La science et la technologie ne sont pas sagesses, c'est pourquoi à elles seules, elles ne peuvent conduire au progrès humain.
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26 février 2018
La science et la technologie
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Sans sagesse
Sans sagesse il ne peut y avoir de progrès dans l'humain.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
19 février 2018
L'université d'aujourd'hui
Il s'agit d'une entreprise, non plus d'une institution, vouée à produire du capital humain, c'est-à-dire, des «professionnels» (mais, qui sont avant tout des techniciens) au service des entreprises ou de l'État. Pour ce faire, l'université fournit une formation prioritairement instrumentale et axe le plus possible les recherches qui se font en son sein sur les besoins du marché. Fini le temps où l'université était au service de la société et formait d'abord à la théorie et à la pensée critique. Fini aussi le temps où elle avait pour ambition de former à une culture disciplinaire en profondeur.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
16 février 2018
Grand bourgeois
Rien de plus fat qu'un grand bourgeois imbu de son importance et de sa (supposée) supériorité.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
À qui la faute ?
On entend souvent dire que les citoyens sont cyniques et désabusés envers la vie politique et on leur en fait le reproche. Mais, à qui la faute ?
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Logique marchande
Quand tout se résume à une logique marchande, tout devient un produit à vendre.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Logique comptable et savoir
Nos universités sont gérées comme des entreprises. La seule logique comptable y prévaut partout.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Si on en juge...
Si on en juge par nos dirigeants, il est évident que nos sociétés sont en pleine décadence.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Question politique
Où sont les grands hommes et les grandes femmes d'État ? Nous ne voyons que des arrivistes et des pantins.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
11 février 2018
Brève discussion sur l’histoire et la mémoire
Il s'agit d'une version préliminaire d'un texte rédigé avec Stéphane Trudel (UQTR) pour un ouvrage collectif sous la direction du professeur Marc-André Éthier.
Introduction
Depuis maintenant une quarantaine d’années, l’histoire et principalement
son enseignement semblent en crise. Alors que certains voient, dans le
renversement du récit unique au profit des micro-récits multiples, une
déstructuration de l’histoire, une autre perspective, elle, appelle plutôt à
une certaine forme de renforcement par une approche dialectique. Désormais,
l’histoire n’appartient plus exclusivement qu’aux « grands », mais
elle nous provient aussi du regard des victimes, de la veuve, du simple
militaire de rang, du boulanger ou même des enfants. Entrelacées comme les
chapitres d’un roman, ces multiples prises de vue nous permettent maintenant de
relire une histoire trop longtemps racontée de manière édulcorée. Assurément,
certains pourront reprocher cette place délaissée par les récits nationaux au
profits de mémoires cultivées par divers groupes qui se considèrent comme les
victimes laissées derrière par les grands vainqueurs. Toutefois, cette façon
d’explorer les « lieux de mémoire » permet une nouvelle approche de
plus en plus considérée au niveau de l’historiographie, qui permet, entre
autres, aux divers médias, comme la littérature et le cinéma, de livrer de
nouvelles interprétations des grands récits autrefois livrés exclusivement par
les milieux académiques.
D’ailleurs, ces relectures effectuées au cinéma et en
littérature font en sorte que nous assistons désormais à des trames narratives
qui nous présentent la vie de trois ou quatre acteurs secondaires (le
boulanger, le lieutenant, la veuve) avec, en arrière-plan, la grande histoire
nationale, qui nous est rappelée – il importe de le préciser -, mais sous une
perspective différente. Cette façon de faire correspond tout à fait aux
approches pédagogiques qui ont présentement la cote et qui appellent à la
co-construction ou à la socio-construction des savoirs. L’histoire appartient
désormais au peuple et non plus seulement aux États. La réalité n’est plus
celle des gagnants, mais plutôt une forme de synthèse ou d’ethanalyse entre les
diverses perspectives, réalités ou prises de vues. Dans un mouvement dialectique,
l’histoire, qui est racontée par ses grands acteurs, est venue façonner le
monde dans lequel elle s’inscrit, qui à son tour, vient influencer cette
lecture de l’histoire, par son regard rétroactif, le récit que nous faisons de
cette histoire renouvelée. Il ne s’agit pas d’un révisionnisme, mais plutôt
d’une grille d’analyse plus étendue, qui permet de reprendre en considération
les nombreux angles morts laissées en plan par le grand récit mythique. Pour
bien saisir l’essentiel de cette transformation, nous poserons notre regard sur
l’évolution récente de l’historiographie, pour ensuite analyser les
conséquences philosophiques d’un tel changement de paradigme, autant au niveau
phénoménologique, qu’herméneutique. Finalement, afin d’enrichir les éléments déterminants
de cette dialectique mémoire/histoire, nous tenterons d’illustrer de quelle
manière l’histoire et la société ont pu mutuellement s’influencer dans leur
détermination.
1. Passage de
l’histoire à la mémoire
L’anthropologie nous apprend que l’être humain
cherche depuis toujours un sens à ce qu’il vit non seulement individuellement
mais collectivement. Dans les sociétés traditionnelles, ce sens était donné par
le mythe, récit fictif certes, mais souvent vu comme véridique, d’un passé
donnant les clés de compréhension du monde et de la société (Kilani, 1989) Dans
les récits mythiques, le passé est vu non seulement comme ce qui fournit la clé
pour comprendre le présent mais aussi comme état de perfection vers lequel il
faut tendre (Laplantine, 1987). Ce faisant la société s’explique à elle-même,
trouve les arguments justifiant la culture, les structures sociales et son
rapport aux autres. À travers le mythe, la société se donne une identité propre
(Bouchard, 2003).
Dans la Grèce antique, l’essor de
la philosophie a marqué une rupture par rapport au récit mythique et à son
explication du monde (De Romilly, 2005; Narbonne, 2016; Lloyd, 1990 et 1992). La Raison doit désormais être le guide pour se
comprendre individuellement et collectivement dans le monde (Hansen, 1993,
2001, 2010; Vidal-Naquet, 2009). Les Grecs anciens nous
ont livré un nouveau rapport au monde, marqué par l’attitude critique, qui a
mis en évidence l’indépendance de la pensée, le questionnement sur le monde et
la discussion (Hartog, 2015 ; Meier, 1987, 1995 ; Ober, 1998 ; Raaflaub, 2004). Après un
détour par les doctrines chrétiennes et musulmanes, cette perspective critique
nous est revenue au sein de la modernité. Cet esprit critique était déjà
apparent au niveau des arts (Poétique d’Aristote, entre autres, en plus de tous
les mythes), au niveau de la religion (Pluralisme) et au niveau de la politique
(démocratie semi-directe, mobilisation citoyenne, obligations civiques).
La
tentative de Thucydide de rédiger
une histoire objective, rapportant les faits, La guerre du Péloponnèse, s’inscrit dans cette mouvance grecque
d’une sortie du mythe et d’une mise en avant de l’objectivité, Nous avons là
les premiers balbutiements de l’histoire comme « discipline intellectuelle »
visant le vrai plus que l’édification (Wallace, 1994). Cette manière de faire
l’histoire va toutefois rester marginale jusqu’à ce que l’histoire deviennent
vraiment une spécialité disciplinaire. L’histoire récit à visée « idéologique »
(à savoir celle qui met en place un récit édifiant, identitaire, magnifiant la
grandeur d’un personnage ou d’un collectif) demeure la plus courante jusqu’au
19e siècle.
