1- CADRE GÉNÉRAL D’ANALYSE
1.1 Point d’entrée de la réflexion
Penser
le travail enseignant à partir des conditions concrètes d’exercice des
praticiens et non pas à partir d’une représentation idéalisée et normative de
ce que devrait être l’enseignement.
1.2 Le travail enseignant
-
un travail codifié;
-
un travail flou;
-
un travail composite;
-
un travail complexe.
Le
travail enseignant se structure autour de dimensions : - de stabilité - de contingence - en contradiction
La stabilité :
Il y a toujours quelque chose qui se répète dans le travail
enseignant. L'enseignant n'est jamais
placé dans une situation totalement étrangère.
- Van
der Maren (1990): 8 traits fondamentaux
• 1- Une personne adulte censée savoir
• 2- est en contacts réguliers
• 3- avec un groupe
• 4- de personnes censées apprendre
• 5- dont la présence est obligatoire
• 6- pour leur enseigner
• 7- un contenu socialement donné
• 8- par une série de décisions prises en situation d'urgence.
- Durand
(1996): Les contraintes permanentes.
• Les textes officiels qui déterminent les buts du système et des
ordres d'enseignement
• Les programmes organisés en disciplines hiérarchisées
• Temps est prévu par discipline
• Durée d'une année scolaire
(+ ou - 10 mois)
• Présence obligatoire des élèves
• La classe comme espace géographique
• La classe comme regroupement d'enfants de même niveau
La
contingence :
- Schön
(1994):
• Complexité
• Incertitude
• Instabilité
• Singularité
• Conflit de valeurs
- Doyle (1986):
• Multidimentionnalité
• Simultanéité
• Immédiateté
• Imprévisibilité
• Visibilité
• Historicité
La
contradiction :
- Perrenoud
(1996): Dimensions en tension
• Privilégier les besoin de tel individu ou du groupe?
• Respecter l'identité de chacun ou la transformer?
• Hiérarchiser ou annuler les différences?
• S'impliquer personnellement ou rester neutre?
• Imposer pour être plus efficace ou négocier longuement quitte à
ne pouvoir faire que partiellement?
• Sacrifier l'avenir ou le présent?
• Mettre l'accent sur les savoirs ou sur la socialisation?
• Mettre l'accent sur la structuration de la pensée ou sur
l'expression et la créativité?
• Pédagogie active ou de maîtrise?
• Aimer tous les élèves ou laisser passer ses sympathies et
antipathies?
Le
travail enseignant comporte ainsi à la fois des règles et certaines procédures
formalisées mais implique aussi une manière de faire personnalisée et des
finalités imprécises, enfin il est une combinaison d’éléments divers,
contradictoires, hétérogènes, étrangers les uns aux autres. Il s’inscrit dans
un cadre balisé bien que laissant place à la contingence (Barlow, 1999).
1.3 Orientation sociologique du regard du chercheur
L’organisation
du travail en milieu scolaire est une construction sociale qui prend racine
dans les activités des acteurs individuels et collectifs lesquels peuvent
poursuivre des intérêts qui leur sont propres. Ils sont toutefois conduits à
collaborer – collaboration qui, très souvent, s’accompagne de tensions, de
conflits voire d’affrontements - dans
une même organisation (Tardif et Lessard, 1999).
1.4 Les dimensions du travail enseignant
1.4.1 Le travail comme activité
L’enseignement
est une activité qui se déroule dans un contexte caractérisé par des
contraintes inhérentes à l’interaction humaine, aux relations de pouvoir, aux
types de connaissances.
L’enseignement
est par ailleurs façonné par les orientations et les techniques spécifiques à
ce travail, par le rapport aux usagers, les espaces de liberté des praticiens,
leurs compétences ainsi que l’environnement organisationnel.
1.4.2 Le travail comme statut
De nos
jours, le statut de l’enseignant est fragile. L’enseignant doit souvent
«jongler» avec des attentes contradictoires venant de plusieurs milieux (la
société et les groupes d’intérêts qui
s’y agitent, le ministère de l'Éducation du Québec, la direction, les parents, les élèves, etc.).
La
question du statut est étroitement liée à celle de l’identité. L’identité de
l’enseignant est façonnée par les interactions qu’il entretient avec les autres
acteurs scolaires. L’enseignant ne reçoit pas une identité au moment de
l’obtention de son diplôme ou de celle d’un poste. Il doit plutôt aujourd’hui
construire cette identité à partir de son expérience personnelle.
