D’entrée
de jeu, disons tout de suite que cette courte présentation de l’œuvre de
Jean-Charles Falardeau n’est bien entendu pas exhaustive et, par conséquent, ne
peut rendre que partiellement justice à l’œuvre de ce pionnier de la sociologie
au Québec. Si, au terme des quelques minutes qui nous sont accordées, nous
avons pu éveiller chez vous un certain intérêt pour la pensée de ce chercheur,
nous jugerons que notre but est atteint.
COMMENT AVONS-NOUS PROCÉDÉ?
Quelques
mots d’abord sur notre méthode. Nous avons lu dans un premier temps les 32
textes de Jean-Charles Falardeau disponibles sur le site « Les classiques des
sciences sociales ». Nous avons également lu l’ouvrage « Sociologie du Québec
en mutation. Aux origines de la Révolution tranquille. Introduction et choix de
textes par Simon Langlois et Robert Leroux » paru en 2013 et le mémoire de
maîtrise rédigé en 2010 par Martin Carle à l’Université d’Ottawa, « Étude sur
la sociologie de Jean-Charles Falardeau ». De ces lectures que nous avons
partagées, nous avons fait des résumés. À partir de ces résumés, nous avons
ensuite rédigé un premier texte synthèse totalisant plus de 40 pages. C’est à
partir de ce texte que nous avons élaboré cette communication.
SES ANNÉES DE FORMATION
Entrons maintenant
dans le vif du sujet en commençant si vous le voulez bien par un bref survole
de ses années de formation. Jean-Charles Falardeau est né à Québec le 19 juin
1914 dans un milieu bourgeois. Son grand-père paternel vivait toutefois sur une
ferme. Il conservera toute sa vie un intérêt pour cette dyade campagne / ville.
De 1927 à 1935, il étudie à Montréal où il fait son cours classique comme la
plupart des enfants canadien-français de « bonnes familles ». Il est d’abord pensionnaire
au collège Sainte-Marie puis étudie au collège Jean-de-Brébeuf. Ce séjour dans
la métropole (ville pour laquelle il a toujours conservé une grande affection) sera
important dans son parcours de sociologue puisqu’il sera l’un des premiers penseurs
à étudier le caractère urbain de la société québécoise. Mais c’est à Québec (où
il revient en 1933) qu’il termine son cours classique au Petit Séminaire et
obtient son baccalauréat ès arts de l’Université Laval (rappelons qu’à l’époque
chaque collège était associé à une université). À 21 ans, cédant aux pressions
familiales, il s’inscrit à la Faculté de droit mais n’y restera qu’une seule
année. En 1938 il s’inscrit à la toute nouvelle l’École des sciences sociales,
politiques et économiques fondée par le père Georges-Henri Lévesque (École qui
deviendra la Faculté des sciences sociales en 1943). Il étudie alors non seulement
la sociologie mais aussi l’économie et la philosophie. L’année suivante il
soumet un mémoire pour le baccalauréat en sciences sociales, économiques et
politiques dont le titre est Préhistoire,
histoire et description contemporaine
de la réserve des Hurons de Lorette. Son mémoire obtient le prix
Raymond-Casgrain en 1940 lors du concours annuel d’histoire du Canada. À partir
de septembre 1941, grâce à une bourse d’étude de la Société royale du Canada,
Jean-Charles Falardeau est à Chicago où il débute des études de doctorat en
sociologie. C’est alors qu’il côtoiera les professeurs de la célèbre École de
Chicago, laquelle a joué un rôle majeur dans le développement de la discipline.
Il travaille alors avec Everett C. Hughes (son directeur de thèse) et se
familiarise avec la pensée de Robert Park et de Ernest Burgess (entre autres). Mais,
dès 1943 et pour 4 années, il revient au Québec où il enseigne à la nouvelle
Faculté des sciences sociales de l’Université Laval. Même s’il retourne à
Chicago en 1947, il ne complètera jamais ses études doctorales, happé qu’il fut
par la carrière universitaire et les nombreux projets de recherche qu’il mena
sur la société québécoise. Toute sa vie, il regrettera d’ailleurs de n’avoir
jamais obtenu son diplôme de doctorat.
