Permettez-moi d’abord de remercier les organisateurs de cette table ronde pour m’avoir invité à y intervenir. C’est avec grand plaisir que je me retrouve – même virtuellement – parmi vous ce midi.
Cela étant dit, je vais tout
de suite aller au vif du sujet.
Dans les prochaines minutes,
je vais vous proposer une petite réflexion personnelle basée sur l’intitulé et
le descriptif de cette table ronde.
L’excellence en recherche, expression qui paraît au premier abord facile à comprendre mais dont l’incarnation concrète semble soumise à des défis pour ne pas dire à des dérives. Voyons d’abord le sens des mots !
En ce qui concerne
l’excellence en elle-même, le dictionnaire nous apprend que c’est le degré
éminent de qualité ou de valeur de quelqu'un, de quelque chose dans son genre.
Donc, qualité et valeur.
« En recherche », pourrait semblée une
expression assez simple à comprendre. Cela signifie tout à la fois effort pour trouver quelque chose ou encore effort de l’esprit vers la
connaissance. Donc, effort et connaissance.
Tout un programme
quand on y pense ! Posons-nous la question : est-ce toujours de cela dont
on parle quand on évoque l’excellence en recherche ?
D’emblée, à partir de
la définition que je viens de donner, on constate que l’excellence ne peut pas être
quelque chose de distribué démocratiquement ou également. Comme nous le
rappelle le philosophe Jean Grondin dans son plus récent ouvrage « L’esprit de
l’éducation », l’excellence s’accorde assez mal avec l’idéal égalitaire.
En effet, si tous ont
le même degré d’éminence dans la qualité, il n’y a plus d’excellence car
celle-ci devient la norme. De la même façon, on s’accordera pour dire que
toutes et tous ne font pas les mêmes efforts pour chercher, trouver et produire
de la connaissance. L’effort est quelque chose qui n’est pas et ne peut être également
distribué. L’excellence en recherche est donc par définition assez élitiste
(j’ai conscience d’employer un gros mot ici).
Continuons ! Qualité
et valeur, effort et connaissance
avons-nous vu. L’excellence est donc aussi quelque chose qui
s’apprécie qualitativement. En recherche, cela signifie que l’excellence repose
sur la qualité de la connaissance produite par le chercheur. Il y a quelque
chose d’important à retenir ici. L’excellence s’apprécie plus qu’elle ne se
mesure.
Or, les tendances des
dernières décennies en recherche ont été justement d’associer principalement excellence
et quantité : quantité de subventions ou de bourses obtenues, quantité
d’argent obtenu pour ces subventions ou ces bourses, quantité d’articles
rédigés, « facteurs d’impact » (donc quantité de lecteurs et de citations) des
revues où sont publiés ces articles, quantité d’étudiants dirigés et j’en
passe. On me permettra de me référer une fois de plus au philosophe Jean
Grondin, lorsqu’il nous rappelle dans son petit livre sur l’éducation que «
l’obsession de la performance quantifiable peut faire oublier (l’) aspiration à
la sagesse » (2022, p. 26). Il y a là, à n’en pas douter, quelque chose que
l’on peut appeler une dérive quantitativiste qui n’entretient en somme que des
liens au mieux indirectes avec l’excellence en recherche.
Dans un autre ordre
d’idée, et ici je me réfère au descriptif de la thématique de cette table
ronde, l’excellence en recherche peut-elle vraiment avoir à faire avec l’équité, la diversité et l’inclusion,
valeurs égalitaires s’il en est ? Ces concepts sont en effet associés à des
valeurs démocratiques, à des postures morales, au demeurant très louables. Par
contre, l’excellence, comme je l’ai dit précédemment, ne saurait être démocratiquement distribuée car elle est essentiellement exception. Si
elle ne si oppose pas frontalement, l’excellence est à tout le moins en tension
avec les valeurs égalitaires.
En accord avec ce qui
précède, on peut dire que protéger l’excellence en recherche exige de nous
garder de son évaluation uniquement quantitative et de la tendance à vouloir en
faire quelque chose de distribuer également. L’excellence n’est pas équitable.
En fait, elle est plutôt scandaleuse. L’excellence de Mozart par rapport à
Salieri n’a rien avoir avec la quantité d’opéra composés ni avec la
distribution équitable ou égalitaire du savoir et des compétences. Mozart est
excellent, scandaleusement excellent par rapport à Salieri et ses autres contemporains.
Pour revenir à la
recherche, l’excellence de Fernand Dumont ou de Michel Freitag, deux éminents sociologues
québécois aujourd’hui décédés, ne reposait pas sur les subventions obtenues, sur
le nombre d’articles publiés (bien qu’ils en aient produit énormément) ou sur
les « facteurs d’impact » des revues où ils publiaient. Leur excellence (qui
n’avait rien d’égalitaire car elle était en fait plutôt exclusive) reposait sur
la qualité de leur production intellectuelle, fruit de leur effort pour élaborer
de la connaissance.
En
revenant au descriptif de cette table ronde, je terminerai en disant ceci. L’équité,
la diversité et l’inclusion pour certains groupes de personnes comme les
femmes, les personnes ayant des besoins particuliers, les membres des Premières
Nations, celles et ceux issus de la communauté LGBTQ2S+, les personnes venant de
l'international n’a pas à voir d’abord avec l’excellence en recherche mais a plutôt
à voir avec des valeurs d’égalité, avec la démocratisation de l’accès aux
études supérieures (un projet commencé dans les années 1960 et toujours
inachevé) et aussi, bien entendu, avec la non-discrimination. Il faut favoriser
l’accès aux études au plus grand nombre car nous vivons en démocratie et nous
tenons à certaines valeurs dont celle de l’égalité des chances. Personne ne
devrait subir de discrimination pour entrer aux études supérieures ou durant
son cheminement universitaire, pas plus que durant sa carrière. Il faut donc
donner les chances à tous et à toutes d’atteindre l’excellence en y mettant les
efforts nécessaires. Toutefois, peu importe ce que nous ferons (et ici est-il
besoin de rappeler que depuis 50 ans le Québec a fait beaucoup pour
démocratiser l’accès aux études supérieures) l’excellence en recherche
demeurera l’apanage d’une minorité et donc, pour le dire autrement, d’une
élite.
Merci
de votre attention
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