Ci-après, texte d'une communication présentée lors du congrès «Actualité de
la recherche en éducation et en formation» (AREF) qui a eu lieu à l'Université de Genève les 13-16 septembre 2010
Introduction
La période de formation
initiale est, pour la majorité des étudiants, un moment où les représentations
de la profession que l’on exercera ballottent entre l’idéalisation (voire même
l’angélisme) et le réalisme (qui n’est souvent pas très loin de fatalisme),
entre l’exaltation devant un futur qui s’annonce rempli de défis et la peur
face à l’inconnu. Bref, se former à l’enseignement c’est nécessairement se
construire une image de son entrée dans la carrière, image soumise à des
fluctuations, à des modifications au gré des expériences et des connaissances acquises. Or, aussi bien les travaux sur les savoirs enseignants (Munby, Russel
et Martin, 2001) que ceux en psychologie cognitive (Reed, 1999), pour ne citer
que ces deux champs de recherche, montrent de manière convaincante que les
représentations, les conceptions ou les connaissances antérieures ont un effet
non négligeable sur la conduite et les stratégies des acteurs. Dans ce texte,
nous empruntons à Garnier et Sauvé (1999) le sens du terme représentation. Il
s’agit d’un phénomène mental qui
correspond à des éléments conceptuels, des attitudes, des valeurs, des
images mentales, des connotations, des associations, etc., ce qui inclut les conceptions,
les perceptions, les croyances. Dans
le cas d’un processus aussi complexe et, parfois, aussi ardu que celui de
l’insertion professionnelle en enseignement, il est donc pertinent de
s’interroger sur l’image que se font les futurs enseignants de leur entrée dans
la carrière. L’analyse de leurs représentations permet alors, non seulement de
mieux identifier leurs idéalisations et leurs visions plus réalistes mais
aussi, plus globalement, leurs idées au sujet de la pratique enseignante, du
contexte d’exercice de la profession ainsi que les besoins qu’ils sont en
mesure d’exprimer face à leurs perceptions de la réalité qui les attend.
Mise en contexte
Au Québec la formation à l'enseignement est d'une durée de quatre
années et se déroule à l'université. L'étudiant réalise quatre stages dont
l'importance en matière de prise en charge de la classe s'accroit à chaque
année pour culminer par un internat de douze semaines (prise en charge complète
de la classe). Or, la formation initiale à l'enseignement est critiquée tant
par les milieux scolaires que par les futurs enseignants. On lui reproche
d'être «trop théorique, déconnectée de la réalité, peu adaptée aux exigences
réelles du terrain». Si ces reproches peuvent avoir quelques fondements, force
est de constater que depuis le milieu des années 90, le rapprochement entre la
formation universitaire et les milieux de pratique - via les stages - a
contribué à diminuer le faussé qui
existait entre ces deux mondes. Mais est-ce que la formation actuelle prépare
mieux l'enseignant qu'autrefois ? Est-ce que les nouveaux enseignants, lorsqu'ils
quittent l'université, connaissent mieux le milieu scolaire qu'avant ? Bref, la
formation initiale permet-t-elle un apprentissage de l'enseignement pertinent
et donne-t-elle accès à une représentation réaliste des débuts de carrière ?
Autant de questions mille fois posées mais dont l'à-propos demeure. Or, au
Québec comme ailleurs en Amérique du Nord toutes les études convergent pour
souligner que les débuts dans l’enseignement demeurent difficiles et
frustrantes (Kutcy et Schulz, 2006), et ce en dépit des réformes successives
visant à professionnaliser la formation des enseignants. Ces difficultés sont
attribuables à une combinaison de facteurs qui relèvent à la fois de la
formation initiale, de la complexification croissante du travail et de la
précarisation de l’emploi, ainsi que des conditions d’insertion souvent
difficiles (Beloff Farrell, 2003).