Dans la suite de
notre présentation, nous répondrons brièvement à quatre questions :
·
Quels
sont les points saillants de sa pensée ?
·
Comment
concevait-il la société québécoise ?
·
Quelle
place donnait-il à l’éducation dans son analyse de cette société ?
· Comment
envisageait-il l’éducation pour faire face aux transformations sociales qu’il
constatait?
QUELQUES POINTS SAILLANTS DE SA PENSÉE
Jean-Charles
Falardeau conçoit le métier de sociologue comme une vocation :
« Pour ma part, je me suis engagé dans
la sociologie comme dans une vocation, en donnant à ce terme tout le poids et
la densité spirituelle qu’il avait jadis. Vocation, c’est-à-dire appel et don :
appel des attraits intellectuels d’une discipline entre toutes fascinante ; don
à des centaines, à des milliers d’étudiants qui, si on leur est attentif,
exigent le meilleur de nos connaissances et de notre aide continue[1]. »
À
cet égard, le moins qu’on puisse dire c’est que sa carrière fut un bel exemple
de don de soi.
Sur
le plan intellectuel, son œuvre de distingue par l’importance qu’il accorde à la
dimension géographique dans l’analyse du social.
En
effet, ses analyses insistent sur les configurations géographiques et leur
caractère déterminant sur l’organisation des institutions et des mœurs. Durant
toute sa carrière il s’intéressera à la manière dont les individus sont groupés
sur le territoire. Selon lui, l’organisation
géographique des sociétés influe directement sur les types d’institutions et
les valeurs qui seront véhiculées. Jean-Charles Falardeau mènera ainsi
plusieurs études comparées entre régions et métropoles.
En
faisant référence aux travaux de Durkheim sur la division du travail social, il
met en évidence :
1) La façon dont se distribue
la population à la surface du sol et les modes d’agglomération humaine, leur
étendue, leur volume, leur densité – formes physiques et géographiques ;
2) La composition des
populations par sexes et par âges, leurs transformations dans le temps et leurs
déplacements dans l’espace ;
3) La structure démographique
et la base géographique des groupements particuliers;
4) L’aspect spatial et
temporel des institutions sociales.
Influencé
par l’École de Chicago mais aussi, dans une moindre mesure, par les travaux de
Talcott Parsons, Jean-Charles Falardeau n’aura de cesse de mener à bien des
recherches de terrain. Ce n’est pas un sociologue de cabinet. Sa fréquentation
de l’anthropologie l’a sensibilisé à la prise en compte des aspects non
seulement économiques, historiques et sociaux mais aussi des aspects culturels
des communautés étudiées, aspects culturels qui incluaient non seulement les
croyances mais également les dimensions techniques.
Au plan
politique, Jean-Charles Falardeau peut être défini comme social-démocrate et un
nationaliste partisan de la reconnaissance des canadiens-français au sein du
Canada.
CONCEPTION DE LA SOCIÉTÉ QUÉBÉCOISE
Tout au long de sa carrière intellectuelle,
il a contesté l’idée que le Québec se résumerait à la ruralité et au maintien
d’une tradition. Jean-Charles Falardeau a ainsi insisté sur la diversité qui
caractérise la société québécoise. Il insiste aussi sur le fait que la société
québécoise n’est pas au fond bien différente du reste du continent. Pour lui, l’évolution
économique du Québec était étroitement liée à son appartenance au continent
Nord-américain.
Jean-Charles Falardeau a également
développé deux autres idées importantes. La première est que
l’industrialisation et l’urbanisation du Québec n’ont pas été des phénomènes
soudains. Dès le XIXe siècle, une longue évolution a entraîné la société
québécoise dans cette voie. La seconde est que l’industrialisation ne s’est pas
imposée aux Canadiens français et ne s’est par réalisée malgré eux. Pour lui,
les Canadiens français ont étroitement participé à cette industrialisation même
si une partie des travailleurs a fourni une main-d’œuvre bon marché aux entreprises
canadiennes anglaises et américaines.