En fait, très tôt dans l’humanité, bien au-delà
des écrits sur papyrus, parchemins, rouleaux ou codex, l’histoire est présente
sur différents supports : statues, monuments, pierres tombales, peintures,
fresques, théâtre, chants, etc. Donc l’histoire s’affiche, se donne à voir.
Elle remplit, se faisant, son rôle idéologique de « liant » pour la société, de
vecteur identitaire, de mémoire. Il ne
faut pas s’étonner que, de manière générale, encore
aujourd’hui, la construction d’un récit historique joue un rôle politique, en
permettant à l’État, par l’élaboration d’un récit romancé, de renforcer la
fierté nationale. « Au demeurant, dans tous les pays, l’enseignement de
l’histoire à l’école a contribué à constituer des récits codés, farcis de
« faits », d’images et d’interprétations qui ont réussi à enfermer
les histoires nationales dans des cadres rigides qui ont imprégné les
consciences individuelles et collectives. » (Dumont, 2014, p. 19) Toutefois,
au-delà de cette histoire fort intéressante et fort enrichissante, qui est
inévitablement parvenue à influencer les mœurs, existe une autre forme
d’histoire qui a cherché à répondre à ce récit des
« grands acteurs ». C’est d’ailleurs à partir des années 1960
que le ton a pu changer, alors que se développa une perspective critique de
l’historiographie classique, qui allait déconstruire, bouleverser les stigmates
et chercher le renversement des romans nationaux. Par contre, cette tâche
n’allait pas être facile, car les sources qui permettent le renforcement des
récits nationaux ou de l’histoire avec un H, sont multiples : « Les
visages actuels de l’histoire sont multiples : sites historiques, parcours
patrimoniaux, musées, films, romans, émissions de télévision, thèses savantes,
dictionnaires, monographies, biographies, ouvrages de synthèse, ouvrages de
vulgarisation, collection de documents, encyclopédies, albums d’art, etc. »
(Dumont, 2014, p. 15-16)
Quoiqu’il en soit, le retour en arrière, suite à la
naissance de cette perspective critique, n’est plus possible. L’histoire est à
l’heure des particularismes et des identités multiples. Les histoires, par leur
régionalisme et par leur proximité avec le vivant, remplacent l’histoire.
Plusieurs sont désormais nostalgiques de cette époque où l’histoire était
enseignée de manière plutôt autoritaire et, pour l’essentiel, constituée autour
de grands récits. Par contre, la période
des années 1960-1970 correspond tout à fait avec une période d’ébullition
critique des sociétés (tout particulièrement au Québec), qui au niveau
de l’éducation, a ouvert la porte au renforcement du cognitivisme, à l’entrée
en scène du constructivisme et à l’introduction au socioconstructivisme lesquels, de manière successive, sont venus bouleverser
littéralement le domaine de l’enseignement. Malheureusement selon certains,
l’enseignement de l’histoire n’a pas su y échapper. Ainsi, aux yeux de ces
derniers, la « déchronologisation » de l’histoire a eu des effets néfastes
dont le plus évident serait l’appauvrissement des connaissances des jeunes
élèves et des étudiants. Aux dires de certains nous serions entrés dans une
période d’effritement de l’histoire caractérisée par la fragilisation de la
compréhension du passé.
Inversement, plusieurs sauront reconnaître que l’histoire
qui nous fut racontée a fait son lot de victimes, qui réclament désormais à
leur droit à la reconnaissance et leur droit à la souffrance. « Pendant
longtemps, l’histoire a eu pour objet presque exclusif les institutions
politiques, les États, les Empires, les gouvernements, les systèmes
dynastiques, les guerres et les conquêtes. » (Dumont, 2014, p. 24) Occultés
par les grands héros, ces laissés pour compte furent tenus au silence pendant
des dizaines, des centaines et, dans certains cas, des milliers d’années. Les
universités ont donc dû, elles aussi, adapter leurs enseignements et s’ouvrir
aux soixante-huitards et à leurs successeurs. Elles ont dû écouter ceux qui
n’avaient pas d’histoire. Certains sauront critiquer le cinéma qui,
apparemment, n’offre plus de grandes œuvres et fait désormais dans la fiction.
Leurs opposants, eux, pourront louanger les relectures contemporaines par leur
dynamisme, leur réalisme et le fait, justement, qu’ils tentent de dépasser les
« grandes fictions ». Cette grande histoire qui avait pour but de
faire le ménage entre les mauvais et les bons dirigeants, puis de redorer les
identités nationales des pays porteurs de mauvais souvenirs, n’est pas pour
autant rejetée, mais est appelée à s’inscrire dans une nouvelle dialectique où
l’ensemble des acteurs ont un rôle à y jouer, soit leur propre rôle !
Ainsi, un basculement significatif
s’est opéré quant au sujet de l’histoire (homme blanc). Désormais, il nous faut
penser celle-ci au regard des victimes et des oubliés. Il est de plus question
de théories poststructuralistes qui considèrent le caractère dialectique de la
connaissance historique (Dumont, 1995 ; Freitag, 2011). Il est question de
l’enracinement des chercheurs, de leurs subjectivités et de leurs idéologies.
« L’insistance sur le double sens du mot histoire qui désigne à la fois
les faits tels qu’ils se sont produits et le récit de ces faits adressés à la postérité,
souligne […] le caractère censé être constitutif de l’histoire qu’est, selon
les uns, l’identité de la réalité et de la conscience, et selon d’autres,
l’inséparabilité de l’action et de la réflexion, que seule l’écriture est
censée rendre possible. » (Pomian, 1999, p. 348) De plus, comme l’histoire
peut être locale, régionale et nationale, certaines questions se posent
alors : est-ce qu’une histoire globale ou universelle est possible ?
Est-ce qu’une histoire transcendante, qui dépasserait les configurations
contextualisées, peut encore être envisagée après de tels bouleversements
survenus au sein de l’historiographie ? Pour François Hartog (2001), il y
a une dérégulation de la lecture du passé et un changement de régime
d’historicité « Dans cette perspective, l’essor de la notion d’usages
publics de l’histoire – quand bien même n’est-elle pas l’objet d’une définition
unifiée – est intimement lié à celui de la mémoire et à la façon dont se
recomposent le rapport des sociétés contemporaines à leur passé et la
perception collective de leur devenir. » (Garcia, 2010, p. 913) Il est
donc question d’une nouvelle histoire, l’histoire
structurale, qui dépasse par sa complexité l’histoire événementielle.