Cadre conceptuel
L’insertion
professionnelle est un processus dynamique et non linéaire qui se déroule
environ durant les cinq premières années de travail. Mais quoique ce
concept soit utilisé de façon courante, il est en fait polysémique et il
renvoie à des dimensions et critères différents. Trois principales dimensions
émergent dans les écrits : l’insertion professionnelle (I.P) en tant
qu’intégration sur le marché du travail (Fournier, Monette, Pelletier et
Tardif, 2000), l’IP en tant que socialisation professionnelle (Angelle, 2002)
et enfin l’I.P en tant que socialisation organisationnelle (Bengle, 1993). La
première dimension fait référence à la variable emploi et à ses différentes
facettes comme la durée, le type et le statut d’emploi, les conditions de
travail, la nature du travail, etc. C’est l’insertion au sens économique et
administratif. La deuxième renvoie à l’adaptation et à la maîtrise du rôle professionnel,
par le développement des savoirs et compétences spécifiques au métier. Il
s’agit ici, dans le cas des enseignants, du savoir « faire la
classe », de devenir efficace dans le travail (Lévesque et Gervais, 2000)
selon les compétences professionnelles attendues. Mais au-delà du savoir être
efficace dans le travail, l’insertion renvoie aussi, et c’est là la troisième
dimension, à la connaissance, à la compréhension, à l’intégration et à
l’adaptation à la culture du milieu de travail. À cet égard, Bengle (1993)
précise que la socialisation organisationnelle correspond au « processus
par lequel une personne en arrive à apprécier les valeurs, les habiletés, les
comportements attendus et les connaissances sociales essentielles afin
d’assumer un rôle dans l’organisation et d’y participer en tant que
membre » (p. 15).
Plusieurs auteurs ont mené des recherches sur la
socialisation professionnelle en particulier dans divers corps d’emploi allant
des enseignants aux entraîneurs sportifs en passant par les gardiens de prison.
Ces chercheurs ont alors proposé différentes définitions de la socialisation
professionnelle. À titre indicatif
voyons-en brièvement quelqu’unes. Selon Dixon (2005): «Professionnal
socialization is a continous process of adaptation to and personalization of
one’s environment» (p. 14). Quant à Helm (2004), il soutient qu'il
s'agit de : «The process through which individuals gain the knowledge, skills,
and value necessary for entry into a professional career an advanced level of
specialized knowledge and skills» (p.76). Clark (1997) va un peu dans le même
sens: «acquisition of the knowledge, skills, value, roles, and attitudes
associated with the practice of a particular profession» (p. 442). Pour ce qui
est de Klossner (2004), il propose ce qui suit: «process by which individuals
learn the roles and responsibilities of their profession and become emerging
members of the professional culture» (p.12). Pour leur part, Dunn, Linda and
Seff (1994) diront que la socialisation professionnelle est un processus : «by
which individuals acquire the attitudes, beliefs, value and skills needed to
participate effectively in organized social life» (p. 375). Spécifiquement, en
ce qui a trait aux enseignants, Lacey (1994) affirme que la socialisation
professionnelle : «refers to the process of change by which individuals become
members of the teaching profession and then take on progressively more mature
roles, usually of higher status, within the profession» (p. 6122). Au delà des
différences de définitions plusieurs caractéristiques communes ressortent de ce
bref tour d’horizon. D’abord, la socialisation professionnelle est un processus
continu (Hébrard, 2004) dont la fin n’est envisageable qu’au moment où
l’employé quitte l’organisation (par exemple, à la retraite). Ce processus est
complexe et comprend des aspects tant cognitifs, affectifs qu’interactifs
(Gundry, 1993). Il prend forme dans l’interaction entre l’acteur et son
environnement physique et social de travail (Adler et Adler, 2005). Il se
traduit par l’acquisition d’une sorte de culture de l’institution (ou de
l’organisation) vérifiable notamment à travers le partage de certaines valeurs,
la possession de certaines connaissances et la mobilisation de certaines
compétences (Allen et Meyer, 1990; Ashford et Saks, 1996). C’est dire que la socialisation
professionnelle se vérifie notamment dans l’attitude et la pratique du
travailleur (Høivik, 2005; Keith et Moore,1995). Enfin, la socialisation
professionnelle comporte des incidences certaines sur l’identité
professionnelle de l’acteur (Klossner, 2004). En cela, elle est un processus de
changement identitaire où le sujet se définit par rapport à son groupe
professionnel (Osiek-Parisod, 1995).
