Ce texte a été produit dans le cadre d'un projet de recherche dont l'équipe était composée de : Liliane Portelance (responsable), Stéphane Martineau (co-chercheur) et Josianne Caron (assistante de recherche), l'UQTR.
Au Québec
comme ailleurs, la formation professionnelle à l’enseignement se déroule en
alternance à l’université et sur le terrain. À l’instar de toute formation en
alternance, elle impose des exigences de partenariat entre les institutions et
de collaboration entre les formateurs des étudiants. Le respect de ces
exigences devient particulièrement incontournable à l’occasion des stages
d’enseignement dans les écoles primaires et secondaires. En 2001, les
prescriptions du ministère de l’Éducation relativement à la formation initiale
des enseignants contraignent les universités à orienter cette formation vers la
professionnalisation de l’enseignement et le développement de compétences
professionnelles. Or, de telles exigences renforcent la nécessité de la
collaboration puisque, pour donner suite à ces prescriptions, la formation doit
se dérouler à la fois en milieu universitaire et en contexte d’action
professionnelle. Par ailleurs, la collaboration entre les formateurs des
deux milieux existe déjà depuis de nombreuses décennies dans leurs relations
interprofessionnelles et particulièrement depuis que le cursus comporte 700
heures de stage (Ministère de l’Éducation du Québec, 1994). Ce changement a en
effet mis en évidence l’importance de la formation de terrain et nécessité une
augmentation du nombre de formateurs de terrain. Il a aussi entrainé une
valorisation de leur rôle auprès du futur enseignant. L’enseignant associé est
de plus en plus considéré comme un acteur crucial de la formation du stagiaire.
À cet égard, il est appelé à exercer un rôle de formateur. Quant au superviseur
universitaire, il est incité à prendre en compte l’apport significatif de son
partenaire à la formation du stagiaire et à le manifester dans leurs activités
communes. Ces ajustements aux attentes peuvent
donner lieu à des transformations identitaires. Ainsi, le formateur peut
être amené à réorganiser son répertoire de priorités, d'attentes, de comportements,
d'attitudes. Sur base d’une reconstruction, plus ou moins consciente de
ses normes et de ses valeurs personnelles (Dupuy
et Le Blanc, 2001, cités par Duchesne, 2008), le
formateur se bâtit progressivement une identité professionnelle. Pour
encourager et faciliter l’intégration des changements et la conjugaison des
efforts vers l’atteinte d’un but commun, des ateliers de formation orientés
vers le développement d’une compétence en matière de collaboration en vue d’une
formation cohérente du stagiaire sont offerts aux deux formateurs du stagiaire
(Portelance, Gervais, Lessard, Beaulieu et collaborateurs, 2008).
Le stage
étant le lieu de contacts interprofessionnels entre les formateurs scolaires et
universitaires, il n’est pas étonnant de constater que, au fil des ans, la
collaboration entre l’enseignant associé[1] et le superviseur
universitaire soit devenue un objet d’intérêt pour plusieurs chercheurs (Tung,
2000; Gimbert, 2001; Rodgers, 2004; Ediger, 2009; Gervais, 2008; Campbell et Lott,
2010; Sim, 2010). Elle est considérée
comme un aspect déterminant de la qualité de la formation du stagiaire. La dynamique collaborative appelle à dépasser la
simple cohabitation (Marcel, Dupriez et Périsset-Bagnoud et Tardif, 2007). Toutefois, la
collaboration ne se manifeste pas toujours (Veal et Rickards, 1998; Sanford et Hopper, 2000), Cette lacune serait due en
partie à des logiques professionnelles différentes (Sanford et Hopper, 2000),
quoique complémentaires. En effet, lorsque deux agents de deux organisations
doivent agir de concert, ils entrent en interaction par leurs moyens propres et
en poursuivant des buts spécifiques à leur organisation. Dans l’optique d’un
travail en commun, une négociation devient nécessaire. Par ailleurs, la collaboration interprofessionnelle peut être entravée
par l’absence d’un sentiment de compétence ou d’efficacité des acteurs et même
par le refus ou la résistance aux exigences qu’elle pose.
Dans ce
texte, nous abordons la collaboration entre les deux formateurs du stagiaire
quant à leur adhésion à l’impératif de collaborer. Les résultats préliminaires d’une recherche menée sur
le terrain sont exposés; ils sont précédés de la problématique de la recherche,
du cadre conceptuel sous-jacent à la collecte des données ainsi que de la
démarche méthodologique utilisée. Nous complétons par une discussion qui met
les résultats en lien avec la documentation scientifique consultée.
