Bienvenue



Pour me rejoindre :

Stemar63@gmail.com

11 avril 2023

Notes de lecture

Référence de l’ouvrage : Sabina Loriga et Jacques Revel (2022). Une histoire inquiète. Les historiens et le tournant linguistique. Paris : EHESS Gallimard Seuil. Collection Hautes études

Historienne, directrice d'études à l'EHESS, Sabina Loriga a fondé et dirige la revue Passés Futurs, dans la plateforme Politika. Ses recherches portent principalement sur les rapports entre histoire et biographie, les constructions du temps historique, les usages publics du passé.

Jacques Revel, né le 25 juin 1942 à Avignon est un historien français, directeur d'études émérite et ancien président de l'École des hautes études en sciences sociales.

TABLE DES MATIÈRES :

·       Présentation

·       Première partie : Critiques de la modernité

·       Chapitre 1 : Postmodernes

·       Chapitre 2 : La perte de l’innocence

·       Deuxième partie : Propositions

·       Chapitre 3 : Quel tournant linguistique ?

·       Chapitre 4 : La grande théorie

·       Chapitre 5 : Références croisées : un transfert culturel

·       Chapitre 6 : L’arrière-pays. L’émergence des studies

·       Troisième partie : Le débat des historiens

·       Chapitre 7 : Hayden White et l’écriture de l’histoire

·       Chapitre 8 : L’histoire sociale en questions

·       Chapitre 9 : Fin de l’histoire ?

·       Chapitre 10 : Paysage après la bataille

L’ouvrage est issu d’un séminaire coanimé par les deux auteurs. Il s’agit d’un livre savant pour public savant. Les auteurs font usage de très nombreuses références parmi lesquelles celles du monde anglo-saxon ont la part du lion.

Définition du TL selon les deux auteurs du livre : « il s’identifie à la conviction que l’expérience humaine et les rapports qu’elle entretient avec la réalité ne peuvent être pensés sans tenir compte de la médiation du langage ». p. 15

« Les mots ne renvoient donc pas aux choses ». p. 16

Courant non homogène tant au point de vue théorique que sur le plan méthodologique.

Disciplines convoquées : sémiotique, herméneutique, rhétorique, théories des actes du langage, approche déconstructionniste.

Auteurs français capitaux : Foucault, Derrida, Barthes, Deleuze.

Vision non positiviste de l’histoire et de ses matériaux.

Promotion d’une vision engagée et politique.

Mission : « dévoiler qui contrôle le langage » p. 17

« En ce sens, le tournant doit d’abord être compris comme un mouvement. Les formes d’interventions et de sociabilité qu’il a suscitées, les réseaux qu’il a créés dans l’espace académique et, plus rarement, au-delà, les controverses et les polémiques qui l’ont accompagné comptent sans doute plus ici que la cohérence d’un programme ». p. 26

Points communs avec le postmodernisme : 1- la découverte de l’autre (les récits minoritaires); 2- la crise de l’historicité; 3- brouillage des frontières héritées de la modernité (culture savante/culture populaire; réalité/fiction, etc.).

Au chapitre 1 les auteurs explorent le courant de la postmodernité et en fond ressortir les origines, les caractéristiques et, surtout, l’hétérogénéité.

Ils analysent notamment la question du brouillage des faits et de la vérité telle qu’exprimée dans plusieurs romans étatsuniens. Les différentes sections que comprend cette analyse nous semblent longues pour rien en accumulant inutilement des descriptions d’intrigues de romans. Cet appesantissement sur l’expérience étatsunienne finit par lasser.

La postmodernité semble découvrir ce que l’herméneutique biblique pratiquaient depuis longtemps à savoir qu’il existe plusieurs niveaux de sens à un texte : la tradition chrétienne définit en effet quatre niveaux de sens soit, le littéral, l’allégorique (forme imagée), le sens tropologique (moral), et l’anagogique (sens spirituel ou mystique).

« Le passé, tout comme le présent, est toujours irrémédiablement textualisé (…) » p. 103

« (…) attirer l’attention sur l’acte d’imposer un ordre au passé, donc sur les stratégies de fabrication de sens. » p. 104

Les métafictionnistes « savent que la vérité a toujours affaire au pouvoir ».

Dans le chapitre 3 les auteurs montrent comment le tournant linguistique a ébranlé l’histoire comme discipline savante en y introduisant des questionnements épistémologiques, philosophiques, méthodologiques, inspirés notamment de la sémiotique, de la linguistique et la critique littéraire.

« Le tournant linguistique n’est pas une doctrine, plutôt une mouvance dynamique (…) » p. 110

Dans sa version la plus dure, le tournant linguiste est proprement un antihumanisme et nie la possibilité pour le langage de dire quoi que soit sur le monde…le langage ne parle que de lui et utilisent les locuteurs plutôt qu’il est utilisé par eux. Cette version dure sera critiquée pour son déterminisme linguistique.

« En histoire comme dans la plupart des sciences humaines et sociales, le thème de la « construction sociale » des objets et des savoirs qui les visent est désormais passé au premier plan et avec lui un doute sur la possibilité même d’une connaissance objective et d’une prise possible sur la réalité. » p. 188

Dans le tournant linguistique on parle davantage d’effet de vérité plutôt que de vérité.

Dans le chapitre 5, les auteurs montrent bien – quoiqu’un peu trop longuement – que la réception nord-américaine des auteurs français est une adaptation culturelle des théories de ces auteurs aux particularités des débats et références des chercheurs des anglo-saxons.

