Comme nous le rappelle
l’herméneutique, la compréhension d’un phénomène est fonction
de notre situation présente où s’expriment nos intérêts. Toute compréhension
comporte une précompréhension ou, si l’on veut, une structure d’anticipation.
Cette structure d’anticipation est, quant à elle, préfigurée par la tradition
dans laquelle vit l’interprète et qui modèle ses préjugés. Comprendre, c’est
dépasser notre compréhension préalable pour proposer une interprétation plus
profonde d’un phénomène; c’est ce que certains appellent le cercle
herméneutique. Au départ, nous comprenons
toujours le monde de manière spontanée, avant toute forme de réflexion. Par conséquent, nos interrogations sur le monde sont alimentées par nos préjugés (compris ici non pas
négativement, mais simplement en tant que préjugements). Ces derniers, parce
qu’ils nous fournissent des questions, rendent accessible ce qui est à
comprendre. La compréhension départage les préjugés féconds de ceux qui ne le
sont pas. Dit autrement, lorsque nous tentons de comprendre un phénomène,
certaines questions ou préoccupations nous apparaissent évidentes, alors que
d’autres nous sont inaccessibles. L’herméneutique souligne que, quoi que nous fassions, nous agissons
sur la base d’une certaine tradition. La tradition n’est pas une chose que nous
pouvons mettre de côté à volonté. Nous appartenons toujours à une tradition historique, et
c’est à partir d’elle que nous abordons les choses. De ce fait, nos
interprétations ne sont pas neutres, mais toujours conditionnées (en partie à
tout le moins) par la tradition dans laquelle nous vivons et qui forme la
substance de nos préjugés. La tradition est à la fois ce qui limite notre
compréhension et ce qui la rend possible. Celle-ci est la condition de notre
compréhension du monde dans le sens où nous ne comprenons quelque chose qu’à
partir d’une précompréhension, laquelle renvoie à notre inscription dans une
histoire. Cette histoire n’est pas neutre, elle a un effet dans le temps qui se
fait sentir et qui modèle notre manière de percevoir. Notre histoire détermine
toujours d’avance – et ce dans une large mesure – ce qui sera pour nous objet
de recherche et de questionnement. L’histoire et la tradition
dans lesquelles nous nous inscrivons ne sont toutefois pas des carcans qui nous
empêchent nécessairement de progresser. Elles doivent être envisagées comme les
tremplins à partir desquels nous dialoguons avec le monde. Ce dialogue joue un rôle de premier plan dans toute recherche de
compréhension et de construction des savoirs, recherche qui ne peut jamais se
reposer sur la possession définitive d’une vérité, et qui, pour cette raison
même, implique une ouverture à l’altérité, que cette altérité s’incarne dans un
texte, une œuvre d’art ou une personne en chair et en os. En fait, la
compréhension du monde est essentiellement dialogique : dialogue entre moi et
l’autre, entre l’interprète et un texte, entre le présent et le passé. La
compréhension et le langage présentent ainsi la structure dialogique de la
question et de la réponse. L’herméneutique nous apprend également qu’à
proprement parler, nous ne construisons pas de sens. Plutôt, nous le
coconstituons en dialogue avec la chose visée (dans le cadre d’une recherche scientifique,
l’objet de notre investigation). Le fait d’être un acteur situé signifie : je suis né à une époque
donnée et cela délimite mes « pensables » et mes
« possibles ». En fait, la situation est autre chose qu’une simple
borne objective imposée à une conscience absolue. La situation est plutôt
condition de l’action ou, encore, condition de la compréhension. Dans cette
optique, il ne saurait exister quelque chose comme une conscience absolue. Il y
a plutôt une appropriation créatrice du sens. Et, cette appropriation créatrice
du sens constitue la conscience même, laquelle ne saurait être en surplomb du
monde, mais est toujours imbriquée en lui. Enfin, il est important de
souligner que, si la compréhension est toujours conditionnée par une tradition
historique, celle-ci vient à nous à travers un véhicule bien particulier : la
langue. Celle-ci n’est donc pas un outil neutre, extérieur à l’interprète, mais
le vecteur par lequel passent les traditions interprétatives. La langue parle
en nous autant que nous la parlons. En son sein se trouve le patrimoine de
connaissances avec lequel nous pensons le monde.
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