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28 mai 2024

Les technologies informatiques vues par Michel Freitag

Les technologies informatiques nous déchargent de la nécessité de retenir, de mémoriser, voire parfois, de comprendre.Nous sommes alors centrés sur le présent et cela nous amène à nous passer des grands du passé, ceux-ci n'étant plus des modèles, des maîtres. Le passé est donc plus ou moins évacué. Tout peut s'inventer sans égard aux pesanteurs de l'histoire. L'éphémère est devenu la norme. Nous sommes en adaptation continuelle, «réactifs».Ainsi, comprendre ne veut plus dire interpréter le monde à l'aide de ceux qui nous ont précédé mais simplement «surfer» sur l'information, sélectionner «ce qui fait notre affaire». Dans l’informatique, la conscience ne peut être qu’opératoire. Au projet d’une connaissance positive de la réalité – projet issu des Lumières – se substitue un projet de maîtrise directe des effets produits artificiellement par l’utilisateur – effets calculables et prévisibles – dans un environnement spécifique. Ainsi, le monde n’est plus une totalité de ce qui est, il devient plutôt l’ensemble de tout ce qui peut être fait par l’utilisateur i.e. tout ce qui peut être contrôlé et transformé dans un environnement donné. Ce monde est totalement centré sur la «puissance» d’agir de l’utilisateur; il en est le résultat. Or, justement, cette puissance d’agir nous échappe dans la mesure où elle s’objective et résulte de la production d’outils qui nous échappent. S’efface alors la différence entre réel et possible, entre l’imaginaire et l’objet en soi. Dans l’informatique : «s’abolit la distinction entre connaître et faire, entre la nature et la culture, entre l’objet et le sujet» (Freitag, 2002, p. 390). L'informatisation entraîne donc des conséquences pour notre capacité à juger ...Rappelons qu'un jugement est toujours en quelque sorte synthétique par nature. Dans tout jugement, la part processuelle ne peut donc être détachée – sans dénaturer le jugement – de l’acte de juger lui-même. Or, l’informatique réduit le jugement une «processualité contrôlée» en soumettant tout à des algorithmes. Dans ce cas, tout jugement synthétique devient difficile voire impossible. Ce qui s’affaiblit alors – ou même disparaît – c’est l’engagement existentiel du sujet dans l’acte même de juger. Sa conscience sensible, symbolique, culturelle se trouve alors reportée en dehors de cette «processualité contrôlée». Ainsi, l’ensemble des activités de communication – activités réduites à de l’information par le contrôle informatique – n’est pas plus mesuré que de manière opérationnelle. «Ce qui s’objective et s’extériorise dans l’informatique, c’est donc virtuellement la totalité de l’ordre symbolique, qui comprend les dimensions de la connaissance (le vrai et le faux), de la normativité (le juste et l’injuste, le bien et le mal) et de l’expressivité (l’identité et la beauté)» (Freitag, 2002, p. 392). Dans nos sociétés, l’informatique ainsi est devenu le langage universel dans lequel tout est décomposable analytiquement en paramètres opérationnels…ce qui veut dire aussi que tout est recomposable de façon purement stratégique. C’est dire que l’informatisation participe de la réduction analytique de toute la dimension représentative et synthétique essentielle au symbolique. Contrairement aux médiations culturelles issues du langage «naturel», l’informatique n’est pas produite à travers une expérience du monde mise en commun mais par un arbitraire technologique tourné vers l’efficacité et l’efficience. Toute finalité idéale doit désormais être traduite en objectif mesurable. Tous les principes généraux - parfois incommensurables - doivent se traduire en procédures opérationnelles. En somme, il ne s’agit plus d’un «arraisonnement« du monde - comme Heidegger le disait de la technique (de son temps) - mais bien d’un procès de «transsubstantiation» des anciens langages et de la réalité que l’informatique voulait justement représenter.

L’informatisation participe donc de la désymbolisation du social.
Elle réalise une véritable «conversion» de notre mode d’être au monde.

Référence 
Freitag, M. (2002). L’oubli de la société. Pour une théorie critique de la postmodernité. Québec : Les Presses de l’Université Laval. 

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