Introduction
Fils
d’ouvrier né en 1931, Jacques Grand’Maison a fait des études de théologie et a
été ordonné en 1957. Déjà dans les années 1950, ses engagements dans l’Action
catholique, sa critique sévère du cléricalisme et du duplessisme donnent à voir
une pensée ancrée dans le personnalisme et l’action communautaire. C’est à
Rome, à l’Université pontificale grégorienne, qu’il fera ses études de maîtrise
en sociologie (diplôme obtenu en 1960). Et c’est de l’Université de Montréal
qu’il obtiendra son doctorat en théologie quatre ans plus tard.
Jacques
Grand’Maison a été un artisan de la Révolution tranquille. Toutefois, très tôt
il en critiquera la tournure technocratique. Tout au long de sa carrière
d’intellectuel et de prêtre il n’aura de cesse d’incarner lui-même ce qu’il
prône à savoir l’unification de la parole et de l’acte. C’est ainsi que, dans sa
ville natale, St-Jérôme, dans les années 1970, il s’impliquera dans la mise sur
pied de l’entreprise autogestionnaire Tricofil. Bien que pendant un temps il
sera tenté par l’engagement politique – au sein du mouvement souverainiste – il
restera finalement à distance des milieux politiques ce qui assurera son
indépendance de pensée. À partir des années 1980, il tentera de dépasser les
limites du personnalisme et du marxisme (encore en vogue auprès de nombreux
intellectuels). Il mènera alors une charge constante contre le relativisme et
le postmodernisme. Soucieux de penser la transmission de la culture, il
réfléchira sur les relations entre les générations, sur l’identité et la
refondation du lien social. Bien qu’il nous ait quitté le 5 novembre 2016, cet
observateur perspicace de la société québécoise nous a laissé une œuvre de
grande qualité qui n’a pas fini de stimuler notre réflexion. C’est ce que nous
allons voir maintenant.
1.
L’humanisme de Grand’Maison
L’humanisme
de Grand’Maison précède en quelque sorte sa chrétienté : il est d’abord et
avant tout homme parmi les hommes, et c’est en se sentant homme jusqu’au plus
profond de son être qu’il aborde le monde du plus petit au plus grand. C’est
cette condition d’homme qui le transcende et le fait se sentir proche de tous
les autres hommes et de la vie. Grand’Maison
croit donc foncièrement en une condition d’homme partagé avec tous les autres
hommes. Pour lui, cette condition humaine, et la vie plus largement, valent en
elles-mêmes et priment sur toute autre chose. Ne niant pas l’inscription de
l’homme dans des ensembles et lieux plus caractéristiques ou spécifiques
(sociétés, cultures, histoires, époques, etc.), il inscrit d’abord et avant
l’homme dans une première et universelle condition, soit celle de son humanité.
Bien que situé, l’homme est donc d’abord universel. La finalité première et transcendante
des hommes serait, selon lui, à la fois d’élever et de préserver, ensemble,
cette humanité.
Ajoutons que
pour Grand’Maison, la grandeur des hommes et des sociétés se mesure à la
façon dont ils prennent soin des membres les plus vulnérables de leur
collectivité, notamment les jeunes. L’éducation des enfants est conséquemment
pour Grand’Maison l’un des vecteurs centraux de cette humanisation qui se veut
la finalité première de la vie. L’homme est responsable envers l’homme. Mais de
quel homme parle Grand’Maison?
1.1 Sa conception de l’homme
Pour
Grand’Maison, l’homme, on l’a vu, est d’abord inscrit dans sa condition d’homme
membre de l’humanité. Cela se décline en de nombreuses dialectiques, dont deux principales.
