Note de lecture
Référence
électronique
Francis Grossmann,
« Pourquoi et comment cela change ? Standardisation et variation dans le champ
des discours scientifiques », Pratiques [En ligne], 153-154 | 2012, mis
en ligne le 16 juin 2014, consulté le 19 décembre 2014. URL: http://pratiques.revues.org/1976
Postulat de départ
de l’auteur
:
« […] le postulat
de départ développé ici est qu'une prise en compte de la variation est le seul
moyen de préserver l'unité d'une macro-catégorie discours scientifique (désormais
DS), subsumant les différences disciplinaires et méthodologiques qui clivent
les formes d'écritures scientifiques. »
(p. 141)
Ce qu’englobe le
terme de variation :
« Le terme de
variation englobe deux aspects qu'il vaut mieux différencier : j'opposerai
ainsi la diversité liée aux différences de genres, de langues, de
cultures, de disciplines, de paradigmes, de méthodologies à la variation
interne qui concerne les marges qui peuvent être autorisées – où que
certains s'autorisent – par rapport aux normes au sein d'un même genre et au
sein d'une même discipline. » (p. 141)
Thèse soutenue par
l’auteur dans son texte :
« – les approches
comparatives, notamment dans le courant de la « rhétorique constrastive » («
contrastive rhetoric ») malgré leurs apports, ont jusqu'à présent
peu pris en compte la variation interne, ce qui les conduit, de fait, à
renforcer les normes existantes en généralisant des tendances observées au
sein de certaines cultures ou au sein de certaines disciplines ;
– corollairement,
la diversité générique et disciplinaire a été étudiée, parfois de manière assez
fine, mais les chercheurs ont eu tendance à considérer disciplines, genres,
langues comme des pré-construits ; d'où également le caractère faiblement
explicatif des différences observées : les différences semblent relever d'une «
nature » intrinsèque des disciplines et/ou des langues/cultures, sans que
soient suffisamment pris en compte l'évolution historique des disciplines et
des genres, les poids des institutions, le jeu des influences entre
disciplines, et même les parcours individuels. Le point de vue adopté se veut
donc essentiellement critique et programmatique, ce qui semble nécessaire au
stade actuel. » (p. 141-142)
Les fondements
d'une approche unificatrice des discours scientifiques :
«
Traditionnellement, les études de la science (Science Studies) ont
privilégié les sciences exactes, parce qu'il est entendu que celles-ci
incarnent, de la manière la plus typique, les procédés de démonstration et de
preuve mis en œuvre dans les démarches que l'on cherche à analyser, dans une
optique qui considère que la scientificité se mesure à la capacité à reproduire
les mêmes résultats à partir des mêmes prémisses ou à partir des mêmes données
expérimentales. » (p. 142-143)
« La priorité
accordée aux sciences exactes a eu comme corollaire l'idée que leurs procédures
se situaient en dehors du champ social. Les normes qui se sont progressivement
imposées aux textes scientifiques semblent reposer sur un postulat d'unicité,
fondamentalement lié à l'universalité du raisonnement scientifique, ou plus
largement encore, à l'existence des principes généraux régissant la cognition
humaine […]. » (p. 143)
Cette conception
conduit à postuler qu’il n’existe qu’un seul modèle de l'activité scientifique,
lequel s’identifie aux représentations caractéristiques des sciences
expérimentales. Toutefois, les différences entre disciplines ne peuvent être
ignorées. Ce qui a conduit à les regrouper par familles disciplinaires. Émerge
alors deux principales familles de modèles de scientificité :
- les modèles de
prédiction (ex. physique)
- les modèles
herméneutiques (ex. histoire)
« À chacun de ces
deux types correspondent des formes de validation spécifiques, les caractéristiques
de l'écrit produit dépendant en partie du modèle de scientificité implicite ou
explicite adopté par le chercheur. » (p. 144)
« Si l'on adopte
cette vision à la fois holistique et variationniste de l'activité scientifique,
le prototype qui peut asseoir une représentation commune et unificatrice de
l'activité scientifique, peut s'énumérer en quatre points :
– Existence d'un
raisonnement (raisonnement hypothético-déductif et/ou inductif);
– Existence d'un
dispositif méthodique permettant le recueil et le traitement d'informations
et/ou de données, quelle que soit par ailleurs la nature de ce dispositif ;
– Existence d'un
système de preuve : ces preuves, qui peuvent elles-aussi
être de nature
très différentes, requièrent un système argumentatif visant l'adhésion du
public scientifique ;
– Existence de
résultats et communication de ces résultats au sein d'une communauté de pairs
sous des formes standardisées. » (p. 144-145)
Ce que cette
approche laisse de côté :
- - le questionnement,
- - l'intuition,
- - l'imagination,
- - la création
À propos d'un style scientifique « universel » :
« Il est donc
difficile, à partir de tels critères, de définir un style scientifique
universel, sans doute proprement introuvable. Cela n'empêche pas de reconnaître
la tendance au rapprochement des formes discursives scientifiques, ni à nier
les influences réciproques liées à la mondialisation de la science, au
développement de normes, qui se traduisent par certaines tendances communes,
comme l'effacement énonciatif, ainsi que la mobilisation d'un lexique «
transdisciplinaire » propre à toute communication scientifique. L'utilisation
d'un tel lexique commun, par exemple l'utilisation de mots-clés tels que postulat,
hypothèse (Cavalla & Grossmann, 2005) par différentes disciplines ne
garantit évidemment pas que l'on parle des mêmes choses. Il y a un cependant un
air de famille entre ces différents emplois, qui colore l'ensemble des discours
scientifiques. » (p. 144-145)
Cette universalité
est contestée par les chercheurs qui s’inscrivent dans le courant de la
rhétorique contrastive.
