Le dix-huitième
siècle : le siècle des Lumières
Les Lumières ? Cette expression signifie le triomphe de la Raison, de la
rationalité (Cassirer, 2001). Trois champs de l'activité humaine seront
particulièrement frappés par la philosophie des Lumières : la science, les
arts et la technique. C’est aussi à cette même époque qu’apparaît l’idée du progrès.
Plusieurs noms célèbres sont associés au siècle des lumières. En France,
Montesquieu et Voltaire. En Angleterre, Newton et Locke. En Allemagne, Wolff et
Lessing. Même Kant sera influencé par ce mouvement. Les Lumières s’opposent à la
foi aveugle, à l’autorité illégitime et à l’ignorance. La Raison est également
considérée comme une réalité positive. Elle sert à définir et à affirmer tant les
droits individuels que collectifs. Le progrès s'appuie sur l'idée que la Raison
ne sert pas seulement à connaître mais sert également à agir sur le monde. Le
Progrès signifie donc non seulement une possibilité d'action sur la nature mais
aussi une possibilité de contrôle sur le monde de l'être humain. Les progrès
des sciences de la nature sont le noyau dur du rationalisme. Ce progrès serait
par nature un apport positif pour l'être humain et la société.
Le dix-huitième siècle est
également le siècle des philosophes (Cassirer, 2011). À l'époque de Rousseau,
la philosophie a occupé une place tellement importante que son courant dit «des
Lumières» en est venu à donner son nom à l'ensemble du siècle. En fait, les philosophes
français, bien qu'ils aient joué un rôle capital dans la propagation de la
philosophie des Lumières, ne doivent en aucune manière en recevoir tout le
crédit. Loin de construire à partir du vide, leurs oeuvres se sont fortement
inspirées de plusieurs grands savants et philosophes anglais. Des écrits de ces
derniers, les français ont conservé les idéaux rationalistes, sensualistes et
critiques. Leurs principaux inspirateurs étaient : John Locke (1632-1704),
Isaac Newton (1642-1727) et David Hume (1711-1776). Les philosophes disposaient
d'une arme redoutable : L'Encyclopédie ou
le dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers publié sous la direction de Diderot et dont
d'Alembert rédigea le «discours préliminaire». Cette encyclopédie avait pour
but de rassembler en une seule oeuvre l'ensemble des connaissances et des idées
acquises jusqu'à ce jour.
Au cours du dix-huitième siècle, on aspire
à une consolidation de l'économie de marché au moyen de l’extension d’un mode
de production basé sur l’économie de marché. Apparaissent ainsi les premières
manufactures. Graduellement, on assiste à une accession au pouvoir de la
bourgeoisie.
Le dix-huitième siècle : un siècle de
bouleversements politiques et de révolutions
- La révolution
américaine (1776-1783) : La révolution américaine prend la
forme d'une guerre de libération coloniale contre l'Empire britannique. Afin de
renflouer ses coffres vidés par la guerre de Sept Ans, l'Angleterre impose à
ses treize colonies d'Amérique des impôts et des taxes notamment sur le thé.
Les colons refusent de payer. Suit alors un long conflit juridique (1765-1773)
qui entraînera une rupture entre la métropole et ses colonies. Après une
première déclaration des droits par le Congrès de Philadelphie (1774), laquelle
revendique l'indépendance des colonies américaines, la guerre éclate. Le
Congrès américain vota le 4 juillet 1776 la «Déclaration d'Indépendance des
États-Unis d'Amérique» mais ce ne fut qu'à la signature du traité de Versailles
en 1783 que cette indépendance fut reconnue par l'Angleterre. Aujourd’hui, les
États-Unis possèdent la plus vieille constitution au monde !
- La révolution
française (1789) : La révolution française est réellement une
révolution du peuple (avec à sa tête la classe bourgeoise) contre les
privilèges de la noblesse et l'arbitraire de la monarchie absolue. Elle a amené
de vastes transformations dans la société française. Ce n'est plus le roi mais
la nation tout entière qui détient la souveraineté. Le régime monarchique
n'existe plus, il fait place à la république et les trois pouvoirs législatif,
exécutif et judiciaire sont maintenant séparés. Cependant, la France va
connaître jusqu’au milieu du 20e siècle des bouleversements
politiques qui remettront souvent en question les acquis de la Révolution de
1789.