1.4.3 Le travail comme expérience
On
peut concevoir l’expérience en tant que processus d’apprentissage. En ce sens,
le travail enseignant est une expérience d’apprentissage de savoirs et de
construction de compétence. En ce cas, l’expérience est perçue sous l’angle
cognitif et repose sur la répétition des faits.
On
peut aussi concevoir l’expérience en tant que situation vécue. L’expérience est
conçue ici sur la base de l’intensité et de la signification. Ce deuxième type
d’expérience est essentiellement de nature identitaire.
1.5
Principales caractéristiques du travail enseignant actuellement
-
un travail dont le temps est
en partie extensible;
-
l’essentiel de la tâche
s’articule autour du rapport aux élèves;
-
présence d’activités
diversifiées;
-
nombreuses tâches informelles;
-
définitions de tâches qui sont
objet d’interprétation et de négociation;
- la difficulté et la complexité
de ce travail se sont accrues depuis quelques décennies;
- c’est un travail dont
l’accroissement de la tâche a entraîné une augmentation du phénomène
d’épuisement professionnel parmi les enseignants;
- enfin, l’enseignement se
caractérise moins par un allongement du temps de travail que par une
détérioration de la qualité de l’activité professionnelle.
(Tardif
et Lessard, 1999)
2-
L’ORGANISATION DU TRAVAIL ENSEIGNANT
2.1
L’école comme organisation du travail enseignant
L’école
est un lieu particulier séparé en partie des autres espaces sociaux. Ce lieu
est organisé autour d’une cellule de travail particulière : la classe.
L’organisation cellulaire du travail enseignant a des incidences : a)
solitude du praticien, b) peu de contrôle direct de la direction sur ses actes.
Dans cette structure l’enseignant est responsable de l’ordre qu’il crée afin
d’assurer l’apprentissage des élèves. L’ordre est ici conçu à la fois comme un
donné et comme un construit. Il est donné en ce sens que certaines règles,
certains statuts sont pré-déterminés par le contexte et la structure de
l’institution. Il est aussi construit dans le sens où l’enseignant doit établir
des règles et des modes de fonctionnement avec chaque groupe.
Cet
ordre requiert ainsi la coopération des élèves, il ne peut donc être purement
coercitif et autoritaire. Ainsi, l’enseignant ne possède qu’un pouvoir relatif
sur son objet de travail (l’élève), lequel se distingue par sa nature
collective (un groupe) et sa capacité à résister (refus de coopérer).
Le
travail enseignant est donc un travail où :
-
on est vu et regardé par son
objet de travail;
-
on ne travaille pas sur mais
avec et pour l’objet de travail (les élèves);
-
on est responsable des
personnes;
-
par conséquent, l’équité du
traitement y occupe une place majeure.
Enseigner
c’est donc remplir un double mandat :
- socialiser (acquisition et
maintien de comportements conformes aux règles scolaires);
-
instruire (permettre
l’apprentissage des savoirs scolaires);
Enseigner
c’est faire un métier qui comporte une forte charge éthique parce qu’on
travaille avec des personnes dans un cadre où les dimensions symboliques et
interprétatives sont très élevées. On peut schématiquement distinguer
différente forme d’éthique auxquelles l’enseignant doit se plier :
-
éthique de la relation au
savoir (recherche et formation continue);
-
éthique de la relation
pédagogique (rapport enseignant-élève);
-
éthique du service public
(fonction sociale de l'école);
-
éthique de la collégialité
éducative (professionnalisme collectif);
- éthique professionnelle au
sens légal du terme (code de déontologie et ordre professionnel).
Ce
type de travail prend place dans une organisation qui se caractérise de la
manière suivante :
-
un double mandat (socialiser,
instruire);
- une organisation du temps
imposée (période de cours par exemple) qui s’ajuste mal au temps
d’apprentissage requis par certains élèves);
- des finalités générales et
ambitieuses (instruire, socialiser, qualifier par exemple);
-
des moyens imprécis ou même
ambigus;
-
une autonomie professionnelle
du praticien;
-
une organisation traversée par
des tensions et des dilemmes.
(Tardif
et Lessard, 1999)
2.2 De
la classe au système scolaire
Il est
possible d’établir quatre niveaux où les acteurs peuvent exercer du pouvoir
dans l’organisation du travail scolaire.
-
le pouvoir d’agir sur
l’organisation du travail scolaire (le MEQ par exemple);
-
le pouvoir d’agir directement
sur le poste de travail (la commission scolaire, la direction d’école);
-
le pouvoir de contrôler la
formation et la qualification (les facultés et départements d’éducation des
universités);
-
le pouvoir sur les
connaissances du travail (la recherche en éducation).
