désormais
approuver et adopter des propositions préparées et présentées par
l’école : « …Nous
tenons absolument à ce que le nombre de membres du conseil d'établissement soit
rehaussé pour permettre la représentation égale de toutes les options offertes
à l'école et du nombre d'élèves. Les parents doivent y être majoritaires et la
présidence doit revenir à l'un d'entre eux. Les fonctions et les pouvoirs du
conseil ont intérêt à être revus pour que les parents soient à tout le moins
consultés sur tous les aspects entourant la vie de l'école (...)» (FCPPQ
1997).
En effet, avec l’institution du CE (MEQ, 1997), qui est entrée en vigueur
depuis juillet 1998, en remplacement du comité d’école et du conseil
d’orientation, les parents membres peuvent exercer désormais des pouvoirs
décisionnels et des fonctions accrues à l’école, par le biais de cette nouvelle
structure administrative (Assemblée Nationale du Québec, 1998). Ils ne sont
toutefois pas les seuls acteurs au sein des CE. Les parents, même s’ils sont
majoritaires et même si la présidence est assumé par un des leurs, doivent
interagir avec les représentants élus des enseignants, des membres de la
communauté et des élèves (au secondaire), dans le but ultime de veiller à la
formation de qualité et à la réussite du plus grand nombre d’élèves (MEQ,
1997).
Le
problème : une remise en question des compétences des parents
La Loi 180 confirme la légitimité du pouvoir décisionnel des parents.
Cependant, l’exercice de ce pouvoir sur des sujets relevant de l’expertise
professionnelle de l’école ne semble pas être une réalité pour beaucoup de
parents. En effet, aux yeux d’autres acteurs que les parents, cet exercice du
pouvoir décisionnel pourrait rencontrer des limites dans certains domaines. Les
opposants à l’attribution des pouvoirs décisionnels aux parents qui ont exprimé
des craintes et appréhensions à ce sujet, estiment que ces derniers ne sont pas
compétents entre autres dans le domaine pédagogique, ainsi que le mentionnent
certaines sources comme par exemple, « la
plupart des parents ne sont pas familiers avec la terminologie propre au
secteur de l’éducation (Fortin, 1998; Harvey, 1999), « pour certains enseignants, les parents ne
sont pas compétents en matière de pédagogie et de la gestion scolaire »
(MEQ, 1999). Il est important de préciser que ces appréhensions sont non
seulement antérieures à l’institution du CE mais également formulées dans
d’autres pays (MEQ, 1977; OCDE, 1996; Comeau et Salomon, 1994). Comme on peut le
constater, ces critiques qui sont liées essentiellement à la compétence des
parents sont à considérer, puisqu’en effet ces sont elles qui semblent poser un
défi quant à l’exercice du pouvoir décisionnel qui leur est attribué. Le nœud
du problème peut se résumer comme suit : est-il pertinent de conférer des
pouvoirs sur des aspects de la vie scolaire dont les parents ne possèdent pas
l’expertise ?
Pouvoir légal
(autorité) distinct de l’exercice du pouvoir décisionnel (influence)
Pour exercer
un pouvoir dans un groupe, dans le cadre d'une discussion devant aboutir à une
décision (le cas du CE), tout acteur impliqué doit être capable d'influencer au
besoin, s’il veut faire passer son opinion. En ce sens, Crozier et Friedberg
(1977) affirment que, « c’est la partie ou la personne qui influence une
décision qui exerce véritablement un pouvoir car, ce dernier en terme
d’influence est un rapport de force et s’exerce dans un contexte
d’interaction ». Or, pour influencer, poursuivent ces deux auteurs, « il
faut posséder des ressources nécessaires dans le domaine concerné pour pouvoir
assurer une argumentation efficace ». Il s'agit en fait, de pouvoir
justifier ses choix ou ses opinions par des arguments fondés. C’est une chose
de posséder le pouvoir légitime, mais l’exercer adéquatement en influençant les
choix c'en est une autre. Quelqu’un peut se voir attribuer un pouvoir, aussi
légitime qu'il soit, sans pour autant en avoir les ressources nécessaires qui
permettent de l'exercer. Il apparaît donc que parler de pouvoir, c’est référer
davantage à l’influence que les gens parviennent à exercer plutôt qu’au pouvoir
attribué par une disposition légale. Et c’est ici qu’il faut distinguer le fait
de posséder un pouvoir légal de l’exercice du pouvoir décisionnel qui sont deux
réalités différentes dans les faits, mais aussi deux aspects du pouvoir qui
vivent dans une forme d’osmose. Dès lors, il est possible de comprendre que, le
pouvoir légitime peut-être "circuité" par l'influence qui est
l'exercice parfait du pouvoir (Jacques, 1986). Ce dernier qui a repris les
théories classiques du pouvoir (Crozier et Friedberg 1977; Crozier, 1964;
French et Raven, 1959, Mintzberg, 1986; Dahl; 1957) distingue nettement les
notions d’autorité et d’influence. Selon lui, l’autorité que confère la
structure peut s’avérer insuffisante pour réaliser les objectifs; c’est
pourquoi elle nécessite le recours à l’influence, laquelle est un pouvoir
informel lié à des caractéristiques qui relèvent de l’individu. L’influence
provient des connaissances acquises et permet à l’acteur de résoudre différents
problèmes. Elle s’exerce soit sur la base du charisme personnel, soit grâce au
pouvoir que confère l’expertise. Il s’agit au fait du pouvoir de la compétence.
