1. On ne peut professionnaliser la
fonction enseignante sans mobiliser la recherche
La sociologie des professions nous apprend que la question du savoir est
un élément fondamental dans toute profession.
En effet, il ne peut y avoir de profession sans un corpus de savoirs
formalisés. Elle nous enseigne également
que le processus de professionnalisation comporte une dimension politique au
sens où un groupe ne peut se décréter lui-même professionnel, il doit plutôt le
faire admettre par la société dans laquelle il s'insère.
Ces éléments, savoir et pouvoir, sont donc comme les deux
aspects d'une même réalité au sens où, premièrement, il n'y a pas de profession
sans un corpus de savoirs formalisés et où, deuxièmement, il n'y a pas de
profession sans un combat politique portant sur la reconnaissance de ces
savoirs par le public.
En enseignement cela passe d'abord par l'identification des savoirs
nécessaires pour enseigner. Il convient
à cet égard de préciser que, même si le corps professoral au cégep est déjà
professionnalisé dans sa discipline dans la mesure où chaque professeur a reçu
une formation universitaire spécialisée dans un champ du savoir spécifique, ce
n'est pas à cet aspect de la professionnalisation que nous nous attarderons. Notre angle d'analyse porte sur une autre
dimension: nous parlerons ici de la professionnalisation de la fonction
enseignante du professeur de cégep.
C'est la particularité proprement pédagogique du travail de l'enseignant
que nous aborderons et qui a fait l'objet de recherches fort intéressantes ces
dernières années. Ces recherches ont
rendu possible la mise au jour de savoirs pédagogiques permettant d'améliorer
la compétence en enseignement. Mais cela
n'est pas suffisant. La
professionnalisation passe aussi par la reconnaissance par autrui de la qualité
et la pertinence de ces savoirs. Il y a
là une exigence politique au regard de ces savoirs. Par exemple, le récent avis
du Conseil supérieur de l'éducation pose directement le problème dans cette
direction: «Autant dans l'intérêt des enseignantes et des enseignants que dans
celui des élèves, une formation initiale des maîtres s'impose aussi à l'ordre
collégial» (p. 58). Et au sujet du
contenu de cette formation «le Conseil pense que des compétences faisant appel à
ses savoirs d'ordres psychopédagogiques et didactique devraient figurer au
premier plan du programme de formation
des maîtres.» (p. 58). On ne peut que se réjouir d'une telle prise de position
en faveur des savoirs pédagogiques mais il est clair que le débat est loin
d'être gagné tant certaines idées reçues perdurent.
2. Certaines idées reçues
dé-professionnalisent.
Sans nous étendre inutilement sur un thème dont nous avons déjà discuté
auparavant (Gauthier et al., 1995),
il convient de rappeler brièvement l'effet pervers de certains clichés sur la
pédagogie. En effet, il existe dans le
monde de l'enseignement plusieurs idées qui ont la «couenne dure». Par exemple, qui n'a pas déjà entendu (ou
déjà pensé et déclaré) que pour enseigner, la connaissance de la matière
suffit, ou encore qu'enseigner est une question de talent (que certains ont et
d'autres pas), ou bien que c'est d'abord une affaire de gros bon sens, de
jugement, ou même que ce peut être surtout un travail intuitif lié
essentiellement à la sensibilité affective; d'autres pensent également que tout
repose sur la Culture (avec un grand C) de l'enseignant, ou que c'est un métier
qui en fin de compte s'apprend sur le tas, par l'expérience quotidienne? On le sait, ces énoncés contiennent tous une
certaine part de vérité, mais ils jouent chacun à leur manière et de façon
insidieuse un rôle totalitaire, réductionniste et méprisant envers la pédagogie
(Gauthier, Martineau, Simard, 1995). Ces
idées reçues gomment la réflexion et la recherche sur la pédagogie. Elles laissent croire qu'il n'y a pas de
savoirs, d'habiletés ou d'attitudes pédagogiques propres à l'enseignement et
qu'il ne sert à rien de formaliser ces savoirs pédagogiques et de les intégrer
dans une formation. En un mot, ces idées
reçues dé-professionnalisent au sens où elles empêchent la recherche
pédagogique d'émerger.
