Fondements de la sociologie de Freitag
Michel Freitag voit la société comme une « structure de pratiques » porteuse de sens, où les normes et les institutions encadrent la praxis des acteurs sans l’abolir. La question de la vérité y est donc indissociable de la question de la normativité et du devenir des sociétés. Sa sociologie s'ancre dans une perspective à la fois ontologique et critique. Sa théorie distingue des trois modes de reproduction sociétale : culturel-symbolique, politico-institutionnel, décisionnel-opérationnel. Ces trois modes - idéaux-types au sens wébérien du terme - servent à penser les transformations historiques du capitalisme et de la modernité, jusqu’à la postmodernité technocapitaliste.
Le reproche d’hyperdétermination structurelle
Michel Freitag considère que l’œuvre de Bourdieu a le défaut d'être une forme de « surdétermination » des pratiques par l’habitus et les champs. Dans son oeuvre, Bourdieu réifie le social et marginalise la capacité des acteurs à instituer et transformer les normes. Bourdieu apparaît donc à Freitag comme un auteur emblématique des théories qui décrivent surtout la reproduction des structures, en ne laissant qu'une place infime à une praxis créatrice. La critique de Freitag vise ainsi un courant plus large qu’il associe à d’autres approches systémiques (comme celle de Luhmann) où la logique des structures ou des systèmes semble autonome par rapport au vécu subjectif des acteurs et à leurs conflits normatifs.
Domination symbolique vs ordre symbolique
Si Bourdieu met au centre de sa pensée la domination symbolique et les mécanismes de reproduction (notamment scolaire), Freitag, pour sa part, insiste davantage sur l’ordre symbolique comme horizon de sens partagé qui rend possible non seulement la domination mais aussi sa critique. Les travaux de Bourdieu analysent la symbolique comme un simple instrument de légitimation des rapports de force. Par contre, ceux de Freitag renvoient à l’idéalité et à la réflexivité collectives. Ce dernier pense qu’une sociologie centrée sur la reproduction (comme celle de Pierre Bourdieu) finit par naturaliser la domination en la décrivant comme quasi inévitable. par le fait même, elle ne permet pas de reconstruire les conditions d’une autonomie normative et politique des acteurs.
Critique de l’épistémologie mise de l'avant par Bourdieu
Dans son oeuvre, Michel Freitag fait une critique épistémologique du positivisme et de ses dérives scientistes. La sociologie de Bourdieu relève ce courant. Freitag refuse l’idée que la sociologie puisse se réduire à la mise au jour de régularités structurales. Pour lui, on ne peut séparer cette discipline des questions de validité normative et de celles relevant de projets collectif. En transformant les états de fait (rapports de force, champs, intérêts) en quasi transcendance ces sociologies « scientifiques » substituent la contrainte factuelle à la légitimité,
Postmodernité, technocapitalisme et limites de Bourdieu
Freitag élabore une théorie de la mutation vers un mode de reproduction ''décisionnel-opérationnel'' où la logique des systèmes ''technocapitalistes'' tend à s’imposer au‑dessus des acteurs et des institutions politiques, dissolvant la société comme structure de sens. Les analyses de Bourdieu sont pour lui trop centrées sur les champs et l’habitus pour saisir la nouvelle forme de domination systémique, abstraite et globalisée. Si Michel Freitag cherche à penser la crise de la modernité elle‑même (la mise en cause de l’idéal de réflexivité politique et d’autonomie collective par la montée d’une rationalité systémique postmoderne), Bourdieu reste prisonnier d’une sociologie de la reproduction des classes au sein de la modernité.
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