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19 juin 2019

Standardisation et variation dans le champ des discours scientifiques


Note de lecture

Référence électronique

Francis Grossmann, « Pourquoi et comment cela change ? Standardisation et variation dans le champ des discours scientifiques », Pratiques [En ligne], 153-154 | 2012, mis en ligne le 16 juin 2014, consulté le 19 décembre 2014. URL: http://pratiques.revues.org/1976

Postulat de départ de l’auteur :

« […] le postulat de départ développé ici est qu'une prise en compte de la variation est le seul moyen de préserver l'unité d'une macro-catégorie discours scientifique (désormais DS), subsumant les différences disciplinaires et méthodologiques qui clivent les formes d'écritures scientifiques. »  (p. 141)

Ce qu’englobe le terme de variation :

« Le terme de variation englobe deux aspects qu'il vaut mieux différencier : j'opposerai ainsi la diversité liée aux différences de genres, de langues, de cultures, de disciplines, de paradigmes, de méthodologies à la variation interne qui concerne les marges qui peuvent être autorisées – où que certains s'autorisent – par rapport aux normes au sein d'un même genre et au sein d'une même discipline. » (p. 141)

Thèse soutenue par l’auteur dans son texte :

« – les approches comparatives, notamment dans le courant de la « rhétorique constrastive » (« contrastive rhetoric ») malgré leurs apports, ont jusqu'à présent peu pris en compte la variation interne, ce qui les conduit, de fait, à renforcer les normes existantes en généralisant des tendances observées au sein de certaines cultures ou au sein de certaines disciplines ;
– corollairement, la diversité générique et disciplinaire a été étudiée, parfois de manière assez fine, mais les chercheurs ont eu tendance à considérer disciplines, genres, langues comme des pré-construits ; d'où également le caractère faiblement explicatif des différences observées : les différences semblent relever d'une « nature » intrinsèque des disciplines et/ou des langues/cultures, sans que soient suffisamment pris en compte l'évolution historique des disciplines et des genres, les poids des institutions, le jeu des influences entre disciplines, et même les parcours individuels. Le point de vue adopté se veut donc essentiellement critique et programmatique, ce qui semble nécessaire au stade actuel. » (p. 141-142)

Les fondements d'une approche unificatrice des discours scientifiques :

« Traditionnellement, les études de la science (Science Studies) ont privilégié les sciences exactes, parce qu'il est entendu que celles-ci incarnent, de la manière la plus typique, les procédés de démonstration et de preuve mis en œuvre dans les démarches que l'on cherche à analyser, dans une optique qui considère que la scientificité se mesure à la capacité à reproduire les mêmes résultats à partir des mêmes prémisses ou à partir des mêmes données expérimentales. » (p. 142-143)

« La priorité accordée aux sciences exactes a eu comme corollaire l'idée que leurs procédures se situaient en dehors du champ social. Les normes qui se sont progressivement imposées aux textes scientifiques semblent reposer sur un postulat d'unicité, fondamentalement lié à l'universalité du raisonnement scientifique, ou plus largement encore, à l'existence des principes généraux régissant la cognition humaine […]. » (p. 143)

Cette conception conduit à postuler qu’il n’existe qu’un seul modèle de l'activité scientifique, lequel s’identifie aux représentations caractéristiques des sciences expérimentales. Toutefois, les différences entre disciplines ne peuvent être ignorées. Ce qui a conduit à les regrouper par familles disciplinaires. Émerge alors deux principales familles de modèles de scientificité :

-       les modèles de prédiction (ex. physique)
-       les modèles herméneutiques (ex. histoire)

« À chacun de ces deux types correspondent des formes de validation spécifiques, les caractéristiques de l'écrit produit dépendant en partie du modèle de scientificité implicite ou explicite adopté par le chercheur. » (p. 144)

« Si l'on adopte cette vision à la fois holistique et variationniste de l'activité scientifique, le prototype qui peut asseoir une représentation commune et unificatrice de l'activité scientifique, peut s'énumérer en quatre points :
– Existence d'un raisonnement (raisonnement hypothético-déductif et/ou inductif);
– Existence d'un dispositif méthodique permettant le recueil et le traitement d'informations et/ou de données, quelle que soit par ailleurs la nature de ce dispositif ;
– Existence d'un système de preuve : ces preuves, qui peuvent elles-aussi
être de nature très différentes, requièrent un système argumentatif visant l'adhésion du public scientifique ;
– Existence de résultats et communication de ces résultats au sein d'une communauté de pairs sous des formes standardisées. » (p. 144-145)

Ce que cette approche laisse de côté :

  • -       le questionnement,
  • -       l'intuition,
  • -       l'imagination,
  • -       la création


À propos d'un style scientifique « universel » :

« Il est donc difficile, à partir de tels critères, de définir un style scientifique universel, sans doute proprement introuvable. Cela n'empêche pas de reconnaître la tendance au rapprochement des formes discursives scientifiques, ni à nier les influences réciproques liées à la mondialisation de la science, au développement de normes, qui se traduisent par certaines tendances communes, comme l'effacement énonciatif, ainsi que la mobilisation d'un lexique « transdisciplinaire » propre à toute communication scientifique. L'utilisation d'un tel lexique commun, par exemple l'utilisation de mots-clés tels que postulat, hypothèse (Cavalla & Grossmann, 2005) par différentes disciplines ne garantit évidemment pas que l'on parle des mêmes choses. Il y a un cependant un air de famille entre ces différents emplois, qui colore l'ensemble des discours scientifiques. » (p. 144-145)

Cette universalité est contestée par les chercheurs qui s’inscrivent dans le courant de la rhétorique contrastive.

