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04 février 2019

Comprendre le monde


Comme nous le rappelle l’herméneutique, la compréhension d’un phénomène est fonction de notre situation présente où s’expriment nos intérêts. Toute compréhension comporte une précompréhension ou, si l’on veut, une structure d’anticipation. Cette structure d’anticipation est, quant à elle, préfigurée par la tradition dans laquelle vit l’interprète et qui modèle ses préjugés. Comprendre, c’est dépasser notre compréhension préalable pour proposer une interprétation plus profonde d’un phénomène; c’est ce que certains appellent le cercle herméneutique. Au départ, nous comprenons toujours le monde de manière spontanée, avant toute forme de réflexion. Par conséquent, nos interrogations sur le monde sont alimentées par nos préjugés (compris ici non pas négativement, mais simplement en tant que préjugements). Ces derniers, parce qu’ils nous fournissent des questions, rendent accessible ce qui est à comprendre. La compréhension départage les préjugés féconds de ceux qui ne le sont pas. Dit autrement, lorsque nous tentons de comprendre un phénomène, certaines questions ou préoccupations nous apparaissent évidentes, alors que d’autres nous sont inaccessibles. L’herméneutique souligne que, quoi que nous fassions, nous agissons sur la base d’une certaine tradition. La tradition n’est pas une chose que nous pouvons mettre de côté à volonté. Nous appartenons toujours à une tradition historique, et c’est à partir d’elle que nous abordons les choses. De ce fait, nos interprétations ne sont pas neutres, mais toujours conditionnées (en partie à tout le moins) par la tradition dans laquelle nous vivons et qui forme la substance de nos préjugés. La tradition est à la fois ce qui limite notre compréhension et ce qui la rend possible. Celle-ci est la condition de notre compréhension du monde dans le sens où nous ne comprenons quelque chose qu’à partir d’une précompréhension, laquelle renvoie à notre inscription dans une histoire. Cette histoire n’est pas neutre, elle a un effet dans le temps qui se fait sentir et qui modèle notre manière de percevoir. Notre histoire détermine toujours d’avance – et ce dans une large mesure – ce qui sera pour nous objet de recherche et de questionnement. L’histoire et la tradition dans lesquelles nous nous inscrivons ne sont toutefois pas des carcans qui nous empêchent nécessairement de progresser. Elles doivent être envisagées comme les tremplins à partir desquels nous dialoguons avec le monde. Ce dialogue joue un rôle de premier plan dans toute recherche de compréhension et de construction des savoirs, recherche qui ne peut jamais se reposer sur la possession définitive d’une vérité, et qui, pour cette raison même, implique une ouverture à l’altérité, que cette altérité s’incarne dans un texte, une œuvre d’art ou une personne en chair et en os. En fait, la compréhension du monde est essentiellement dialogique : dialogue entre moi et l’autre, entre l’interprète et un texte, entre le présent et le passé. La compréhension et le langage présentent ainsi la structure dialogique de la question et de la réponse. L’herméneutique nous apprend également qu’à proprement parler, nous ne construisons pas de sens. Plutôt, nous le coconstituons en dialogue avec la chose visée (dans le cadre d’une recherche scientifique, l’objet de notre investigation). Le fait d’être un acteur situé signifie : je suis né à une époque donnée et cela délimite mes « pensables » et mes « possibles ». En fait, la situation est autre chose qu’une simple borne objective imposée à une conscience absolue. La situation est plutôt condition de l’action ou, encore, condition de la compréhension. Dans cette optique, il ne saurait exister quelque chose comme une conscience absolue. Il y a plutôt une appropriation créatrice du sens. Et, cette appropriation créatrice du sens constitue la conscience même, laquelle ne saurait être en surplomb du monde, mais est toujours imbriquée en lui. Enfin, il est important de souligner que, si la compréhension est toujours conditionnée par une tradition historique, celle-ci vient à nous à travers un véhicule bien particulier : la langue. Celle-ci n’est donc pas un outil neutre, extérieur à l’interprète, mais le vecteur par lequel passent les traditions interprétatives. La langue parle en nous autant que nous la parlons. En son sein se trouve le patrimoine de connaissances avec lequel nous pensons le monde.

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