3. La prégnance de ces idées reçues
s'explique entre autres par la relative jeunesse de la recherche en
enseignement.
Si ces idées sont encore bien ancrées dans notre inconscient collectif,
la raison tient sans doute au fait que la recherche pédagogique est somme toute
plutôt récente et qu'elle a commencé a donner ses premiers fruits «comestibles»
il y a à peine moins de 30 ans. Examinons
brièvement le chemin parcouru en recherche pédagogique afin de mieux saisir les
transformations qui ont marqué ce champ d'investigation. Il est possible, grosso modo, d'identifier
cinq périodes importantes.
3.1. D'abord, l'approche des traits de personnalité a été très populaire
durant la première moitié du XXe siècle. Celle-ci consistait principalement,
comme son nom l'indique, à tenter d'identifier des qualités propres à
l'enseignant (l'enthousiasme, le sens de l'humour, la patience, etc). Pour ce faire, les chercheurs ont demandé aux
élèves de nommer les qualités d'un professeur qui les avait marqués; plus tard,
dans d'autres recherches, on a demandé aux enseignants de faire la liste des
attributs d'un bon enseignant; puis on voulut savoir la même chose des
administrateurs des commissions scolaires, des professeurs des institutions de
formation des maîtres (Medley, 1979; 1972).
Dans tous ces cas l'idée était la même, soit d'identifier un certain
nombre d'attributs caractérisant un bon enseignant. Même si l'intention était louable, les
résultats de ces recherches ont été cependant moins probants. Il n'y avait en effet pas beaucoup de
différence entre les qualités énoncées et les attributs habituellement dévolus
à toute personne d'agréable compagnie!
3.2. Étant donné que l'approche des traits de personnalité n'a pas donné
de résultats intéressants, les chercheurs ont procédé autrement et tenté, après
la Deuxième Guerre, d'évaluer l'efficacité de diverses méthodes d'enseignement
(Medley et Mitzel, 1963; Morsh et Wilder, 1954; Gilly, 1980). Là encore, malgré l'intérêt de cette
tentative, les résultats ne furent pas véritablement concluants. La raison tient, semble-t-il, au fait que les
chercheurs se contentaient de mettre en relation la méthode X avec la
performance des élèves dans les classes sans prendre la peine d'examiner
comment chaque enseignant utilisait véritablement cette méthode. Or on sait que les enseignants dans leurs
classes appliquent différemment une méthode donnée et ces différences peuvent
parfois être importantes. Pour obtenir
des résultats pertinents, il aurait donc fallu observer dans les classes
comment chacun des enseignants utilisait réellement les méthodes au lieu de
prendre pour acquis qu'ils en faisaient un usage identique. Cette approche fut abandonnée.
3.3. Au milieu des années cinquante et durant les années soixante on mit
en place des systèmes d'observations de l'enseignement dans les classes. Il s'agissait alors de noter au moyen de
grilles d'analyse la fréquence de tel comportement ou de telle intervention
verbale de l'enseignant. Pour la
première fois depuis son émergence au début du siècle, la recherche sur
l'enseignement s'appuyait désormais sur l'observation de ce qui se passait dans
la classe. Cependant, ce type de
recherche ne donna pas non plus des résultats véritablement utilisables dans la
pratique. La raison tient à ce qu'il ne
sert pas à grand chose de connaître la fréquence de l'occurence de tel ou tel
comportement si on ne met pas ce résultat en relation avec la performance des
élèves. Il faudra perfectionner
davantage cette approche mais, avec les observations en classe, un pas
important était franchi.
Intermède. Cependant, il faut savoir que la recherche sur l'enseignement
n'occupait pas la plus grande place des recherches en éducation durant les
années soixante. Elle se cantonnait
plutôt à la portion congrue. Les
recherches sur les classes sociales, sur l'apprentissage et sur le curriulum
occupaient le plus grand de l'espace. Le
rapport Coleman (1966) et les études de Bourdieu et Passeron (1970) sur
l'influence déterminante du milieu social sur la performance des élèves ont
joué à ce moment-là un rôle prépondérant.