Certains auteurs vont plus loin dans leur analyse du discours
des vaincus et de la nécessité d’inclure celui-ci dans le « Grand
récit », alors qu’il est parfois question d’un « devoir à l’endroit
des morts ». Il y a une nouvelle tendance à mettre en évidence le
caractère de « responsabilité », qui ne faisait pas partie du
discours des historiens classiques. Il y a d’ailleurs une grande remise en
question sur la provenance et les sources intellectuelles qui rendent possible
ce « Grand récit », alors que les historiens contemporains se veulent
plus critiques de ces sources (Nora et Chandernagor, 2008 ; André,
Dreyfuss-Asséo, et Hartog, 2010 ; Raaflaub, Ober et Wallace, 2007 ;
Delacroix, Dosse, Garcia et Offenstadt, 2010 ; Pomian, 1999 ; Dumont,
2001). Ce caractère de « responsabilité » face à la production de
récits historique s’avère particulièrement significatif en ce qui a trait au
monde de l’éducation, car ce qui, parmi toute la production historiographique,
sera retenu, fera en sorte de renforcer une perspective au détriment des
autres. Alors que l’histoire fut généralement marquée par une grande
contingence, son récit nous est souvent livré sous l’angle de protagonistes qui
seraient parvenus à la maîtriser. La création de ces récits nationaux joue donc
un rôle incontournable en ce qui a trait à l’éducation populaire et à la
formation des futurs citoyens ou chercheurs. Une importance significative ou,
encore, justificative est accordée à la guerre dans la construction de
l’histoire « nationale ». L’examen du Canada est parlant, avec
l’importance muséale accordée à la Seconde grande guerre. La pensée des
vainqueurs y est propagée, alors qu’en réalité, les faits témoignent tout de
même d’une importance limitée en ce qui a trait au rôle du Canada. De plus, il
semble évident que le camp des « vaincus » est évacué d’un tel
discours. Leur présence viendrait ternir grandement cette aura plutôt glorieux.
Souvent, dans cette histoire « nationale », peu
d’importance est accordée à l’articulation critique du récit. Plusieurs éléments sont juxtaposés de manière
inarticulée. Une image morale globale est plutôt visée, par la mise en évidence
de certains héros que tout homme pourrait incarner. Il s’agit pratiquement
d’une histoire qui repose sur la construction d’idéaux-types assez grossiers.
Au regard d’un tel constat, on peut donc souhaiter voir se constituer une
analyse herméneutique critique qui dépasse le simple cumul de faits et qui
permet un basculement entre les diverses prises de vue. Le cas du
« mythe » américain en est un bel exemple, alors qu’un débat perdure
entre la nécessité de réviser le récit historique surfait, pour redonner une
voix aux victimes et enrichir la conscience collective américaine – i.e.
dégonfler quelque peu l’Ego collectif américain – ou, encore, de maintenir
cette lecture mythique qui présente les États-Unis comme le Maître de
l’histoire. D’ailleurs, une citation retenue du Houston Chronicle du 9 octobre 1994 résume assez bien cette
ambiguïté face à ce qui fut retenu comme « Grande histoire
américaine » : « Enough of John Wayne, show us some blacks, some
Mexicans, some Indians. We’re
proud of our heritage. Why should we take a back seat. » Figure des victimes, récits émotifs populaire versus grand livre
rationnel de l’État : les victimes de l’Histoire visent la reconstruction
de celle-ci pour obtenir « réparation ». Il semble désormais être
plutôt question d’une certaine forme de présentisme et de la création d’un
nouvel espace public. C’est d’ailleurs au regard d’un tel constat, qu’il
s’avérera maintenant pertinent d’évaluer la portée philosophique d’un tel
basculement de l’Histoire au profit « des » histoires.
2. Synthèse
épistémologique : entre phénoménologie et herméneutique
Les discours philosophiques qui ont porté sur cette
ébullition de l’historiographie sont riches et diversifiés. D’une part, il est
possible de se rattacher au discours classique d’une histoire globale,
cosmopolite et qui permet de mieux saisir la marche de l’humanité, par la
compréhension analytique d’une raison instrumentale incarnée par les grands
événements et les grandes figures. D’autre part, suite à certains travaux
d’auteurs plus critiques de la seconde modernité allemande, le courant
phénoménologique est venu ouvrir la porte aux perspectives plurielles,
singulières et plus proches du vécu des acteurs (Depraz, 2006 ; Huneman et
Kulich, 1997). Portés tout d’abord par
Edmund Husserl, ce courant a donné lieu à une très riche succession, qui en
passant par des auteurs comme Marc Richir et Michel Henry, a pu culminer vers
des travaux comme ceux de Jean-Michel Salanskis, mais aussi opérer un certain basculement vers l’herméneutique, à
l’exemple des travaux de Gadamer (1996a et 1996b). Par ce basculement,
l’herméneutique est venue produire un certain dépassement de la phénoménologie
en illustrant le rapport aux sources et aux configurations, qui sont
producteurs d’une certaine forme de compréhension qui nourrit la perspective
phénoménologique des acteurs (Grondin, 2003, 2011). Au niveau de l’histoire,
cette prise de vue nous permet de mieux comprendre de quelle façon le regard
des historiens est tout aussi enraciné et contextualisé que celui des acteurs
parfois secondaires, mais encore plus concernés par certains événements
historiques réels, qui demandent le droit d’être entendus par cette relecture
historique en ébullition.
2.1 Lorsque la philosophie
se mêle d’histoire
Il existe un vieux contentieux entre les philosophes et les
historiens. Ce contentieux prend racine dans la philosophie de l’histoire,
courant de la philosophie qui, déjà chez les Grecs anciens, avait pour ambition
de mettre au jour le sens universel de l’histoire (Lagueux, 2001).
Généralement portée par les auteurs canoniques que sont
Kant et Hegel, cette idée d’une philosophie de l’histoire a elle aussi connue
un basculement similaire à celui rencontré par l’historiographie, sous la plume
de Nietzsche. Tandis qu’Hegel faisait l’éloge des « grands hommes »
ou des « figures de l’esprit », Nietzsche, de son côté, s’en prenait
à Dieu, à tous les dieux, en fait, afin de mettre à l’avant-scène le pouvoir de
l’homme, de la raison, des peuples et du « surhumain ». Comme
l’histoire des grandes figures a dû laisser une part significative de son
terrain aux peuples maintenus dans l’obscurité, les « grands hommes »
hégéliens ont dû laisser leur place aux citoyens, marqués par l’obscurantisme,
qui étaient en quête de validité.