1- L’impératif de la collaboration entre les formateurs
du stagiaire
Dans tous les secteurs de travail, on assiste à la
promotion d’espaces d’apprentissage, d’échange et de partage (Novoa, 2004). En
milieu scolaire, l’impératif de la collaboration n’est pas nouveau (Savoie-Zjac
et Dionne, 2001; Derouet et Gonnin-Bolo, 2002). Au Québec, le ministère de
l’Éducation accorde une priorité à la collaboration entre les différents
intervenants du milieu de l’éducation (Ministère de l’Éducation du Québec,
2001). Le discours officiel recoupe celui de Clement et Vandenberghe (1999) au
sujet des incidences positives de la collaboration sur le développement
professionnel des acteurs éducatifs. La collaboration entre les formateurs du
stagiaire est ainsi placée en lien direct avec la qualité de la formation du
futur enseignant (Ediger, 2009). Dans d’autres milieux, notamment aux
États-Unis, au Canada anglais et en Australie, les attentes sont semblables.
L’impératif de la collaboration a-t-il incité à un partenariat étroit entre les
institutions universitaire et scolaire et à une mobilisation volontaire des
acteurs pour répondre aux attentes ? À l’heure actuelle, il n’est pas possible
de qualifier les transformations auxquelles l’injonction de collaborer a donné
lieu au Québec, en ce qui concerne à la fois les transformations
institutionnelles et les transformations subjectives chez les acteurs
scolaires. Dans ce texte, la collaboration réfère à un engagement volontaire,
une démarche conjointe vers un but commun, un échange de savoirs dans une
relation d’interdépendance, de confiance et d’authenticité. Nous y reviendrons
plus loin.
1.1 Collaborer dans la discussion et
se positionner comme coformateurs
Le manque de communication substantielle et de
coopération entre les deux formateurs serait le facteur le plus nuisible au
processus de formation du stagiaire (Kauffman, 1992). D’une part, le partage
des savoirs favorise le développement d’une vision cohérente de la formation
(Lacroix-Roy, Lessard et Garant, 2003). D’autre part, les savoirs respectifs,
quoique distincts, s’avèrent stimulants et enrichissants lorsqu’ils sont mis en
relation et confrontés (Gervais et Desrosiers, 2005), remis en question,
recadrés et ajustés dans le respect des éléments contextuels du stage.
Toutefois, les rapports interprofessionnels, les échanges et les discussions du
formateur de terrain et du formateur universitaire ne s’avèrent pas toujours
féconds. Les logiques professionnelles différentes (Sanford et Hopper, 2000)
peuvent conduire à la transmission de messages contradictoires au stagiaire. Il
est pourtant essentiel que les deux formateurs se reconnaissent comme des
coformateurs du futur enseignant (Boutin et Camaraire-Santoire, 2001), des
professionnels qui font équipe et se soutiennent mutuellement.
Leurs commentaires, leurs suggestions et leurs questions influencent fortement
le développement professionnel du stagiaire.
1.2 Des obstacles à la collaboration
Les mésententes concernant les rôles, le manque de
clarté des objectifs à atteindre par le stagiaire et le manque de communication
peuvent expliquer l’existence de tensions dans les relations apparemment
hiérarchiques entre les deux formateurs (Veal et Rickards, 1998). Gimbert
(2001) prétend de plus à l’existence d’un problème de leadership quant à
l’influence exercée sur le stagiaire. Cette affirmation recoupe celle de
Rodgers (2004) : l’enseignant associé est puissant, mais le superviseur
universitaire est tout puissant. Selon l’auteur, cette situation, qu’elle soit
le reflet d’une adaptation consentie ou d’une complaisance feinte, empêche la
création d’espaces de dialogue critique authentique. Dans le même sens, Tung
(2000) souligne que certains enseignants associés ne mentionnent pas au
superviseur les difficultés de leur stagiaire, ressentant le besoin de le
défendre aux yeux du représentant universitaire.
Signalons, à l’instar de Varrati, Lavine et Turner
(2009), que les tensions et les mésententes peuvent être atténués si les
milieux universitaire et scolaire maintiennent une bonne communication et
travaillent dans la même perspective. Par ailleurs, la nécessité de collaborer
se heurte généralement à d’autres obstacles. Sim (2010) attire l’attention sur
les contraintes de temps, les priorités différentes et une préparation
insuffisante relativement aux fondements théoriques d’un projet commun.