La standardisation de l'écriture scientifique et ses limites :

« On peut observer un double mouvement contradictoire : d'une part, dans certaines disciplines, notamment en Sciences Humaines et Sociales, ainsi que dans certaines traditions qui ne recouraient pas aux marques personnelles (comme en France), il y a une « personnalisation » apparente de l'écrit scientifique, avec l'utilisation plus grande de formes personnelles (pronoms de la 1re personne, y compris le « je ») et donc un « effet de présence » de l'auteur. Mais inversement, le développement du plan IMRaD, dans les disciplines scientifiques d'abord, mais aussi dans certaines sciences humaines et sociales, conduit aussi à accentuer la dépersonnalisation (déjà souvent présente à travers l'effacement énonciatif classiquement évoqué pour l'écrit scientifique). » (p. 146)

Le courant de la rhétorique contrastive :

Ce courant de recherche est né du constat des limites de la linguistique générale qui ne prenait pas en compte les stratégies textuelles. Les chercheurs l'idée que, dans la mesure où l'écrit est fondamentalement un phénomène culturel, son organisation est conditionnée par les caractéristiques culturelles spécifiques, relevant du contexte propre à la société qui les a produites. Ce courant ne peut pas toujours échapper aux reproches d'ethnocentrisme dans la mesure où « […] la variation est renvoyée à des spécificités culturelles globales, au lieu d'être analysée en fonction de facteurs historiques, sociologiques, ou à partir d'une étude fine des contextes de production, ainsi qu'à partir d'une analyse circonstanciée des traditions orientant la réception. » (p. 149)

Les recherches sur le métadiscours :

Ces recherches, essentiellement anglo-saxonnes, s’intéressent à l'usage différencié dans les disciplines de certains types de marques. Le terme de métadiscours renvoie à « l'ensemble des marques impliquant une forme de réflexivité du scripteur dans le cadre de la négociation de l'interaction avec les lecteurs appartenant à une communauté spécifique. » (p. 149)

Un des auteurs phares de ce courant est l'anglais Ken Hyland.

Bien que contesté de nos jours, ces recherches se sont basées sur l’idée qu’il y a deux macrofonctions du langage, l'une appelée « textuelle », l’autre « interpersonnelle ».

métadiscours textuel : permet le développement de stratégies rhétoriques du scripteur ce qui permet en retourt la mise en texte de l'expérience de manière cohérente; c'est à partir de lui que se construit la structure textuelle.

métadiscours interpersonnel : concerne les aspects interactionnels et évaluatifs de la présence de l'auteur dans son discours; c’est ici que se construit plus spécifiquement la figure de l'auteur.

« Les recherches récentes ont cependant tendance à relativiser cette opposition, à partir du constat que l'aspect interactionnel est central dans la définition du métadiscours, et que les buts rhétoriques ne peuvent être distingués clairement de cet aspect interpersonnel. » (p. 149)

En fin de texte, l’auteur ébauche un modèle multidimensionnel pour analyser la variation des discours scientifiques :

Principes de base d'une approche variationniste :

1) privilégier une approche descriptive en évitant les termes globalisants (ex. « styles intellectuels »), chargés idéologiquement ou comportant des jugements de valeur (« reader friendly », etc.);
2) démarche comparative basée sur corpus de textes vraiment comparables;
3) la prise en compte des rapports de force et des formes d'inégalité (entre langues, entre disciplines) de manière à pouvoir comprendre les phénomènes de domination, d'interactions et d'influence, de censure, etc.;
4) fonder l'approche sur un paramétrage suffisamment fin qui va au-delà de la comparaison des disciplines…à ce propos, l’auteur soutient :

« – mieux considérer le lien entre disciplines et institutions, pour comprendre comment une discipline est structurée, au niveau international ou national, en la situant dans son histoire ; ajoutons que cette histoire institutionnelle ne trouve son sens qu'en fonction des évolutions scientifiques et épistémologiques des disciplines elles-mêmes ;
– se placer au niveau (sous-)disciplinaire le plus précis possible, comprenant déjà des déterminations de démarche ou d'objet : non pas « la linguistique » mais, par ex. « la phonétique expérimentale » ; non pas « la sociologie » mais « la sociologie des institutions », etc. » (p. 155)

Précaution méthodologique :

« Concluons, pour finir, sur les précautions méthodologiques que doit prendre le chercheur pour éviter d'hypertrophier indûment un facteur de variation au détriment des autres ; il est essentiel, en effet, de ne pas considérer de manière univoque un facteur explicatif quelconque de la variation des discours scientifiques, sans le mettre en perspective en le considérant au sein de sous-systèmes complexes (linguistiques, historiques, épistémologiques). Une approche multidimensionnelle implique des collaborations pluridisciplinaires, prenant en compte trois grandes familles de paramètres […] » (p. 156)

  • -       les paramètres liés aux systèmes linguistiques;
  • -       les paramètres liés aux systèmes culturels et aux normes éditoriales;
  • -       les systèmes d'élaboration de la connaissance;


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