Mentionnons
aussi que Jean-Charles Falardeau a mis l’accent sur le fait que la grande
mobilité sociale que connaît le Québec dans les années 40-50-60 a fait en sorte
que la famille et la paroisse cessent rapidement d’être les unités de mesure
tant prisées par un autre pionnier de la sociologie québécoise, Léon Gérin
(1863-1951). Il tient toutefois l’aura de divertissement ou d’accaparement des
esprits, propre aux villes, responsable d’une certaine déshumanisation de
l’homme jadis de la campagne. Selon lui, un des phénomènes les plus marquants
de la société canadienne-française de son époque est celui d’un décalage entre,
d’une part, les idéologies et les valeurs stéréotypées et, d’autre part, la
réalité dynamique d’une société qui, sous la poussée de l’industrialisation et
de l’urbanisation, est en voie de transformation accélérée dans toutes ses
structures.
Le
sociologue n’a jamais considéré le Québec français comme une minorité ethnique,
mais plutôt comme une entité autonome, une culture riche à part entière, qu’il
entendait présenter au monde. Il adopta donc une attitude décomplexée et
présenta une sociologie résolument plus moderne que celle de l’école de
Chicago. L’évolution accélérée du Québec, à ses yeux, représentait non pas un
complexe, mais plutôt une importante démonstration de force et d’ouverture sur
l’avenir. Il définit ainsi le québécois – le canadien français – comme
« un homme pluriel » (terme que popularisa plus tard le sociologue
français Bernard Lahire), qui représente la diversité des territoires, en
passant par les grandes villes jusqu’aux régions. Comme il le dit
lui-même : « Le Québec est fait
d’un Nous global et de nous particuliers ».
PLACE ACCORDÉE À L’ÉDUCATION DANS SON
OEUVRE
En tant qu’objet
explicite, l’éducation n’occupe pas une place prépondérante dans l’œuvre de Jean-Charles
Falardeau. Toutefois, le sociologue est à l’évidence un précurseur de la
Révolution tranquille et en ce sens l’éducation fait partie de sa pensée.
Qu’on en juge par
ses nombreuses interventions sur la place publique au sujet de l’éducation dans
la société québécoise des années 1950. Il juge que la sous-scolarisation des
Québécois est très problématique. Par ailleurs, à son époque, les universités,
autant canadiennes que québécoises, étaient nettement sous-financées. Falardeau
rappelle souvent dans ses interventions publiques l’importance de l’éducation
pour le développement culturel, social et économique du Québec, renouvelant
l’idée par la métaphore des ressources naturelles. (Langlois, p. 263 – 64/69) :
« Nous voulons que l’État reconnaisse
pratiquement le principe dont nous nous sommes convaincus qu’il était au centre
de notre culture : à savoir, qu’il y a une primauté du spirituel. Que les
écoles, les collèges et les universités sont au moins aussi importants que les
routes, que les ponts, que les mines. Que le minerai le plus précieux à
exploiter, par nous-mêmes, est encore celui de l’esprit. Nous possédons, dans
le Québec, un Ungava intellectuel et académique de grande promesse[2].
»
Le 31 mars 1952, Jean-Charles
Falardeau traite du thème « Grandeurs et misère de la liberté universitaire[3]
». Il y expose ce qui fait l’originalité du métier d’universitaire. Il plaide
d’abord pour l’amélioration du sort du professeur de carrière à l’université. Il
décrit le professeur comme un homme « traqué par ses propres soucis financiers[4]
», souvent contraint d’accepter des contrats à l’extérieur de l’université et «
d’entreprendre des tâches mesquines le plus souvent étrangères à sa profession
». Il dira : « La servitude que je
veux signaler consiste en ceci que l’universitaire qui met son talent à la
remorque de ‘patrons’ extra-universitaires cesse d’être libre dans sa
recherche. Il laisse décider par d’autres les problèmes qui ont de l’importance
». Il plaide donc pour le respect de l’autonomie des universités et de l’universitaire.
