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12 mai 2020

Pensée critique et herméneutique


Comme l’herméneutique gadamérienne nous l’apprend, toute compréhension repose sur une précompréhension ou, si l’on veut, sur une structure d'anticipation qui renvoie à la tradition dans laquelle vit l'interprète. Cette précompréhension modèle les préjugés (conçus ici non pas négativement mais comme dimensions inévitables de notre processus de compréhension du monde) dont nous sommes tous porteurs. Dans la pensée critique, cette compréhension préalable doit être systématiquement comprise réflexivement car l’explicitation d'une compréhension préalable est nécessaire au processus d’interprétation d’un phénomène. La pensée critique exige et permet tout à la fois à la mise en rapport d’une précompréhension avec une compréhension plus approfondie. Développer la pensée critique c’est comprendre que la tradition n'est pas une chose que nous pouvons mettre de côté (Simard, 2002). C’est réaliser que nous appartenons d'abord à une tradition historique et c'est à partir de celle-ci que nous abordons les choses. Par conséquent, nos interprétations ne sont jamais neutres mais toujours « conditionnées » par la tradition dans laquelle nous vivons. La tradition est à la fois ce qui limite notre compréhension et ce qui la rend possible, à la fois ce qui la contraint et ce qui l'ouvre (Grondin, 2006). La pensée critique est fondamentalement herméneutique. Si la compréhension est conditionnée par une tradition historique, celle-ci vient à nous à travers le langage (Gadamer, 1996a; Simard, 2004). Le langage n'est donc pas un outil neutre, extérieur à l'interprète, mais le véhicule même des traditions interprétatives. Là encore une formation à la pensée critique permet de vérifier que nous appartenons au langage de la même manière que nous appartenons à l'histoire. Le langage – les discours sur un phénomène – doit être questionné. Dit autrement, qui parle ? Sur quoi prend-t-il la parole ? D’où parle-t-il ? Quand, comment et pourquoi l’a-t-il fait ? En ce sens, expérimenter la pensée critique, c’est comprendre que le « travail de l'histoire » à travers le langage n'est pas entièrement transparent; il dépasse notre subjectivité, la limite et la rend possible. La pensée critique doit aussi mettre de l’avant une dimension positive à savoir des propositions d’action, des alternatives. La compréhension comporte alors une dimension productive qui se situe entre la création spontanée et la pure et simple reproduction (Simard, 2002 et 2004). Si la compréhension s'enracine d'abord dans une tradition interprétative qui la limite et la rend possible, elle n'est toutefois pas une simple reprise de la tradition (Gadamer, 1996a et 1996b). Comme on a pu le comprendre à partir de ce que nous avons déjà dit plus haut, la compréhension s'enracine dans le présent, dans les intérêts, les questions et les préoccupations de l'interprète. En ce sens, la compréhension ne peut reproduire exactement la tradition; elle vouée par nature à produire du changement. Il y a toujours, ne serait-ce que de manière minimale, variation de la pensée (Grondin, 2003). Toute compréhension comporte donc une production, à la fois une transformation de soi et de la tradition. Si la compréhension s'enracine aussi dans le présent, dans les questions, les intérêts, les préoccupations et les attentes de sens de l'interprète, en d'autres termes si l'interprète est constitutif de la vérité herméneutique, c'est que la compréhension comporte un aspect d'application à soi, une compréhension de soi (Gadamer, 1996a). Comprendre c'est traduire dans ses propres termes, en fonction de sa situation. Cette application relève d'une recherche de sens (Apel, 1994). Nous ne disposons jamais d’une compréhension achevée du monde (Grondin, 2003 et 2006). C’est que notre compréhension est toujours provisoire, sujette à révision (Simard, 2002). Comprendre est un projet sans fin. Cette ouverture de la compréhension possède la structure logique de la question. Par le questionnement, on s’ouvre à de nouveaux sens. La compréhension obéit à la dialectique de la question et de la réponse.

Références

Apel, K.-O. (1994). Éthique de la discussion. Paris : Cerf.
Gadamer, H.-G. (1996a). Vérité et méthode. Les grandes lignes d’une herméneutique philosophique. Paris : Seuil.

Gadamer, H.-G. (1996b). Le problème de la conscience historique. Paris : Seuil.
Grondin, J. (2003). Le tournant herméneutique de la phénoménologie. Paris : PUF.
Grondin, J. (2006). L’herméneutique. Paris : PUF.
Simard, D. (2002). Contributions de l’herméneutique à la clarification d’une approche culturelle de l’enseignement. Revue des sciences de l’éducation, 28(1), 63-82.
Simard, D. (2004). Éducation et herméneutique. Contribution à une pédagogie de la culture. Québec : PUL.

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