De même, sous l'influence de chercheurs aussi différents que Piaget et
Skinner, une quantité impressionnante de recherches, d'orientation
principalement psychologique, ont porté sur les mécanismes d'apprentissage de
l'élève. Par ailleurs, pendant ce temps,
les États-Unis ont procédé à d'importantes réformes des curriculum des écoles qui
ont eu un écho important au Québec. Il
faut rappeler que la période des années soixante correspond, ailleurs comme
ici, à un épisode d'intenses transformations de nos systèmes scolaires. Les facultés des sciences de l'éducation ont
été créées à la fin des années soixante de même que le réseau des universités
du Québec dont une des missions principales était la formation des
maîtres. Une des raisons justifiant ce
passage des écoles normales aux universités était l'objectif de donner une
formation plus scientifique aux futurs enseignants. Or, on peut douter aujourd'hui de la qualité
de la formation à l'enseignement qui a pu se donner puisqu'il n'y avait pas
encore (ou si peu) de recherches portant spécifiquement sur
l'enseignement. Les facultés des sciences
de l'éducation naissantes ont produit des recherches sur bien des sujets en
éducation mais fort peu sur l'enseignement.
Le corpus de recherches empiriques sur l'enseignement était pratiquement
inexistant. Rosenshine à cet effet
mentionnait que: «Des 1000 communications
présentées lors de la réunion de l'American Educational Research Association de
1971, pas plus de 15, selon des critères des plus généreux, peuvent être
qualifiés de recherches sur la façon dont les enseignants peuvent produire une
différence dans l'apprentissage des élèves.
Cela signifie qu'il y a au plus 15 études centrées sur la façon dont les
vrais enseignants changent les choses et ce, d'après n'importe quel critère de
progrès de l'élève. Au cours des sept
années de publication de l'American Educational Research Journal (donc de
1964 à 1971) pas plus de 10 études, parmi
toutes celles parues, correspondent à ces critères.» (1971, p. 68[1]). Pour les enseignants, les recherches
produites par les facultés des sciences de l'éducation étaient
décontextualisées et n'avaient pratiquement aucun lien avec le métier qu'ils
exerçaient. On ne sera donc pas surpris
de constater, par un curieux renversement, que même si les professeurs des
facultés des sciences de l'éducation ont réalisé des recherches, celles-ci ont
joué un rôle dé-professionnalisant au sens où elles n'étaient pas pertinentes
pour la pratique et contribuaient ainsi à maintenir en force les idées reçues
dont nous avons parlé plus haut.
3.4. Au début des années soixante-dix, plusieurs chercheurs (Rosenshine
et Furst, 1973; Dunkin et Biddle, 1974) ont commencé à remettre en question les
conclusions du rapport Coleman (1966) concernant la prépondérance du milieu
social pour expliquer la performance des élèves. Ils ont posé la question suivante:
l'enseignant fait-il une différence pour favoriser l'apprentissage des élèves?
Autrement dit, y a-t-il un effet enseignant? Cette préoccupation a été
au coeur d'un mouvement de recherches sur l'enseignement appelées «recherches
processus-produit». Pour répondre à
cette question, il fallait désormais conduire les recherches dans les classes
et observer les comportement des enseignants.
Il fallait également mettre en relation les comportements des
enseignants (processus) avec la performance des élèves à des épreuves
standardisées (produit). Ce type de
recherches processus-produit a été très populaire durant les années
soixante-dix. Cependant, en raison d'une
approche du travail enseignant jugée trop mécanique et superficielle, les
recherches processus-produit subirent peu à peu les critiques et virent leur
suprématie contestée par d'autres approches inspirées de l'ethnométhodologie ou
encore des sciences cognitives qui rencontrent actuellement la faveur d'un
nombre croissant de chercheurs.
3.5. En 1983, un petit ouvrage polémique paru aux
États-Unis et intitulé A Nation at Risk aura une influence profonde par
la suite. Ce manifeste accuse le système
d'éducation d'être responsable des problèmes économiques que vit la nation
américaine. Il conduira à la publication
de plusieurs rapports dont celui, fameux, du groupe Holmes (1986) à partir
duquel l'idée de professionnalisation de l'enseignement et de recherche en
enseignement fera son chemin. Pour les
membres du groupe Holmes la professionnalisation de l'enseignement passe, entre
autres, par la détermination d'une base de connaissances pour
enseigner. Selon eux, l'état actuel de
la recherche en enseignement permettrait d'affirmer l'existence d'une telle
base de connaissances. Plus encore, il
faudrait, soutenir la recherche en ce sens et de concert avec les milieux
d'enseignement.