Tel que déjà
mentionné, la collaboration interorganisationnelle se présente comme un
impératif. Elle serait le meilleur moyen de réaliser les objectifs des
organisations à court et long terme (Gajda, 2004). Malgré les défis qu’elle
impose de relever et l’effort qu’elle exige, la collaboration
interprofessionnelle permet normalement de soutenir et de connecter des agents
de diverses sphères d’activité (Bradshaw, 1997). D’aucuns peuvent pourtant
considérer que les exigences sont trop élevées, répondre aux attentes par la
résistance et considérer que leurs intérêts et leurs valeurs sont malmenés ((Muncey et McMillan, 1996). Inversement, un sentiment
d’efficacité personnelle peut susciter l’adhésion à l’injonction de la
collaboration (Ouadahi, 2008).
2- La collaboration interprofessionnelle
La collaboration au travail a été étudiée
par de nombreux chercheurs sous diverses appellations et selon différentes
perspectives. Par exemple, Savoie-Zajc et Dionne (2001) s’intéressent à la
communauté d’apprentissage, Derouet et Gonnin-Bolo (2002) au partenariat
égalitaire, Gajda (2004) à la concertation, Lessard (2005) au travail
collectif, Garcia et Marcel (2011) au travail partagé. En formation initiale à
l’enseignement, le discours sur la collaboration occupe une place importante.
En effet, la collaboration est devenue inséparable de la professionnalisation
de l’enseignement et les pratiques collaboratives sont imposées dans tous les
milieux de formation. Les paragraphes suivants précisent les particularités de
la collaboration et s’attardent à l’interdépendance ainsi qu’aux rapports
interprofessionnels en jeu dans le travail des formateurs du stagiaire.
2.1 Les particularités de la collaboration
À
l’instar de plusieurs autres, le terme collaboration n’est pas utilisé de
manière univoque. Que représente le concept de collaboration dans le cadre de
ce texte ? Tout d’abord, la collaboration se distingue de la collégialité,
de la coordination et de la coopération. La collégialité réfère à une forme de
cohabitation, de relations sociales informelles et quelque peu superficielles
alors que la collaboration est beaucoup plus exigeante (Savoie-Zajc et Dionne (2001). Un enseignant associé et un
superviseur universitaire sont appelés à dépasser clairement le stade de la
collégialité. Leurs responsabilités de formateurs du stagiaire commandent
également qu’ils aillent au-delà de la coordination administrative. De plus, même la coopération est moins exigeante. En effet,
dans une situation de coopération, les tâches sont réparties
et chaque personne est responsable d'une partie de la tâche globale (McEwan,
1997 ; Or, la collaboration requiert davantage d’investissement. Lorsqu’il y a
collaboration au travail, chacun réalise entièrement les tâches nécessaires à
l’atteinte des objectifs, s’engage dans un effort collectif et dans un processus de prise
de décision partagée pour atteindre un but commun (Cook et Friend, 1991).
Idéalement, les deux formateurs du stagiaire s’engagent à soutenir ensemble le
développement des compétences professionnelles de l’étudiant et à prendre une
décision conjointe quant à l’évaluation de ses apprentissages (Portelance et al., 2008). La collaboration
interprofessionnelle entre les deux formateurs du stagiaire se distingue du
partenariat, lequel peut référer à l’action négociée (Gonnin-Bolo, 1988), du
partenariat de service qui correspond à des relations informelles et
juxtapositives et au rapport bureaucratique, ainsi que du partenariat de
réciprocité qui se révèle dans des relations formelles et intégratives (Landry,
1994).
La collaboration est aussi
caractérisée par l’interdépendance, principalement dans la responsabilité partagée (Little, 1990). Le partage d’une responsabilité rendrait
l’équipe plus efficace dans la résolution des problèmes (Ivey, Brown, Teske et
Silverman, 1988). On peut penser ici aux problèmes d’ordre didactique,
psychopédagogique ou éthique confrontés par le stagiaire. La collaboration se
dévoile aussi
dans la verbalisation des savoirs respectifs des collaborateurs et de ceux
qu’ils construisent ensemble. S’appuyant sur Gadamer (1996), pour qui le savoir constitue le fruit du dialogue et de
l’échange, Martineau et Simard (2011) soulignent à juste titre qu’il ne saurait
y avoir de véritable collaboration sans l’instauration d’un réel climat de
dialogue entre les interlocuteurs. L’échange authentique ne peut échapper à l’argumentation
rationnelle (Tardif et Gauthier, 1996) et aux ajustements qui suscitent des
reconceptualisations (Martinand, 2002).