Et la compétence est déterminée par deux facteurs essentiels à
savoir :
-
les connaissances
techniques dans un domaine
particulier. Les personnes qui détiennent ces connaissances sont appelées des
« professionnels », c’est-à-dire des individus capables d’accomplir
un travail complexe et spécialisé. À l'école les experts sont en tout premier
lieu les enseignants qui, de par leur formation et leurs compétences, sont en
mesure de faire faire aux élèves les apprentissages scolaires prévus aux
programmes (Comeau, J., Salomon, A., 1994);
-
les informations
dont peut disposer un individu ou une organisation. Toute personne, quelle que
soit sa position hiérarchique, peut être en mesure d’exercer une influence en
raison de son accès à l’information.
Plusieurs
questions se posent alors : est-ce que les parents se sentent à l'aise de
prendre partie ou de se prononcer sur des sujets d'ordre pédagogique ? Est-ce
que ces sujets requièrent des parents une expertise ou une compétence
particulière ? Quel rapport de force
peut-on observer au sein des CE ?
Méthodologie
L’étude qui est basée sur une approche qualitative reposant sur des
entrevues semi-dirigées individuelles a été réalisée entre octobre et décembre
2000, auprès de huit parents (quatre femmes et quatre hommes issus de divers
milieux socioprofessionnels), siégeant aux conseils d’établissement de six
écoles primaires et secondaires des Régions de la Mauricie et des Bois-Francs.
Leur expérience moyenne au sein du CE était de deux ans.
Principaux
résultats de l’étude
- Perception
de l’exercice du pouvoir : La nature du pouvoir exercée par les
parents
Les propos ont
permis de recueillir la perception des parents quant au pouvoir qu’ils
considèrent exercer. De façon quasi unanime, 7 parents sur les 8 interrogés à
ce sujet ont le sentiment qu’ils n’ont pas de pouvoir et qu’ils ne sont pas
«décisionnels» au sein du conseil d’établissement. Pour ces parents, c’est la
direction d’école ainsi que les enseignants qui continuent à tout
contrôler : «… à mon avis, nous
on se prononce sur des choses mais on n’est pas décisionnels» , « … moi, je ne pense pas vraiment que les
parents ont le pouvoir, c’est peut-être des pouvoirs écrits sur papier, mais la réalité, je ne suis pas sûre, car
tout est décidé à l’avance […] »; «[…]
c’est le directeur et les enseignants qui maîtrisent tout; nous on est là juste
pour approuver ce qu’ils font, ce qu’ils nous présentent […]». Les résultats sur la même question
montre également que 6 parents sur 8 ont reconnu ouvertement leur incompétence
sur des sujets spécialisés d’ordre pédagogique ou financier. Dans l’ensemble,
les parents estiment que le CE fonctionne comme les anciens comités et conseils
(conseil d’orientation et le comité d’école).