Ces deux révolutions, survenues à
quelques années d'intervalle, sont en bonne partie à l'origine des institutions
primordiales de nos sociétés actuelles. Par exemple, elles mettent toutes deux
l'accent d'une part, sur le rôle indispensable de l'État dans l'affirmation et
la protection des droits privés et publics et, d'autre part, sur l'importance
du caractère laïc des institutions publiques.
Qui était Jean-Jacques Rousseau ?
Rousseau voit le jour le 28 juin 1712 en Suisse,
dans la ville de Genève. Il décède à Ermenonville en France le 2 juin 1778. Les
apports intellectuels de Rousseau à son siècle sont multiples. Il est d’abord l'un
des fondateurs de la pensée politique moderne. En outre, il est un innovateur
en matière de littérature (autobiographie), un compositeur et un théoricien de
la musique de même qu’un critique de son siècle. Selon lui, la Raison, la
Science et le Progrès sont de bonnes choses mais non en elles-mêmes. En
réalité, c'est la pureté du coeur, la conscience droite, qui importe vraiment.
Quelques clefs sont utiles pour la
compréhension de l’œuvre de Rousseau. Il cherche la liberté et le bonheur pour
tous les individus. Il voit la société du dix-huitième siècle comme étant foncièrement
mauvaise. De son vivant, Rousseau a été la cible de violentes attaques en
raison de son antirationalisme et de son apparente hostilité envers le progrès.
Son œuvre sur l’éducation doit être comprise comme un complément à deux œuvres
précédentes : Discours sur l’origine
et les fondements de l’inégalité parmi les hommes (paru en 1755) et Du contrat social ou Principes du droit
politique (paru en 1772).
Discours sur l'origine et les fondements de
l'inégalité parmi les hommes
Ce livre propose une histoire de
l'humanité. Il ne s'agit toutefois pas d'une recherche scientifique. En fait,
Rousseau propose une interprétation de l'histoire qui n'est que vraisemblable.
Cette interprétation est néanmoins en mesure de fournir une explication du
malheur qui afflige les êtres humains. Elle se divise en trois principales
périodes. La première est celle de l'homme de la nature que l'on peut définir
comme «un animal présociable». Il vit seul, ne possède aucun langage et est
animé par le seul amour de soi. Cet homme satisfait ses besoins immédiatement à
partir des ressources que lui fournit la nature. Doté de la capacité de changer
en fonction des circonstances (la perfectibilité), il s'est adapté aux
modifications de son environnement en se joignant à ses semblables pour créer
les premières sociétés. Ce regroupement était nécessaire pour la survie de
l'espèce.
La deuxième période se caractérise
par l'acquisition de l'ensemble des différentes qualités propres aux humains :
la pitié (premier sentiment acquis par l'homme de la nature), le langage, la
pensée. Il vit en totale harmonie à la fois avec les membres de la société et
avec la nature qui l'entoure. Il s'agit là, pour Rousseau, d'un véritable âge
d'or de l'humanité, empreint de transparence. Cependant cet état de grâce n'a
pas duré. En effet, l'inégalité physique entre les individus (phénomène
naturel) entraîne une détérioration des relations et la perversion des qualités
humaines.
Commence alors la troisième
période, celle de la société du paraître.
Dans cette société on ne peut plus parler de l'homme de la nature; on est
devant un nouveau type d'homme, l'homme social. Son apparition s'explique par
l'incapacité des êtres humains à exercer un contrôle adéquat des effets
négatifs de la nature elle-même. C'est ici que commence l'aliénation et son cortège
d'effets négatifs : le mensonge, la jalousie, l'amour-propre, etc. En politique
cette décadence se traduit par un régime tyrannique.
Du contrat social, ou Principes du droit politique
Constatant que le fondement de la
société repose la plupart du temps sur l'autorité paternelle, la volonté divine
ou encore la force brute, Rousseau se donne ici comme objectif d'établir la
légitimité d'un pouvoir politique dont le fondement prendrait racine dans un
pacte d'association où chaque individu s'engagerait volontairement envers
l'ensemble de ses semblables, renonçant en cela à sa liberté individuelle
naturelle. En retour, la société lui assurerait le statut de citoyen. Ce statut
se caractériserait par l'égalité juridique et morale et la liberté civile. De
cette façon, serait possible le passage de l'indépendance originelle à la
liberté politique. Par la même occasion il serait possible de développer une
véritable morale répondant aux besoins et aux désirs de la volonté générale.
Cette volonté générale ne correspondrait d'ailleurs pas à la somme des volontés
individuelles et des intérêts particuliers mais plutôt à l'expression de la
souveraineté du peuple (dont le législateur est l'interprète). Parce que cette
souveraineté demeure à la fois inaliénable et indivisible, les pouvoirs ne
devraient être que l'émanation du corps social.