D’une part, l’homme s’inscrit dans une chair et dans un esprit, dans une concrétude
et un transcendant. L’homme est inscrit à la fois au quotidien dans le
« pays réel », dans des expériences et des collectifs concrets et
vécus, et à la fois inscrit dans une condition transcendante, voire
spirituelle, d’humain. Cette dernière transcendance humaine se décline d’autre
part en une dialectique « individualité – socialité » à la fois dans une monde
intérieur ─ le jardin secret de chaque homme ─, et un monde extérieur plus
vaste ─ une histoire qui précède et suivra chaque homme, une famille humaine,
une collectivité ─, deux mondes se nourrissant et se construisant mutuellement.
1.2 Dialectique individualité-socialité
Pour
lui, l’homme est humain en tant qu’il est unique. Son unicité l’appelle à être un « sujet
humain libre, responsable, interprète, acteur et décideur, debout en lui-même
et dans la cité » (2004, p. 14). Cette base première
d’individualité est à chérir, la culture et la pratique démocratiques en étant
tributaires. Mais c’est par la conscience, qui amène la distanciation à soi,
que cette individualité ─ cet « homme nu » (1978) ─ peut être chérie,
et c’est aussi par le développement de cet atome premier de l’individu que
passerait l’accomplissement de la mission humaine. Parce qu’en effet, s’il est
individu, l’homme est foncièrement individu au sein d’un collectif. Sa
condition humaine transcendante passe par cette individualité mise au service
de, ou plutôt partagée avec, tournée vers, ses pairs. Partant de
sa conscience de soi et de l’autre, de sa distance critique face à ce qu’il
vit, l’homme peut, et doit, utiliser son jugement, élément constitutif de la
condition humaine. Autrement dit, toutes les opinions et
tous les comportements ne se valent pas, il existe un sens moral découlant de
l’exercice de la conscience, de la distanciation critique, du jugement et du
discernement, et puisant sa direction dans la finalité d’humanisation qui
devrait être au cœur et au fondement de toute activité et intention de l’homme.
1.3 Conjugaison individualité-socialité
C’est à
partir de cette conscience et de ce jugement que l’homme conjuguerait la
dialectique individualité-socialité, liberté-responsabilité. Grand’Maison
croit qu’à défaut de conjuguer individualité et socialité, l’homme et
l’humanité se retrouvent avec « des responsabilités sans horizon de
liberté […et] des libertés sans force de responsabilité. » (1977.éthique,
p. 174).
1.4 Dialectique « pays réel » -historicité
L’homme
s’inscrit également dans une autre dialectique, celle de l’ici-et-maintenant ─
du vécu concret ─, et du ce-qui-était-avant-et-ce-qui-viendra-après ─ son
historicité. Pour Grand’Maison, « nous sommes d'abord des êtres au monde. »
(2010, p. 9), incarnés et vivant des expériences réelles, dans le « pays
réel » (2010, p. 9). Sans cette inscription dans le « pays
réel », l’homme se retrouve face à « des humanismes décrochés du
réel » (1977.éthique, p. 174). Grand’Maison rappelle par ailleurs
qu’au-delà des structures institutionnelles, des modes de vie et des
expériences quotidiennes, le « pays réel », c’est également
l’environnement et « la nature dont [on est]
bon gré mal gré partie prenante » (1978, p. 66). Par ailleurs, au-delà du présent et toujours dans cette
idée de transcendance de la condition humaine, l’homme s’inscrit également dans
une historicité qui le définit et qu’il définit, l’en rendant ainsi
responsable ; une historicité dont il doit absolument tenir compte pour bâtir
aujourd’hui et envisager demain. Sans cette historicité qui inscrit la
condition humaine dans la durée, il risque d’y avoir : « des
réalismes sans aucun sens humain » (1977.éthique, p. 174).
2. L’éducation pour Grand’Maison
L’homme et
la vie valent en eux-mêmes, et les préserver et les élever représente le sens
et finalité de notre présence ici. Ces élévation et préservation passent entre
autres par l’éducation, celle-ci vaudrait donc également en elle-même.
