En histoire, le
programme de formation de l’école québécoise pour les ordres préscolaire et
primaire débute en 2001. Il sera révisé trois fois en
2006 notamment en raison des débats que ce programme entraînera chez les
didacticiens où deux conceptions de l’enseignement de l’histoire vont
s’affronter; une première qui regroupe les didacticiens qui souhaitent mettre
de côté la question nationale du Québec et l’autre qui englobe ceux pour qui
cette question doit être centrale (Bouvier, 2012b). Pour le secondaire,
sa mise en place attendra l’année 2005 pour le 1er cycle. Comme
c’est le cas pour tous les domaines enseignés, on passe ici d’une matière
(histoire) à une discipline (univers social). Le programme regroupe l’histoire,
la géographie et l’éducation à la citoyenneté. Le comité chargé d’élaborer le
programme se réfèrera à plusieurs auteurs dont, en pédagogie, Brith-Mari Barth,
en didactique, Robert Martineau, Christian Laville et André Ségal et
psychologie, le célèbre Piaget (Larouche, 2012). L’objectif général de ce
programme est de permettre à l’élève de développer sa conscience sociale afin
qu’il puisse agir en tant que citoyen responsable et éclairé (Bouvier et Sarra-Bournet, 2008). À la différence des
programmes antérieurs (ceux par objectifs mis en place dans les années 1980),
il n’est plus question d’étudier systématiquement le passé mais de développer
un mode de pensée historique et de s’approprier la méthode propre à cette
discipline. En cela, le programme s’aligne sur les
recherches en didactique de l’histoire. Ce programme est ambitieux car
il vise le développement de la capacité de raisonnement de l’élève par le
recours à des opérations intellectuelles complexes. Sur le plan didactique, il
y a là, à n’en pas douter, un changement important par rapport aux programmes
précédents, lesquels étaient davantage axés sur
l’acquisition de connaissances déclaratives et sur la mémorisation.
(Bouvier, 2012a, 2012b; Éthier et Lefrançois, 2012). Bien entendu, l’histoire est un domaine hautement
symbolique. En ce sens, les enjeux idéologiques y abondent (Éthier, Lefrançois
et Cardin, 2011). Par exemple, chaque pays a tendance à
magnifier son histoire nationale et à en faire le point central de ses
programmes. Cela tombe sous le sens quand on
sait que l’éducation de la jeunesse ne vise pas uniquement l’instruction de celle-ci
mais aussi, et parfois surtout, à en faire des citoyens (quand ce n’est pas des
patriotes). On comprendra alors que, depuis toujours, cette matière a
fait l’objet d’une appropriation politique (Bouvier, Allard, Aubin et Larouche,
2012). Toute société a un intérêt majeur à se raconter d’une certaine manière.
Le passé n’est pas une suite de faits mais un récit où la question de la
définition du « nous » se joue immanquablement. Ainsi,
au Québec le champ de l’univers social ait été l’objet de débats parfois
acrimonieux entre les tenants d’une histoire ancrée dans un certain
nationalisme (donc une histoire qui met de l’avant la question nationale) et
ceux qui veulent éradiquer cette question de l’enseignement la trouvant trop «
chargée » sur le plan politique. Comme nous l’avons
indiqué au début de cette troisième section de notre texte, ces deux groupes –
dans lesquels on retrouve non seulement des enseignants de l’histoire mais
aussi des didacticiens de cette discipline – se sont « affrontés » parfois même
sur la place publique, inondant les journaux de lettres et d’articles pour
faire valoir leur point de vue et critiquer celui de l’adversaire.
Nous avons ici un bel exemple où le champ de la didactique a tenté d’influencer
celui du politique. Le programme d’histoire de d’éducation à la citoyenneté
semble avoir évolué depuis plus de quinze ans au gré des didacticiens ayant
l’oreille du ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport (Bouvier, 2012b). Mais, si on
remonte plus loin dans le temps, une analyse des programmes d’histoire au Québec
depuis le début du 20e siècle (Roy, Gauthier, Tardif, 1992) montre
bien que la cohabitation de la politique et de la didactique ne va pas de soi.
Matière éminemment symbolique, enjeu politique important dans une société
minoritaire, l’histoire ne semble pas pouvoir être traitée en l’absence de
considérations partisanes. Celles-ci prennent souvent le pas sur les dimensions
didactiques (Bouvier, 2012 a et b; Éthier et Lefrançois, 2012). Par exemple, jusqu’au années soixante, l’histoire enseignée
est fortement teintée de la pensée religieuse dominante et d’un nationalisme traditionnel axé sur la survivance (Roy,
Gauthier, Tardif, 1992). Par contre, à partir de
moment où la société québécoise modernise son système d’éducation et se laïcise
rapidement, les programmes d’histoire se détournent de l’image d’Épinal des
saints martyres canadiens (missionnaires catholiques torturés pour avoir tenté
d’évangéliser les amérindiens) pour se centrer
sur des aspects plus sociohistoires tels les rapports entre les français et les
peuples autochtones, l’industrialisation du Québec, etc. Nous touchons
ici un point important à savoir que, comme nous l’avons
laissé entendre à la première partie de ce texte, les programmes
scolaires n’ont jamais et ne peuvent pas être l’émanation des seuls
didacticiens et, même s’ils l’étaient, ils reflèteraient les options
culturelles, politiques et sociales de leurs concepteurs. En fait, un programme
est le résultat d’un processus complexe où les
dimensions stratégiques jouent un rôle majeur (Forquin,
1989). Résultat de compromis entre des groupes aux intérêts parfois
divergents, un programme (qui plus est dans le cas de l’histoire) rend compte,
à un moment, de l’équilibre des forces en présence (Depover
et Noël, 2005).
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