La pensée éducative de Rousseau
Dans Émile ou de l'éducation (1762) Rousseau affirme la spécificité de l'enfance
et de sa mentalité. L'ouvrage est étroitement associé au Contrat social (on
remarquera que les deux sont parus la même année) en ce qu'il propose un
programme éducatif adapté à une véritable société politique. L'éducation comme
politique revoie à l’opposition entre nature et culture. La nature est bonne et
parfaite, la société est corrompue. Donc, si on veut éduquer de la meilleure
manière, il faut suivre la nature et non pas les caprices des hommes. Le sens
de sa pensée est à l’effet que le développement doit nécessairement faire un
retour involutif sur quelque chose d'archaïque, c'est-à-dire, revenir à un
principe fondamental et premier. Ce principe premier auquel Rousseau nous
invite à revenir c'est la nature. La tâche de l'éducation sera justement de
réaliser ce retour par le biais de deux principes : 1) l'homme n'est pas
un moyen mais une fin et 2) il faut redécouvrir l'homme naturel.
L'homme n'est pas un moyen mais une
fin. Chez les pédagogues qui précédèrent Rousseau, tous les principes
d'éducation avaient comme caractéristique de vouloir former l'homme en vue de
quelque chose. Par exemple, on éduquait dans le but de rendre l'homme savant ou
croyant, pour en faire un citoyen, un érudit, un lettré, un prêtre, etc.
L'éducation utilisait le petit homme (l'enfant) comme un moyen pour atteindre
un but, réaliser un modèle. Dans l'optique de Rousseau la situation doit
changer radicalement. Il ne traite pas l'enfant comme un moyen mais plutôt
comme une fin absolue. Pour lui l'éducation ne doit pas chercher à former un
type d'homme ou de femme en particulier mais bien l'homme et la femme dans leur essence même.
Puisqu’il faut redécouvrir l'homme
naturel, l'éducation ne doit pas superposer à l'enfant une culture comme
seconde nature artificielle, mais laisser
l'enfant se développer librement sans entraver son développement.
De ces principes éducatifs
rousseauistes découlent trois «lois» : La première loi est de nature
psychologique : La nature a fixé les règles nécessaires du développement
de l'enfant. Le corollaire pédagogique de la première loi est que l'enseignant
doit respecter la marche de l'évolution mentale de l'enfant.
La deuxième loi psychologique se
lit comme suit: L'exercice de la fonction la développe et prépare l'éclosion de
fonctions ultérieures. Cette loi renvoie également à un corollaire pédagogique : L'enseignant
doit laisser la fonction agir selon son mode. Il peut la contrôler, la guider,
mais ne doit pas l’écraser par des raisonnements livresques et théoriques
autant que prématurés.
La troisième loi psychologique :
L'action naturelle est celle qui tend à satisfaire l'intérêt ou le besoin du
moment. En fonction de cette loi, l'enseignant doit motiver l'élève à l'apprentissage.
Les conséquences éducatives des
principes et des lois de la pédagogie rousseauiste sont multiples. Une première
conséquence :
L'enfant-modèle : sa connaissance et
ses stades de développement :
L'enfance comme état fondamental de
la vie, état distinct de l'existence adulte:
a) l'âge des besoins (ou
infantile);
b) l'âge du développement des
désirs et des sens (âge de la puérilité allant jusqu'à 12 ans);
c) l'âge du sens commun ou âge de
raison (intermédiaire i.e. de 12 à 15 ans);
d) l'âge des sentiments (qui
englobe essentiellement la période de l'adolescence: 15 à 20 ans);
e) la maturité après 20 ans (l'âge
du mariage, de la vie de travail, de la parentalité et de l'exercice des droits
de citoyens).
Pour Rousseau, l'éducation doit
respecter les stades précédemment évoqués. En ce sens, Rousseau peut être vu
comme l'un des précurseurs de la psychologie des stades et du développement
qui, au vingtième siècle, sera considérablement approfondie, notamment par
Piaget.
Une deuxième conséquence éducative
des principes et des lois de Rousseau : L'enfant est actif et responsable
de son éducation. Pour ce penseur, l'enfant, tout autant que l'adulte, possède
une liberté qui demande à être respectée. Cela signifie que son rôle dans
l'éducation ne doit pas se résumer à celui d'un être passif qui reçoit la
connaissance de l'extérieur. Tout au contraire, l'éducateur doit en faire un
être actif dont l'action contribue fondamentalement à sa propre formation.