L’école
est un lieu où oeuvrent divers acteurs professionnels qui exécutent des tâches
multiples et différentes. Cette organisation est hiérarchisée en ce sens que
ces divers corps d’emplois entretiennent des rapports inégalitaires. Ces cent
dernières années on a ainsi vu le travail scolaire se spécialiser et se
bureaucratiser à mesure que l’école devenait uns institution de masse. Le
travail enseignant se fait donc dans un contexte et une structure où cohabitent
au moins deux dimensions contradictoires :
-
l’autonomie;
-
le contrôle.
Ce type
d’organisation se caractérise de la manière suivante :
a)
les matériaux de base de
l’école sont des êtres humains;
b)
la définition des buts y est
généralement problématique et ambiguë;
c)
les technologies (au sens des
savoirs et des outils) utilisées par l’organisation scolaire sont largement
indéterminées;
d)
la noyau dur des activités de
l’organisation scolaire est constitué des relations entre le personnel et les
«clients» donc, ici, essentiellement entre les enseignants et les élèves;
e)
ce type d’organisation s’appuie
sur un personnel professionnel;
f)
l’absence de mesures fiables
et valides de l’efficacité et de l’efficience.
2.3
Les conditions de travail des enseignants
Les
principaux facteurs déterminant la charge de travail des enseignants
sont :
- les facteurs matériels et
environnementaux (par exemple, les ressources financières de la commission
scolaire);
- les facteurs sociaux (par
exemple la situation socio-économique du milieu d’implantation de l’école);
- les facteurs liés à l’objet de
travail (par exemple, la taille des groupes);
- les phénomènes résultant de
l’organisation du travail (par exemple, la diversité des tâches autres que
celle d’enseigner…surveillance dans les corridors ou dans la cour de
récréation…);
- les exigences formelles ou
bureaucratiques à accomplir (par exemple, le respect des horaires, l’évaluation
des élèves, les réunions pédagogiques);
- les stratégies des acteurs
pour composer avec les facteurs énumérés ci-haut (par exemple, moment dans la
carrière, représentation du rôle professionnel).
2.4
Exigences induites par l’organisation de la tâche enseignante
a)
la forte dimension
interactionnelle de la tâche;
b)
la tâche exige une bonne
capacité d’adaptation;
c)
la tâche comporte un fort
caractère normatif (proposition, voire imposition de valeurs et de normes);
d)
la tâche exige une capacité à
se centrer à la fois sur le groupe et sur un élève en particulier (il s’agit
d’un des dilemmes centraux de l’enseignant);
e)
la tâche se caractérise par le
rôle majeur qu’y joue la structuration langagière et symbolique des situations
(enseigner c’est être en quelque sorte un «maître de discours»);
f)
la tâche en présence des
élèves en classe se caractérise par une relative instabilité (le cadre d’une
leçon n’est jamais donné mais doit toujours faire l’objet d’une construction
interactive);
g)
les tâches sont à la fois
multiples et entrelacées;
h)
l’enseignant doit assumer une
responsabilité professionnelle face à l’objet de son travail (les élèves).
(Tardif
et Lessard, 1999)
- Barlow, M. (1999). Le métier d'enseignant. Essai de définition. Paris : Anthropos.
- Doyle, W. (1986). Classroom organization and management. Dans Handbook of Research on Teaching. A Project of the American Educational Research Association (sous la dir. de M.C. Wittrock). New York. Macmillan. p. 392-431.
- Durand, M. (1996). L’enseignement en milieu scolaire. Paris : PUF.
- Perrenoud, P. (1996). Enseigner : agir dans l'urgence, décider dans l'incertitude. Paris. PUF.
- Tardif, M., Lessard, C. (1999). Le travail enseignant au quotidien. Contribution à l’étude du travail dans les métiers et les professions d’interactions humaines. Québec : Les Presses de l’Université Laval.
- Schön, D.A. (1994). Le praticien réflexif. traduction de The reflective practitioner paru en 1983. Montréal : Logiques.
- Van der Maren, J.-M. (1990). Les savoirs et la recherche pour l'éducation. Dans Contenus et impacts de la recherche universitaire actuelle en sciences de l'Éducation (sous la dir. de G.R. Roy). Actes du 2e congrès des sciences de l'éducation de langue française du Canada, Sherbrooke, 1er, 2 et 3 novembre 1989, tome 3: L'enseignement et l'apprentissage, Éditions du CRP, Faculté d'éducation, Université de Sherbrooke, p. 1023-1031.
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