2.3 Les rapports
interprofessionnels
Quoiqu’elle
soit généralement vue de manière positive, la collaboration n'est pas un
processus simple. Une collaboration réussie exige des interactions personnelles
chaleureuses et harmonieuses, de la confiance et du respect. Si le climat de
confiance est nécessaire à la collaboration, inversement la collaboration est
un moyen de maintenir ce climat. Il semble que le dialogue collaboratif se
concrétiserait plus facilement en contexte égalitaire, mais qu’il est
observable aussi dans un rapport professionnel asymétrique (Ferrier-Kerr, 2009;
Portelance, 2011a). Selon les constats de Campbell et Lott (2010), il est
possible, malgré les contraintes dues au manque apparent de parité, de façonner
un environnement permettant la collaboration et favorisant le développement
professionnel des formateurs du stagiaire et du stagiaire
3- Description du processus d’investigation
La recherche
avait pour objectif de réaliser une analyse compréhensive de la collaboration
entre l’enseignant associé et le superviseur universitaire. Une stratégie qualitative interprétative a été
utilisée. L’un des objectifs spécifiques consistait à examiner
l’adhésion des deux formateurs aux impératifs actuels de collaboration
interprofessionnelle. Les résultats présentés à ce sujet dans ce texte
constituent des résultats préliminaires.
Les superviseurs sont des enseignants
universitaires qui ont complété un diplôme de maitrise ou de doctorat en
éducation et ont enseigné dans le milieu scolaire pendant cinq années au
minimum. Pour devenir enseignant associé, un enseignant doit avoir cumulé cinq
ans d’expérience en enseignement. Il doit s’engager volontairement à collaborer
à la formation du stagiaire dans le milieu de pratique. Il est reconnu comme un
professionnel de l’enseignement et, à l’instar du superviseur un formateur du
stagiaire (Ministère de l’Éducation, du Loisir et du Sport, 2008). Au cours des
trimestres d’hiver 2011 et 2012, nous avons fait appel à des superviseurs de
stage du baccalauréat en enseignement secondaire de l’Université du Québec à
Trois-Rivières. S’ils acceptaient de participer à la recherche, ils demandaient
à des enseignants associés et à leur stagiaire finissant de se joindre à eux.
Trois superviseures, sept enseignants associés et autant de stagiaires,
composant sept triades, ont constitué la source des données. Les enseignants
associés et les stagiaires se trouvent dans des écoles situées dans diverses
régions québécoises : Lanaudière, Laurentides, Montérégie, Mauricie et
Centre-du-Québec. Les stagiaires enseignent les disciplines rattachées à leur
profil de formation, français, mathématiques, univers social ou science et
technologie, à des élèves de différents niveaux scolaires.
Pendant le stage, les deux formateurs du
stagiaire ont été rencontrés individuellement pour répondre à un questionnaire
et participer à une entrevue. Les rencontres avec les enseignants associés ont
eu lieu dans leur école respective et celles des superviseures à l’université.
Le questionnaire distribué aux formateurs comprenait, entre autres, huit
énoncés portant sur la collaboration. Les participants étaient invités à
indiquer leur adhésion à chacun d’eux. L’échelle de l’adhésion est une
adaptation du continuum construit par Brassard, Lalancette et Portelance
(2000). Le continuum utilisé comporte quatre niveaux : 1) je n’adhère pas
à cette idée, 2) je m’interroge sur la portée de cette idée, 3) je crois qu’il
faut promouvoir cette idée, 4) je suis convaincu de la nécessité de concrétiser
cette idée. L’entrevue, d’une durée d’environ une heure, donnait l’occasion aux
participants de justifier leur niveau d’adhésion aux différents énoncés du
questionnaire et de se prononcer sur d’autres aspects de la collaboration
interprofessionnelle. Les propos ont été enregistrés sur bande sonore. Avant de procéder à leur
traitement, ils ont été transcrits intégralement. Les opérations de codification
et d’analyse des données issues des entrevues ont été exécutées à l’aide d’un logiciel d’analyse des données
qualitatives, le Weft QDA. L’intercodage entre chercheurs et assistante de recherche
a permis de préciser la codification, d’ajouter des catégories émergentes, de
s’entendre sur les unités de sens (Mukamurera, Lacourse et Couturier, 2006).