Le tournant linguistique et le postmodernisme ont vu émerger sur les campus américains la multitude des cultural studies lesquelles ont pour point commun de remettre en cause l’idée qu’il y existe une unité des savoirs sur le monde social, d’où la balkanisation des études.

Origine des cultural studies : L’Angleterre et le livre fondateur de Richard Hoggart de 1957, version française : La Culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.

Les auteurs explicitent les liens entre le postmodernisme, certains auteurs français associés au tournant linguistique et le cultural studies.

Au chapitre 7, les auteurs discutent la pensée de Hayden White, un historien qui a eu une immense influence sur la discipline, contribuant à y insuffler le tournant linguistique où le langage n’est pas un outil neutre mais ce qui structure la connaissance. Le langage construit la réalité et détermine les résultats de recherche. Ainsi, pour cet auteur, le récit construit par l’historien nous informe sur la manière dont celui-ci explique son objet et donc sur ce qu’il considère comme s’étant réellement produit historiquement. Dans un sens, le récit nous indique ce qui est considéré comme réel par l’historien. Toujours selon White, la façon de raconter (la forme narrative) a nécessairement un caractère idéologique. Il s’en suit que le « contenu historique ne saurait donc être détaché de sa forme discursive » (p. 238). Les choix des figures de style ainsi que les types d’intrigues (romanesque, tragique, comique, satirique, etc.) apparaissent donc comme étant déterminants. L’histoire peut ainsi être vue comme « une mise en intrigue ». De plus, les « tropes rhétoriques classiques (la métaphore, la métonymie, la synecdoque, l’ironie) préfigurent le discours historique, ils en déterminent les choix argumentatifs et narratifs. » (p. 238) White fait une distinction intéressante entre un discours historique qui narre (adoption explicite d’une perspective interprétative où l’historien fait parler les événements) et un discours historique qui « narrativise » (adoption d’une position passive devant les événements qui parleraient alors d’eux-mêmes).

Au chapitre 8, on suit l’évolution d’un courant important : l’histoire sociale. L’histoire sociale, durant les 30 années qui suivent la 2e guerre mondiale, connaît des développements fort différents selon les institutions certes mais aussi selon les cultures nationales, les idéologies en présence. Néanmoins, il semble y avoir des points communs : 1- la prise en compte des réalités sociales autrefois laissées de côté (au premier chef celles des minorités, des marginaux, des sans voix, des vaincus); 2- diversification du répertoire des sources documentaires; 3- développement d’un nouveau rapport aux sources (passer d’une histoire-récit à une histoire-problème en réfléchissant à la méthode et en posant des hypothèses à valider); 4- confrontation entre histoire et sciences sociales.

Comme le rappellent les auteurs au début du chapitre 9, la critique postmoderne et le tournant linguistique remettent en cause le projet de connaissance de l’histoire et le rôle de l’historien. Sont dénoncés à la fois la prétention à l’universel et la capacité totalisante du savoir historique. Les prétentions à l’objectivité et à la neutralité ne sont plus alors que des idéologies qui tentent de masquer des rapports de pouvoir. Cette critique déconstruit donc l’empirisme et le positivisme qui faisaient autorité en histoire.

Le courant du tournant linguistique et la postmodernité a été jusqu’au bout du radicalisme allant jusqu’à nier la possibilité et l’utilité de l’histoire en tant que discipline. Des expériences mêlant fiction et faits ont été tentées afin de renouveler l’écriture de l’histoire. On peut toutefois s’interroger sérieusement sur ce qu’on réellement donné ces expériences.

Le tournant linguistique en histoire s’est inspiré d’auteurs, notamment français, eux-mêmes fortement contestés entre autres dans philosophie.

Ce courant a eu le mérite de poser des questions importantes sur l’épistémologie, sur la méthodologie et sur l’écriture en histoire. Parmi les historiens de métier, s’il est plus difficile qu’autrefois de soutenir une position pleinement positiviste, il n’en demeure pas moins que la discipline est toujours dominée par l’empirisme, le primat du fait, la méfiance envers la théorie, la confiance en l’objectivité et l’écriture impersonnelle. Le courant semble donc avoir eu peu d’influence sur la manière d’écrire et de faire l’histoire. Il est resté confiné à un cercle restreint. Plus encore, force est de constater que l’enseignement de l’histoire dans les écoles primaires et secondaires n’a pas suivi les changements proposés par ce courant…et plusieurs s’en réjouiront.

La postmodernité et le tournant linguistique ont mis en évidence que l’histoire et l’art entretiennent des liens étroits. La question de l’écriture devient alors centrale. En histoire, comme en art, le langage est quelque chose qui n’est pas neutre comme le voudrait la posture purement scientiste : « Dans une perspective postmoderniste, le passé compte moins que les interprétations du passé et l’histoire moins que l’historiographie. » p. 341.

On en déduit alors que l’historien devrait renoncer à toute posture essentialiste et adopter une posture résolument interprétative. En ce cas, on renonce aussi aux notions de causalités, d’explication tout comme à celle de vérité indubitable.

Les auteurs discutent en chapitre 10, dans une section intitulée « Le temps du soupçon », les réponses qui ont été données au sujet de : la réalité, l’objectivité et la vérité. Dans son versant le plus radical, ces trois notions sont simplement des leurres qui renvoient à la posture privilégiées de l’homme blanc.

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire