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13 octobre 2020

La construction et la consolidation de savoirs et de compétences chez les enseignants débutants

La formation initiale

Tout d’abord, notons qu’au Québec, depuis 1994, la formation initiale de l’enseignant est passée d’une durée de trois à quatre ans et inclut désormais 700 heures de stage en milieu scolaire (MEQ, 1995).  Cette formation initiale se veut le plus complète possible et  vise à familiariser l’étudiant avec les programmes d’enseignement, l’histoire de l’éducation, les techniques de gestion de classe, la didactique, les méthodes d’évaluation et la planification de l’enseignement. Les stages pratiques offerts lors de la formation amènent l’étudiant à prendre graduellement en charge une classe, à appliquer les méthodes d’enseignement apprises à l’université et à se familiariser avec le milieu de l’enseignement.

Comme le souligne Bédard (2000) : « Cette formation diversifiée et complète augmente les connaissances et les habiletés relatives au métier d’enseignant de telle sorte que lors de l’insertion professionnelle, l’ensemble des activités pédagogiques sont assez bien maîtrisées. (…) Cependant, peu importe la qualité de la formation universitaire, il restera toujours des aspects que seule la pratique en milieu réel peut combler.» (p. 8-9) Dans le même sens, Norman et Feiman-Nemser (2005) affirment que le débutant a encore beaucoup de choses à apprendre lors de l’entrée dans la profession et que certains aspects ne peuvent s’apprendre que par la pratique de l’enseignement. Ainsi, même si la formation initiale aborde les différentes facettes de la tâche d’un enseignant, il semblerait que l’enseignant débutant ait besoin de pratique et d’expérience pour réellement maîtriser tous les aspects de son nouveau métier. La formation initiale ne pourra donc jamais être totalement complète et l’apprentissage de l’enseignement se poursuit alors lors de l’insertion professionnelle.

En outre, certains auteurs soulignent la difficulté pour les enseignants débutants de transférer les connaissances acquises lors de la formation initiale dans la pratique de l’enseignement (Baillauquès et Breuse, 1993 ; Bullough, 1989 ; Costigan, 2004 ; Valli, 1992). Ainsi, Costigan (2004) indique que les enseignants débutants font peu de références à leurs cours de formation, mais lorsqu’ils en parlent, les informations et les idées prises dans la formation initiale sont greffées à l’expérience personnelle de l’enseignant. Cela signifie donc que le contenu des cours reçus à la formation initiale ne devient significatif pour les débutants uniquement lorsqu’ils peuvent le relier à leur pratique d’enseignement.

Bullough (1989) note également, à partir d’une étude de cas sur le vécu d’une enseignante débutante, qu’à l’entrée dans la profession, la formation initiale semble être mise de côté par les novices, mais qu’après quelques mois dans l’enseignement, les acquis de la formation initiale peuvent refaire surface. Néanmoins, il ajoute que pour plusieurs débutants, la formation initiale semble avoir peu d’impacts et que plusieurs novices ne mettent pas en application les idées reçues à l’université, soit parce qu’ils ne savent pas comment les appliquer à leur contexte particulier d’enseignement ou encore parce qu’ils n’en voient pas toujours l’importance. Néanmoins, les stages semblent avoir un impact plus important, de par leur aspect concret.

Par ailleurs, Baillauquès et Breuse (1993) soulignent que pour plusieurs enseignants débutants, la formation initiale est jugée inadéquate. À l’instar des auteurs nommés précédemment, ils notent  que les débutants ont de la difficulté à transférer les apprentissages théoriques de la formation initiale vers la pratique du métier enseignant. Plusieurs enseignants débutants jugent alors que leur formation a été trop théorique et pas assez pratique et concrète (Angelle, 2002 ; Baillauquès et Breuse, 1993 ; Flores et Day, 2005 ; Gervais, 1999). Comme l’indique Gervais (1993) au sujet de l’enseignant débutant : « Il a la désagréable impression qu’on ne lui a pas enseigné l’essentiel, qu’il doit tout apprendre par lui-même, alors qu’il a reçu une longue formation et qu’il a des collègues expérimentés tout autour de lui. Il lui faudra bâtir les rapports entre la théorie et sa propre pratique. » (p. 14) 

D’autres novices vivent un choc à l’entrée dans le métier, car ils considèrent que la formation ne les a pas préparés à la réalité de l’enseignement. Ainsi, plusieurs enseignants novices ont des attentes irréalistes quant à l’enseignement et aux élèves et la formation initiale ne permet pas toujours de diminuer cet idéalisme (Flores et Day, 2005 ; Hebert et Worthy, 2001). Par exemple, Angelle (2002) souligne que les enseignants stagiaires sont souvent placés dans des conditions meilleures que celles auxquelles ils auront à faire face en tant que débutants, ce qui contribue à leur donner une image idéalisée de la profession.  En outre, il existe un grand écart entre les stages et la pratique réelle puisque lors des stages, l’enseignant associé va souvent intervenir quand le débutant rencontre un problème avec le groupe, alors que lorsque l’enseignant débutera réellement sa carrière, il devra se débrouiller seul.

Selon Worthy (2005), il faudrait que la formation initiale présente une image davantage réaliste de l’enseignement et des difficultés que cette profession peut comporter. L’auteur ajoute que les enseignants universitaires devraient avoir une expérience réelle d’enseignement dans le milieu et demeurer en contact avec les écoles et les enseignants, afin de mieux tenir compte de la réalité de l’enseignement et d’effectuer davantage de liens entre théorie et pratique.

Le manque d’expérience, inhérent à la condition d’enseignant en début de carrière, peut expliquer les diverses difficultés rencontrées par les débutants. Ainsi, les écrits scientifiques sont nombreux à traiter des difficultés vécues par les novices  et semblent établir un certain consensus à ce sujet. Notamment, plusieurs auteurs (Bédard, 2000 ; Desgagnés, 1995 ; Knowles & Hoefler, 1989 ; Pape & Dickens, 1990 ; Schwab, 1989 ; Veenman, 1984) soulignent que les débutants rencontrent des difficultés quant à la gestion de classe : difficulté à établir et maintenir la discipline, à motiver les élèves, à instaurer un bon climat d’apprentissage, à enseigner de façon efficace, etc. D’ailleurs, la gestion de classe est identifiée comme étant la plus importante difficulté pour plusieurs novices.

Une autre difficulté des enseignants débutants fréquemment mentionnée dans la littérature scientifique est l’évaluation (Bédard, 2000 ; Veenman, 1984), notamment la construction d’outils pour évaluer les élèves et le maintien d’une évaluation juste et impartiale. Enfin, des difficultés didactiques sont également rencontrées chez les débutants : difficulté à adapter le programme pour tenter de rejoindre tous les élèves, difficulté à enseigner certains contenus, difficulté à enseigner autrement que par cours magistraux, etc.

Le développement professionnel

Étant donné les diverses difficultés vécues par les enseignants débutants en début de carrière, certains chercheurs jugent que la formation initiale est insuffisante ou inadéquate et qu’elle devrait donc être améliorée. D’autres auteurs indiquent plutôt que la formation initiale est appropriée, mais qu’il est normal que le débutant ait certaines lacunes, puisqu’en tant que professionnel, l’enseignant doit continuellement développer ses connaissances et ses compétences. L’apprentissage de la profession est alors considéré comme un processus continu, c’est-à-dire qu’il ne se termine pas avec la formation initiale mais qu’il se poursuit plutôt tout au long de la carrière enseignante.

Ainsi, le nouvel enseignant qui entre dans la carrière n’a pas terminé son apprentissage de la profession et doit donc acquérir de nouvelles compétences et connaissances au fil du temps. Ce processus d’apprentissage et de développement professionnel de l’enseignant débutant s’effectue à travers différentes stratégies utilisées par le novice. Guillemette (2005) identifie 4 voies possibles de développement professionnel : l’exploitation de ressources internes, l’exploitation de ressources externes, la pratique réflexive et la dimension collégiale.

 L’exploitation de ressources internes fait référence au processus de consolidation des connaissances et désigne le transfert des compétences et connaissances acquises lors de la formation initiale, qui, comme nous l’avons vu, peut parfois poser problème chez les enseignants débutants. L’exploitation de ressources externes désigne la participation à des formations professionnelles, la consultation de ressources telles que la bibliothèque, l’Internet, les conseillers pédagogiques ou les pairs, la poursuite des études et la participation à des projets de recherche. La pratique réflexive est un concept qui a été développé par Schön (1983) et qui consiste à réfléchir dans l’action et après l’action, dans le but d’améliorer ses pratiques pédagogiques. Pour ce faire, l’enseignant débutant peut utiliser différents outils réflexifs, notamment les journaux de bord et les récits de pratique.

Enfin, la dimension collégiale fait également référence à la pratique réflexive, mais réalisée à travers l’interaction avec les pairs. L’apprentissage s’effectue alors par la collaboration entre enseignants, la participation à des groupes d’analyse réflexive, la supervision entre pairs, l’élaboration commune de matériel didactique, les discussions et les échanges professionnels. La réflexion sur la pratique, qu’elle soit pratiquée seule ou à l’aide des pairs, permettra au débutant de tirer des leçons des expériences vécues et de découvrir les méthodes d’enseignement qui conviennent le mieux à sa personnalité.

Les programmes d’insertion professionnelle

Les programmes d’insertion professionnelle sont de plus en plus utilisés pour faciliter l’entrée dans la carrière des enseignants débutants et permettre à ces derniers de devenir des enseignants compétents et efficaces. Ces programmes sont très variés quant à leur durée et à leur contenu. Certains font appel au mentorat, c’est-à-dire à l’accompagnement de l’enseignant débutant par un enseignant expérimenté. D’autres offrent des activités d’accueil en début d’année : visite de l’école, présentation aux membres du personnel, guide écrit donné au débutant, séances d’information, etc. D’autres encore offrent des formations pour les débutants, en lien avec les difficultés spécifiques rencontrées par ces derniers, notamment quant à la gestion de classe.

Certains programmes d’insertion intègrent des groupes de discussion, soit entre débutants et enseignants expérimentés ou encore uniquement entre débutants. Des forums de discussion en ligne, des sites Internet de ressources et du temps de libération pour que le débutant puisse aller observer des enseignants expérimentés sont également offerts dans certains programmes d’insertion.

Toutes ces mesures visent à aider le nouvel enseignant à se familiariser avec son nouveau milieu de travail et à développer les compétences professionnelles dont il a besoin pour exercer sa profession. 

Conditions favorables ou défavorables quant à l’apprentissage du métier d’enseignant

Certaines conditions semblent nuire à l’acquisition de compétences et de connaissances chez l’enseignant novice. Par exemple, Schmidt et Knowles (1995) ont effectué une étude de cas portant sur l’expérience d’échec de 4 enseignantes débutantes. Ils notent que contrairement aux enseignants qui réussissent, les enseignants qui échouent semblent avoir de la difficulté à mettre en application les conseils reçus par les pairs et à apprendre de leurs erreurs. Ainsi, dans l’étude effectuée, les 4 enseignantes débutantes souhaitaient se faire dire en détails quoi faire dans la classe, mais elles étaient incapables de suivre les conseils reçus par leurs mentors : « Sometimes, due primarily to differences in experience, the offered advice made no sense to the novices; no matter how hard they tried, they did not know how to implement it. » (p. 434).  

Une autre condition qui peut nuire à l’apprentissage des enseignants débutants est l’attribution, lors des stages de la formation initiale, d’enseignants associés inefficaces ou incompétents (Schmidt et Knowles, 1995). En effet, l’enseignant débutant est alors mis en contact avec un modèle d’enseignement inapproprié, ce qui peut influencer négativement sa future pratique. Par ailleurs, Valli (1992) note que les enseignants débutants sont souvent portés à imiter le comportement de leur enseignant associé, même si ce comportement entre en contradiction avec les théories de l’éducation et de l’apprentissage apprises à l’université. En outre, lorsqu’ils imitent le comportement de leur enseignant associé, les enseignants novices ont de la difficulté à développer leur propre compétence d’enseignement, à découvrir leur style personnel et à s’adapter à des situations nouvelles.

 Par ailleurs, les enseignants débutants peuvent aussi se baser sur des modèles d’enseignants qu’ils ont eus étant jeunes (Valli, 1992). Cela n’est également pas souhaitable puisque les théories et les pratiques d’enseignement peuvent avoir changé et ne plus correspondre à la réalité d’aujourd’hui.

Certaines conditions sont favorables au développement professionnel de l’enseignant débutant. Ainsi, la personnalité et les caractéristiques personnelles du novice peuvent favoriser son apprentissage de la profession : facilité à entrer en contact avec les pairs, forte volonté d’apprendre, capacité à réfléchir sur sa pratique, facilité à demander de l’aide au besoin, sentiment de responsabilité quant à son développement professionnel, capacité de faire des liens entre théorie et pratique, etc.