Chez Hegel, le lien entre ces « grands hommes »
et la culture dans laquelle ils s’inscrivent est bien évidemment dialectique,
alors que ces figures incarnent en quelque sorte la pensée populaire, retenue
en silence, mais d’une manière
explicite. En fait, ces figures disent tout haut ce que le peuple pense tout
bas. C’est pourquoi, Hegel a donné régulièrement en exemples Descartes et
Napoléon, ce dernier représentant d’ailleurs pour le philosophe allemand la
figure même du grand homme porteur de la pensée de son peuple :
Il
serait vain de résister à ces personnalités historiques parce qu'elles sont
irrésistiblement poussées à accomplir leur œuvre. Il appert par la suite qu'ils
ont eu raison, et les autres, même s'ils ne croyaient pas que c'était bien ce
qu'ils voulaient, s'y attachent et laissent faire. Car l'œuvre du grand homme
exerce en eux et sur eux un pouvoir auquel ils ne peuvent pas résister, même
s'ils le considèrent comme un pouvoir extérieur et étranger, même s'il va à
l'encontre de ce qu'ils croient être leur volonté. Car l'Esprit en marche vers
une nouvelle forme est l'âme interne de tous les individus ; il est leur
intériorité inconsciente, que les grands hommes porteront à la conscience. Leur
œuvre est donc ce que visait la véritable volonté des autres ; c'est pourquoi
elle exerce sur eux un pouvoir qu'ils acceptent malgré les réticences de leur
volonté consciente : s'ils suivent ces conducteurs d'âmes, c'est parce qu'ils y
sentent la puissance irrésistible de leur propre esprit intérieur venant à leur
rencontre. Si, allant plus loin, nous jetons un
regard sur la destinée de ces individus historiques, nous voyons qu'ils ont eu
le bonheur d'être les agents d'un but qui constitue une étape dans la marche
progressive de l'Esprit universel. (Hegel, 1965, p. 123)
Pour Hegel, les grandes figures incarnent cette forme
d’esprit collectif ou de pensée partagée qui avance, est façonnée par
l’histoire et façonne cette dernière de manière réciproque ou, comme l’aurait
dit Hegel lui-même, de manière dialectique. Les « grands hommes »
sont donc le produit et la source de cette histoire en marche perpétuelle. Ces
« grands hommes » deviennent ainsi indispensables au grand récit et
mettent en évidence une part significative du « devoir-être »
symbolique auquel les intellectuels, autant philosophes que sociologues,
réfèrent de manière continue. Conséquemment, une telle conception des
« grands » de l’histoire et du discours des privilégiés a trouvé écho
lors de l’élaboration de la pensée universelle du discours. Cette
reconnaissance du caractère quasi-programmatique de l’histoire a immensément
influencé la façon dont celle-ci a pu être accueillie, interprétée et
enseignée. Chez Kant, par exemple, l’histoire avait une portée universelle,
cosmopolitique, qui avait un pouvoir de construction similaire à celui de la
nature :
Quel que soit le concept
qu’on se fait, du point de vue métaphysique, de la liberté du vouloir, ses
manifestations phénoménales, les actions humaines, n’en sont pas moins
déterminées, exactement comme tout événement naturel, selon les lois
universelles de la nature. L’histoire qui se propose de rapporter ces
manifestations, malgré l’obscurité où peuvent être plongées leurs causes, fait
cependant espérer qu’en considérant (dans les grandes lignes) le jeu de la
liberté du vouloir humain, elle pourra y découvrir un cours régulier, et
qu’ainsi, ce qui dans les sujets individuels nous frappe par sa forme
embrouillée et irrégulière, pourra néanmoins être connu dans l’ensemble de
l’espèce sous l’aspect d’un développement continu, bien que lent, de ses
dispositions originelles. (Kant, 1947, p. 26)
Ainsi, chez Kant, l’histoire, en plus de s’inscrire au sein
des causes naturelles, tend à être connue de « l’ensemble de
l’espèce » et suivre « un cours régulier ». Elle est cette
histoire aux « grandes lignes » qui permet un récit uniforme
facilement mis en forme. Toutefois, même chez Kant, l’histoire a un quelque
chose qui dépasse la simple marche naturelle, alors qu’elle est aussi ce qui
permet aux hommes de ne pas considérer seulement leurs pulsions et leurs
intuitions, mais de plutôt chercher à faire écho à ce grand récit de l’humanité
et à poursuivre le développement des grandes civilisations. Par la culture, les
arts et les diverses connaissances, la société assure sa pérennité et demeure
vivante au niveau des générations successives (principe que connaissent bien les sociologues). Les
hommes ne s’inscrivent jamais dans un univers déconnecté, mais plutôt au sein
d’une construction assez forte et aux référents considérables, construction qui permet aux
hommes de se rattacher à un récit unique. D’ailleurs, les huitième et neuvième
propositions de Kant, dans La philosophie
de l’histoire, parlent beaucoup en ce sens :
On peut envisager
l’histoire de l’espèce humaine en gros comme la réalisation d’un plan caché de la nature pour produire
une constitution politique parfaite sur le plan intérieur, et, en fonction de
ce but à atteindre, également parfaite sur le plan extérieur ; c’est le
seul état de choses dans lequel la nature peut développer complètement toutes
les dispositions qu’elle a mises dans l’humanité. […] Une tentative
philosophique pour traiter l’histoire universelle en fonction du plan de la
nature, qui vise à une unification politique totale dans l’espèce humaine, doit
être envisagée comme possible et même comme avantageuse pour ce dessin de la
nature. (Kant, 1947, p. 40-43)
De cette façon, le caractère « naturel » de
l’histoire découle de sa capacité à inscrire les actions humaines dans la
cohérence d’un métarécit qui
dépasse celui du quotidien. Cette histoire appelle les hommes à s’en inspirer,
pour ensuite s’y inscrire et devenir en quelque sorte des hommes proprement
universels (qui dépassent même les ancrages nationaux). Cela est tout de
même très proche de ce que proposait Hegel, non pas au sens où cette histoire
ne porte que sur les grandes figures, mais plutôt au sens où Hegel suggère que
l’humanité se développe de synthèses en synthèse. C’est d’ailleurs ce qu’Hegel
qualifie de Dialectique. Ce mouvement, de synthèses en synthèses, passe par le
mariage entre une thèse (une idée, un événement ou tout autre élément) et son
antithèse (contre-proposition ou contre-argument, événement opposé ou
conséquence) pour produire une nouvelle réalité. Chez cet important représentant de l’idéalisme allemand, les
guerres représentent, par l’opposition d’une nation ou d’un mouvement (pensons
ici aux conflits des religions) qui vient répondre à une autre nation ou à un
mouvement opposé, en réponse ou en écho à celle/celui-ci, une forme de synthèse
dialectique entre deux peuples
ou deux idées. Ultimement, l’histoire vue par Hegel « avance » littéralement
vers la réalisation de la Raison ; il y aurait donc perfectibilité du
monde. Cependant, l’histoire est venue nous rappeler que tel n’est pas le cas.
L’humanité ne semble pas en marche vers une apothéose de la Raison comme les
camps de la mort nazis nous l’ont douloureusement montré (Bossy, 2014). Néanmoins, si la
philosophie de l’histoire d’Hegel est aujourd’hui abandonnée, sa conception
dialectique du devenir, entre l’homme, la société, leur environnement et leur
histoire, a ouvert la porte au courant phénoménologique au sein duquel Edmund
Husserl et Jean-Michel Salanskis s’inscrivent.
2.2 Partage de sens
et accès à l’essence
Michel Salanskis, dans son ouvrage Partage de sens : une présentation de l’ethanalyse (2014),
propose une avenue qui vise à illustrer comment
nous articulons notre vie dans la culture, en plus d’explorer notre façon d’en
profiter, de l’organiser et les horizons qu'elle nous offre. Son approche nous
permet de mieux saisir les sens dont elle nous propose le partage, afin de
mieux nous guider devant la pluralité des options qui s’offrent à nous. Par sa
méthode, Salanskis propose la synthèse entre les perspectives phénoménologiques
de chacun, dans le but de procéder à ce qu’Husserl qualifiait de réduction
phénoménologique, et accéder à l’essence de ce sens partagé. Il semble qu’il y
ait dans ce discours, de nombreux éléments qui peuvent faire écho au débat qui
marque l’historiographie et cette quête d’une méthode optimale pour lire l’histoire. La méthode de Salanskis permet
de considérer qu’il n’y a peut-être pas de « bonne méthode » en
histoire, si ce n’est la combinaison des deux, soit du grand récit et des
mémoires sensibles.
Cette intuition d’un partage des
compréhensions rappelle justement l’idée de synthèse ou de dialectique apportée
par Hegel, dans sa conception d’une histoire porteuse de sens pour l’humanité.
