Je tiens à remercier mon collègue et ami le professeur Denis Simard - de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université Laval (ville de Québec) - pour m'avoir fait connaître l'oeuvre immense de Gadamer. Je reprends ici les caractéristiques de la compréhension chez ce philosophe allemand, caractéristiques que Denis Simard a exposé en 2004 dans son ouvrage Éducation et herméneutique. Contribution à une pédagogie de la culture (Québec, Les Presses de l’Université Laval).
La compréhension a une structure herméneutique circulaire
Toute compréhension comporte une pré-compréhension, une structure d'anticipation qui est à son tour pré-figurée par la tradition dans laquelle vit l'interprète et qui modèle ses préjugés. Cette compréhension préalable peut à son tour se déployer pour elle-même, se comprendre d'une manière explicite. Cette explicitation d'une compréhension préalable, telle est la tâche de l'interprétation. L'idée d'une compréhension comme articulation d'une compréhension préalable correspond à la structure de ce qu’on appelle le cercle herméneutique.
La compréhension s'enracine d'abord dans le passé
La tradition n'est pas une chose que nous pouvons mettre de côté. En vertu du principe du «travail de l'histoire», nous appartenons d'abord à une tradition historique et c'est à partir d'elle que nous abordons les choses. Par exemple, notre connaissance de l'histoire, de l'art, de la science ou des lois morales, notre compréhension de concepts tels que le bien, la vérité, l'objectivité, bref la manière suivant laquelle nous comprenons et nous questionnons le monde, tout cela relève d'abord d'une tradition historique et culturelle. Par conséquent, nos interprétations ne sont jamais neutres mais toujours conditionnées par la tradition dans laquelle nous vivons et qui forme la substance de nos préjugés. La tradition est à la fois ce qui limite notre compréhension et ce qui la rend possible, à la fois ce qui la contraint et ce qui l'ouvre.
La compréhension est toujours linguistique
Si la compréhension est toujours conditionnée par une tradition historique, celle-ci vient à nous à travers le langage. Le langage n'est donc pas un outil neutre, extérieur à l'interprète, mais le véhicule même des traditions interprétatives. La langue parle en nous et nous constitue comme patrimoine de textes et de formes historiquement finies, comme ensemble de règles et comme dialogue interpersonnel. Nous appartenons au langage comme nous appartenons à l'histoire : ni devant, ni derrière, ni au-dessus, mais compris dans l'histoire, et donc compris dans une tradition interprétative et langagière. En ce sens, le «travail de l'histoire» à travers le langage n'est pas entièrement transparent; il dépasse notre subjectivité, la limite et la rend possible. Si l'interprétation est le ressort constitutif de toute activité cognitive et pratique, le langage est le mode d'être privilégié de cette activité interprétante.
La compréhension est toujours productive
La compréhension comporte une dimension productive qui se situe entre la création ex nihilo et la pure reproduction. Si la compréhension s'enracine d'abord dans une tradition interprétative qui la limite et la rend possible, en revanche elle n'est pas que la simple reprise et reproduction de la tradition. La compréhension s'enracine aussi dans le présent, dans les intérêts, les questions et les préoccupations de l'interprète. En ce sens, la compréhension ne loge ni du côté du sujet, ni du côté de l'objet ou de la tradition, mais dans cet entre-deux où le dialogue se noue. Toute compréhension comporte donc une production, à la fois une transformation de soi et de la tradition.
La compréhension comporte une application
Si la compréhension s'enracine aussi dans le présent, dans les questions, les intérêts, les préoccupations et les attentes de sens de l'interprète, en d'autres termes si l'interprète est constitutif de la vérité herméneutique dans son rapport au travail c'est que la compréhension comporte un aspect d'application à soi, une compréhension de soi. Comprendre c'est en quelque sorte traduire dans ses propres termes, appliquer à sa situation présente, trouver un éclairage pour sa vie. Comprendre veut dire avoir réussi à appliquer un sens à notre situation, avoir trouvé réponse à nos questions. Cette application n'a rien d'une application instrumentale; elle relève plutôt d'une recherche de sens à partir de sa situation concrète, recherche de sens qui implique une ouverture à l'autre, et donc la possibilité d'un dialogue véritable.
La compréhension possède la structure logique du questionnement
L'être humain ne dispose pas d’une compréhension achevée et définitive sur le monde; sa rationalité est toujours limitée. De sorte que sa compréhension préalable est aussi un projet, une esquisse, un guide ouvert à des modifications et à des développements. Cette ouverture de la compréhension a la structure logique de la question. On pourrait le dire autrement. Si la compréhension comporte une application à soi, une compréhension de soi, et que l'application consiste dans la recherche d'un sens à notre situation actuelle, alors l'application obéit à la dialectique de la question et de la réponse. Par le questionnement, on s’ouvre à des nouveaux sens, à de nouvelles pratiques.
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