Des synthèses partielles ont contribué à l’approfondissement de la
compréhension du discours et à la structuration de la présentation des
résultats.
4- Synthèse des propos des participants
Nous exposons
l’analyse des points de vue des formateurs du stagiaire au sujet des énoncés
sur la collaboration portée à leur attention. L’analyse des propos des
enseignants associés est suivie de l’analyse des propos des superviseurs.
4.1 Les deux formateurs entrent en interaction en
poursuivant des buts spécifiques à leur institution
Certains enseignants associés considèrent
que les buts spécifiques de l’université sont trop différents des buts spécifiques
du lieu de stage, qu’ils sont irréalistes ou encore difficilement négociables.
D’autres croient qu’il importerait de promouvoir cette idée à la condition que
les buts spécifiques soient clairement identifiés et compris de tous les
acteurs impliqués. Selon leur expérience, cette condition n’est pas remplie.
Ceux qui n’adhèrent pas à l’idée déclarent que c’est le but commun qui compte,
soit les progrès du stagiaire. D’ailleurs, la plupart des enseignants associés
sont convaincus de la nécessité de viser ensemble les apprentissages du
stagiaire. Certains déclarent qu’il faut promouvoir l’engagement vers
l’atteinte d’un but commun, mais que cet engagement doit se manifester par des
rencontres plus fréquentes entre les formateurs. Les rencontres sont nécessaires,
non seulement pour l’observation et la rétroaction donnée au stagiaire, mais
aussi pour discuter des attentes mutuelles, des objectifs de stage, et ce,
surtout avant le début du stage.
Les superviseures croient que les buts
spécifiques des deux formateurs devraient être complémentaires et respectueux
des attentes de l’université. Ils rappellent de plus l’importance du but
commun, le développement du stagiaire. Une superviseure est perplexe. À son
avis, il faudrait commencer par briser l’image de la relation hiérarchique
entre un superviseur et un enseignant associé. Une autre soutient que certains
enseignants associés ne s’engagent pas dans l’encadrement d’un stagiaire pour
les bonnes raisons, accueillant l’étudiant pour alléger leur tâche d’enseignement.
4.2 La collaboration facilite l’élaboration de
liens entre la théorie et la pratique
La majorité des enseignants associés sont
convaincus de la nécessité de favoriser les liens entre théorie et pratique
tout en prétendant que le stage n’est pas le lieu de l’élaboration de tels
liens. À leur avis, la théorie enseignée à l’université est à la base des
pratiques, mais les savoirs expérientiels construits pendant un stage sont
prédominants. En d’autres termes, à chaque lieu de formation ses savoirs.
D’autres enseignants associés affirment ignorer ce qui est enseigné à
l’université. Ayant terminé leur formation universitaire depuis longtemps, ils
n’ont qu’un vague souvenir de la théorie et ils ne l’utilisent plus.
Quelques-uns soulignent que le rôle de passeur théorique appartient
exclusivement au superviseur.
Les superviseures considèrent que les
enseignants associés n’ont pas une grande ouverture aux savoirs théoriques, et
ce, malgré une bonne collaboration. L’une d’elles mentionne qu’elle suggère aux
étudiants de s’investir dans leur formation en consultant des ressources
théoriques, de sorte à pouvoir faire des liens entre la théorie et la pratique.
Une superviseure, convaincue de la nécessité de favoriser les liens entre la
théorie et la pratique, soutient que l’ouverture des formateurs aux savoirs
d’autrui faciliterait grandement l’élaboration des liens. Elle dénonce la
persistance à prétendre que l’université offre une formation trop théorique et
que le stage permet les vrais apprentissages.
4.3 La collaboration nécessite des remises
en question, des confrontations d’idées et des prises de décision conjointes.
Plusieurs enseignants associés trouvent
important de tenir compte des idées de l’autre formateur et d’apporter des
ajustements à leurs interventions auprès du stagiaire en tenant compte des
visions différentes. Les autres sont réticents à utiliser le terme
confrontation. Ils veulent éviter les débats avec un superviseur. Ils préfèrent
réfléchir ensemble ou s’entendre, notamment au sujet de l’évaluation du
stagiaire. Un enseignant associé plaide pour une augmentation du pouvoir
décisionnel du formateur de terrain relativement à l’évaluation, étant donné sa
présence continue dans le quotidien du futur enseignant.