Brève présentation de la
démarche de cueillette de données
Entre les années 2004 et
2007, nous avons distribué un questionnaire validé aux finissants des
programmes de formation à l'éducation préscolaire et l'enseignement primaire
(BEPEP), à l'enseignement secondaire (BES) et en adaptation sociale et scolaire
(BEASS). La passation de ce questionnaire se faisait sur une base volontaire.
En tout, 405 étudiants ont répondu au questionnaire : 202 au BEPEP, 134 au BES,
79 au BEASS. Le questionnaire comportait des questions fermées et des questions
ouvertes permettant aux répondants d'élaborer de courts développements.
Quelques éléments
d'analyse
Faute d'espace, nous ne pouvons développer ici notre
analyse. Nous allons donc présenter ci-après quelques éléments descriptifs de
nos résultats. Nous développerons ultérieurement notre analyse en lien avec la
socialisation professionnelle.
Les étudiants ont indiqué les attentes probables du milieu
d’accueil à leur égard. Ils croient que la direction d’établissement souhaite
que les nouveaux enseignants soient compétents et agissent comme des
professionnels, s’impliquent dans différents comités et activités, remplissent
leur tâche de manière efficace et prennent des initiatives. Il serait également
attendu d’eux qu’ils partagent leurs connaissances et soient des agents de
changement, sans toutefois imposer leurs idées, en adoptant une attitude de
respect à l’égard du milieu d’accueil, en faisant preuve d’une bonne capacité
d’adaptation et d’une aptitude à collaborer. Les finissants supposent que, de
leur côté, les enseignants expérimentés aimeraient que leurs collègues
débutants prennent leur place de manière mesurée, expriment des idées
nouvelles, soient prêts à s’impliquer dans le milieu et à collaborer avec
ouverture d’esprit. Parmi les attentes probables du milieu d’accueil, certaines
concernent les compétences professionnelles. Les finissants croient que les
plus susceptibles d’être recherchées sont les compétences en matière de
collaboration pour l’atteinte des objectifs de l’école et en matière d’éthique
et de responsabilité. Deux autres compétences sont mentionnées par un grand
nombre, l’une ayant trait au bon fonctionnement de la classe et l’autre à la
concertation au sein d’une équipe pédagogique. Les étudiants ont également
indiqué leurs propres attentes à l’égard des enseignants et de l’équipe-école
du milieu d’accueil. De la part des enseignants expérimentés, ils aimeraient
recevoir un accueil chaleureux. Ils veulent également pouvoir compter sur du
soutien et de l’encadrement, tout autant que sur la reconnaissance de leur compétence
professionnelle (« être considéré comme un pair » , « faire reconnaître ses
compétences », « être intégré comme un membre à part entière », « être admis
comme un égal »). De la part de toute l’équipe-école, les futurs enseignants
désirent être traités avec respect et ouverture d’esprit dans un climat de
collaboration. Il serait pertinent de vérifier si toutes ces attentes sont
comblées en cours de processus d’insertion professionnelle.