En outre, les expériences antérieures du novice peuvent l’aider à acquérir certaines compétences. Par exemple, le débutant ayant déjà travaillé auprès de jeunes enfants avant l’entrée dans la carrière risque d’avoir plus de facilité à apprendre le métier qu’un autre n’ayant jamais eu d’expérience de travail avec des enfants.  De même, le novice ayant vécu un stage en milieu difficile ou défavorisé sera plus sensible à cette problématique et pourra plus facilement s’intégrer dans un tel milieu. D’ailleurs, afin de sensibiliser les futurs enseignants à la réalité des enfants provenant de milieux défavorisés, Lamarre (2004), suggère d’insister auprès des débutants sur l’importance d’effectuer des stages en milieux difficiles.

Une autre condition favorable à l’apprentissage de l’enseignement est l’acceptation des expériences de « non-savoir ». En effet, dans l’étude de Schmidt et Knowles (1995) citée plus haut, les chercheurs ont constaté que les quatre enseignantes débutantes ayant vécu une expérience d’échec lors de l’insertion étaient paralysées et ne savaient pas comment réagir lorsqu’elles faisaient face à une situation inconnue, ce qui est pourtant relativement fréquent en enseignement. Les auteurs ajoutent que les enseignants débutants doivent apprendre à percevoir ce type de situations non familières comme des occasions d’apprendre, qu’ils doivent comprendre que certains problèmes vécus en classe ne peuvent être résolus et qu’ils doivent accepter de ne pas toujours connaître toutes les réponses. Pour réussir, il faut donc que les débutants adoptent une attitude d’ouverture à la nouveauté et qu’ils soient capables de gérer le stress engendré par l’inconnu et par la complexité des situations rencontrées en enseignement.

Références

Angelle, P. S. (2002). Beginning Teachers Take Flight : A Qualitative Study of Socialization. Paper presented at the Annual Meeting of the Southwest Educational Research Association, Austin, TX, February 14-15, 2002.

Baillauquès, S., Breuse, É. (1993). La première classe. Les débuts dans le métier d’enseignant. Paris : ESF éditeur.

Bédard, Y. (2000). L’insertion professionnelle du jeune enseignant par la méthode de « mentoring », Rapport de recherche présenté à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue comme exigence partielle de la maîtrise en éducation, Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue : Rouyn-Noranda.

Bullough R.V. Jr. (1989). First-Year Teacher : A Case Study, Teachers College Press : New York.

Costigan, A. (2004). Finding a name for what they want :  a study of New York City’s Teaching Fellows, Teaching and Teacher Education, 20, 129-143.

Desgagnés, Serge (1995). Un mentorat en début de profession : la reconstruction d'un savoir d'expérience. Cahiers de recherche en éducation, 2(1), 89-121.

Flores, A. M. et Day, C. (2005). Contexts which shape and reshape new teachers’ identities: A multi-perspective study, Teaching and Teacher Education.

Gervais, C.(2005), Comprendre l’insertion professionnelle des jeunes enseignants, Vie pédagogique (111), 12-17.

Guillemette, F. (2005), L’engagement des enseignants du primaire et du secondaire dans leur développement professionnel, Thèse de doctorat inédite, Université du Québec à Trois-Rivières en association avec Université du Québec à Montréal : Trois-Rivières.

Hebert, E. & Worthy,  T. (2001). Does the first year of teaching have to be a bad one ? A case study of success, Teaching and Teacher Education, 17, 897-911.

Lamarre, A.-M. (2004). L’expérience de la première année d’enseignement au primaire : une étape du développement professionnel et de la formation à l’enseignement, Atelier présenté lors du colloque « Pour une insertion réussie dans la profession enseignante : Passons à l’action ! » au Centre des congrès de Laval les 20 et 21 mai 2004.

MEQ. (1995). La formation à l'enseignement. L'insertion professionnelle des nouvelles et des nouveaux enseignants. Orientation. Document de travail présenté au Colloque sur l'insertion professionnelle à Victoriaville, Québec : Direction de la titularisation et de la classification du personnel enseignant, Direction générale de la formation et des qualifications.

Norman, J. P. et Feiman-Nemser, S. (2005). Mind activity in teaching and mentoring, Teaching and Teacher Education (21), 679-697.

Schmidt, M. & Knowles, J. G. (1995). Four women’s stories of  “failure” as beginning teachers, Teaching and Teacher Education, 11(5), 429-444.

Valli, L. (1992). Beginning teachers problems : Areas for teacher education improvement. Action in teacher education, 14 (1), 18-25.

Worthy, J. (2005), It didn’t have to be so hard : the first years of teaching in an urban school. International Journal of Qualitative Studies in Education, 18(3), 379-398.

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