À l’instar de quelques enseignants
associés, une superviseure trouve que le terme confrontation est inapproprié.
Par ailleurs, toutes les superviseures sont d’avis que les remises en question
et les confrontations nécessitent d’abord le respect, l’écoute et l’ouverture
d’esprit, la volonté d’apprendre et de comprendre. Elles disent aussi que les
remises en question sont nécessaires et inévitables, elles permettent le
partage du pouvoir décisionnel. Pour l’une d’elles, il importe que le
superviseur assume le leadership des échanges d’idées.
4.4 La collaboration permet d’harmoniser
et d’accroître la portée des interventions auprès du stagiaire.
La plupart des enseignants associés sont
convaincus de la nécessité de la cohérence des interventions des deux
formateurs. Cela ne peut que produire des effets bénéfiques pour le stagiaire.
La bonne entente, la même vision de l’encadrement et la similarité des
commentaires exprimés au stagiaire sont une priorité pour les enseignants
associés. Tout enseignant associé devrait se sentir compétent, solide et à
l’aise dans son rôle. L’un d’eux apprécie que le superviseur valorise ses
interventions auprès du stagiaire ou encore l’aide à exercer son rôle auprès du
stagiaire.
Les superviseures affirment que l’arrimage
entre l’université et le milieu scolaire est difficile même si les deux
institutions partagent un objectif commun. Elles souhaitent former avec
l’enseignant associé une équipe dans laquelle chacun a des rôles
spécifiques : l’apport du superviseur concerne la théorie et le goût de la
recherche, celui de l’enseignant associé l’expérience du métier. À leur avis, les deux formateurs devraient
agir comme des coéquipiers interdépendants de sorte que le stagiaire puisse
percevoir la cohérence des attentes à son égard. Les superviseures notent que
certains enseignants associés participent peu aux discussions en triade,
donnant parfois l’impression qu’ils ne se sentent pas compétents. De plus, ils
hésitent à exprimer leurs commentaires sur les lacunes du stagiaire. En
réalité, de telles attitudes nuisent à l’harmonisation des interventions des
deux formateurs et réduisent leur portée.
5- Réflexion suscitée par les
résultats
Si l’adhésion des formateurs du stagiaire à
l’impératif de la collaboration semble globalement acquise, les propos analysés
mettent en lumière que les logiques professionnelles distinctes réduisent la
possibilité d’une véritable collaboration. Nous communiquons en trois points
les interprétations que nous dégageons des résultats.
5.1 Le rapport aux objectifs formels du
stage
Un aspect de la collaboration sur lequel les
formateurs s’entendent indéniablement est le but commun qu’ils poursuivent, à
savoir le soutien au développement des compétences professionnelles du
stagiaire. À l’instar de Gervais et Desrosiers (2005), ils croient que leurs
échanges sont profitables lorsque les points de vue sont mis en relation et
remis en question. Ils affirment clairement être à la recherche d’un consensus
pour une formation cohérente du stagiaire. Par ailleurs, l’analyse des données
permet de constater qu’ils portent un regard critique sur les buts spécifiques
poursuivis par leur partenaire. Une enseignante associée revendique
l’adaptation des buts poursuivis par l’université aux réalités du milieu
scolaire : « Je trouve qu’il y a des objectifs rigides à l’université.
Quand on arrive en classe, ces objectifs-là ne peuvent pas être atteints parce
qu’il y a un problème de dynamique, de comportement de l’élève » (eaEiSL11-78[2]). Pour sa part, une superviseure prétend que les
attentes de l’université chapeautent le stage et qu’elles doivent être prises
en compte autant par l’enseignant associé que par le formateur universitaire
: « On a les attentes de l’université et je pense que c’est
important que chacun respecte ces attentes. C’est le but pour les deux
formateurs (supUaQT3-19[3]). On
comprendra que les enseignants associés puissent se sentir lésés dans une
situation de prédominance des visées universitaires sur les contraintes
contextuelles de l’enseignement. Cette prédominance institutionnelle colore les
relations entre les deux formateurs du stagiaire. Devant les objectifs formels
du stage, se faufilent les objectifs spécifiques de chacun des formateurs. L’un
se sent investi d’une mission de formation alimentée par des savoirs théoriques
et l’autre est engagé dans une formation nourrie par ses savoirs expérientiels.
Par ailleurs, la circulation bidirectionnelle des savoirs est fortement
encouragée, considérée comme un principe fondateur de la formation en
alternance. Le stage n’est pas qu’un lieu d’application des savoirs théoriques
abordés à l’université. La reconnaissance des savoirs expérientiels demeure une
priorité. Pour les deux milieux, la qualité des apprentissages des élèves
représente la finalité de la formation du stagiaire (Ministère de l’Éducation,
2001).
5.2 Une relation hiérarchique
Dans un contexte égalitaire, la dynamique
relationnelle favoriserait la collaboration (Ferrier-Kerr, 2009; Portelance,
2011a). Or, notre analyse du discours des formateurs révèle que le superviseur
est considéré comme le leader, l’évaluateur ou même l’expert. Une superviseure
l’affirme ainsi : « La rétroaction, moi je pense que c’est le superviseur
qui doit l’animer en interpellant l’étudiant. Quelqu'un doit prendre le
contrôle. Les superviseurs sont vus comme des évaluateurs » (supUnQT9-64).
Dans les faits, chacun réclame d’être entendu et reconnu dans son rôle. À
l’instar du superviseur, le formateur de terrain fait des observations, donne
de la rétroaction au stagiaire et est en mesure de l’évaluer : « On
fait un « brainstorm », on se prépare selon ce qu’on a
remarqué : les améliorations, les difficultés, le travail effectué. On
peut être partie prenante de l’évaluation lors des supervisions » (eaEsSPDL19-26).
À ce sujet, Dionne (2005) parle de la nécessité d’une confiance mutuelle.
Little (1991) va plus loin en signalant que la collaboration fait appel à
l’interdépendance. Pourtant, les superviseures disent assumer le leadership en
raison notamment du manque de sentiment de compétence des enseignants associés.
De leur côté, les enseignants avouent avoir besoin de l’approbation continue du
superviseur. Cette attitude les place possiblement dans une position de
dépendance. Cela confirmerait que le superviseur est parfois considéré comme
une personne toute puissante (Rodgers, 2004). Mentionnons que, dans le contexte
québécois, le superviseur est le représentant de l’institution universitaire et
qu’il a un rôle de leadership à exercer au sein de la triade (Ministère de
l’Éducation, du Loisir et du Sport du Québec, 2008). L’enseignant associé
occupe principalement le territoire de la formation en milieu de pratique et y
exerce un rôle de premier plan dans la formation du stagiaire.
5.3
L’utopie de l’articulation entre la théorie et la pratique
Il appert que la collaboration est vue par tous les
participants comme un moyen de faciliter l’articulation entre la théorie et la
pratique. Les propos d’un enseignant associé illustrent son adhésion à
cette particularité de la collaboration: « Les stagiaires viennent chercher
leur partie pratique en stage et ils ont vu leur partie théorique à
l’université. Puis, c’est sûr que de collaborer avec le superviseur aide à
créer ces liens-là » (eaCpFAG19-88). . À leur avis, il incombe au superviseur d’agir à
titre d’expert de la théorie. Pour leur part, les superviseurs
universitaires devraient-ils réactualiser leurs théories, relativiser leurs
savoirs au contact du contexte scolaire et des élèves composant les classes de
leur stagiaire? Nous croyons que la formation d’un stagiaire peut réactiver le
désir des formateurs de poursuivre leur développement professionnel
La situation d’alternance telle qu’elle
existe actuellement dans la formation initiale des enseignants induit-elle
notamment une mise en tension de la circulation des savoirs ? Même si la
tendance à cloisonner les savoirs selon les deux lieux de formation est bien
réelle (Étienne, Altet, Lessard, Paquay et Perrenoud, 2009), il semble
réducteur de penser que théorie et pratique sont confinées dans des lieux
particuliers et distincts les uns des autres (Perrenoud, 2001). À cet égard, il
importe de questionner les enjeux de la collaboration interprofessionnelle et
d’examiner les savoirs coconstruits par les formateurs du stagiaire.
Conclusion
L’adhésion des formateurs du stagiaire à l’impératif
de la collaboration semble globalement faire l’unanimité. Notre investigation
révèle que les participants, enseignants associés et superviseures, sont
convaincus de la nécessité de l’engagement volontaire à atteindre un but
commun, la formation du stagiaire, et de la mise en relation des points de vue
au sujet des apprentissages du stagiaire. Les superviseures affirment avec
conviction que la collaboration nécessite des remises en question et des confrontations
d’idées et que le manque de participation active de l’enseignant associé aux
rencontres de la triade nuit à la collaboration.
