Référence de l’ouvrage : Sabina Loriga et Jacques Revel (2022). Une histoire inquiète. Les historiens et le tournant linguistique. Paris : EHESS Gallimard Seuil. Collection Hautes études
Historienne, directrice d'études à l'EHESS, Sabina Loriga a fondé et dirige la revue Passés Futurs,
dans la plateforme Politika. Ses recherches portent principalement sur les
rapports entre histoire et biographie, les constructions du temps historique,
les usages publics du passé.
Jacques
Revel, né le 25 juin 1942 à Avignon est un historien français, directeur
d'études émérite et ancien président de l'École des hautes études en sciences
sociales.
TABLE DES MATIÈRES :
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Présentation
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Première partie : Critiques de la
modernité
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Chapitre 1 : Postmodernes
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Chapitre 2 : La perte de l’innocence
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Deuxième partie : Propositions
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Chapitre 3 : Quel tournant
linguistique ?
·
Chapitre 4 : La grande théorie
·
Chapitre 5 : Références
croisées : un transfert culturel
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Chapitre 6 : L’arrière-pays.
L’émergence des studies
·
Troisième partie : Le débat des historiens
·
Chapitre 7 : Hayden White et
l’écriture de l’histoire
·
Chapitre 8 : L’histoire sociale en
questions
·
Chapitre 9 : Fin de l’histoire ?
· Chapitre 10 : Paysage après la bataille
L’ouvrage est issu d’un
séminaire coanimé par les deux auteurs. Il s’agit d’un livre savant pour public
savant. Les auteurs font usage de très nombreuses références parmi lesquelles
celles du monde anglo-saxon ont la part du lion.
Définition du TL selon les deux auteurs du livre : « il s’identifie à la conviction que l’expérience humaine et les rapports qu’elle entretient avec la réalité ne peuvent être pensés sans tenir compte de la médiation du langage ». p. 15
« Les mots ne renvoient
donc pas aux choses ». p. 16
Courant non homogène tant
au point de vue théorique que sur le plan méthodologique.
Disciplines
convoquées : sémiotique, herméneutique, rhétorique, théories des actes du
langage, approche déconstructionniste.
Auteurs français capitaux :
Foucault, Derrida, Barthes, Deleuze.
Vision non positiviste de
l’histoire et de ses matériaux.
Promotion d’une vision
engagée et politique.
Mission : « dévoiler
qui contrôle le langage » p. 17
« En ce sens, le tournant
doit d’abord être compris comme un mouvement. Les formes d’interventions et de
sociabilité qu’il a suscitées, les réseaux qu’il a créés dans l’espace
académique et, plus rarement, au-delà, les controverses et les polémiques qui
l’ont accompagné comptent sans doute plus ici que la cohérence d’un programme
». p. 26
Points communs avec le
postmodernisme : 1- la découverte de l’autre (les récits minoritaires); 2-
la crise de l’historicité; 3- brouillage des frontières héritées de la
modernité (culture savante/culture populaire; réalité/fiction, etc.).
Au chapitre 1 les auteurs
explorent le courant de la postmodernité et en fond ressortir les origines, les
caractéristiques et, surtout, l’hétérogénéité.
Ils analysent notamment
la question du brouillage des faits et de la vérité telle qu’exprimée dans
plusieurs romans étatsuniens. Les différentes sections que comprend cette
analyse nous semblent longues pour rien en accumulant inutilement des
descriptions d’intrigues de romans. Cet appesantissement sur l’expérience
étatsunienne finit par lasser.
La postmodernité semble
découvrir ce que l’herméneutique biblique pratiquaient depuis longtemps à
savoir qu’il existe plusieurs niveaux de sens à un texte : la tradition chrétienne définit en effet quatre
niveaux de sens soit, le littéral, l’allégorique (forme imagée), le sens tropologique (moral),
et l’anagogique (sens spirituel ou mystique).
« Le passé, tout comme le
présent, est toujours irrémédiablement textualisé (…) » p. 103
« (…) attirer l’attention
sur l’acte d’imposer un ordre au passé, donc sur les stratégies de fabrication
de sens. » p. 104
Les métafictionnistes «
savent que la vérité a toujours affaire au pouvoir ».
Dans le chapitre 3 les
auteurs montrent comment le tournant linguistique a ébranlé l’histoire comme
discipline savante en y introduisant des questionnements épistémologiques,
philosophiques, méthodologiques, inspirés notamment de la sémiotique, de la
linguistique et la critique littéraire.
« Le tournant
linguistique n’est pas une doctrine, plutôt une mouvance dynamique (…) » p. 110
Dans sa version la plus
dure, le tournant linguiste est proprement un antihumanisme et nie la possibilité
pour le langage de dire quoi que soit sur le monde…le langage ne parle que de
lui et utilisent les locuteurs plutôt qu’il est utilisé par eux. Cette version
dure sera critiquée pour son déterminisme linguistique.
« En histoire comme dans
la plupart des sciences humaines et sociales, le thème de la « construction
sociale » des objets et des savoirs qui les visent est désormais passé au
premier plan et avec lui un doute sur la possibilité même d’une connaissance
objective et d’une prise possible sur la réalité. » p. 188
Dans le tournant
linguistique on parle davantage d’effet de vérité plutôt que de vérité.
Dans le chapitre 5, les
auteurs montrent bien – quoiqu’un peu trop longuement – que la réception nord-américaine
des auteurs français est une adaptation culturelle des théories de ces auteurs
aux particularités des débats et références des chercheurs des anglo-saxons.
Le tournant linguistique
et le postmodernisme ont vu émerger sur les campus américains la multitude des cultural studies lesquelles ont pour
point commun de remettre en cause l’idée qu’il y existe une unité des savoirs
sur le monde social, d’où la balkanisation des études.
Origine des cultural studies : L’Angleterre et
le livre fondateur de Richard Hoggart de 1957, version française : La Culture du pauvre. Étude sur le style de
vie des classes populaires en Angleterre, Paris, Minuit, 1970.
Les auteurs explicitent
les liens entre le postmodernisme, certains auteurs français associés au
tournant linguistique et le cultural
studies.
Au chapitre 7, les auteurs discutent la pensée de Hayden White, un historien qui a eu une immense influence sur la discipline, contribuant à y insuffler le tournant linguistique où le langage n’est pas un outil neutre mais ce qui structure la connaissance. Le langage construit la réalité et détermine les résultats de recherche. Ainsi, pour cet auteur, le récit construit par l’historien nous informe sur la manière dont celui-ci explique son objet et donc sur ce qu’il considère comme s’étant réellement produit historiquement. Dans un sens, le récit nous indique ce qui est considéré comme réel par l’historien. Toujours selon White, la façon de raconter (la forme narrative) a nécessairement un caractère idéologique. Il s’en suit que le « contenu historique ne saurait donc être détaché de sa forme discursive » (p. 238). Les choix des figures de style ainsi que les types d’intrigues (romanesque, tragique, comique, satirique, etc.) apparaissent donc comme étant déterminants. L’histoire peut ainsi être vue comme « une mise en intrigue ». De plus, les « tropes rhétoriques classiques (la métaphore, la métonymie, la synecdoque, l’ironie) préfigurent le discours historique, ils en déterminent les choix argumentatifs et narratifs. » (p. 238) White fait une distinction intéressante entre un discours historique qui narre (adoption explicite d’une perspective interprétative où l’historien fait parler les événements) et un discours historique qui « narrativise » (adoption d’une position passive devant les événements qui parleraient alors d’eux-mêmes).
Au chapitre 8, on suit l’évolution d’un courant important :
l’histoire sociale. L’histoire sociale, durant les 30 années qui suivent la 2e
guerre mondiale, connaît des développements fort différents selon les
institutions certes mais aussi selon les cultures nationales, les idéologies en
présence. Néanmoins, il semble y avoir des points communs : 1- la prise en
compte des réalités sociales autrefois laissées de côté (au premier chef celles
des minorités, des marginaux, des sans voix, des vaincus); 2- diversification
du répertoire des sources documentaires; 3- développement d’un nouveau rapport
aux sources (passer d’une histoire-récit à une histoire-problème en
réfléchissant à la méthode et en posant des hypothèses à valider); 4-
confrontation entre histoire et sciences sociales.
Comme le rappellent les auteurs au début du chapitre 9, la critique
postmoderne et le tournant linguistique remettent en cause le projet de
connaissance de l’histoire et le rôle de l’historien. Sont dénoncés à la fois
la prétention à l’universel et la capacité totalisante du savoir historique.
Les prétentions à l’objectivité et à la neutralité ne sont plus alors que des
idéologies qui tentent de masquer des rapports de pouvoir. Cette critique
déconstruit donc l’empirisme et le positivisme qui faisaient autorité en
histoire.
Le courant du tournant linguistique et la postmodernité a été jusqu’au
bout du radicalisme allant jusqu’à nier la possibilité et l’utilité de
l’histoire en tant que discipline. Des expériences mêlant fiction et faits ont
été tentées afin de renouveler l’écriture de l’histoire. On peut toutefois
s’interroger sérieusement sur ce qu’on réellement donné ces expériences.
Le tournant linguistique en histoire s’est inspiré d’auteurs, notamment
français, eux-mêmes fortement contestés entre autres dans philosophie.
Ce courant a eu le mérite de poser des questions importantes sur
l’épistémologie, sur la méthodologie et sur l’écriture en histoire. Parmi les
historiens de métier, s’il est plus difficile qu’autrefois de soutenir une
position pleinement positiviste, il n’en demeure pas moins que la discipline
est toujours dominée par l’empirisme, le primat du fait, la méfiance envers la
théorie, la confiance en l’objectivité et l’écriture impersonnelle. Le courant
semble donc avoir eu peu d’influence sur la manière d’écrire et de faire l’histoire.
Il est resté confiné à un cercle restreint. Plus encore, force est de constater
que l’enseignement de l’histoire dans les écoles primaires et secondaires n’a
pas suivi les changements proposés par ce courant…et plusieurs s’en réjouiront.
La postmodernité et le tournant linguistique ont mis en évidence que
l’histoire et l’art entretiennent des liens étroits. La question de l’écriture
devient alors centrale. En histoire, comme en art, le langage est quelque chose
qui n’est pas neutre comme le voudrait la posture purement scientiste : «
Dans une perspective postmoderniste, le passé compte moins que les
interprétations du passé et l’histoire moins que l’historiographie. » p. 341.
On en déduit alors que l’historien devrait renoncer à toute posture
essentialiste et adopter une posture résolument interprétative. En ce cas, on
renonce aussi aux notions de causalités, d’explication tout comme à celle de
vérité indubitable.
Les auteurs discutent en chapitre 10, dans une section intitulée « Le
temps du soupçon », les réponses qui ont été données au sujet de : la
réalité, l’objectivité et la vérité. Dans son versant le plus radical, ces
trois notions sont simplement des leurres qui renvoient à la posture
privilégiées de l’homme blanc.
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