Jean-Charles Falardeau
est intervenu plusieurs fois dans le débat sur l’éducation. Par exemple, le 23
octobre 1956, il publie un article dans journal Le Devoir où il critique
durement le chef de l’Union Nationale :
« Si M. Duplessis et son régime
s’étaient caractérisés par une politique cohérente et positive envers
l’éducation en général et les universités en particulier, (…) peut-être
accorderions-nous attention à ses propos lorsqu’il s’improvise le porte-parole
de la collectivité canadienne-française[5]
».
Il ira jusqu’à
traiter Maurice Duplessis de « Jupiter
tonnant, assembleur de nuages, qui n’a de force que grâce au mutisme ou à la
pusillanimité de ceux qui le tolèrent. (…) Lui qui se vante de ne pas lire est
singulièrement mal qualifié pour disserter des choses de l’esprit ». Écrire
publiquement de telles choses à l’époque duplessiste demandait une certaine dose
de courage.
Falardeau s’est aussi
impliqué activement dans le conflit qui a opposé les étudiants universitaires
au gouvernement de Maurice Duplessis au cours de l’hiver 1958. Les étudiants réclamaient
que les universités soient mieux financées et que les bourses d’études soient
bonifiées. Le 6 mars 1958, il intervient devant les étudiants rassemblés à
l’Université Laval. Écoutons-le :
« Je nous vois tous, étudiants et professeurs
d’universités de cette province, comme ces hommes rencontrés par Dante dans un
des cercles de son Enfer – ces hommes revêtus de cagoules qui semblent dorées
vues de l’extérieur mais qui, en réalité, sont de lourds et intolérables
manteaux de plomb. Vêtus de plomb les étudiants qui doivent quémander des
bourses insuffisantes. Vêtus de plomb, les professeurs dont les recherches, les
activités intellectuelles, sont alourdies par les soucis et les paniques des
finances universitaires[6]
».
Cet extrait d’un
discours révèle bien l’homme. Épris de liberté, se faisant une haute idée de
l’université et de la connaissance savante, il a notamment conservé un grand intérêt
pour la littérature ce qui le porte à émailler ses interventions et ses écrits
de références littéraires. Lors d’une autre assemblée, il dira « Une société vaut ce que valent ses
universités ». Que pourrions-nous en tirer comme constat pour notre monde
actuel ?
RAPPORT ENTRE ÉDUCATION ET
TRANSFORMATIONS SOCIALES
En tant que sociologue,
Jean-Charles Falardeau conçoit d’abord le lien éducation et société dans
l’optique de la socialisation de l’enfant. Pour lui, c’est la famille qui
représente le premier (et le plus important) groupe social à l’intérieur duquel
l’individu devient et apprend à devenir une personne sociale. C’est à
l’intérieur de la famille qu’a lieu la socialisation de l’enfant (processus de
la première éducation) C’est dans sa famille que l’enfant fait l’apprentissage
des premiers rôles sociaux, c’est-à-dire l’ensemble de ses devoirs, de ses
obligations. Son premier statut social dans l’existence, peut-être celui qu’il
conservera toute sa vie, sera celui octroyée par la famille.
Toutefois, le sociologue
constate que la famille demeure le seul univers social de l’enfant durant moins
de temps qu’auparavant. C’est en tant que membre de différents groupes
extra-familiaux (compagnons de voisinage, camarades de jeu, etc.) que l’enfant
apprend un très grand nombre de choses. Très tôt aussi d’autres agents
d’information l’influencent : les journaux, la radio, les livres, le
cinéma (bien entendu à l’époque il n’y avait pas de réseaux sociaux).