Treize années plus tard, le mouvement de professionnalisation de
l'enseignement semble s'être consolidé.
Les recherches conduites dans les classes sont actuellement plus
nombreuses encore qu'auparavant. Des
synthèses sur les résultats de recherches commencent à être publiées (Gauthier et al, 1997). Même si la nature d'une base de connaissances
est encore problématique, il n'en demeure pas moins qu'on n'a plus dorénavant
raison de soutenir que la recherche en éducation n'a pas de rapport avec la
pratique, qu'elle ne peut pas informer l'enseignant. Si en un temps, désormais révolu mais pas si
lointain, la recherche fut dé-professionnalisante au sens où elle était sans
lien avec les conditions d'exercice réel du métier, celle d'aujourd'hui,
importante en quantité et en qualité, porte sur l'enseignement et est conduite
avec des enseignants dans les classes.
Elle produit des résultats qui formalisent divers aspects du travail de
l'enseignant.
Compte tenu de ce qui précède, on comprendra qu'il devient de plus en
plus difficile de brandir de nouveau les idées reçues évoquées plus haut pour
se conforter dans des pratiques qu'on ne veut pas changer tout en ignorant le
fait qu'il existe désormais des résultats de recherches qui permettent de
soutenir la pratique enseignante.
4. La recherche en enseignement peut avoir
un effet professionnalisant à certaines conditions.
4.1. Conditions par rapport à la nature de la recherche
elle-même.
Toutes les recherches ne contribuent pas à la professionnalisation. On
l'a vu plus haut lors de l'analyse de l'évolution des recherches en
enseignement. Durant les années soixante
notamment, un grand nombre de recherches ont été produites en éducation qui ne
mettaient pas nécessairement l'enseignant et son contexte de travail au coeur
des préoccupations mais portaient sur toutes sortes de variables
périphériques. Recherches sur
l'apprentissage en laboratoire, recherches sur le curriculum, recherches sur
l'impact des classes sociales sur l'école. Ces recherches ont leur importance,
là n'est pas la question. Il s'agit
plutôt de savoir quel type de recherche contribue à professionnaliser le
métier. Sur ce point précis, il nous
semble qu'il faille passer de recherches réalisées en dehors de la classe à des
recherches portant sur ce qui se fait dans la classe, qui analysent l'enseignant
dans son contexte réel de travail, avec ses contraintes de temps,
d'espace, de budget, de groupes nombreux, de programmes chargés, etc. Ces recherches n'étudient pas l'apprentissage
de l'étudiant in abstracto mais
examinent plutôt les effets de la pratique de l'enseignant sur l'apprentissage
et l'éducation des étudiants.
4.2. Conditions par rapport à la dimension «épistémologico-politique» de
la recherche.
Il nous semble impératif que la pratique enseignante s'ouvre au dehors
et sorte du secret qui l'a toujours caractérisée. D'aucuns affirmeront que l'enseignement est
une pratique publique au sens où les étudiants observent constamment les
moindres gestes du professeur. Là n'est
pourtant pas la question. Au contraire,
la pratique enseignante, de la maternelle à l'université est une pratique qui
se déroule loin du regard des collègues et autres observateurs, derrière les
portes closes de la classe. Il faut donc
passer d'une pratique privée à une pratique publique. Il faut voir et
être vu. C'est une exigence à la fois scientifique et politique. Scientifique
dans la mesure où on ne peut isoler des savoirs pédagogiques si on ne voit pas
ce qui se passe dans la classe, si on ne compare pas des pratiques enseignantes
entre elles. Politique au sens où on ne
peut faire reconnaître aux autres la solidité de ces savoirs si on ne rend pas
compte de la manière de les produire. Il
ne s'agit pas d'affirmer naïvement l'existence d'une base de connaissances pour
enseigner, il faut également la démontrer.
Cela implique l'analyse des présupposés et méthodes de recherche qui les
ont produites et la mise en examen des résultats afin de les valider. On ne peut donc faire de la recherche sans
voir et on ne peut professionnaliser sans être vu.