2.1 Place et sens de l’éducation dans sa pensée
Faisant
partie, avec le travail, des « requêtes les plus concrètes de
l’existence » entre individualité
et socialité, l’éducation occupe une place importante voire centrale
dans la pensée de Grand’Maison. Ayant lui-même été éducateur durant plus de
quarante ans (1999.jugement), sa pensée est d’abord éducative. Grand’Maison
voit ainsi dans l’éducation une ultime responsabilité humaine et un réel test
d’humanité. Selon lui, une collectivité se mesure à la façon dont elle prend
soin de ses membres les plus vulnérables, dont les enfants (2002.démesure, 2003;
2004; 2010; 2013; 2015). Le sort des enfants constitue en effet pour lui à la
fois le fondement téléologique et le résultat de l’homme et de la société. Il
évoque d’ailleurs à plusieurs reprises les Grecs qui « établissaient une
adéquation entre éducation et civilisation » (voir 2003, p. 41) pour illustrer
comment l’éducation permet d’élever la société en élevant l’homme :
« Peut-être une redécouverte du sens originaire de l'éducation va nous
aider à réinventer non seulement une école, mais une cité plus humaine. »
(1976,
p. 127).
Mais quel
est donc ce « sens originaire » de l’éducation pour Grand’Maison? Car
s’il reconnaît, que « chaque culture se réserve le droit d'organiser le
maternage et l'éducation en fonction de ce qu'elle considère être bon pour
l'enfant » (1999.jugement, p. 89), il souligne également « la portée
inestimable de culture, d'humanisme et de civilisation qu'apporte
l'éducation » (2015, p. 23). Autrement dit, en cohérence avec sa vision de
l’homme, il voit en l’éducation une façon de développer à la fois l’individualité
et la socialité, dans toutes les inscriptions qui les caractérisent et aussi dans
ce qui peut les transcender.
Pour actualiser cette éducation de l'homme et de la société,
Grand’Maison souligne à plusieurs reprises le fait qu’il faut se pencher
justement sur le pourquoi et sur le quoi de l’éducation, plutôt que sur le
comment. Il insiste donc sur l’impératif d’arriver, en tant que société, à une
« orientation commune » en matière d’éducation,
« finalité » constituant selon lui « la clef de redéfinition des
structures, des politiques, des responsabilités et des tâches. » (1976, p.
43). Autrement dit, avant d’élaborer des moyens, encore faudrait-il, selon
Grand’Maison, s’enquérir des fins. Ce dernier déplore que la société ne s’y
attarde pas suffisamment, voire que les Québécois n’accordent pas une si grande
importance à l’éducation en elle-même, et que, lorsqu’il est question de
discuter de priorités en éducation, l’importance des moyens se substituent bien
souvent à l’essentiel des fins.
2.2 Ses visées éducatives
Les visées
éducatives mises de l’avant par Grand’Maison découlent directement de sa vision
humaniste et de sa conception de l’homme. L’homme et la vie valant en soi,
l’éducation qui sert à élever et préserver l’un et l’autre vaut également en
elle-même. Ses visées sont de faire émerger l’homme dans son individualité et
sa socialité (son altérité), donc de développer sa conscience (capacité de
prise de distance) et son jugement, tous deux nécessaires à l’altérité et à la
responsabilisation. Cette transmission doit se faire en s’inscrivant à la fois
dans un pays réel et dans une historicité.
2.3 Faire jaillir la source
La visée
éducative centrale pour Grand’Maison est donc bien celle de former l’humain. À
maintes reprises, il reprend la racine du mot éducation « e-ducere, faire jaillir la source »
(1976, p. 41; 1999.jugement, p. 14) pour marquer l’importance de la
« formation humaine » qui, pour lui, « restera toujours la
pierre de touche du système scolaire » (1976, p. 146). Et, l’humain à
former est celui qu’il conçoit, c’est-à-dire un être individuel contribuant à
et s’inscrivant dans plus grand que lui. Cette source est celle de
l’individualité de chacun qui, ultimement, se saisit par la conscience, mais
cette conscience (fondamentalement bonne selon Grand’Maison) a tout de même
besoin d’éducation pour bien se développer.