- Exercice du pouvoir sur des sujets
pédagogiques
À la lumière de ce qui précède se pose
alors la question suivante : sur quoi les parents se basent-ils pour
donner leur opinion sur les propositions pédagogiques débattues ? Les
informations recueillies à ce sujet révèlent que, la plupart des parents
n’ayant pas d’expertise requise dans ce domaine, utilisent deux principales
voies pour intervenir : 7 sur 8 parents posent des questions sur la
compréhension de la proposition : « […] je pense que dans un premier temps, il faut poser
des questions par ce qu’on est pas des spécialistes […],
puis on essaie de comprendre le mieux qu’on peut » ; une autre possibilité est celle de
demander des explications pour comprendre avant de faire un choix :
« […] tout
ce qu’on fait, ce qu’on demande au directeur ou aux enseignants qui sont là de
nous expliquer […] ; on ne s’en cachera pas, c’est les
gens qui vivent le plus dans les bâtiments qu’on appelle l’école (…), c’est à
eux qu’on va demander de l’information additionnelle […]». Pour certaines propositions
strictement d’ordre pédagogique, la moitié des parents rencontrés (4 sur 8) fait
simplement confiance aux membres du personnel de l’école; ils se rallient
souvent aux personnes influentes (5 sur 8) : « […] j’approuve le choix des professeurs dans le choix d’un livre
[…] »; « … ce n’est pas
nécessairement par consensus que nous décidons, fait qu’à un certain moment on
se rallie à la majorité […] ».
- Conditions
de l’exercice du pouvoir décisionnel par les parents au sein d’un CE
Compte tenu
des difficultés que les parents semblent éprouver dans l’exercice du pouvoir
décisionnel au sein des CE, la première grande condition qu’ils posent est la
participation des parents. La majorité des parents interrogés souhaitent :
une plus grande participation des parents (8 sur 8), des parents dynamiques et
intéressés; acceptant de donner plus de leur temps pour l’école (6 sur 8); et
pour ce faire, il est plus qu’indispensable de susciter l’intérêt et le désir
de participer chez les parents, à travers des grandes occasions autres que
celles liées à l’école : « Je
souhaite que les parents soient plus intéressés simplement, qu’ils comprennent
leur rôle que les autres ont à jouer; que ce n’est pas un rôle de simple
figurant, c’est vraiment un rôle de participant […] ». « Il faut que les
parents soient disponibles et nombreux à participer […] ». La deuxième
condition est relative à la formation et à l’information à donner aux parents.
A ce sujet, les parents souhaiteraient avoir parmi eux (au niveau de chaque
conseil) des membres outillés (7 sur 8), c’est-à-dire, formés et suffisamment
informés (8 sur 8) de tout ce qui se passe dans le système scolaire et surtout
à l’école. « […] Je pense que ce serait intéressant d’avoir parmi nous
des parents outillés, formés et qui ont des expériences variées dans certains
domaines […] ; au besoin, nous irons chercher des experts en éducation, en
comptabilité, en enseignement pour comprendre certaines propositions qui nous
sont présentées ; […] je pense que ce serait intéressant d’avoir parmi nous des parents
outillés, formés et qui ont des expériences variées dans certains domaines […] ». Ce qui leur permettrait de
participer de manière entièrement responsable aux décisions qui se prennent au
CE.
Conclusion
L’objectif
principal de cette étude exploratoire était d’analyser la perception qu’avaient
les parents de l’exercice de leur pouvoir décisionnel au sein d’un CE. Les
résultats qui confirment les critiques faites à leur égard révèlent que les
parents ne possèdent pas toujours l’expertise nécessaire pour se prononcer sur
des sujets d’ordre pédagogique préparés et proposés par l’équipe-école. En
effet, si le pouvoir des parents est légitimé par la loi, son exercice semble
limité par le manque d’expertise pédagogique qui ne leur permettrait pas de
justifier leur choix, ni de poser des questions pertinentes. Les parents estiment
que l’accès à l’information et la formation leur seraient des atouts
indispensables pour jouer pleinement leur rôle dévolu par la loi. De même, ils
souhaiteraient avoir parmi eux des spécialistes dans le domaine de l’éducation
(enseignement), mais la très faible participation des parents pose un sérieux
problème. Dans les circonstances, on peut légitimement se demander si la mise
en place des CE a vraiment aidé à démocratiser l’exercice du pouvoir au sein du
monde scolaire. Un projet pilote de formation de parents pourrait être envisagé
pour les entraîner à l’exercice du pouvoir décisionnel réel, car la simple
formation à la connaissance et à la compréhension de la loi 180 s’avère
insuffisante. Bien que l’échantillon de cette étude ne soit pas représentatif
de l’ensemble des CE que comptent le Québec et que les résultats obtenus ne
peuvent être généralisés qu’avec une extrême prudence, nous croyons néanmoins
qu’ils sont révélateurs d’une certaine réalité vécue actuellement par les
parents dans les CE.
Références
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