4.3. Conditions par rapport aux
liens que la recherche entretient avec la profession et la formation.
L'argumentaire du groupe Holmes (1986) est construit de manière à relier
trois composantes: la compétence professionnelle, la recherche et la formation
des enseignants. Pour les auteurs de ce rapport, l'éducation des jeunes
s'améliorera si les enseignants deviennent plus compétents; ces derniers
le deviendront si leur action prend appui sur une base de recherche; les
résultats de ces recherches doivent pouvoir être appris dans le cadre d'une formation.
Par conséquent, les lieux d'enseignement, de recherche et de formation doivent
être mis en relation. C'est pourquoi on parle tant depuis une douzaine d'années
de partenariat et de collaboration dans la pratique professionnelle, la
production de recherches sur l'enseignement et la formation aux savoirs.
4.4. Conditions par rapport à la manière d'utiliser les résultats de la
recherche.
Produire des recherches est une chose, utiliser les résultats en est une
autre. Il est souvent tentant de vouloir
appliquer «mur à mur» les résultats de recherches en pensant régler de manière
totale les problèmes. C'est le fantasme
entretenu par ceux animés d'une vision scientiste radicale. La classe, on le sait, est un lieu complexe
où co-existent plusieurs dimensions en tension.
L'enseignant doit prendre constamment des décisions mais il n'existe pas
de méta-critères lui permettant de décider en toute quiétude le cours de son
action. Par exemple, doit-il à tel
moment enseigner pour le groupe où s'occuper de celui qui est en retard;
arrêter son exposé pour gérer un cas d'indiscipline ou faire comme si de rien
n'était?
Au dogmatisme scientiste nous préférons
toutefois une utilisation «prudente» des résultats de recherche. La recherche
en enseignement est encore jeune, les résultats largement parcellaires et les
conclusions bien fragiles. On peut donc
difficilement prescrire tous azimuts avec si peu. À cet effet, on ne peut qu'être étonné de
voir appliquer au Québec l'approche par compétence dans tous les cégeps. On
peut se demander quelle est la base empirique de recherche qui soutient
l'approche par compétence. À partir de quelles recherches cette approche
a-t-elle été validée? Quelles sont, d'après la littérature, les limites de
cette approche? Ces questions ne sont pas pour mettre en question l'approche
par compétence; au contraire, nous croyons que c'est une bonne idée. Cependant, comme on n'a pas encore trouvé la
recette miracle en éducation, il peut arriver parfois, souvent même, qu'on
puisse avoir raison de résister quand on perçoit les limites d'un discours qui
semble avoir des prétentions de vérité.
Pour nous, l'impact de la recherche est beaucoup plus modeste quoique
non négligeable. La recherche informe
l'enseignant, elle nourrit son jugement, elle le soutient dans sa prise de
décision, elle l'aide à diagnostiquer une situation et à inventorier des solutions. Le rôle de la recherche en enseignement est
davantage consultatif que prescriptif.
4.5. Conditions par rapport à la manière de concevoir la responsabilité
professionnelle.
D'aucuns soutiennent que l'enseignant devrait être responsable des
performances des élèves. Nous soutenons
un point de vue différent. Le médecin ne
peut être tenu responsable de la mort de ses patients s'il a mis en branle tous
les moyens nécessaires pour les garder en vie.
De même l'avocat ne peut être tenu responsable d'avoir perdu une cause
s'il a mis en oeuvre tous les moyens à sa portée. Nous pensons pareillement que l'enseignant
est responsable d'abord des moyens utilisés et non a priori des résultats des étudiants. Il doit donc pouvoir faire la
preuve qu'il a utilisé les meilleurs moyens à sa portée pour instruire et
éduquer les étudiants. En ce sens, sa
pratique professionnelle devrait donc être soutenue par la recherche (pas
seulement disciplinaire mais aussi pédagogique).