Rappelons-nous rapidement
dans quelle société le sociologue évoluait. L’enseignement destiné aux
catholiques, est sous la responsabilité immédiate du clergé : l’État n’y
joue qu’un rôle administratif et subalterne. Chacune des deux universités de
Montréal et de Québec a, comme chancelier, l’archevêque de la ville. Leur
recteur respectif, ainsi qu’un bon nombre de professeurs, surtout dans les
facultés de théologie, de philosophie et de lettres, sont des membres du
clergé. Chacun des 65 séminaires ou collèges classiques de l’enseignement
secondaire, rattaché à l’une ou l’autre des deux universités, appartient soit
au clergé séculier d’un diocèse, soit à un ordre religieux. Enfin,
l’enseignement primaire dispensé par les congrégations religieuses aidées
d’instituteurs laïques, et organisé localement sous la juridiction de
commissions scolaires, dépend ultimement d’un Conseil provincial de l’instruction
publique dont font partie de droit tous les évêques de la province, assistés
d’un nombre égal de laïcs. Ainsi, il constate que le clergé n’est pas au-dessus
ni au-delà, mais à l’intérieur même de la société.
En bref, la trilogie
prêtrise-médecine-droit demeura l’apanage professionnel des canadiens-français
pendant des décennies. Le contrôle exercé par l’Église catholique sur l’éducation
pesait lourd sur le choix des carrières des collégiens. Cet enseignement en
voulait être un de culture générale et conséquemment évitait tout ce qui aurait
pu sembler pratique ou préparer pour l’avenir des hommes d’affaires. L’élite de
la société ne pouvait être que « professionnelle » les occupations
commerciales ou industrielles étaient quelque chose d’anglo-saxon, de
protestant. Enfin, pour la grande majorité de la population, l’éducation se
limitait à quelques années de classe au primaire.
Voyons maintenant les liens
entre éducation scolaire et transformations sociales, tels que vus par
Falardeau. Permettez ici que nous citions longuement le penseur :
« La société
canadienne-française traditionnelle, je veux dire, jusqu’à il y a trente,
quarante ou cinquante ans, pouvait dans son ensemble être considérée comme
assez homogène et relativement peu segmentée. D’une part, il y avait les
campagnes – la société rurale, la plus importante, la vraie ; d’autre part,
deux ou trois grandes villes, quelques petits centres de caractère plus rural
qu’urbain. Là, une société composée, telle que l’a décrite Léon Gérin, de
familles rurales indépendantes et jouissant toutes d’un statut sensiblement
égal. Ici, des assemblages de groupes déjà plus divers, artisans, ouvriers,
commerçants, entrepreneurs, professionnels, clergé et religieux, mais dont
chacun restait, par le jeu des mariages, des relations personnelles et des
contacts fréquents sur des territoires restreints, facilement compénétrable aux
autres. Un certain nombre de « bourgeois » ou d’« aristocrates »
se différenciaient de l’ensemble par leur aptitude à se mêler davantage au
groupe social supérieur et « étranger », celui des anglophones,
généralement installés aux étapes supérieurs de la vie sociale.»
« Depuis que notre
province a vu les industries proliférer, son propre caractère se transformer et
les masses rurales s’agglutiner dans les milieux urbains encore en voie de
croissance, notre société, simultanément, a acquis des caractères de
complexité, d’hétérogénéité et de segmentation qu’elle n’avait pas jadis et qui
l’apparentent de plus en plus aux autres sociétés urbaines, complexes, du monde
moderne. On parle, sommairement, de « prolétariat » urbain ; des
unions ou des syndicats professionnels ont cristallisé des attitudes, voire des
réflexes de « classe » contre d’autres groupes, eux-mêmes encore
inhabiles à exprimer toutes les exigences de leur statut soi-disant
« supérieur » ; l’institution paroissiale, jadis structure homogène et
suffisante de la vie sociale, tend, dans les villes, à devenir segmentaire,
c’est-à-dire identifiée à un groupe de population, à une classe économique ou
sociale ; les jeunes conçoivent davantage leur carrière en termes d’une
ascension combative qu’il faudra réussir en dépit de digues et de remparts
sociaux inexistants au temps de leurs pères ou de leurs grands-pères. Ces faits
et bien d’autres encore signifient que nous assistons dans notre société à
l’émergence sinon à la solidification de classes sociales nouvelles, en même
temps qu’à un « re-brassage » des anciennes compartimentations. » (p.