En ce qui concerne les trajectoires d'emploi,
soulignons que la majorité prévoit
que l’obtention d’une permanence d’emploi pourra prendre entre quatre et
six ans. Malgré cela, leur rêve d’accéder à la profession enseignante est
soutenu par des idées favorables, telles le plaisir d’enseigner et la
valorisation qu’ils accordent à la profession. Ainsi, il est question du « goût d’être un modèle, de bâtir un avenir
solide pour les citoyens de demain et de participer à leur développement et au
développement de la société ». Plus de la moitié des répondants visent à faire
une longue carrière dans l’enseignement ou à « enseigner le plus longtemps
possible ». Les principaux objectifs de carrière mentionnés concernent le
développement professionnel et la formation continue
(« toujours m’améliorer et relever de beaux défis »), l’atteinte
d’une stabilité professionnelle dans l’enseignement ou dans le domaine de
l’éducation, la relation pédagogique avec les élèves (« donner le goût
d’apprendre aux élèves ») et à la qualité de leurs apprentissages.
Pour ce qui est de la maîtrise de l'acte
professionnel, les finissants considèrent qu’ils ont
atteint un niveau élevé dans le développement de la plupart des compétences
professionnelles attendues d’un enseignant, en particulier celles qui se
rapportent à la conception et le pilotage des situations
d’enseignement-apprentissage, le fonctionnement d’un groupe-classe, la
collaboration, l’engagement dans le développement
professionnel et l’éthique professionnelle. Ils expriment, somme toute, leur
appréciation globalement positive de leur formation. Toutefois, ils se considèrent
moins compétents quant à l’adaptation de leurs interventions aux besoins
particuliers des élèves en difficulté et quant à la maîtrise orale et écrite de
la langue française.
En ce qui a trait aux obstacles à affronter, les futurs
enseignants semblent en avoir une idée plutôt réaliste. Ils croient qu’ils
pourraient faire face à un manque de ressources pour les soutenir dans leurs
efforts (« manque d’accueil et de soutien », « jugement négatif des autres »)
et se faire confier une très lourde tâche. Des problèmes de santé et
l’épuisement professionnel de même que la perte de la motivation à enseigner
sont évoqués comme des effets possibles de ces obstacles. Ces difficultés
personnelles pourraient éventuellement les inciter à abandonner la profession.
La précarité d’emploi les préoccupe aussi. Elle pourrait également avoir comme
conséquence un changement de carrière. Par rapport à
la lourdeur de la tâche, les étudiants précisent leur anticipation.
L’enseignement à une population pour laquelle ils ne sont pas préparés (autre
ordre d’enseignement, élèves en difficultés,
classes d’adaptation scolaire si on n'a pas été formé dans le programme
BEASS) et l’enseignement d’une discipline qui ne fait pas partie de leur profil
de formation (si on est un enseignant du secteur secondaire) sont considérés
comme des facteurs qui alourdiraient leur tâche de manière démesurée. Quant
au renouveau pédagogique, est-il vu comme un obstacle à la persévérance dans la
profession? D’après les réponses, il est plutôt estimé comme un avantage. Les
étudiants soulignent en majorité que leur formation les a bien préparés sur ce
plan (« les novices ont une formation plus récente et plus en lien avec la
réforme … ils sont déjà dans le courant »), que leurs connaissances à propos
des nouvelles méthodes et stratégies d’enseignement sont nombreuses et que les
enseignants expérimentés auront besoin d’eux pour mieux comprendre la réforme
(« le débutant est mieux équipé »). De plus, étant d’avis que la collaboration et
le partage sont devenus nécessaires avec la réforme, ils espèrent se tailler
facilement une place dans le milieu.
En guise de
conclusion
Notre
recherche laisse entrevoir que la formation en enseignement de quatre années à
l'université, formation intégrant des stages à chaque année, permet une
socialisation professionnelle jugée somme toute adéquate par les finissants.
Est-ce à dire que tout est beau dans le meilleur des mondes ? Loin de là notre
idée. En réalité, l'insertion professionnelle – comme période cruciale de la
socialisation professionnelle – comporte des enjeux et des défis auxquels la
formation prépare plus ou moins. Nous développerons ultérieurement cet aspect
du problème en mettant en relation les résultats de cette étude avec ceux
d'autres recherches que nous avons menées sur l'insertion professionnelle des
enseignants.
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