4.6. Conditions par rapport à la formation des enseignants.
La formation pédagogique est une composante essentielle du processus de
professionnalisation. Idéalement elle s'appuie sur une base de connaissances
produites par la recherche. Cependant,
même à supposer que l'on réussisse à isoler une base de connaissances
pédagogiques pour enseigner, cela ne règle pas pour autant le problème de la
formation au métier (Raymond et Lenoir, 1998). Plusieurs recherches montrent en
effet l'importance de travailler au préalable sur les représentations du métier
avant de proposer l'apprentissage de nouvelles connaissances ou habiletés car
les enseignants ont naturellement tendance à reproduire les façons de faire
qu'ils ont vu tout au cours de leur histoire scolaire. Ces représentations du métier sont robustes
et résistent longuement à tout changement.
Cela n'est pas étonnant quand on sait que chacun de nous dans son
histoire scolaire a été exposé durant environ 13000 heures à un enseignement
dont le profil est habituellement plutôt traditionnel. Aucune autre profession
n'offre pareil conditionnement. Quel
individu aurait dans sa prime jeunesse passé autant d'heures dans un hôpital à
côtoyer un médecin? À la recherche en enseignement nécessaire à la
professionnalisation se greffe donc aussi la recherche sur la formation et le
perfectionnement des enseignants. Cette
question devient tout particulièrement primordiale au cégep où la formation
pédagogique des enseignants n'est pas encore obligatoire.
Pour finir...
Comme nous venons de le voir, recherche et
professionnalisation vont de pair.
Illustrons pour terminer, à partir de quelques figures typiques du
maître comment, dans l'évolution de la pédagogie, la recherche se lie (ou ne se
lie pas) au métier.
Il y a d'abord eu le maître «naturel»,
avant le XVIIe siècle (Gauthier et Tardif, 1996). Ce dernier n'a pas conscience
de lui-même. Pour lui, son savoir enseigner se réduit au contenu à transmettre
dans un rapport pédagogique de «un à un».
Il reçoit à tour de rôle chacun des élèves pour leur inculquer un contenu
culturel donné. Comme il sait lire, il peut, sans aucun autre artifice, montrer
à lire; seule la logique de la matière préside évidemment à son
enseignement.
Au maître naturel succède le maître comme artisan. Toute la période qui s'étend du XVIIe au XXe
siècle va voir apparaître et se consolider ce nouveau rapport au métier. Ce
maître a reçu une formation pédagogique qu'il a apprise par imitation notamment
auprès des communautés religieuses enseignantes. Le savoir pédagogique est du type recette et
formalisé à partir des usages et de l'expérience. On assiste alors non
seulement à la naissance de la pédagogie mais aussi au début de la mise en
place d'une tradition pédagogique qui prendra par la suite une connotation très
péjorative avec l'appellation «pédagogie traditionnelle».
Tout le XXe siècle a été une tentative
pour renverser la pédagogie traditionnelle (Gauthier, Tardif, 1996). Un nouveau discours domine les débats, celui
de la pédagogie nouvelle centrée sur les besoins de l'élève. Diverses tendances la traversent.
Le maître est vu d'abord comme un scientifique
et la pédagogie comme une application de la psychologie. On voit chez certains auteurs le désir de
faire de l'enseignant un spécialiste des lois de l'apprentissage. Les recherches portent sur le développement
de l'enfant et sur l'apprentissage. La
pédagogie prend une couleur expérimentale et technocratique.
Mais le maître de la pédagogie nouvelle
est vu parfois aussi comme animateur-thérapeute. Alimenté cette fois par
la psychologie clinique, il se met à l'écoute des besoins de l'enfant. La pédagogie se centre sur l'intérêt de
l'enfant et se conjugue au temps du socio-affectif. La recherche de Soi prévaut et la pédagogie
devient expérientielle et vécucentriste.
Une nouvelle figure du maître semble en émergence à l'aube du nouveau
millénaire. Il s'agit de la naissance de
l'enseignant comme professionnel.
Enserré dans une situation complexe, une classe avec 30 étudiant à
instruire et à éduquer, il doit constamment prendre une multitude de
décisions. Pour ce faire, il peut prendre
appui sur certains résultats de la recherche pédagogique qui l'informent et
nourrissent son jugement. En tant
qu'acteur rationnel il est capable de justifier publiquement ses choix en
s'appuyant sur autre chose que le sens commun.
La recherche pédagogique aura permis la naissance et soutiendra la
reconnaissance de cette nouvelle figure du maître.
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