Au-delà de cette conception dialectique hégélienne, les travaux de Salanskis
semblent plutôt s’inscrire dans la lignée des découvertes apportées par Edmund Husserl,
qui avec sa méthode de réduction phénoménologique, appelle à la synthèse non
pas exclusive entre deux côtés opposés d’une même médaille, mais plutôt entre
de multiples perspectives. Sans qu’il ne soit question de
l’approche classique en phénoménologie, il est tout de même question de
phénoménologie, mais plus précisément de la réduction phénoménologique, aussi
connue sous l’appellation d’épochè
(Husserl, 1907). Pour Husserl (1907), nous n’accédons jamais vraiment aux objets, mais nous appréhendons plutôt des
phénomènes auxquels nous accédons à partir d’une perspective, laquelle nous permet ensuite
d’inférer la plupart des particularités du phénomène appréhendé.
Afin d’illustrer cette idée de Husserl, on peut prendre
l’exemple de la table. Vous savez, parce qu’il vous a été possible d’en faire
le tour à maintes reprises, de la toucher, de la manipuler ou de vous déplacer
au-dessus ou au-dessous, que la table qui se trouve devant vous a quatre pattes.
Vous savez aussi que ces côtés sont plats, qu’elle a peut-être une gravure sur
la bordure de ses pattes ou qu’elle a un teint de bois naturel. Vous le savez,
mais vous est-il possible d’en témoigner et de l’affirmer hors de tout doute ? En
fait, vous ne pouvez, tout au plus, qu’inférer que cette table qui est devant
vous porte en elle toutes les caractéristiques que vous lui attribuez. Par
contre, vous ne pouvez savoir si, entre le moment où vous vous trouviez du côté
gauche et le moment où vous vous trouviez du côté droit, quelque chose n’a pas
été modifié où retirer de celle-ci. Votre seule perspective ne vous permet
aucunement de voir l’ensemble des quatre façades, le dessous, le dessus, le
dessous des pattes et tous les autres détails présents sur cette table, au même
moment. Vous êtes limités par vos sens certes, mais aussi par les conditions raisonnables
du temps et de l’espace. Et il en va de même en ce qui a trait à notre
compréhension de l’histoire.
Cette approche, qui s’applique généralement à la saisie
d’un objet très délimité, afin d’accéder à ce que les phénoménologues appellent
l’essence de celui-ci, semble toutefois s’appliquer à ce contexte
historiographique où un appel à la mixité entre le grand récit et les mémoires
fragilisées peuvent désormais nous donner accès à une compréhension plus
complète et plus achevée de ce que l’histoire a « réellement » pu être. Il n’y
a plus, selon cette perspective, que la prise de vue des grands qui importe,
mais aussi celle des victimes et des oubliés. Et c’est en quelque sorte vers
cette direction que Salanskis nous porte, avec son idée d’ethanalyse ou de partage
de sens. Cette méthode, selon son auteur, nous permet d’accéder à une
compréhension relativement exhaustive de concepts tels que l’amour, la
politique, le sujet (Salanskis, 2007), le dialogue, le corps ou, encore, la
mort (Salanskis, 2014). Il est donc imaginable de reprendre cette méthode et de
construire des conceptions partagées d’événements historiques significatifs et
à ce que Salanskis qualifie de régions de
vérité. Par contre, suite à un long débat qui s’est justement tenu en
parallèle avec la naissance de ces critiques historiographiques du
« grand » récit, la perspective phénoménologique, reprise par Michel
Henry, Jean-Luc Marion et plusieurs autres, est depuis hautement critiquée et
tend à être dissociée de l’herméneutique, qui a désormais sa propre histoire et
sa propre méthode. Afin de mieux comprendre les implications de
l’herméneutique, en ce qui a trait à la compréhension que nous pouvons retenir
de l’histoire, un passage du côté de l’herméneutique gadamérienne semble
obligé.
2.3 Enracinement et
compréhension productive
Une autre perspective philosophique qui semble correspondre
à cette nouvelle réinterprétation des phénomènes historiques est assurément l’herméneutique
gadamérienne (Deniau, 2004). L’importance accordée par Gadamer au caractère
contextuel qui permet à l’historien de saisir le monde qu’il interprète produit
un apport significatif à cette compréhension que nous suggérons d’une histoire
qui puisse être plurielle. La tradition n'est pas une
chose que nous pouvons mettre de côté. En vertu du principe du « travail de
l'histoire », nous appartenons d'abord à une tradition historique et c'est à
partir d'elle que nous abordons les choses. Par exemple, notre connaissance de
l'histoire, de l'art, de la science ou des lois morales, notre compréhension de
concepts tels que le bien, la vérité, l'objectivité, bref la manière suivant
laquelle nous comprenons et nous questionnons le monde, tout cela relève d'abord
d'une tradition historique et culturelle. Par conséquent, nos interprétations
ne sont jamais neutres mais toujours conditionnées par la tradition dans
laquelle nous vivons et qui forme la substance de nos préjugés. La tradition
est à la fois ce qui limite notre compréhension et ce qui la rend possible, à
la fois ce qui la contraint et ce qui l'ouvre.
Toute compréhension comporte une précompréhension,
une structure d'anticipation qui est à son tour préfigurée par la tradition
dans laquelle vit l'interprète et qui modèle ses préjugés. Cette compréhension
préalable peut à son tour se déployer pour elle-même, se comprendre d'une
manière explicite. Cette explicitation d'une compréhension préalable, telle est
précisément la tâche de
l'interprétation. L'idée d'une compréhension comme articulation d'une
compréhension préalable correspond à la structure de ce qu’on appelle le cercle
herméneutique. Ainsi, il est impossible d’envisager la présomption à une
complète objectivité de la part des historiens et du récit qu’ils peuvent nous
livrer. Comme leurs ancrages demeurent indépassables, il semble que cet enjeu
entre une histoire des « grands » et une « mémoire des
victimes » soit caduque ou du moins, relativement inerte. Si les
historiens ont le droit de nous présenter ce qu’ils comprennent de l’histoire,
à travers ces lunettes qui sont les leurs, pour quelles raisons, certaines
victimes, qui ont parfois pu entretenir un rapport de proximité encore plus
significatif avec l’histoire, ne pourraient pas nous livrer leur récit qui
serait accueilli avec autant de validité que celui de l’historien
enraciné ?
Si la compréhension s'enracine aussi
dans le présent, dans les questions, les intérêts, les préoccupations et les
attentes de sens de l'interprète, en d'autres termes si l'interprète est
constitutif de la vérité herméneutique c'est que la compréhension comporte un
aspect d'application à soi, une compréhension de soi (Simard,
2004). Comprendre c'est en quelque sorte traduire
dans ses propres termes, appliquer à sa situation présente, trouver un
éclairage pour sa propre vie. Comprendre veut donc dire avoir réussi à
appliquer un sens à notre situation, avoir trouvé réponse à nos questions.
Cette application n'a rien d’instrumentale ; elle relève
plutôt d'une recherche de sens à partir de sa situation concrète, recherche de
sens qui implique une ouverture à l'autre, et donc la possibilité d'un dialogue
véritable. Ainsi, selon les thèses gadamériennes, l'être humain ne
dispose pas d’une compréhension achevée et définitive sur le monde ; sa
rationalité est par conséquent toujours limitée. De
sorte que sa compréhension préalable est aussi un projet, une esquisse, un
guide ouvert à des modifications et à des développements. Cette ouverture de la
compréhension a la structure logique de la question. On pourrait le dire
autrement. Si la compréhension comporte une application à soi, une
compréhension de soi, et que l'application consiste dans la recherche d'un sens
à notre situation actuelle, alors l'application obéit à la dialectique de la
question et de la réponse. Par le questionnement, on s’ouvre à des nouveaux
sens, à de nouvelles pratiques (Simard, 2004).
Si la compréhension est toujours
conditionnée par une tradition historique, celle-ci vient à nous à travers le
langage. Le langage n'est donc pas un outil neutre, extérieur à l'interprète,
mais le véhicule même des traditions interprétatives. La langue parle en nous
et nous constitue comme patrimoine de textes et de formes
historiquement finies, comme ensemble de règles et comme dialogue
interpersonnel (Gadamer, 1995). Nous appartenons au langage comme nous
appartenons à l'histoire. Nous ne sommes pas devant, derrière ou au-dessus du
langage pas plus que nous ne sommes devant, derrière ou au-dessus de
l’histoire. Nous sommes en fait totalement immergés dans une tradition
interprétative et langagière. En ce sens, le « travail de l'histoire » à
travers le langage n'est pas entièrement transparent; il dépasse notre
subjectivité, la limite tout en la rendant possible.
Si l'interprétation est le ressort constitutif de toute activité cognitive et
pratique, le langage est le mode d'être privilégié de cette activité
interprétante. Si la compréhension est toujours conditionnée par une tradition
historique, celle-ci vient à nous à travers le langage (Simard, 2004).
Dans le
constructivisme qui règne actuellement en sciences humaines et sociales, il est
d'usage de dire que nous construisons du sens. Or, la tradition de pensée
phénoménologique et herméneutique nous apprend qu'à proprement parler, nous ne
construisons pas de sens. Plutôt, nous le co-constituons en dialogue avec la
chose visée. Cette manière de comprendre le sens qui advient évite ainsi un
psychologisme naïf où l'ego apparaît comme souverain sur le monde. La tradition
de pensée phénoménologique et herméneutique met en évidence le fait que l'ego
est en dialogue avec une chose déjà porteuse de sens
(Grondin, 2003). Pour les philosophes Gadamer (1996) et Ricoeur (1986), le
dialogue joue un rôle de premier plan dans toute recherche de compréhension et
de construction des savoirs, recherche qui ne peut jamais se reposer sur la
possession définitive d’une vérité, et qui, pour cette raison même, implique
une ouverture à l’altérité (que cette altérité s’incarne dans un texte, une
œuvre d’art ou une personne en chair et en os).
En fait, la compréhension humaine est essentiellement dialogique :
dialogue entre moi et l’autre, entre l’interprète et un texte, entre le présent
et le passé. La compréhension et le langage présentent ainsi la structure
dialogique de la question et de la réponse (Gadamer, 1996). La promotion d’un
art du dialogue est donc associée à une prise de conscience de la finitude de
la compréhension humaine et de l’impossibilité de parvenir à une connaissance
définitive du monde. En contexte historiographique, cette compréhension étendue
du rapport entre langage, réalité observée et production des perspectives,
vient légitimer la requête des victimes en ce qui a trait à leur droit de
parole et d’interprétation des événements qu’ils ont vécu. Sans chercher à
produire une quelconque forme de révisionnisme, ils cherchent plutôt à
reprendre la place qui leur revient, en se réappropriant le droit du partage de
leurs vécus de signification. Une approche plus ouverte et plus inclusive de la
part des historiens permet donc assurément de livrer aux lecteurs une
compréhension simplement bonifiée et plus riche d’une histoire qui est déjà
bien connue, mais pour laquelle il nous manque plusieurs prises de vue.
Selon nous, dans une certaine mesure il ne
peut y avoir présentation de l’histoire sans une certaine mise en récit
(Ricoeur,1986). Ainsi, il s’agit moins de remplacer l’histoire-récit par
quelque chose d’autre que de savoir quelle histoire-récit est privilégiée.
Comme le rappelle judicieusement Bruner (1996, 2005), l’histoire est
nécessairement sélection de ce qui est jugé pertinent ou ne l’est pas (elle
implique une forme d’évaluation des événements) et donc, ultimement, elle est
proposition d’un récit; c’est-à-dire présentation d’une séquence d’événements
et de leur raison d’être (pourquoi ce récit plutôt qu’un autre ou plutôt que le
silence).
3. Impact sur la
construction du social
Au-delà de cette tension qui persiste entre les défenseurs
d’une grande histoire et ceux qui font la promotion des mémoires éprouvées,
pour réactualiser notre compréhension de l’histoire, d’une manière plus
inclusive, et cette synthèse entre phénoménologie et herméneutique, le
caractère dialectique qui opère entre l’histoire et son peuple doit être souligné.
Tout comme cela fut démontré en ce qui a trait à l’implication philosophique de
ce discours entre histoires et Histoire ou, encore, entre Vainqueurs et
vaincus, la perspective sociale compréhensive nous amène à considérer les
conséquences plus empiriques de cette dialectique qui s’opère entre l’histoire
comme acteur de changement et l’histoire comme réceptacle des intuitions et
compréhensions altérées.
Considérée à l’origine comme une discipline externe à
l’histoire, qui avait pour objet exclusif de s’intéresser au présent et aux
enjeux sociaux actuels, de manière très souvent empirique, à l’aide d’études de
terrain, la sociologie se retrouve désormais rattachée elle aussi à ce courant
des relectures historiques contemporaines. En fait, la sociologie, comme
l’histoire, s’est longtemps intéressé aux grandes figures, aux grands courants
et aux grandes classes sociales (Herman,1988). Toutefois,
comme cela est aussi le cas avec l’histoire, la sociologie, se particularise et
s’intéresse davantage à l’ensemble du social, comme construit qui postule une
dialectique perpétuelle entre société et individu (Ansard, 1990). L’individu ne
peut être pense en dehors du social (Berger, 1986). La société des individus
inscrit en fait chacun des citoyens au cœur de configurations qui viennent
influencer ces derniers, qui de manière réciproque, façonneront à leur tour les
configurations sociétales des générations à venir (Filion, 2006). De cette façon, en inscrivant son lègue dans
l’espace et dans le temps, la marche des peuples marque l’histoire de manière
considérable, en permettant justement une meilleure considération du
dépassement de ces « grands » acteurs par le petit peuple :
Car le développement de
l’histoire méthodique, celle qui s’appuie sur la critique interne et externe
des sources et qui a pu compter sur la conservation systématique de ces sources
dans des centres spécialisés d’archives, était concomitante avec l’émergence de
nouvelles sciences humaines qui avaient pour objet, elles aussi, les activités
humaines. Leurs découvertes méritaient elles aussi d’être examinées
historiquement. L’économique a mis l’accent sur les phénomènes économiques,
justement omniprésents à cause de la révolution industrielle qui avait entraîné
des changements profonds de la civilisation. La sociologie fixait l’œil de sa
lorgnette sur les mouvements perceptibles au sein même des institutions
sociales et posait de nouvelles questions redoutables pour les
historiens : les phénomènes de l’urbanisation, de la mobilité sociale, de
l’alphabétisation, de la régulation des populations marginales, de
l’émigration, de l’intervention de l’État dans la protection de ses citoyens,
du vaste mouvement de réforme sociale qui traversait l’Occident au 19e
siècle. De nouveaux groupes sociaux cherchaient dans l’histoire la
justification de leurs revendications : esclaves, femmes, nations
dominées, peuples soumis aux exactions du colonialisme international, minorités
raciales. L’histoire est devenue davantage économique et sociale. (Dumont,
2014, p. 26)
Comme cela est le cas avec les langues, le caractère
particulier des vaincus n’est pas disparu avec l’histoire, avec la grande
histoire, mais vient plutôt témoigner de manière distincte d’une période qui ne
peut que nous être racontée. Pour cette raison, parce qu’il est empiriquement
impossible d’accéder à l’histoire réelle, idéelle – pensons à la réduction
phénoménologique – celle-ci a besoin de ses victimes et de ses laissés pour
compte afin de se raconter de manière plus achevée. Alors qu’à partir du XVIIe
siècle, les courants intellectuels nationaux firent leur apparition, la
réflexion sociale globale prit son envol pour nous offrir un morcellement
disciplinaire sans précédent, avec la naissance d’approches comme l’économie,
la psychologie et, bien évidemment, la sociologie. C’est d’ailleurs en
correspondance avec ce cloisonnement des disciplines ou cette tendance à
catégoriser que Pierre Bourdieu fut critiqué par son disciple Bernard Lahire,
qui appelait, entre autres, au dépassement des rapports de domination (Lahire,
2001). Ce sont ces mêmes rapports de domination qui se sont reproduits,
historiquement, dans notre façon de comprendre l’histoire. Et ironiquement,
c’est ce même appel au renversement des rapports de force qui appelle
aujourd’hui l’histoire à reconnaître ses dominés, ses plus faibles et ses
vaincus. Alors que Lahire lui-même nous proposait L’homme pluriel (1998), pouvons-nous simplement envisager
aujourd’hui « l’histoire plurielle » ?