La standardisation de l'écriture scientifique et ses limites :
« On peut observer
un double mouvement contradictoire : d'une part, dans certaines disciplines,
notamment en Sciences Humaines et Sociales, ainsi que dans certaines traditions
qui ne recouraient pas aux marques personnelles (comme en France), il y a une «
personnalisation » apparente de l'écrit scientifique, avec l'utilisation plus
grande de formes personnelles (pronoms de la 1re personne, y compris
le « je ») et donc un « effet de présence » de l'auteur. Mais inversement, le
développement du plan IMRaD, dans les disciplines scientifiques d'abord, mais
aussi dans certaines sciences humaines et sociales, conduit aussi à accentuer
la dépersonnalisation (déjà souvent présente à travers l'effacement énonciatif
classiquement évoqué pour l'écrit scientifique). » (p. 146)
Le courant de la rhétorique
contrastive :
Ce courant de
recherche est né du constat des limites de la linguistique générale qui ne
prenait pas en compte les stratégies textuelles. Les chercheurs l'idée que,
dans la mesure où l'écrit est fondamentalement un phénomène culturel, son
organisation est conditionnée par les caractéristiques culturelles spécifiques,
relevant du contexte propre à la société qui les a produites. Ce courant ne
peut pas toujours échapper aux reproches d'ethnocentrisme dans la mesure où «
[…] la variation est renvoyée à des spécificités culturelles globales, au lieu
d'être analysée en fonction de facteurs historiques, sociologiques, ou à partir
d'une étude fine des contextes de production, ainsi qu'à partir d'une analyse
circonstanciée des traditions orientant la réception. » (p. 149)
Les recherches sur le métadiscours :
Ces recherches,
essentiellement anglo-saxonnes, s’intéressent à l'usage différencié dans les
disciplines de certains types de marques. Le terme de métadiscours renvoie
à « l'ensemble des marques impliquant une forme de réflexivité du scripteur
dans le cadre de la négociation de l'interaction avec les lecteurs appartenant
à une communauté spécifique. » (p. 149)
Un des auteurs
phares de ce courant est l'anglais Ken Hyland.
Bien que contesté de nos jours, ces
recherches se sont basées sur l’idée qu’il y a deux macrofonctions du langage,
l'une appelée « textuelle », l’autre « interpersonnelle ».
métadiscours
textuel :
permet le développement de stratégies rhétoriques du scripteur ce qui permet en
retourt la mise en texte de l'expérience de manière cohérente; c'est à partir
de lui que se construit la structure textuelle.
métadiscours
interpersonnel :
concerne les aspects interactionnels et évaluatifs de la présence de l'auteur
dans son discours; c’est ici que se construit plus spécifiquement la figure de
l'auteur.
« Les recherches
récentes ont cependant tendance à relativiser cette opposition, à partir du
constat que l'aspect interactionnel est central dans la définition du
métadiscours, et que les buts rhétoriques ne peuvent être distingués clairement
de cet aspect interpersonnel. » (p. 149)
En fin de texte,
l’auteur ébauche un modèle
multidimensionnel pour analyser la variation des discours scientifiques :
Principes de base d'une approche variationniste :
1) privilégier
une approche descriptive en évitant les termes globalisants (ex. « styles
intellectuels »), chargés idéologiquement ou comportant des
jugements de valeur (« reader friendly », etc.);
2) démarche
comparative basée sur corpus de textes vraiment comparables;
3) la prise en
compte des rapports de force et des formes d'inégalité (entre langues, entre
disciplines) de manière à pouvoir comprendre les phénomènes de domination,
d'interactions et d'influence, de censure, etc.;
4) fonder
l'approche sur un paramétrage suffisamment fin qui va au-delà de la comparaison
des disciplines…à ce propos, l’auteur soutient :
« – mieux
considérer le lien entre disciplines et institutions, pour comprendre comment
une discipline est structurée, au niveau international ou national, en la
situant dans son histoire ; ajoutons que cette histoire institutionnelle ne
trouve son sens qu'en fonction des évolutions scientifiques et épistémologiques
des disciplines elles-mêmes ;
– se placer au
niveau (sous-)disciplinaire le plus précis possible, comprenant déjà des
déterminations de démarche ou d'objet : non pas « la linguistique » mais, par
ex. « la phonétique expérimentale » ; non pas « la sociologie » mais « la
sociologie des institutions », etc. » (p. 155)
Précaution
méthodologique :
« Concluons, pour
finir, sur les précautions méthodologiques que doit prendre le chercheur pour
éviter d'hypertrophier indûment un facteur de variation au détriment des autres
; il est essentiel, en effet, de ne pas considérer de manière univoque un facteur
explicatif quelconque de la variation des discours scientifiques, sans le
mettre en perspective en le considérant au sein de sous-systèmes complexes
(linguistiques, historiques, épistémologiques). Une approche
multidimensionnelle implique des collaborations pluridisciplinaires, prenant en
compte trois grandes familles de paramètres […] » (p. 156)
- - les paramètres
liés aux systèmes linguistiques;
- - les paramètres
liés aux systèmes culturels et aux normes éditoriales;
- - les systèmes
d'élaboration de la connaissance;
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