Ce qui lie à l’autre, c’est en effet également cette capacité de
jugement de ce qui est bien et mal qui est l’une des visées éducatives
prioritaires de Grand’Maison. Il déplore
qu’on puisse penser que tout se vaut, et pis encore, qu’on laisse cette
« moralité de complaisance » (1999.jugement, p. 37) guider
l’éducation. Grand’Maison s’inquiète également de ce qu’il perçoit être une
crise de la transmission de valeurs en éducation.
Découlant de
sa vision humaniste, Grand’Maison conçoit donc que l’éducation doive servir à
faire jaillir la source en chaque homme, et aider à mettre cette source au
service d’un bien plus grand : un véritable « autodéveloppement
individuel et collectif » (1976; 1977.philosophie, p. 164). Conséquemment,
le monde de l’éducation doit situer cette visée fondamentale à la fois dans le
pays réel et l’historicité dans lesquels elle s’inscrit. On peut dire que cette
inscription (ou réinscription) constitue la seconde grande visée éducative de
Grand’Maison.
2.4 Réinscrire l’éducation…
Ici, la visée éducative d’inscription de Grand’Maison se décline sur
deux niveaux : 1- l’éducation-pédagogie, autrement dit le développement de
l’enfant et du jeune à proprement parler et, 2- l’éducation-institution, c’est-à-dire comment
la société fait et organise l’éducation. Pour Grand’Maison, à ces deux niveaux,
l’éducation doit s’inscrire dans l’ici et maintenant du pays réel, ainsi que
dans l’hier et le demain de la durée et de l’historicité.
2.4.1 Dans le temps
D’abord, en ce qui a trait à l’éducation-pédagogie, Grand’Maison
souligne à plusieurs reprises que l’éducation, la formation humaine, nécessite
du temps, l’humain ayant « besoin de beaucoup de temps pour accéder à sa
maturité » (2003, p. 136). C’est une première façon de
dire qu’il faut inscrire l’éducation dans le temps. Mais plus encore,
Grand’Maison ne s’arrête pas à la durée d’une vie humaine, mais réfère à celle
de l’humanité, et précise que l’école doit également inscrire l’éducation des
enfants dans l’histoire de leur société propre, et de l’humanité plus
vastement. Ici, il réfère notamment à l’histoire religieuse (chrétienne) dans
laquelle s’inscrit, qu’on le veuille ou non, l’Occident, et il questionne les décisions
institutionnelles qui souhaiteraient en faire fi. Bref,
pour Grand’Maison, l’une des visées de l’éducation est d’inscrire l’enfant dans
le temps, le temps de sa propre vie, mais également les temps sociaux plus
vastes, qui sont venus avant lui, et viendront après lui.
2.4.2 Dans le pays réel
Grand’Maison soutient également qu’il faut réinscrire l’éducation dans
l’ici et maintenant, dans les expériences concrètes, dans le pain quotidien,
dirait-il. Pour lui, la vie entière doit s’inscrire dans le pays réel, tant en
ce qui concerne les apprentissages que l’école propose, qu’en ce qui a trait à
l’institution scolaire elle-même. Grand’Maison suggère donc aussi que
l’école-institution se réinscrive dans sa base concrète, soit les hommes qui la
fondent. Ainsi, sans nier les structures
institutionnelles, Grand’Maison dénonce à maintes reprises les dérives
technocratiques qui ont rendu ces structures, leur organisation et leurs moyens
plus importants que les humains qui y agissent. Il enjoint donc les Québécois à
une réinscription des structures dans leurs bases, dans les réalités
quotidiennes et concrètes de chacun des milieux et de chacun des hommes qui
portent l’éducation et en connaissent conséquemment les besoins et
particularités, du plus petit au plus grand, c’est-à-dire de la petite
collectivité à la société québécoise entière.