Nous n’avons pas analysé les pratiques
effectives de la collaboration, mais bien le niveau d’adhésion à la collaboration.
Nous ne pouvons prétendre que les propos des formateurs correspondent
vraisemblablement à ce qui caractérise la dynamique relationnelle de leurs
échanges et de leurs discussions ainsi que de leurs interventions auprès du
stagiaire. En effet, nos données ne nous permettent pas de nous prononcer sur
le D’autres
données ont été collectées au moyen de l’enregistrement sonore de conversations
auxquelles l’enseignant associé, le superviseur et le stagiaire participaient,
en l’absence des chercheurs. L’analyse de ces données confirme que les deux
formateurs visent conjointement l’apprentissage du stagiaire et que le
superviseur valorise l’expertise de l’enseignant associé. Elle met en évidence
que le jugement évaluatif de l’enseignant associé est peu exprimé, même si le
superviseur sollicite l’avis de ce dernier. Finalement, le discours du
superviseur prédomine au sein de la triade.
Nous constatons que les attentes
ministérielles relativement à la collaboration interprofessionnelle entre les
formateurs, rattachés à des institutions distinctes, ne semblent pas
entièrement satisfaites. Il appert que les deux formateurs sont appelés à
réorganiser leur répertoire de priorités, d'attentes, de comportements,
d'attitudes. En particulier, pour l’enseignant associé le défi réside dans le
développement de la professionnalité d’un formateur d’adultes. Cette professionnalité
du formateur de terrain est teintée par sa double identité, enseignant et
enseignant associé, comme le souligne cet extrait du Cadre de référence de la
formation des formateurs de stagiaires au Québec (Portelance et al., 2008, p. 90) : « ...Dans son rôle auprès du stagiaire, l’enseignant
associé est un formateur d’adultes qui […], avec sa double identité et sa
double fonction, est appelé à développer une professionnalité qui lui est
propre, quant à son rôle et à la construction de son identité professionnelle
d’enseignant associé ». Quant au superviseur, formateur universitaire, «
... le développement de sa professionnalité indique l’importance accordée
à son rôle de médiateur des savoirs formels abordés à l’université et la
nécessité qu’il soit outillé […] pour établir des liens entre ces savoirs et
les savoirs de terrain et pour favoriser chez le futur enseignant une pratique
réflexive fondée sur des savoirs formellement reconnus. La construction d’une
identité professionnelle de superviseur exige une approche réflexive de son
rôle et l’adhésion aux fondements de la formation à l’enseignement. » (idem, p. 99).
Ainsi,
l'enseignant associé et le superviseur ont eu à redéfinir leurs rôles ces
dernières années. Devant de nouvelles
attentes à leur égard, ils ont été amenés à se redéfinir comme acteurs de la
formation du stagiaire. L'enseignant associé n'étant plus un simple
accompagnateur mais un réel formateur, le superviseur doit désormais partager
ses responsabilités de formateur.
Il faut cependant mentionner que les conditions pour
concrétiser réellement l’engagement à collaborer fond souvent défaut.
Notamment, le contexte organisationnel, autant le contexte universitaire que le
contexte scolaire, a pour effet de réduire le temps des échanges entre les deux
formateurs. On sait que la résistance des acteurs se produit quand ceux-ci ont
l'impression que leurs intérêts et leurs valeurs sont malmenés (Muncey et
McMillan, 1996). Une recherche collaborative avec des enseignants associés et
des superviseurs pourrait aider à aplanir certains obstacles à leur
collaboration et ainsi limiter les possibilités de résistance.
Selon les résultats présentés, plusieurs affirmations
portent à croire que les formateurs du stagiaire sont plus enclins à la
coopération qu’à la collaboration, telles que définies par McEwan (1997) et
Ofstedal et Dahlberg (2009). En d’autres termes, ils seraient portés à se
répartir les tâches et les responsabilités plutôt qu’à les assumer
conjointement. Nous croyons qu’il serait pertinent d’analyser la dynamique
relationnelle sous cet angle afin d’identifier distinctement les pratiques de
coopération et de collaboration. Les résultats pourraient alimenter les
contenus de formation sur la collaboration interprofessionnelle effective.
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