D’une certaine façon, c’est à cela que nous pousse Norbert
Elias, dans ses œuvres La Civilisation
des mœurs (1973), La dynamique de
l’Occident (1975) et La Société des individus (1991).
Considéré comme un acteur incontournable en sociologie historique, Elias
dépeint dans ses œuvres, comment il nous est impossible de penser la société,
sans les individus et l’histoire, sans les hommes (Elias, 1993). Il approfondit
cette approche, entre autres, dans son œuvre La dynamique sociale de la conscience (2016), justement préfacé par
Bernard Lahire. Il tente alors d’illustrer comment la compréhension de la
science et, d’une manière plus générale, de la connaissance, qu’ont les
humains, se veut toujours contextualisée et portée par les filtres collectifs.
Dans cet ouvrage, il questionne fortement le rapport à l’autonomie des connaissances
et aux conditions historiques dans lesquelles celles-ci peuvent être acquises
ou produites. Encore là, on peut y voir une correspondance avec cet enjeu qui
touche l’historiographie, alors que l’histoire – entendons ici la compréhension
que nous en détenons, collectivement – influence notre rapport au monde, tandis
que ce même rapport au monde, vient ensuite produire un filtre qui colore
grandement la compréhension que nous pouvons avoir de l’histoire.
De manière plus évidente, il ne semble pas que ce
bouleversement rencontré par l’historiographie ou cette tension perpétuelle
entre défenseurs d’une histoire des grands acteurs et promoteurs des plus
négligés, soit l’exclusivité de l’historiographie. Bien au contraire, ce que
certains appellent la postmodernité (Javeau, 2007) semble avoir introduit un basculement
beaucoup plus significatif qui apparaît non seulement toucher l’ensemble des
sciences sociales, mais aussi la totalité des sciences ainsi que notre rapport
intime au monde (Sénécal, 2016). Les bousculements ressentis dans l’univers de
la phénoménologie et de l’herméneutique, correspondent, historiquement, avec
l’explosion des courants pédagogiques davantage collectifs et contributifs,
avec une sociologie en mouvance continuelle au sein du temps et de l’espace et
même avec un décloisonnement sans précédent des arts, des médias et des
nouvelles technologies. Les divers groupes sociaux qui composent la société appellent
à une reconnaissance de leur voix. Ils réclament le droit de faire partie de
l’histoire. Si certains y voient un danger (Beauchemin, 2004) au plan politique
(danger que nous considérons bien réel), force est de constater que cette
multiplicité de voix ouvre la porte à une écriture plurielle de l’histoire.
4. Réappropriation
populaire des mémoires collectives
On l’aura compris avec ce qui précède, l’histoire fait
toujours l’objet d’enjeux idéologiques forts. Ce faisant, on ne la retrouve pas
uniquement dans les livres ou les manuels de classe. Présente dans tous les
arts, elle joue un rôle identitaire comme ce fut le cas au Québec dans les
années 1960-1970. À travers les chansons ou la poésie – pensons à la mythique Nuit de la poésie du 27 mars
1970 où se sont succédés sur la scène du théâtre Gesù à Montréal de grands
poètes québécois, Gaston Miron, Michèle Lalonde, Raôul Duguay, Denis
Vanier, Paul Chamberland, Pierre Morency et bien d'autres –
l’histoire du Québec était alors non seulement mobilisée mais aussi revue en
fonction d’un projet social et politique. En parallèle, les historiens
professionnels revoyaient l’histoire de la Nouvelle-France et de la province du
Québec pour la sortir des sentiers tracés par le clergé et son nationalisme
conservateur de survivance. Ainsi, durant la révolution tranquille, par la
musique, le cinéma, la poésie ou le roman, le Québec tentait de redéfinir son
identité et cela ne pouvait se faire sans revisiter son histoire. Mouvements de
femmes, mouvements de jeunes, mouvements, de gauche, le Québec voyait
différents groupes de la société civile prendre la parole pour non seulement
pour changer le présent mais aussi pour définir le futur. Et cela, passait
nécessairement par un questionnement du passé, par sa réinterprétation, par
l’interrogation de la tradition et donc par une réécriture des récits jusque-là
admis. Les « sans grades », les minorités, les absents de l’histoire
officielle, voulaient parler et se faire entendre, ils voulaient que l’histoire
porte leurs voix. Désormais, il ne serait plus possible d’écrire l’histoire
sans parler d’eux.
Du côté du cinéma, le constat est assez similaire,
puisqu’au cours des dernières années, de nombreux grands moments de l’histoire
furent réactualisés par des réalisateurs soucieux d’offrir une nouvelle prise
de vue sur des événements déjà connus, mais généralement relatés selon le
regard des grandes figures. L’un des premiers succès à effectuer ce genre de
relecture, fut sans contredit le film Titanic
(1997), de James Cameron. Sans reprendre un grand moment historique ayant
marqué la dynamique géopolitique comme ce fut le cas pour les innombrables
œuvres ayant traité de la Seconde Guerre mondiale, le film s’est réapproprié un
moment marquant du début du XXe siècle, qui par son caractère dramatique et le
nombre considérable de décès qu’il apporta avec lui, avait touché l’Amérique du
Nord de manière significative. Et justement, en ce qui a trait à ces
innombrables œuvres sur la Seconde Guerre mondiale, il importe de souligner
qu’un changement de ton fut observé depuis les années 1990, quant à la façon de
présenter l’un des conflits les plus documentés de toute l’histoire. Plutôt que
de nous présenter des interprétations classiques de guerre, des films comme Pearl Harbor (2001), de Michael Bay,
nous a donné à voir le conflit à travers le regard de jeunes soldats américains,
absolument ignorants des enjeux reliés au contexte dans lequel ils se
retrouvaient, en plus de nous présenter le regard des femmes, ces conjointes
souvent infirmières, qui vivaient des moments particulièrement déchirants au
regard des scènes qu’elles devaient affronter, tout en laissant partir leurs
conjoints au front sans envisager explicitement le retour de ceux-ci.
Le pianiste, sorti en 2002, nous offrait lui aussi une prise de vue sensible sur
ce conflit, tout comme ce fut le cas avec La
Liste de Schindler (1999). Plus récemment, une œuvre grandement acclamée, Dunkerque (2017), s’est inscrite dans
cette nouvelle façon de faire à laquelle nous faisions référence, en nous
présentant le conflit selon le regard d’un pilote de chasse, de quelques
soldats tassés sur la plage, puis d’un capitaine de navire qui s’affaire à
récupérer des survivants en traversant la mer du Nord. Ces trois prises de vue
qui, s’écoulant sur des trames temporelles toutes trois distinctes, culminent
en un seul moment offert par le dénouement du film. En donnant une voix aux
vrais héros, le réalisateur a permis à son auditoire de mieux saisir l’ampleur
des tensions qui sévissaient dans cet épineux contexte ou près de 340 000
des 400 000 soldats acculés au bord de la plage, furent évacués avec
succès. D’ailleurs, plusieurs médias, dont Le
Figaro (2017), ont souligné le caractère remarquable de cette réalisation
qui a su mettre les acteurs secondaires au centre de l’histoire et offrir une
perspective d’un interminable conflit, que peu de gens avaient le courage
d’offrir (Caillet, 2017).
Au-delà de cette Seconde Guerre mondiale, plusieurs autres
événements furent repris avec ce genre de perspective donnant la voix aux
divers groupes réclamant leur droit de parole. Le film Détroit, paru en 2017, offre un regard particulier, à travers la
lentille de jeunes adolescents et d’un agent de sécurité noir, respecté par les
policiers blancs et qui tente de préserver les gens de sa propre communauté,
sur les événements ayant marqué l’été 1967 et la transition vers 1968, aux
États-Unis. Il en va de même pour Bataille
à Seattle (2007), qui nous démontre les manifestations monstres
anti-organisation mondiales, tenues en 1999 dans les rues de Seattle. Même
chose dans le cas du film Le Jeune Karl
Marx (2017), qui nous montre sous une perspective beaucoup plus fragile et
sensible, la vie d’un homme qui est aujourd’hui reconnu comme l’un des plus
grands économistes et philosophes de son temps. Le fait de le voir évoluer avec
sa conjointe, de le voir être confronté à de nombreux voyages en Europe et
forcé à une relative précarité, nous offre une prise de vue qui apporte une
toute autre cohérence à l’œuvre de ce grand auteur. D’autres films comme Esclave pendant douze ans (2013), Les gangs de New York (2002), Les innocentes (2016) et L’État libre de Jones (2016), qui
illustre comment, pendant la guerre de Sécession, un simple fermier a pu mener
la fuite d’un groupe d’esclaves et de déserteurs contre les Confédérés, ont le
même effet sur la culture populaire. La liste pourrait être encore longue, mais
ces quelques exemples, tout comme les œuvres québécoises présentées auparavant,
suffisent à illustrer de quelle manière cette réactualisation de l’histoire par
des prises de vue plus sensibles, voire plus réalistes, permettent une certaine
proximité avec la population générale, qui demeure difficilement accessible aux
récits des « grandes figures ». Les gens, à travers ces
histoires singulières qui nous permettent de voir les grands événements en
arrière-plan, se sentent concernés et s’y retrouvent. Cette histoire leur parle
davantage que celle relatée par les divers récits géopolitiques classiques, qui
intéressent bien plus les publics académiques qui sont généralement déjà
initiés.
Conclusion
En ce qui a trait à cette tension que certains
entretiennent entre, d’une part, une « Grande » Histoire publique,
régulée par l’État qui, à titre de lègue patrimonial s’appuie sur les
réalisations et les discours des « grands » acteurs et, d’autre part,
une histoire davantage « populaire » nourrie par les récits et la
mémoire des sans grade, des perdants, des victimes, des laissés pour compte ou
simplement des minorités, aux discours plus sensibles, une troisième voie
semble émerger. Sans chercher à maintenir cette opposition, mais plutôt en
produisant une oscillation entre ces deux perspectives, les discours
philosophiques et sociologiques ont permis de montrer que l’histoire, à l’image
de tout ce que l’homme produit, doit inclure non seulement le
« grand » récit des figures d’importances, mais aussi les mémoires
plurielles des acteurs jugés autrefois (et encore aujourd’hui) secondaires,
comme le boulanger, l’esclave, le jeune réserviste, le migrant, la veuve ou le
soldat ennemi, etc. Au regard de ces analyses il ne devrait donc pas être
question de deux perspectives, mais plutôt d’une dialectique entre diverses
prises de vue d’un même objet, entre des prises de vues singulières et leurs
enracinements, les justifications et leurs configurations.
Seulement par cette synthèse, il sera possible d’accéder à
une perspective plus riche, mais jamais exhaustive de l’Histoire. D’ailleurs,
les récentes productions, autant en littérature qu’au cinéma, contribuent désormais
largement à enrichir cette troisième voie. Montées magnifiquement sur une trame
portée par trois ou quatre récits singuliers, qui nous offre des prises de vue
sensibles, les grandes périodes de l’histoire ne sont désormais plus devant les
hommes, mais s’appuient sur ceux-ci pour nous permettre de mieux saisir le rôle
des hommes, dans la production et la compréhension de cette Histoire qui est la
leur. Une telle relecture du rôle des nouveaux médiums, quant à leur
possibilité de nous livrer une histoire réactualisée, laisse tout de même
certaines questions en suspens. Au final, est-ce que l’histoire n’est pas
toujours qu’un récit phénoménologique ou une compréhension herméneutique d’un
événement ? Est-il encore possible, après de tels constats, de parler encore
aujourd’hui de « vérité historique » ? Il semble plutôt
admissible qu’il n’y ait pas de critère de validité permettant d’établir la
primauté de l’histoire sur la mémoire, mais plutôt des critères
épistémologiques qui permettent la synthèse des perspectives phénoménologiques
distinctes et une herméneutique adaptée à des phénomènes plurivoques.
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Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
06 février 2018
Concept et pratique sociale collective
Chaque
concept - ou chaque idée - est une catégorie de la pensée commune déjà inscrite dans
la langue. Son caractère «universel» lui vient non pas d'une loi immuable mais d’une
pratique sociale collective régie significativement par une structure culturelle
relativement unifiée.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
Le concept et le partage
Le concept
ne désigne pas l’objet tel qu’il est donné à la personne de manière idiosyncrasique
mais, plutôt, il se présente – au moins virtuellement – à tous les membres de
la «communauté culturelle» à laquelle la personne appartient et dont elle partage
le langage par le truchement duquel cette personne participe d’une mise en commun continuelle
de l’expérience significative, le
tout dans une histoire non seulement personnelle mais commune.
Professeur titulaire au département des sciences de l'éducation de l'Université du Québec à Trois-Rivières
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