L’anthropologie nous apprend que l’être humain
cherche depuis toujours un sens à ce qu’il vit non seulement individuellement
mais collectivement. Dans les sociétés traditionnelles, ce sens était donné par
le mythe, récit fictif certes, mais souvent vu comme véridique, d’un passé
donnant les clés de compréhension du monde et de la société. Dans
les récits mythiques, le passé est vu non seulement comme ce qui fournit la clé
pour comprendre le présent mais aussi comme état de perfection vers lequel il
faut tendre. Ce faisant la société s’explique à elle-même,
trouve les arguments justifiant la culture, les structures sociales et son
rapport aux autres. À travers le mythe, la société se donne une identité propre.
Dans la Grèce antique, l’essor de
la philosophie a marqué une rupture par rapport au récit mythique et à son
explication du monde. La Raison doit désormais être le guide pour se
comprendre individuellement et collectivement dans le monde. Les Grecs anciens nous
ont livré un nouveau rapport au monde, marqué par l’attitude critique, qui a
mis en évidence l’indépendance de la pensée, le questionnement sur le monde et
la discussion. Après un
détour par les doctrines chrétiennes et musulmanes, cette perspective critique
nous est revenue au sein de la modernité. Cet esprit critique était déjà
apparent au niveau des arts (Poétique d’Aristote, entre autres, en plus de tous
les mythes), au niveau de la religion (Pluralisme) et au niveau de la politique
(démocratie semi-directe, mobilisation citoyenne, obligations civiques).
La
tentative de Thucydide de rédiger
une histoire objective, rapportant les faits, La guerre du Péloponnèse, s’inscrit dans cette mouvance grecque
d’une sortie du mythe et d’une mise en avant de l’objectivité, Nous avons là
les premiers balbutiements de l’histoire comme « discipline intellectuelle »
visant le vrai plus que l’édification. Cette manière de faire
l’histoire va toutefois rester marginale jusqu’à ce que l’histoire deviennent
vraiment une spécialité disciplinaire. L’histoire récit à visée « idéologique »
(à savoir celle qui met en place un récit édifiant, identitaire, magnifiant la
grandeur d’un personnage ou d’un collectif) demeure la plus courante jusqu’au
19e siècle.