Une troisième conséquence
éducative : Le but de l'éducation est de former un être humain libre. Ce
qu'il faut former ce n'est pas un type d'homme en particulier mais bien l'homme
lui-même, «l'entier unitaire»; c'est-à-dire l'individu libre et responsable. Pour Rousseau le but ultime de l'éducation est de former un homme libre.
Or,
l'homme peut devenir libre à condition d'être traité comme un être libre dès sa
naissance. La liberté ne s'apprend pas; elle se déploie dans l'activité
humaine. C'est pourquoi il faut la laisser être. En quelque sorte, ce que nous
dit Rousseau c'est qu'on ne peut pas apprendre à être libre car la liberté est
inscrite dans la nature même de l'être humain.
Rousseau propose une manière
d'éduquer : l'éducation négative. Il s’agit d’une éducation par la nature, une
éducation qui refuse les opinions et la morale; une éducation qui n’est pas
basée sur les connaissances déclaratives car l'apprentissage doit venir de
l'expérience des choses et non de la connaissance par les mots. L'éducation
négative à la façon de Rousseau laisse la nature agir. L'enfant apprend par sa
propre expérience face aux choses. Donc, pas de discours théorique ni moral.
Pour Rousseau la meilleure morale c'est celle qui vient directement de la
nature. Dans la perspective de Rousseau, le rôle de l'éducateur consiste
principalement à protéger son élève contre les méfaits de la société, contre
les influences néfastes de la culture et son cortège de corruptions et de
préjugés. Si le pédagogue laisse la nature agir, il n'est pas pour autant
réduit à un rôle totalement passif. En réalité, tout en suivant scrupuleusement
la nature, c'est tout de même lui qui choisit à la fois le contenu (expériences
et observations) et le moment propice pour l'administrer. C'est pourquoi
l'enfance doit être une période où le jeune peut s'exprimer dans la plus totale
liberté. En résumé, la pédagogie de Rousseau peut être dite négative dans la
mesure où elle propose d'intervenir le moins possible auprès de l'enfant afin
de le laisser faire ses propres expériences.
Rousseau a donc élaboré une
pédagogie active, à savoir une pédagogie où l'enfant participe entièrement au
processus d'apprentissage. Cette pédagogie est également concrète parce qu’elle
recourt à l'observation. Elle est aussi essentiellement utilitaire. En ce sens,
elle prépare à la vie parmi les membres de la société. La pédagogie
rousseauiste est en outre axée sur l'expérimentation et non sur l'étude livresque
ou les exposés magistraux. À travers les différents stades de son
développement, l'enfant apprend directement au contact des choses et non des
mots ou des idées. C'est de cette manière que sa raison naturelle pourra se
développer sainement, évitant ainsi la contamination par les préjugés.
La pensée éducative de Rousseau,
uniquement fonctionnelle, repose sur un certain nombre de notions fondamentales
dont nous avons fait l'examen plus haut. Résumons-les rapidement :
1) La pédagogie doit être fondée
sur l'observation de l'enfant et reliée à une théorie générale de la nature
humaine.
2) Il existe une nature propre à
l'âme enfantine.
3) Il faut distinguer les étapes
successives du développement naturel.
4) L'éducation par les choses doit
primer sur celle par les mots et, par conséquent, les méthodes sensitives,
intuitives et actives doivent être privilégiées.
5) L'apprentissage n'est valable
que dans la mesure où il mobilise la motivation de l'enfant.
6) Il ne peut y avoir de révolution
des institutions et des moeurs sans une révolution de l'éducation.
Quelques références
Cassirer, E. (2011). Rousseau, Kant, Goethe. Paris :
Belin. Paru originellement en anglais en 1945.
Cassirer, E. (2001). La philosophie des Lumières.
Paris : Fayard. Paru originellement en allemand en 1932.
Jolibert, B. (1987). Raison et éducation. Paris :
Klincksieck.
Rousseau, J.-J. (1966). Émile ou de l'éducation. Paris:
Flammarion. Première publication en 1762.
Turmel, A. (2013). La nouvelle sociologie de l’enfance au prisme
de Rousseau et de Locke. Dans A.M. Drouin-Hans, M. Fabre, D. Kambouchner et A.
Vergnioux (Dir.) L’Émile de
Rousseau : regards d’aujourd’hui. (p.99-110).Paris : Hermann.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire