Cette note présente les grandes lignes d'un ouvrage du sociologue américain Richard Brown.
«L’objet de ce livre est de démontrer qu’une vision esthétique du mode de connaissance sociologique - une poétique pour la sociologie - peut contribuer à surmonter les contradictions méthodologiques des sciences sociales contemporaines et par là même des pratiques de leurs chercheurs» (p. 11).
Pour ce faire, l’auteur analyse le point de vue, la métaphore et l’ironie à partir de leur utilisation dans les arts.
Pour lui, il faut abandonner le critère de correspondance au réel et adopter les critères esthétiques de cohérence, d’économie et de sens de la progression. Ceux-ci deviennent alors les critères par lesquels on juge la précision d’un rapport, la validité d’une explication ou le sens d’une proposition.
4 conditions de la validité des théories en sciences sociales :
a) la théorie doit être phénoménologiquement vraie : elle doit constituer une compréhension réflexive de la réalité telle que les acteurs se la représentent.
b) la théorie doit pouvoir faire un retour herméneutique sur elle-même : elle doit permettre aux acteurs d’entreprendre une réflexion critique de leurs méthodes et de leurs intérêts.
c) les explications de la théorie doivent reposer sur des comparaisons contrôlées : elle doit donc déboucher sur des énoncés du type «si x est présent, il en résulte y», afin de permettre des prévisions et d’indiquer les pistes d’action.
d) la théorie doit être générale et doit par conséquent permettre de saisir la réalité quels que soient le niveau d’abstraction que l’on souhaite atteindre ou quelles que soient les données analysées.
L’auteur adopte une position qui fait de «l’esthétique cognitive» le cadre permettant de dépasser l’opposition entre approche objectiviste et approche subjectiviste.
Esthétique : elle «consiste essentiellement à analyser les systèmes symboliques» (p. 46).
L’auteur récuse le réalisme scientifique (qui mesure tout àl’aune de la science) pour adopter plutôt le réalisme symbolique (qui postule une parenté entre sciences et arts dans les manières d’organiser la réalité).
En page 48, Brown fournit une comparaison de la science et de l’art :
Au sens traditonnel, la SCIENCE parle de vérité; de réalité; d'objets et d'événements, d'objectif; d'explication; de preuves; de déterminisme.
Quant à l'ART, il parle plutôt de beauté; de symboles, de sentiments, du subjectif; de l'interprétation; de l'intuition et de la liberté.
POINT DE VUE :
«Le point de vue esthétique ne cherche pas à faciliter une connaissance objective de l’objet en éliminant l’acteur du processus perceptif ou en exigeant une foi subjective dans les prédéfinitions et catégories du monde quotidien. Ce point de vue exige que l’on fasse abstraction aussi bien de ses propres articles de foi que des catégories naturalistes» (p. 81).
La perception esthétique requiert le désintéressement et la distanciation. Elle élimine toute distinction entre le strictement cognitif et le strictement émotionnel; ici idées et sentiements deviennent conjointement des moyens de connaître.
2 nouvelles façons de voir la fidélité et la validité :
- fidélité : elle devient non pas un moyen d’éliminer les erreurs mais un moyen de créer des perspectives additionnelles (chaque perspective est une rencontre particulière entre le chercheur et son objet).
- validité : elle ne porte plus sur la correspondance entre une proposition et son objet mais devient un problème relevant du réalisme artistique impliquant la cohérence et la limpidité des traits de la réprésentation du monde.
MÉTAPHORES :
«la métaphore consiste à voir un objet en prenant le point de vue d’un autre objet, ce qui reivient à dire que toute connaissance est fondée sur des métaphores» (p. 119-120).
La métaphore peut servir :
a) en tant qu’instrument pédagogique ou illustratif;
b) en tant que modèle;
c) en tant que paradigme (métaphore de base) à partir duquel il est possible de créer plusieurs modèles.
Tout langage est métaphorique. Il s’agit de savoir si on veut en faire un usage figé, rigide ou ludique et créatif.
Les données tout autant que les théories sont métaphoriques dans la mesure où leur lecture repose toujours sur des théories sousjacentes.
Critères pour évaluer la pertinence d’une métaphore :
a) dévoiler mais pas trop; un trop grand isomorphisme nuit à la création de nouvelles informations;
b) surprendre l’esprit afin de l’éveiller;
c) l’économie, la cohérence, l’extension du champ d’application.
L’IRONIE :
«L’ironie étant une métaphore des contraires, une manière de voir un objet du point de vue opposé, rendre une proposition ironique consiste à la faire sortir de son contexte ordinaire pour la placer dans un contexte contraire» (p. 245).
L’ironie crée un nouveau paradigme. Elle est plus qu’une figure de style. Elle implique une logique particulière en recherche. Elle permet de faire apparaître l’étrange au milieu du trop banal.
L’ironie doit être à la fois inéluctable et incongrue.
«Lois» de l’ironie :
plus l’incongruité est prononcée :
- entre contenu manifeste et latent;
- entre intensions et résultats;
- entre l’innocence de la «victime» et la conscience de l’observateur.
plus l’inéluctabilité augmente :
- de la combinaison de concepts logiquement contradictoires;
- du renversement des événements.
Plus riche sera la valeur informative de l’ironie.
«(...) incongruité et inéluctabilité sont les deux déterminants majeurs de la fécondité d’une théorie sociologique» (p. 260).
incongruité : concerne l’originalité et les ramifications de la proposition.
inéluctabilité : concerne la validité et les preuves sur lesquelles la proposition se base.
L’ironie conduit à une certaine attitude envers le monde et les autres. Elle est propre à la position humaniste en ce qu’elle ne réduit pas l’autre à n’être qu’un objet.
Par le truchement de l’ironie, les sciences sociales peuvent remplir une fonction de dépassement des idéologies.
CONCLUSION :
«La recherche scientifique ne diffère donc pas de la recherche esthétique puisque l’une et l’autre ne reposent pas sur des faits donnés par le monde extérieur mais sur des règles de cohérence structurelle» (p. 312).
Il ne s’agit pas tant de dire la vérité que d’être en vérité.
Les science sociales peuvent alors jouer pleinement leur rôle de «dévoilement».
RÉFÉRENCE :
RICHARD BROWN (1989). CLEFS POUR UNE POÉTIQUE DE LA SOCIOLOGIE. PARIS : ACTES SUD.
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