Pour Grand’Maison donc, l’éducation-institution doit partir des hommes
et elle revient toujours aux hommes qui l’érigent et l’alimentent : « Le
bateau de l'éducation aura toujours à se battre avec la mer. Il lui faut être à
la fois souple et fort. Mais il ne vaudra jamais mieux que l'amour qui l'habite
et les hommes qui le conduisent. » (1976, p. 145). Il faut revenir à ce principe de base, qui est hautement responsabilisant,
et grandement émancipatoire, mais qui est souvent oublié, enseveli sous le
poids des structures qui ne tiennent plus que par l’habitude, la lourdeur et
une conviction édifiée par et sur un savoir, lui aussi construit.
3. Le savoir selon Grand’Maison
L’œuvre parle
essentiellement de deux types de savoir : les savoirs que l’éducation doit
transmettre et par lesquels elle transmet et les savoirs « savants »,
construits par la communauté scientifique et à partir desquels plusieurs
décisions en matière d’éducation sont par ailleurs prises.
3.1 Savoir à et pour transmettre
Dans son
ouvrage de 1976, Pour une pédagogie
sociale d’autodéveloppement en éducation, Grand’Maison parle d’une
pédagogie des actes fondamentaux de l’éducation, c’est-à-dire des actes
émergeant du et inscrits dans le pays réel, déclinés en cinq
savoirs-composantes. Ces savoirs s’appliquent aux apprentissages visés, mais
également aux savoirs nécessaires pour faire l’éducation à proprement parler. Ces savoirs recoupent pour
plusieurs les visées éducatives de formation humaine ─ développement du
discernement et du jugement ainsi que de l’altérité et de la responsabilisation
─ et inscription dans un pays réel et une durée.
3.2 Savoir scientifique
Quant au savoir savant,
Grand’Maison l’évoque et le critique à plusieurs reprises dans ses ouvrages. On
retrouve dans son œuvre deux facettes de la conception du
savoir scientifique. D’une part, Grand’Maison dénonce, dans les sciences de
l’homme, le positivisme ainsi que la disparition de l’humain et de son
inscription dans plus grand que lui, et ce, au profit des techniques et
objectifs comptables. Et il déplore tout autant l’utilisation que les hommes
peuvent faire de ce savoir scientifique, que ce soit pour guider leur
quotidien, prendre des décisions de société et institutionnelles, dont faire
l’éducation. L’usage du savoir savant fait sans discernement, sans faire la
part des choses et sans le traduire dans les réalités quotidiennes le rebutait
tout particulièrement. D’autre
part, Grand’Maison reconnait la place et l’utilité du savoir scientifique pour
comprendre l’homme, ce qu’il a tenté de faire lui-même toute sa vie. Néanmoins,
ce savoir ne peut jamais être absolu et universel pour Grand’Maison; il est
toujours situé en un contexte, en un temps et un pays réel donnés. Par
ailleurs, Grand’Maison défend une science qui ne divise pas l’objet humain
d’étude, mais l’embrasse dans son ensemble complexe. Le savoir
scientifique ne doit et ne peut pas constituer la seule source de réponses,
d’autres savoirs, anciens, mystiques et intangibles, peuvent aussi guider les
hommes. En somme, pour Grand’Maison, le savoir scientifique ne peut réellement guider
l’homme, il ne peut qu’être utilisée par lui pour se guider.
4. Un mot sur l’évolution de la pensée de Grand’Maison
La
pensée de Grand’Maison a évolué suivant les observations qu’il faisait des
réalités contemporaines, ainsi que des expériences du « pays réel »
qu’il a eu, mais elle est toujours demeurée ancrée dans un humanisme
indéfectible. Elle était, au fond, à l’image de sa
vision de l’homme : inscrite dans une historicité, acceptant le pays réel
et tentant de s’y ajuster mais tout autant tournée vers l’universelle. Ainsi,
dans chacun de ses ouvrages, il relève les écueils et les promesses des hommes
et de la société, et toujours il ramène ses réflexions à l’homme et aux
questionnements philosophiques qui concernent le sens de l’existence de ce
dernier. Toujours, il enracine ses conclusions et ses visées dans un humanisme
ouvert, et s’appuie d’exemples et de témoignages concrets de gens qu’il a
rencontrés dans ses pratiques « de terrain », d’idées de penseurs et
philosophes et des gens de son entourage (parents, enseignants, élèves) qui
l’ont influencé.