130-131)
En
somme, conscient des limites de sa société, Falardeau constate toutefois que
celle-ci change et que ce changement l’aligne de plus en plus sur les autres
sociétés occidentales. Il sait alors que le système d’éducation devra lui aussi
changer en profondeur afin de suivre le moment inéluctable qui emporte la société
québécoise.
CONCLUSION
Formé à Chicago dans les années
quarante, Jean-Charles Falardeau a exercé sa profession pendant 38 ans à
l’Université Laval. Sa contribution à la compréhension de la société
québécoise, alors en pleine transformation, est immense. Adoptant une approche
clinique et objective, ses recherches brossent un portrait fin et subtile d’un
Québec écartelé entre la modernité et la tradition. Il n’aura de cesse de
diagnostiquer les transformations sociales qui surviennent dans le sillage de
l’industrialisation. Dans ses analyses, il insistera toujours sur « la dualité
» qui caractérise la société québécoise, dualité due en partie au passage
abrupt d’une société sous la gouverne de l’Église catholique à une société
essentiellement technocratique. Son œuvre se caractérise aussi par un souci
constant pour la qualité de la langue française; ce qui mérite d’être souligné.
Chercheur, Jean-Charles Falardeau l’a été totalement. Cependant, loin de
concevoir la recherche d’un point de vue éthéré, il a toujours plaidé pour une
sociologie engagée dans les débats sociaux, une sociologie active à même de
soutenir le développement d’une conscience sociale. Bien que l’éducation ne fut
pas à proprement parler au cœur de ses recherches, son œuvre nous rappelle que
« l’oubli de la société » (pour reprendre une expression d’un autre sociologue
important du Québec, Michel Freitag) ne peut que nuire à notre compréhension
des phénomènes éducatifs.
QUELQUES
RÉFÉRENCES
Carle, M. (2010). Étude sur la sociologie de Jean-Charles
Falardeau. Mémoire de maîtrise présenté à la Faculté des études supérieures et
postdoctorales de 1'Université d'Ottawa, pour l'obtention du grade de maîtrise
es arts en sociologie.
Falardeau, J.-C. (2013). Sociologie du Québec en mutation.
Aux origines de la Révolution tranquille. Introduction et choix de textes par
Simon Langlois et Robert Leroux. Québec : PUL.
Langlois, S. (2012). Jean-Charles Falardeau, sociologue et précurseur de la Révolution tranquille.
Les Cahiers des dix, Numéro 66, p. 201-268.
[1] Jean-C. Falardeau, Discours de remerciement lors de la remise du Prix
Léon Gérin, le 23 octobre 1984 (DAUL, P126/F1-5).
[2] Jean-C. Falardeau, « Enlever notre manteau de plomb », discours
prononcé à l’Université Laval le 6 mars 1958 (DAUL, P126/A,105), p. 6.
[3] Jean-C. Falardeau, « Grandeurs et misères de la liberté académique »,
causerie donnée sur les ondes de Radio-Canada, le 31 mars 1952, 10 h 15 à 10 h
45 (DAUL, P126/A,59).
[4] Jean-C. Falardeau, « Grandeurs et misères de la liberté académique »,
causerie donnée sur les ondes de Radio-Canada, le 31 mars 1952, 10 h 15 à 10 h
45 (DAUL, P126/A,59).
[5] Jean-C. Falardeau, « Les octrois fédéraux aux universités », Le
Devoir, 23 oct. 1956.
[6] J.-C. Falardeau, « Enlever notre manteau de plomb », loc. cit. p. 6.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire