L’université a plus de mille ans d’histoire.
Bien entendu il est quelque peu hasardeux de vouloir réduire une si longue durée
à des modèles qui, nécessairement seront toujours quelque peu réducteurs.
Néanmoins, en suivant les pas de Michel Freitag (1995) et sur la base de leur
finalité ultime, nous pouvons identifier deux grands modèles d’université :
l’institution et l’organisation. Une institution se définit par la
nature de sa finalité qui se rapporte à l’ensemble de la société. Elle
participe au développement des valeurs à prétention universelle. Par contre,
une organisation se définit de manière instrumentale. Elle relève de l’adaptation
des moyens pour atteindre des objectifs circonscrits. Jusqu’à la deuxième moitié du 20e
siècle, les universités, comme institutions, ont été – globalement – des états
dans l’État à savoir qu’elles bénéficiaient d’une très grande souveraineté sur
ce qui les concernaient (le savoir savant) et qu’elles se gouvernaient de
manière autonome. Cela a permis une prise en charge réflexive d’un idéal
civilisationnel à orientation universaliste. L’idée de l’université était alors
étroitement liée à deux autres idées fondamentales en Occident : celle de
la transcendance du monde de l’esprit et celle de l’exigence d’une unité
réfléchie. L’Europe a été le berceau de ce type d’université. Cependant, les États-Unis vont
développer un modèle d’université qui s’éloigne de cet idéal. Il ne s’agit plus
de participer à l’élaboration d’une synthèse universaliste mais plutôt de produire
du savoir à objectifs restreints. Après de la Seconde guerre mondiale, à faveur
de la reconstruction de l’Europe et du Japon, le modèle américain va s’étendre
au monde entier. Comme organisation, l’université est pensée et gérée en vue de
la prestation de service. L’accent est mis sur les recherches instrumentales,
pragmatiques, fonctionnelles. Il s’agit de répondre aux besoins de différents
groupes dans la société : État, entreprises privées, associations de
toutes sortes, etc. Dit autrement, la recherche a moins pour objectif de
connaître la nature des choses que de prévoir et contrôler les effets de l’intervention
humaine (Freitag, 1995). En tant qu’organisations, les
universités se font maintenant concurrence non seulement pour attirer les
étudiants mais aussi pour offrir leurs services de recherche et développement
aux « utilisateurs » de la société. Ce faisant, elles tendent à devenir des
entreprises gérées de manière managériale dans un souci d’efficacité et dans
une perspective d’adaptation continue à la demande sociale et économique. Cette
fonction contraste fortement avec l’idée de développement d’un héritage à
valeur transcendantale et civilisationnelle poursuit historiquement dans les
universités conçues comme institution. Dans les organisations que sont devenues
les universités, la science a cessé d’être d’abord le lieu où se réalise la
volonté de connaître le monde pour devenir « (…) le déploiement tous azimuts de
notre capacité démiurgique de produire tous les artifices qui peuvent nous
convenir à n’importe quelle fin » (Freitag, 1995, p. 42-43). En somme, devenues
des organisations, les universités ont abandonné toute finalité de
compréhension synthétique du monde (physique et social) et, partant, toute
visée de production d’une connaissance pouvant répondre à un idéal universel.
Laissons le dernier mot à Freitag : « En tant d’êtres humains, nous ne nous
étudions plus, réflexivement, pour savoir qui nous sommes, quelle est notre
place dans le monde et ce que nous pouvons espérer; nous ne faisons plus que de
la « recherche » sur les mille conséquences de tout ce que nous faisons; la
prévision, la programmation et le contrôle de ces conséquences sont devenues
les conditions mêmes de notre existence » (1995, p. 51).
RÉFÉRENCE :
Freitag,
M. (1995). Le naufrage de l'Université. Et autres essais d'épistémologie
politique. Québec/Paris : Nuit Blanche/La Découverte.
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