Également,
les observations, critiques et réflexions de
Grand’Maison sur le monde trouvent un ancrage dans la tradition chrétienne si
bien qu’il est difficile de dire lequel entre l’humanisme laïc et la foi
chrétienne précède l’autre dans la pensée de Grand’Maison; les deux
apparaissant plutôt comme les sources entremêlées de son élaboration.
Néanmoins, nous avons postulé en début de texte que Grand’Maison était d’abord
humaniste avant d’être chrétien, en ce sens que, s’il avait été contraint de
choisir entre les deux, il aurait, pensons-nous, concédé la chrétienté plutôt
que l’humanisme. Ceci dit, nous croyons que, s’il avait été confronté à ce
choix, il aurait sans aucun doute refusé de s’y plier, au nom de la liberté.
En guise de conclusion
L’œuvre de
Grand’Maison met en évidence, nous semble-t-il, le délicat équilibre entre
accompagner le développement des processus, des habiletés, voire des
compétences et le transfert de savoirs.
Ses idées
semblent indiquer qu’il y a eu une sorte de compromission, dans la lignée de la
pensée, comme quoi le savoir doit être réélaboré, mais dans l’ignorance du fond
culturel dans lequel il s’est lui-même construit. Ce qui est mis en évidence
ici, c’est le reflet de notre relation dialectique avec notre identité :
d’un côté nous voulons puiser dans notre énergie créatrice et de l’autre nous
voulons tirer notre richesse de notre bagage culturel. Cet équilibre délicat
est celui qui nous amène à réconcilier le «
je me souviens » avec la capacité de créer de nouveaux souvenirs.
Le discours
néo-libéral nous a toutefois conduit à une accentuation du nihilisme
intellectuel : le savoir n’aurait qu’à être créé en fonction d’un besoin
socialement acceptable. Nul besoin donc de revenir aux Savoirs, de comprendre
leur origine ni de valoriser la culture : celle-ci s’autogénérerait.
Cette
génération spontanée n’est toutefois qu’une illusion : la genèse du savoir
tient justement en la capacité de se souvenir de la parole initiale, donc de ce
qui le fonde. Par conséquent, afin de retrouver notre âme et notre identité, il
convient d’assumer le délicat exercice de retrouver le développement des
processus dans l’exégèse des savoirs.
Grand’Maison nous a gratifié d’une œuvre empreinte de discernement, de jugements
affutés et de propositions généreuses, une œuvre inscrite dans l’histoire et
dans le pays réel, une œuvre profondément humaniste. Il aura ainsi été
fondamentalement homme.
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Beauchemin Ltée. [Format numérisé]. Repéré à http://classiques.uqac.ca/
Grand’Maison, J. (1970). Nationalisme et religion. Tome II.
Religion et idéologies politiques. Montréal : Librairie Beauchemin
Ltée. [Format numérisé]. Repéré à http://classiques.uqac.ca/
Grand’Maison, J. (1966). Le Monde et le Sacré. Tome
I : Le Sacré. Montréal : Points d’appui [Format numérisé]. Repéré
à http://classiques.uqac.ca/
Grand’Maison, J. (1966). Le Monde et le Sacré. Tome
II : Consécration et sécularisation. Montréal : Points d’appui
[Format numérisé]. Repéré à http://classiques.uqac.ca/
Grand’Maison, J. (1965). Crise de Prophétisme.
Montréal : L’Action catholique canadienne [Format numérisé]. Repéré à http://classiques.uqac.ca/
Grand’Maison, J. et S. Lefebvre
(1993). Une génération bouc émissaire. Enquête sur les baby-boomers.
Montréal : Les Éditions Fides [Format numérisé]. Repéré à http://classiques.uqac.ca/
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